CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 26 mars 2025, n° 23/02251
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cevaqoe Invest (SARL)
Défendeur :
Batiment Construction Renovation (EURL), MIC Insurance Company (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
Mme Robert, Mme Asselain
Avocats :
Me Clarac, Me Monferran, SCP Monferran - Espagno - Salvador, Me Perreau, SELASU Perreau Avocats
EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par devis 9 accepté le 9 septembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest a confié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (Eurl) Bâtiment Construction Rénovation des travaux de rénovation portant sur une maison située [Adresse 5] à [Localité 7] lui appartenant, pour un montant de 28 634,86 euros TTC.
Suivant devis du 10 septembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest a accepté des travaux supplémentaires portant sur l'aménagement du garage en chambre pour un montant de 7 438,10 euros TTC.
Suivant devis du 18 novembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest a accepté des travaux d'enduits de façade pour un montant de 3 615,78 euros TTC.
Suivant devis du 26 novembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest indique avoir accepté des travaux supplémentaires portant sur le lot électricité pour un montant de 1 531,49 euros TTC.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 décembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest a indiqué à son cocontractant sa préoccupation quant au respect de certaines règles de l'art dans la réalisation des travaux et l'a mis en demeure de lui fournir son attestation d'assurance décennale.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 décembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest a mis en demeure l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation de reprendre les travaux et de lui fournir son attestation d'assurance décennale.
Le 8 janvier 2020, la Sarl Cevaqoe a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier contradictoire portant sur les désordres imputés à l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 janvier 2020, la Sarl Cevaqoe Invest a résilié le contrat qui la liait à l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation.
Par ordonnance de référé du 8 octobre 2020, le tribunal de commerce de Toulouse a ordonné une expertise judiciaire à la demande de la Sarl Cevaqoe Invest aux fins d'examen des désordres allégués. L'expert, M. [F] [M], a rendu son rapport définitif le 6 mai 2021.
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Par acte d'huissier du 9 juin 2021, la Sarl Cevaqoe Invest a fait assigner l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation devant le tribunal de commerce de Toulouse, aux fins d'obtenir réparation des préjudices subis du fait des désordres affectant le bien.
Par acte d'huissier du 5 novembre 2021, l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation a fait assigner son assureur, la société anonyme (Sa) Mic Insurance Company, en intervention forcée aux fins d'appel en garantie.
Par jugement du 11 mai 2022, le tribunal de commerce de Carcassonne a placé l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation en liquidation judiciaire simplifiée et nommé Maître [H] [I] (Selarl [H] [I]) mandataire liquidateur.
Par acte d'huissier du 12 septembre 2022, la Sarl Cevaqoe Invest a fait assigner Maître [H] [I] en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation.
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Par un jugement du 1er juin 2023, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- ordonné la jonction des instances 2021J00432, 2021J00770 et 2022J00709,
- débouté l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation, Maître [H] [I] ès qualités de liquidateur de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et la Sarl Cevaqoe Invest de leurs demandes à l'encontre de la société Mic Insurance Company,
- fixé la somme de 34 612,12 euros au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et débouté la Sarl Cevaqoe Invest du surplus de sa demande formée de ce chef,
- condamné la Sarl Cevaqoe Invest à payer à la société Mic Insurance Company la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- fixé la créance de la Sarl Cevaqoe Invest au passif de la liquidation de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl Cevaqoe Invest et Maître [H] [I] ès qualités de liquidateur de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation aux dépens (50% chacun).
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu, en se fondant sur le rapport d'expertise, que le chantier a été ouvert le 9 septembre 2019 de sorte que la garantie d'assurance de la société Mic Insurance Company couvrant la société Bâtiment Construction Rénovation qui prenait effet postérieurement, le 1er octobre 2019, ne pouvait être mobilisée, et que les demandes à son encontre devaient être rejetées.
Pour faire droit à la demande du maître de l'ouvrage relatif aux travaux de reprise, le tribunal de commerce a retenu qu'un courrier avait été adressé au liquidateur de la société Bâtiment Construction Rénovation le 18 décembre 2019 afin de reprendre les travaux, qu'un constat d'huissier du 8 janvier 2020 a révélé de nombreux désordres, que les arguments du liquidateur de l'entrepreneur faisant valoir que celle-ci n'avait pas été en mesure de terminer les travaux car l'accès au chantier lui avait été interdit le 17 janvier 2020 devaient être écartés dès lors que le constructeur a proposé une réception des travaux le 10 décembre 2019, de sorte que l'entrepreneur devait être condamné au paiement de la somme de 28 894,28 euros TTC au titre des travaux de reprise.
Pour écarter la demande du maître de l'ouvrage au titre de la perte de revenus locatifs du fait du retard dans la réalisation des travaux, le premier juge a retenu que la mise en location du bien rénové n'était jamais entrée dans le champ contractuel.
Pour rejeter la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, le premier juge a énoncé qu'aucun justificatif de cette somme ne lui était fourni.
Pour fixer au passif de la liquidation judiciaire du constructeur la somme de 34 612,12 euros, le premier juge a indiqué avoir ajouté au montant de la condamnation prononcée au titre des travaux de reprise celui des frais d'expertise, à savoir 5 742 euros,
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Par déclaration du 23 juin 2023, la Sarl Cevaqoe Invest a relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :
- fixé à la somme de 34 612,12 euros la créance de la société Cevaqoe Invest au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et en ce qu'il a débouté la société Cevaqoe Invest du surplus de sa demande formée de ce chef,
- refusé de fixer la créance de la société Cevaqoe Invest au passif de la liquidation judiciaire à la somme de 68 016,12 euros correspondant à la créance déclarée,
- refusé de décider que la garantie de Mic Insurance Company est due et mobilisable et refusé de condamner la société Mic Insurance Company à payer la somme de 68 016,12 euros à la société Cevaqoe Invest en réparation de l'intégralité de son préjudice,
- refusé de décider qu'à l'issue du paiement de la somme de 68 016,12 euros, la société Mic Insurance Company serait subrogée dans les droits de la société Cevaqoe Invest dans la liquidation judiciaire de la société Eurl Bâtiment Construction Renovation,
- condamné la société Cevaqoe Invest à payer à la société Mic Insurance Company la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Cevaqoe Invest à payer à la société Mic Insurance Company 50% des dépens.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 septembre 2023, la Sarl Cevaqoe Invest, appelante, demande à la cour, au visa de l'article L. 241-1 du code des assurances, de :
- réformer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- décider que la garantie de Mic Insurance Company est due et mobilisable et, en conséquence, condamner la société Mic Insurance Company à payer la somme de 68 016,12 euros à la société Cevaqoe Invest en réparation de l'intégralité de son préjudice,
- fixer à la somme de 68 016,12 euros la créance de la société Cevaqoe Invest au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation,
- décider qu'à l'issue du paiement de la somme de 68 016,12 euros, la société Mic Insurance Company serait subrogée dans les droits de la société Cevaqoe Invest dans la liquidation judiciaire de l'eurl Bâtiment Construction Rénovation,
- condamner l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et Mic Insurance Company à payer à la société Cevaqoe Invest la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ces prétentions, la Sarl Cevaqoe Invest sollicite, dans un premier temps, la garantie de la Sa Mic Insurance Company au titre de l'assurance de responsabilité décennale souscrite par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation sur le fondement de l'article L. 241-1 du code des assurances.
Pour faire valoir que les travaux réalisés entrent dans le champ d'application temporelle de cette garantie, elle invoque un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 28 novembre 2001 (n° 00-19.960) ayant énoncé, au visa de l'article précédent, 'qu'il résulte de ce texte que la garantie de l'assureur s'applique à tout fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré et survenu pendant la période où le contrat d'assurance est en cours ; que le fait dommageable se définit comme l'événement qui constitue la cause génératrice du dommage ; (...) s'agissant de travaux de construction, la cause génératrice du dommage se situait au jour de leur exécution'.
Elle situe la date de début des travaux en l'espèce, au plus tôt, à la date du 11 septembre 2019, date de paiement de la première facture, ou, au plus tard, au 27 septembre 2019, date d'achat du matériel par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation. Elle conclut que le contrat d'assurance, en dépit de sa prise d'effet au 1er octobre 2019, a vocation à s'appliquer car les dommages qui lui ont été causés résultent bien des travaux qui ont été exécutés par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation à la fin du mois de septembre 2019.
Elle soutient également, au visa des articles 1792 et 1792-6 du code civil, que l'ouvrage a fait l'objet d'une réception tacite en 2020, lors de l'entrée en possession des lieux du maître de l'ouvrage, de sorte que la garantie décennale de l'assureur serait due.
La Sarl Cevaqoe Invest soutient, dans un second temps, que l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation est responsable sur le fondement de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du code civil. Elle se fonde sur le rapport d'expertise judiciaire pour établir un certain nombre de désordres à l'origine, selon elle, d'importants travaux de reprise, d'une perte de revenus locatifs en raison du retard pris dans la livraison et d'un préjudice moral lié au stress et aux tracas engendrés.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 novembre 2023, la Sa Mic Insurance Company, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1792 et suivants du code civil, des articles L. 113-5, L. 112-6, L. 121-1 et de l'annexe I de l'article A. 243-1 du code des assurances, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse le 1er juin 2023 dans l'ensemble de ses dispositions,
Par conséquent,
- juger que les garanties de la compagnie Mic Insurance Company ne sont pas mobilisables,
- débouter la société Cevaqoe Invest de toute demande, fin ou prétention dirigées à l'encontre de la compagnie Mic Insurance Company,
Subsidiairement,
- faire application des plafonds et limites prévues par la police souscrite par la société Bâtiment Construction Rénovation, notamment les franchises 2 000 euros,
En toute hypothèse,
- condamner tout succombant à payer à la compagnie Mic Insurance Company la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner tout succombant aux entiers dépens.
Sur la date de prise d'effet de l'assurance de responsabilité décennale, la Sa Mic Insurance Company soutient que cette garantie s'applique uniquement aux travaux pour lesquels la garantie était déjà en cours à la date d'ouverture du chantier.
Elle invoque au soutien de cette prétention l'annexe I de l'article A. 243-1 du code des assurances, qui dispose que 'le contrat couvre, pour la durée de la responsabilité pesant sur l'assuré en vertu des articles 1792 et suivants du code civil, les travaux ayant fait l'objet d'une ouverture de chantier pendant la période de validité fixée aux conditions particulières', soulignant que les conditions générales de la police souscrite rappellent cette disposition. Elle fait valoir, en l'espèce, que les travaux ayant commencé le 11 septembre 2019, soit antérieurement à la date de prise d'effet du contrat, de sorte que la garantie n'est pas mobilisable, et ce même à l'égard des travaux réalisés postérieurement au 1er octobre 2019.
Elle souligne, surabondamment selon ses termes, l'absence de réception en l'espèce, de sorte que la garantie décennale ne saurait être mise en oeuvre par le maître de l'ouvrage.
La Sa Mic Insurance Company souligne également que la garantie responsabilité civile professionnelle ne pourrait pas non plus être mobilisée en l'espèce. Elle fait valoir que l'abandon de chantier, sur lequel se fonde expressément la Sarl Cevaqoe Invest, n'est pas garantie selon les termes des conditions particulières de la police d'assurance souscrite par l'entrepreneur, relevant qu'il ne s'agit pas, selon elle, d'une exclusion mais d'une condition d'application de la police.
Elle soutient en outre, si l'abandon de chantier ne devait pas être retenu, que la garantie n'en serait pas pour autant applicable en l'espèce, tant à l'égard des travaux de reprise, du fait qu'elle ne correspond pas aux activités couvertes par la garantie 'avant réception-livraison' aux termes des conditions générales de la police d'assurance, qu'à l'égard des dommages immatériels, du fait de leur exclusion par les conditions générales.
L'Eurl Bâtiment Construction Rénovation prise en la personne de Maître [H] [I], ès qualités de liquidateur judiciaire, intimée, a régulièrement reçu signification de la déclaration d'appel le 5 septembre 2023, par remise de l'acte à personne habilitée, et n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 décembre 2024. L'affaire a été examinée à l'audience du mardi 7 janvier 2025 à 14 heures.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
1. L'appel interjeté tend à infirmer le jugement, d'une part en ce qu'il a écarté la garantie assurantielle de la Sa Mic Insurance Company et, d'autre part en ce qu'il a rejeté l'indemnisation de certains préjudices allégués par la Sarl Cevaqoe Invest. Il conviendra d'envisager successivement ces deux points dans l'ordre des demandes présentées à titre principal par l'appelant.
' Sur la mobilisation de la garantie décennale souscrite auprès de la Sa Mic Insurance Company :
2. La Sarl Cevaqoe Invest sollicite la mise en oeuvre de la garantie décennale consentie par la Sa Mic Insurance à l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation sur le fondement de l'article L. 241-1 du code des assurances, ce que l'assureur conteste, invoquant l'annexe I de l'article A. 241-1 du code des assurances et, subsidiairement, l'absence de réception de l'ouvrage au sens de l'article 1792-6 du code civil.
3. En vertu de l'article A. 241-1 du code des assurances, les contrats d'assurance de responsabilité décennale doivent obligatoirement comporter les clauses prévues à l'annexe I de cet article, laquelle contient notamment la clause relative à la durée et au maintien de la garantie dans le temps suivante : 'le contrat couvre, pour la durée de la responsabilité pesant sur l'assuré en vertu des articles 1792 et suivants du code civil, les travaux ayant fait l'objet d'une ouverture de chantier pendant la période de validité fixée aux conditions particulières'.
3.1. Il convient de relever que la solution retenue par l'arrêt cité par la Sarl Cevaqoe Invest (Civ. 1re, 28 novembre 2001, n° 00-19.960), l'a été au visa de l'article L. 124-1 du code des assurances, disposition générale relative aux assurances de responsabilité, laquelle ne saurait primer l'application des articles L. 241-1 et A. 243-1 du même code, dispositions spéciales relatives à l'assurance de travaux de construction telle que sollicitée en l'espèce.
3.2. Dans la présente affaire, les conditions générales, auxquelles renvoie le contrat 'd'assurance responsabilité civile et décennale des entreprises du bâtiment' conclu entre l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et la Sa Mic Insurance Company le 23 octobre 2019, reproduisent strictement cette règle (page 23), étant relevé que les conditions générales définissent en outre l'ouverture de chantier (page 6) qui 's'entend à date unique applicable de l'ensemble de l'opération de construction. Cette date correspond [...] pour les travaux ne nécessitant pas la délivrance d'un [permis de construire], à la date du premier ordre de service ou à défaut, à la date effective de commencement des travaux'. Les conditions particulières mentionnent quant à elles, à toutes les pages, une date de prise d'effet au 1er octobre 2019 et, au sein d'une clause intitulée 'champs d'applications' (page 4), 'les garanties s'appliquent aux seuls chantiers démarrés durant la période d'effet du contrat'.
3.3. En l'espèce, la première facture a été payée le 11 septembre 2019 et la Sarl Cevaqoe Invest soutient que les travaux ont débuté lors de l'achat effectif du matériel nécessaire le 27 septembre 2019, de sorte qu'en toute hypothèse il n'est pas contestable que le chantier a débuté antérieurement au 1er octobre 2019, date de prise d'effet du contrat d'assurance, qui n'est dès lors pas applicable aux travaux litigieux en application des stipulations qui viennent d'être rappelées.
3.4. Il apparaît ainsi surabondant de se prononcer sur l'existence et la date d'une réception de l'ouvrage pour la mise en oeuvre de la garantie d'assurance décennale qui serait en tout état de cause inapplicable. La réception sera néanmoins envisagée ultérieurement, lors de l'examen du bien fondé des demandes présentées par la Sarl Cevaqoe Invest à l'encontre de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
' Sur la responsabilité de l'Eurl Construction Bâtiment Rénovation :
4. Il apparaît, au regard de la généralité de la formulation de la demande du maître de l'ouvrage tendant à voir fixer sa créance au passif de la liquidation de l'entrepreneur et au regard de l'absence de restriction, dans ses conclusions d'appelant, quant à la saisine de la cour sur la demande formulée au titre des travaux de reprise, à laquelle les premiers juges ont fait droit, que la cour est pleinement saisie quant à la responsabilité de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation tant dans son principe que dans son étendue, étant spécialement rappelé qu'en application des dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, en l'absence du défendeur, le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
5. La Sarl Cevaqoe Invest fonde ses demandes sur la garantie décennale prévue par l'article 1792 du code civil. Elle indique, dans les passages de ses conclusions relatifs à la mobilisation de l'assurance y afférente de la Sa Mic Insurance Company, que la réception de l'ouvrage a eu lieu tacitement en janvier 2020 lors de sa prise de possession des lieux. Ce point est contesté par l'assureur, seulement quant à l'application de la police d'assurance.
6. En vertu de l'article 1792-6, alinéa 1er, du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
6.1. Il convient de relever qu'il incombe au maître de l'ouvrage agissant sur le fondement de la garantie décennale d'établir la date de la réception de l'ouvrage, celle-ci mettant fin au contrat de construction et constituant, comme le souligne la Sarl Cevaqoe Invest, le point de départ des garanties prévues aux articles 1792 et suivants du code civil.
6.2. Il convient de souligner qu'il est exact, comme l'avance la Sarl Cevaqoe Invest, qu'une réception tacite peut être prononcée en présence d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux et que le paiement de l'intégralité des travaux d'un lot et la prise de possession par le maître de l'ouvrage vaut présomption de réception tacite.
6.3. Il est néanmoins de principe que les contestations du maître de l'ouvrage quant à la qualité des travaux, malgré leur prise de possession des lieux et le paiement intégral des sommes dues à l'entrepreneur, peuvent être à même d'exclure toute réception tacite des travaux (Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14.830).
7. En l'espèce, le maître de l'ouvrage a de manière non équivoque manifesté sa volonté de ne pas accepter l'ouvrage au regard des manquements qu'il imputait à l'entrepreneur dans la réalisation des travaux.
7.1. En effet, il ressort des pièces produites que, dans un premier temps, le maître de l'ouvrage entendait permettre à l'entrepreneur de mener à bien le chantier. Ainsi, par courriers adressés à l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation les 6 et 18 décembre 2019, la Sarl Cevaqoe Invest pointait différent désordres et enjoignait son cocontractant de les reprendre, envisageant une réception au plus tôt le 6 janvier 2020, de sorte que sa volonté de recevoir l'ouvrage aurait encore pu être caractérisée à cette date.
7.2. Il apparaît toutefois que cette possibilité a été expressément écartée par la suite, le maître de l'ouvrage ayant, dans un second temps, manifesté sa volonté de rompre le contrat. En effet, après avoir fait procéder le 8 janvier 2020 à un constat d'huissier contradictoire permettant d'établir les différents désordres dont elle se plaignait, au sein duquel il est relaté que le représentant de la Sarl Cevaqoe Invest a sollicité la remise des clefs par l'entrepreneur et a manifesté sa volonté que l'entrepreneur n'entre plus sur le chantier, la Sarl Cevaqoe Invest, prennant acte de cette situation, lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 janvier 2020 la résiliation du contrat sur le fondement des articles 1224 et 1226 alinéa 3 du code civil.
7.3. Il ressort de ces éléments que le maître de l'ouvrage a, sans équivoque, manifesté sa volonté de ne pas accepter un ouvrage affecté de nombreuses malfaçons, de sorte qu'aucune réception tacite de l'ouvrage bien que réalisés à 90 %, serait-ce avec d'importantes réserves, ne peut être caractérisée, le contrat d'entreprise s'étant achevé par la résiliation du contrat notifiée à l'entrepreneur par le maître de l'ouvrage.
8. Il est de principe, en l'absence de réception, d'une part, que le maître de l'ouvrage ne peut agir en garantie sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil à l'encontre du constructeur et, d'autre part, que seule la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur est susceptible d'être mise en oeuvre.
9. Il résulte des écritures des parties que ces dernières ont développé des arguments relativement à la faute reprochée à l'entrepreneur que celui-ci contestait et que le tribunal de commerce a implicitement mais nécessairement retenue pour entrer en voie de condamnation partielle au titre des travaux de reprise et rejeter la demande au titre du préjudice locatif au motif que celui-ci ne serait jamais entré dans le champ contractuel.
10. L'expert judiciaire a relevé que compte tenu des malfaçons et inachèvements rendant la location de la maison inenvisageable, la société Cevaquoe Invest a résilié le marché la liant avec l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation qui, en sa qualité d'entreprise générale de bâtiment, était la seule intervenante sur ce chantier. Il est constant qu'en tant que professionnelle dont le devis portait la mention 'maître d'oeuvre', cette société a conçu et réalisé les travaux litigieux qui sont affectés des nombreux désordres, malfaçons et inachèvements décrits dans le rapport d'expertise. La responsabilité contractuelle de cette société doit donc être retenue.
11. Il ressort de la déclaration d'appel que l'appelante entend voir réformer le jugement en ce qu'il a 'fixé à la somme de 34 612,12 euros la créance de la société Cevaqoe Invest au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et en ce qu'il a débouté la société Cevaqoe Invest du surplus de sa demande formée de ce chef'. Cette critique se traduit, dans les dernières conclusions de l'appelante, en une demande présentée à la cour aux fins de voir réformer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de fixer à la somme de 68 016,12 euros la créance de la société Cevaqoe Invest au passif de la liquidation judiciaire de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation.
11.1. Il convient de rappeler que, pour retenir une telle somme, le tribunal de commerce avait indemnisé le maître de l'ouvrage à hauteur de 28 894,12 euros TTC concernant les travaux de reprise, aucquels s'ajoutaient les frais d'expertise à hauteur de 5 742 euros. La juridiction de première instance avait en revanche écarté l'indemnisation au titre du préjudice moral et de la perte de revenus locatifs.
11.2. Il convient de relever que, selon les dernières conclusions de l'appelante, le préjudice dont elle sollicite l'indemnisation serait composé du montant nécessaire aux travaux de reprise des désordres, à savoir 33 274,12 euros TTC (30 008,00 euros TTC pour l'achèvement des travaux, 2 666,12 euros TTC pour l'installation électrique, 600 euros non soumis à TVA pour le nettoyage de la maison), auquel viendrait s'ajouter 21 000 euros TTC de perte de revenus locatifs et 5 000 euros pour le préjudice moral relatif 'aux tracaux causés' par l'entrepreneur au maître de l'ouvrage.
11.3. Il apparaît dès lors, outre que l'addition de ces sommes aboutit à un résultat de 59 274,12 euros qui est inférieur à la somme de 68 016,12 euros sollicitée dans le dispositif, que l'appelante n'entend pas limiter la saisine de la cour aux chefs du jugement correspondant au rejet de ses demandes relatives à la perte de revenus locatifs et au préjudice moral, mais entend également remettre en cause l'estimation réalisée par le tribunal de commerce au titre des travaux de reprise des désordres, étant relevé que l'appelante développe devant la cour les moyens lui permettant, selon elle, de retenir la responsabilité de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation à l'égard de l'ensemble des préjudices évoqués.
12. L'expert judiciaire a chiffré le coût des 'travaux de reprise' à la somme de 25.000,67 euros ht auxquels s'ajoutent ceux de reprise de l'installation électrique (2 221,77 euros ht) soit une somme totale de 27.228,44 euros ht et une somme de 600 euros correspondant aux frais de nettoyage et non assujettie à la TVA. Ce préjudice matériel sera retenu à hauteur de ces montants sans déduire le solde du marché (3 749,87 euros ht) en raison de l'inachèvement et de la résiliation intervenue aux torts de la société Bâtiment Construction Rénovation. Par ailleurs, les frais d'expertise judiciaire ne constituent pas un préjudice réparable mais entrent dans les dépens exposés en référé et en lien étroit et nécessaire avec les dépens de l'instance au fond dont le sort fait l'objet d'une disposition particulière de la décision statuant au fond. En conséquence le jugement entrepris sera réformé sur ce point et la fixation du préjudice matériel au passif de la société Bâtiment Construction Rénovation sera opérée de la manière suivante:
- 27.228,44 euros ht au titre des frais de reprise des désordres,
- 600 euros correspondant aux frais de nettoyage.
13. Selon l'article 1231-3 du code civil, 'Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive'.
13.1. L'existence d'une limitation ou d'une perte totale de jouissance de l'immeuble à la suite de désordres ou d'inachèvements n'est pas en soi imprévisible mais sa réparation suppose, s'agissant de la perte de possibilité de louer le bien, la démonstration par le maître de l'ouvrage, d'une part de la perte de cette faculté en son principe et en son étendue et, d'autre part du lien de causalité entre la faute de l'entrepreneur et le préjudice allégué.
13.2. La prévisibilité du dommage locatif était en l'espèce d'autant plus prégnante que l'objet social de la société Cevaqoe Invest est notamment l'exploitation de biens immobiliers dont ceux à usage d'habitation en vue de leur mise en valeur par location. Le contrat de bail a été signé en juin 2021 avec un loyer mensuel de 1.041 euros étant relevé que si le maître de l'ouvrage a procédé à la résiliation du contrat en ne permettant pas à l'entrepreneur de reprendre les désordres dénoncés, l'expert judiciaire a considéré que la perte de revenus locatifs est en 'lien direct avec les malfaçons imputables à l'Eurl BCR'. Au regard de la divergence ayant existé entre les parties sur la qualité des travaux exécutés, la durée des investigations nécessaires par voie d'expertise judiciaire avant la détermination des travaux de reprise, la créance de la société appelante, calculée sur la base de l'évaluation faite par l'expert dans son rapport déposé le 6 mai 2021, apparaît fondée en son principe comme en son montant. Le jugement entrepris doit donc être infirmé à ce titre et la créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Bâtiment Construction Rénovation à hauteur de la somme de 17.500 euros HT (21 000 euros TTC).
14. En subissant, avant même l'achèvement des travaux, des désordres l'ayant conduite à résilier le contrat et à agir en justice pour obtenir la réparation de ses préjudices, la Sarl Cevaqoe Invest est bien fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice moral caractérisé par des tracas excédant ceux normaux liés à son activité, préjudice distinct du préjudice de jouissance et des frais irrépétibles. Sa réparation sera évaluée à 1 000 euros, le jugement étant infirmé sur ce point et la créance ainsi définie étant fixée à ce montant au passif de la société Bâtiment Construction Rénovation.
' Sur la mobilisation de la garantie responsabilité civile professionnelle souscrite auprès de la Sa Mic Insurance Company :
15. Les conditions particulières de la police d'assurance conclue au titre de la responsabilité civile professionnelle entre la Sa Mic Insurance Company et l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation contiennent une clause 'exclusions' en page 2, laquelle prévoit que trois types d'évènements 'sont exclus des garanties', la première hypothèse étant 'les sinistres ayant pour origine des faits ou circonstances connus du souscripteur antérieurs à la date d'effet du présente contrat, l'abandon de chantier en cours'.
15.1. Il convient de relever que la validité de cette stipulation n'est pas contestée par les parties, qui apparaît au demeurant claire et précise quant à la détermination du champ d'application de la police d'assurance.
15.2. En l'espèce, la Sarl Cevaqoe Invest revendique sans équivoque l'abandon par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation du chantier qu'elle lui avait confié, l'appelante indiquant, dans ses conclusions, que la visite du chantier à la fin de l'année 2019 ou en début d'année 2020 lui a permis 'de s'apercevoir que l'entreprise de travaux avait cessé tout travail et repris tout son matériel', tandis qu'elle exposait à l'huissier de justice mandaté par elle pour dresser un procès-verbal de constat le 8 janvier 2020 que ces constatations trouvaient leur cause dans 'les nombreuses malfaçons et autres manques de finitions relevés outre l'abandon du chantier par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation'.
15.3. Il en ressort que la qualification d'abandon de chantier, dont se prévaut la Sarl Cevaqoe Invest et qui n'est contestée par aucune partie en cause d'appel, doit être retenue étant précisé qu'il est de principe que l'abandon de chantier visé par la clause d'exclusion de garantie doit s'entendre d'un chantier arrêté sur lequel aucune entreprise ne travaillait (Cass. 3ème Civ., 4 mars 2021, n° 19-23.078, 19-21.309) sans considération de l'imputabilité de cette situation (Cass. 3ème Civ., 10 décembre 2015, n° 14-24.832) de sorte que l'assurance de responsabilité professionnelle excluant cette circonstance de la garantie ne saurait être mobilisée.
15.4. Par conséquent, il convient de rejeter les demandes tendant à voir condamner la Sa Mic Insurance Company à garantir l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation des condamnations prononcées à son encontre, en l'absence de garantie d'assurance mobilisable en l'espèce. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Sarl Cevaqoe Invest de ses demandes à l'encontre de la société Mic Insurance Company.
- Sur les dépens et frais irrépétibles :
16. Le jugement sera infirmé sur les dépens de première instance auxquels s'ajoutent ceux liés à l'expertise judiciaire et qui seront fixés dans leur intégralité au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation. Ceux d'appel, à l'exception des dépens liés à l'intimation de la société Mic Insurance Company qui resteront à la charge de la Sarl Cevaqoe Invest, seront également fixés au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation.
17. Le jugement sera infirmé sur les frais irrépétibles exposés en première instance. La Sa Mic Insurance Company, initialement attraite par l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation est en droit d'obtenir l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer à l'occasion de cette procédure en première instance. Sa créance à ce titre, arrêtée à la somme de 2 000 euros sera fixée au passif de la procédure d'appel.
18. La Sarl Cevaqoe Invest est en droit de réclamer l'indemnisation de ses frais exposés en première instance et en appel. Sa créance qui sera arrêtée au montant de 5 000 euros à ce titre sera fixée au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation. Elle sera condamnée à payer à la Sa Mic Insurance Company la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort et dans la limite de sa saisine :
Infirme le jugement rendu le 1er juin 2023 par le tribunal de commerce de Toulouse, en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant ordonné la jonction des procédures et débouté l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation et la Sarl Cevaqoe Invest de leurs demandes à l'encontre de la Sa Mic Insurance Company.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Fixe au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation les créances suivantes de la Sarl Cevaqoe Invest :
- 27.228,44 euros HT au titre du coût des travaux de reprise,
- 600 euros au titre des frais de nettoyage,
- 17.500 euros HT en réparation du préjudice de jouissance,
- 1 000 euros en réparation du préjudice moral.
Fixe au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation les entiers dépens de première instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire et les dépens d'appel en ce exclus les dépens liés à l'intimation de la Sa Mic Insurance Company.
Fixe au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation la créance de la Sarl Cevaqoe Invest à hauteur de la somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en appel.
Fixe au passif de l'Eurl Bâtiment Construction Rénovation la créance de la Sa Mic Insurance Company à hauteur de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance.
Condamne la Sarl Cevaqoe Invest à payer à la Sa Mic Insurance Company la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel.