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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 26 mars 2025, n° 23/00366

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

3a Breizh (SARL)

Défendeur :

Maison Briau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

Me Labarriere, Me Sevestre, Me Babillon, Me Veiga

T. com. Bordeaux, du 14 mars 2022, n° 20…

14 mars 2022

EXPOSE DU LITIGE:

1- La SAS Maison Briau, dont le siège social est à [Localité 5] (Lot-et-Garonne) exerce une activité de fabrication et distribution de plats cuisinés frais et ultra-frais, principalement de la brandade de morue et de la paëlla, à destination d'une clientèle constituée par des enseignes de grandes et moyennes surfaces (GMS).

Dans le cadre de son activité, elle fait appel à des sous-traitants pour réaliser des prestations d'animation au sein des enseignes clientes, consistant à attirer l'attention des clients sur le produit et le vendre en réalisant les portions souhaitées.

A partir de 2010, M. [W] a réalisé diverses prestations d'animation pour la Maison Briau en s'engageant par contrat à durée déterminée.

Puis en 2012, il s'est constitué micro-entrepreneur sous la dénomination '[W] Animation'. En 2016, M. [W] a créé l'EURL 3A Breizh, dont le siège était à [Localité 6] (Ille-et-Vilaine) et a continué à accomplir des missions d'animation pour de Maison Briau.

Lors d'une animation du 10 mars 2021 dans un magasin Leclerc à [Localité 4], près de [Localité 7] (Ille-et-Vilaine), M. [W], outre plusieurs autres infractions aux règles d'hygiène en vigueur, a notamment apposé sur une barquette de brandade de morue une étiquette de DLC au 14 mars 2021 par dessus une précédente étiquette indiquant une DLC au 12 mars 2021.

Par courrier avec accusé de réception du 17 mars 2021, la SAS Renouest, exploitant le magasin Leclerc concerné de [Localité 4], a mis fin aux animations de la SAS Maison Briau aux motifs de manquements de l'animateur aux règles d'hygiène et de sécurité, avec mise en danger de la santé des consommateurs et de nature à engager la responsabilité pénale de l'enseigne.

Par courrier avec accusé de réception du 12 avril 2021, la SAS Maison Briau a mis un terme à la relation commerciale arguant de fautes graves de la SARL 3A Breizh, de nature à engager la responsabilité pénale et au-delà l'image du client concerné et ayant gravement compromis ses relations commerciales avec la concluante.

Par acte du 16 juin 2021, la SARL 3A Breizh a assigné sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce la SAS Maison Briau devant le tribunal de commerce de Bordeaux, compétent en la matière pour le ressort de la cour d'appel d'Agen en vertu de l'article D. 442-2 du code de commerce, et a sollicité sa condamnation en réparation de son préjudice pour rupture brutale des relations commerciales établies.

2- Par jugement du 14 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société 3A Breizh SARL de toutes ses demandes à l'encontre de la société Maison Briau SAS ;

- débouté la société Maison Briau SAS de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société 3A Breizh SARL ;

- condamné la société 3A Breizh SARL à payer à la société Maison Briau SAS la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit ;

- condamné la société 3A Breizh SARL aux dépens.

Par jugement du 27 avril 2022, le tribunal de commerce de Rennes a placé la SARL 3A Breizh en liquidation judiciaire et nommé Me [B] [Y] en qualité de liquidateur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2022, la société Maison Briau a déclaré sa créance.

Selon déclaration du 24 janvier 2023, la SARL 3A Breizh a relevé appel du jugement du 14 mars 2022 devant la cour d'appel de Bordeaux, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la SAS Maison Briau, affaire inscrite sous le numéro RG n° 23/00366.

Par déclaration au greffe du 25 janvier 2023, la SARL 3A Breizh et Me [Y] ont relevé appel du jugement devant la cour d'appel de Bordeaux, énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS Maison Briau, affaire inscrite sous le numéro RG n°23/00399.

Le 03 février 2023, l'affaire n° RG23/00399 a été jointe au dossier n° RG23/00366.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

3- Par conclusions déposées en dernier lieu le 28 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Sarl 3A Breitz, en la personne de son liquidateur Me [Y], demande à la cour de :

Vu, l'article L. 442-1 II du code de commerce.

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 14 mars 2022, sauf en ce qu'il a débouté la société Maison Briau de sa demande de dommages et intérêts ;

- Débouter la SAS Maison Briau de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la SARL 3A Breizh, prise en la personne de son liquidateur - -Condamner la SAS Maison Briau à payer à Maître [B] [Y] en sa qualité de liquidateur de la société 3A Breizh la somme de 99 784,44 euros en réparation du préjudice liée à la brutalité de la rupture.

- Condamner la SAS Maison Briau à payer à Maître [B] [Y] en sa qualité de liquidateur de la société 3A Breizh la somme de 15 000,00 euros en réparation du préjudice moral subi.

- Condamner la SAS Maison Briau à payer à Maître [B] [Y] en sa qualité de liquidateur de la société 3A Breizh la somme de 5 000 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la SAS Maison Briau aux entiers dépens.

4- Par conclusions déposées en dernier lieu le 6 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SAS Maison Briau demande à la cour de :

Vu notamment l'article 1226 du code civil et l'article L. 441-2 II du code de commerce,

- Confirmer le jugement attaqué.

- Débouter la SARL 3A Breizh, prise en la personne de son liquidateur, de l'ensemble de ses demandes.

- Fixer la créance de la SAS Maison Briau au passif de la SARL 3A Breizh à la somme de 1 500 euros.

- Subsidiairement, ramener l'éventuelle indemnisation de la SARL 3A Breizh, prise en la personne de son liquidateur, à de justes proportions.

- Ordonner la compensation avec la créance régulièrement déclarée par la SAS Maison Briau.

- Condamner la SARL 3A Breizh, prise en la personne de son liquidateur, à verser à la SAS Maison Briau une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la SARL 3A Breizh, prise en la personne de son liquidateur, aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL B.G.A en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 29 janvier 2025, et l'affaire renvoyée à l'audience du 12 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la demande principale de la liquidatrice de la société 3A Breizh:

Moyens des parties:

5- Pour demander la condamnation de Maison Briau à lui payer 99 784,44 euros à titre de dommages-intérêts, la représentante de la société 3A Briezh soutient que la rupture, consommée par la lettre du « 12 avril » de Maison Briau, a été brutale pour être à effet immédiat.

Elle fait valoir qu'aucun préavis n'a été donné, et que Maison Briau ne peut opposer aucune force majeure ; qu'il n'y a eu qu'une faute de sa parte, celle de l'incident d'erreur d'étiquetage du 10 mars 2021, incident qualifié d'écart ou de négligence dans un mail du 2019, et qui ne démontre pas une volonté frauduleuse.

6- La SAS Maison Briau oppose que 3A Briezh a commis des manquements particulièrement graves aux règles d'hygiène et de sécurité, et compromis sa relation commerciale avec l'une des principales enseignes de la grande distribution (GMS, soit Grande et Moyenne Surface) ; qu'elle a apposé une nouvelle étiquette pour dissimuler la date limite de consommation (DLC) périmée sur une barquette de brandade de morue qui a été achetée par un client ; qu'elle a également entreposé des barquettes sans étiquettes, donc sans traçabilité, ainsi que des effets personnels, en chambre froide ; que ces manquements ont entraîné une intervention du client.

Réponse de la cour,

7- Aux termes de l'article L. 442-1, II alinéa 1er du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige a' réparer le préjudice cause' le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale.

8- En l'espèce, ce n'est que secondairement que la société Maison Briau conteste la durée de la relation avec 3A Briezh, estimant que cette société ne serait pas venue aux droits de son dirigeant.

9- Toutefois, et à considérer que la durée de la relation commerciale entre les parties en caractérise une relation établie, l'alinéa 3 du même article L. 442-1 II prévoit que ces dispositions ne font pas obstacle a' la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

10- Or, il ressort d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 17 mars 2021 à la société Maison Briau par la société gestionnaire du magasin Leclerc de [Localité 4] (pièce n° 2 de Maison Briau), que le magasin a reçu le même jour les protestations d'un client qui se plaignait, photos à l'appui, d'avoir découvert que sa barquette de brandade de morue achetée au magasin comportait une étiquette de DLC qui en recouvrait une autre, plus ancienne, obligeant le magasin à procéder à un rappel de produit.

11- La société exploitant le magasin, signalait par la même lettre, là aussi photos à l'appui, qu'un contrôle réalisé le 10 mars précédent au rayon poissonnerie avait relevé plusieurs anomalies de fonctionnement de la part du prestataire délégué par Maison Briau : produits stockés en chambre froide sans étiquettes, et donc sans identification et sans traçabilité, une DLC repoussée d'une journée par rapport aux préconisations, et ajoutait que les affaires personnelles de l'animateur avaient été retrouvées sur les étagères de matériel propre du laboratoire, alors qu'un casier est à la disposition des animateurs.

12- Ces faits ainsi caractérisés par le client final sont non sérieusement contestables, et la manipulation d'étiquetage a d'ailleurs donné lieu à une lettre d'excuses de la part de M. [W] jointe à un courreil du 22 mars 2021.

13-Or la société Maison Briau est fondée à relever que ces agissements constituent une violation de plusieurs articles du code de la consommation relatifs à la mise en danger de la sécurité des consommateurs.

Ces violations sont constitutives d'une inexécution grave de ses obligations par la société 3A Breizh, prestataire dans un contrat touchant à la vente de produits alimentaires nécessitant des précautions particulières en matière d'hygiène. Il en est tout particulièrement ainsi de la substitution d'étiquette par masquage, falsifiant la date limite de consommation d'un produit, acte nécessairement volontaire et qui ne saurait résulter d'une simple erreur de manipulation. La faute est encore aggravé par l'achat effectif effectué par un client du produit ainsi maquillé.

14- L'inexécution de ses obligations par la société 3A Breizh présente ainsi un caractère de gravite' suffisant pour justifier une rupture immédiate des relations commerciales par Maison Briau.

15- Le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux rejetant la demande de la liquidatrice de la société 3A Breizh sera en conséquence confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de la société Maison Briau

Moyens des parties:

16- La société Maison Briau renouvelle devant la cour une demande reconventionnelle rejetée par le tribunal. Elle soutient que sa relation avec l'enseigne a été compromise dans son ensemble, la barquette avec une fausse DLC ayant effectivement été achetée par un client. Elle estime qu'elle a ainsi subi un lourd préjudice commercial et une grave atteinte à son image, et demande l'allocation de la somme de 1500 euros, à fixer au passif de la procédure de 3A Breizh.

17- La liquidatrice de la société 3A Breizh oppose que Maison Briau reste partenaire du magasin Leclerc sur son site et qu'elle continue à y écouler ses produits.

Réponse de la cour,

18- Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

19- En l'espèce, la société Maison Briau procède par simples affirmations quant au préjudice commercial et d'image qu'elle allègue, ce qui est insuffisant pour le succès de sa prétention.

20- Le rejet de sa demande par le tribunal de commerce de Bordeaux sera confirmé.

Sur les autres demandes

21- Partie tenue aux dépens d'appel, dont recouvrement direct par la Selarl B.G.A., avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, la société 3A Breizh paiera à la société Maison Briau la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

22- Ces frais irrépétibles et les dépens d'appel de la présente instance, nés pour les besoins du déroulement de la procédure au sens de l'article L. 622-17 du code de commerce, seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société 3A Breizh.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux,

Dit que la société 3A Breizh supportera la somme de 3000 euros au profit de la société Maison Briau sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que la société 3A Breizh supportera les dépens d'appel, dont recouvrement direct par la Selarl B.A.G., avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dit que ces frais irrépétibles et les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société 3A Breizh.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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