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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 26 mars 2025, n° 23/06393

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Credit Lyonnais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Sappey-Guesdon, Mme Chaintron

Avocats :

Me Tardieu-Confavreux, Me Cotta

TJ Bobigny, ch. 7 sect. 1, du 9 mars 202…

9 mars 2023

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 avril 2023, la société Le Crédit Lyonnais a interjeté appel du jugement, réputé contradictoire, rendu le 9 mars 2023, en ce que le tribunal judiciaire de Bobigny saisi par voie d'assignations en date du 8 septembre 2022 délivrées à sa requête à l'encontre de MM. [Z] et [I] [E], a rejeté sa demande en paiement formée au titre d'un prêt immobilier conclu le 25 octobre 2016, l'a condamnée aux dépens et l'a déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.

***

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 10 décembre 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 22 septembre 2023, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles, 1104, 1224 et 1227 du Code civil

Il est demandé à la Cour d'appel de :

- INFIRMER le jugement de première instance en ce qu'il a débouté le CREDIT LYONNAIS de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et dépens.

En conséquence, par réformation :

À titre principal,

- JUGER que le CREDIT LYONNAIS a valablement résilié le contrat de prêt en application de la clause de déchéance présente au contrat,

- Par conséquent, CONDAMNER Monsieur [I] [P] [E] et Monsieur [Z] [E] solidairement à lui payer la somme de 200.525,11 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,95 % sur la somme 185.804,60 € à compter du 29 août 2023 jusqu'à parfait paiement, et des intérêts au taux légal sur la somme de 14.571,61 € à compter de la même date jusqu'à parfait paiement.

À titre subsidiaire,

Vu l'article 1224 du Code civil

- JUGER que le CREDIT LYONNAIS a valablement résilié le contrat de prêt en application de la faculté de résiliation unilatérale dont il dispose,

- Par conséquent, CONDAMNER Monsieur [I] [P] [E] et Monsieur [Z] [E] solidairement à lui payer la somme de 200.525,11 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,95 % sur la somme de 185.804,60 € à compter du 29 août 2023 jusqu'à parfait paiement, et des intérêts au taux légal sur la somme de 14.571,61 € à compter de la même date jusqu'à parfait paiement.

À titre ultra subsidiaire,

Vu l'article 1127 du Code civil

- Prononcer la résolution judiciaire du contrat de prêt

- Par conséquent, CONDAMNER Monsieur [I] [P] [E] et Monsieur [Z] [E] solidairement à lui payer la somme de 200.525,11 € augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,95 % sur la somme de 185.804,60 € à compter du 29 août 2023 jusqu'à parfait paiement, et des intérêts au taux légal sur la somme de 14.571,61 € à compter de la même date jusqu'à parfait paiement.

- Condamner solidairement Monsieur [I] [P] [E] et Monsieur [Z]

[E] à payer au Crédit Lyonnais la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du

Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses conclusions communiquées par voie électronique le 25 juillet 2023 qui constituent ses uniques écritures, l'intimé

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Il est demandé à la Cour d'Appel de Paris :

CONFIRMER le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 9 mars 2023 déboutant de toutes ses demandes le Crédit Lyonnais ;

À titre subsidiaire de :

DECLARER la clause d'exigibilité anticipée visée à l'article 5 des conditions générales du prêt abusive

En conséquence :

PRONONCER la nullité de la clause contenue au paragraphe intitulé 'EXIGIBILITE ANTICIPEE - DECHEANCE DU TERME' des conditions générales du prêt

DEBOUTER le Crédit Lyonnais de l'ensemble de ses demandes

En tout état de cause,

CONDAMNER le Crédit Lyonnais à verser à Messieurs [I] [E] et [Z] [E] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

CONDAMNER Le Crédit Lyonnais aux entiers dépens.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Suivant offre préalable de prêt acceptée le 25 octobre 2016, la société Le Crédit Lyonnais a consenti à MM. [I] et [Z] [E], co-emprunteurs solidaires, un prêt immobilier d'un montant de 240 000 euros, au taux d'intérêt annuel de 1,95 %, remboursable en 300 mensualités, destiné à financer l'acquisition d'une maison individuelle à usage d'habitation principale située [Adresse 6] à [Localité 7]. La société Crédit Logement a donné son accord de cautionnement à hauteur de la somme empruntée.

Par mail du 18 juillet 2017, Mme [X] [F], stagiaire au Pôle pilotage lutte anti-fraude de La Banque Postale, a informé Le Crédit Lyonnais que les relevés de compte communiqués par M. [I] [E] à l'appui de sa demande de prêt étaient non conformes. Par mail du même jour, Mme [T] [B], employée au Pôle de lutte contre la fraude de la Société Générale, a également informé la banque Le Crédit Lyonnais que les relevés de compte transmis par M. [Z] [E] à l'appui de sa demande de prêt étaient non conformes.

Par suite, la société Le Crédit Lyonnais se prévalant de la falsification de ces documents, a sollicité des explications, dans un courrier daté du 10 mars 2020.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception distribué le 24 avril 2020, la banque a informé M. [I] [E] de la cessation de leurs relations commerciales et de la clôture de ses comptes à l'issue d'un délai de préavis de deux mois. Elle l'a également invité à faire le nécessaire pour que les échéances du prêt soient prélevées sur un autre compte.

Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception distribués le 4 mars 2021, la banque a notifié à M. [I] [E] et à M. [Z] [E] la déchéance du terme du contrat de prêt aux motifs de 'l'absence de régularisation des impayés et/ou de réponse satisfaisante' à ses demandes d'informations. Elle les a également mis en demeure de lui payer la somme, devenue en conséquence exigible, de 222 739,54 euros.

Par actes de commissaire de justice datés du 8 septembre 2022, la société Le Crédit Lyonnais a fait assigner MM. [E] en paiement devant le tribunal judiciaire de Bobigny, demandant au tribunal, pour l'essentiel de ses prétentions, à titre principal de juger que la déchéance du terme prononcée le 2 mars 2021 est acquise par application de l'article 5 des conditions générales du prêt souscrit le 25 octobre 2016 par M. [I] [E] et M. [Z] [E] ; à titre subsidiaire, de juger qu'elle a valablement exercé sa faculté unilatérale de résolution par le prononcé de la déchéance du terme du prêt du 25 octobre 2016, au motif que M. [I] [E] et M. [Z] [E] ont, par la fourniture de renseignements et justificatifs inexacts lors de la demande de prêt, et d'un impayé, commis des manquements suffisamment graves justifiant la résolution du contrat ; en conséquence et en tout état de cause, de condamner solidairement M. [I] [E] et M. [Z] [E] à lui payer la somme de 213 037,92 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 1,95 % sur la somme de 198 180,44 euros à compter du 12 mai 2022 jusqu'à parfait paiement, et des intérêts au taux légal sur la somme de 14 571,61 euros à compter de la même date jusqu'à parfait paiement, et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière à compter de la date de l'assignation.

Le tribunal pour débouter la société Le Crédit Lyonnais de ses prétentions, s'est fondé sur le non respect des formalités de prononcé de la déchéance du terme, retenant qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure régulière comme prévue au contrat.

À hauteur d'appel MM. [E], non comparants en première instance, se prévalent du caractère abusif de la clause d'exigibilité appliquée par la banque.

Sur la clause abusive

Ainsi MM. [E] font valoir que la société Le Crédit Lyonnais n'a pas justifié de l'accomplissement des exigences de l'article 5 des conditions générales de prêt, préalables au prononcé de la déchéance du terme. Ils considèrent que la volonté de voir la déchéance du terme du contrat de prêt prononcée bien que les exigences des conditions générales ne soient pas respectées démontre le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée. À cet égard, il convient de se reporter à la recommandation n°04-03 de la Commission des clauses abusives relative aux contrats de prêt immobilier dans laquelle la commission considère que les clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, dès lors, notamment, que l'emprunteur n'a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt ou que l'une quelconque des déclarations faites par l'emprunteur ont été reconnues fausses ou inexactes, sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où elles tendent à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d'une part l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur et, d'autre part une inexactitude dans les déclarations de l'emprunteur, et qu'au surplus, elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien fondé de cette déchéance.

En réplique la société Le Crédit Lyonnais fait valoir que la recommandation de la Commission des clauses abusives n°05-01 du 24 février 2005 reconnait la validité de principe des clauses résolutoires pour fourniture de renseignements inexacts dès lors que l'inexactitude sanctionnée porte sur des éléments substantiels, c'est-à-dire, qui ont servi de base à la décision d'octroyer le prêt. Or, en l'espèce, la clause critiquée par MM. [E] sanctionne l'inexactitude portant sur les documents et renseignements soumis au prêteur au soutien de la demande de prêt, c'est-à-dire les justificatifs de revenus et de patrimoine nécessaires à la décision de donner suite à la demande de prêt, il ne s'agit pas de 'tout élément quelle que soit sa nature', en ce compris ceux indifférents à l'octroi du prêt. Or, le devoir de loyauté dans la fourniture des renseignements et justificatifs de solvabilité lors de la souscription du prêt est une obligation essentielle du contrat. Par conséquent, la recommandation n°04-03 visée par MM. [E] ne saurait constituer un fondement et même un moyen de nature à justifier leur demande. En tout état de cause, il n'y a pas de déséquilibre significatif de la clause critiquée, au regard des critères dégagés par la jurisprudence, en particulier l'emprunteur n'est pas dépouvu de moyens de défense.

Sur ce

L'article 1103 du code civil dispose que : 'Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits' et l'article 1104 précise que : 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi'.

En l'espèce, l'offre de crédit immobilier signée par MM. [E] stipule, en son article 5 des conditions générales du contrat de prêt intitulé 'Exigibilité anticipée', ainsi rédigé :'Notre établissement aura la faculté de rendre exigibles par anticipation, toutes les sommes dues au titre du prêt, tant en principal qu'en intérêts et accessoires, dans l'un quelconque des cas suivants : (...) - inexactitude des renseignements et/ou des justificatifs fournis lors de la demande de prêt, résultant de manoeuvres frauduleuses imputables à l'un et/ou l'autre des emprunteurs, portant sur la situation personnelle, professionnelle, patrimoniale ayant servi de base à l'octroi du prêt (...). Dans l'un ou l'autre des cas ci-dessus, notre établissement notifiera, par lettre recommandée avec accusé de réception,

à l'emprunteur ou aux emprunteurs, ou en cas de décès, à ses ayants droits, et à la caution, qu'il se prévaut de la présente clause et que l'exigibilité anticipée lui sera acquise si ladite lettre reste sans effet à l'expiration d'un délai de 15 jours en cas d'impayés, 30 jours pour les autres cas'.

Une telle clause n'est que l'application du principe directeur selon lequel les conventions doivent se former de bonne foi. C'est d'ailleurs également pour cette raison qu'elle ne saurait être qualifiée d'abusive, pas même au regard des dispositions spécifiques et par principe, protectrices, du droit de la consommation.

En effet, le régime d'ordre public de protection du consommateur s'entend nécessairement d'un régime de protection du consommateur de bonne foi, qui se doit en vertu de son obligation de loyauté au moment de la formation du contrat, de ne produire au soutien de sa demande d'emprunt immobilier que des éléments reflétant exactement la réalité de sa situation, afin de donner au prêteur potentiel la possibilité d'apprécier le risque d'impayé, et par suite de donner suite ou non à la demande de prêt.

Pourtant, se prévalant des dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation, MM. [E] soutiennent que la clause précitée serait abusive.

L'article L. 212-1 du code de la consommation dispose qu'est abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou dans leur exécution.

Une telle clause contractuelle prévoyant la faculté de prononcer l'exigibilité immédiate et de plein droit du prêt en cas 'de falsification des documents ou de fourniture de faux documents ayant concouru à l'octroi du ou des crédits consentis' n'est pas visée par les listes dites 'noire' et 'grise' prévues aux articles R. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation, de sorte qu'il n'existe aucune présomption du caractère abusif de ladite clause.

La clause querellée portant exigibilité anticipée du prêt en cas de défaillance de l'emprunteur pour dissimulation ou falsification volontaire d'informations essentielles à la conclusion du contrat ne peut être considérée comme laissée à la discrétion du prêteur, puisqu'elle se trouve déterminée par un événement précis dont il n'a pas la maîtrise, à savoir la remise volontaire de ces informations par l'emprunteur.

Aussi cette clause ne prive pas l'emprunteur de recourir à un juge pour contester l'application qui en est faite à son égard.

Ainsi, cette clause, qui sanctionne l'obligation de l'emprunteur de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt, ne créé pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et ne revêt par conséquent pas de caractère abusif au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation.

Elle n'a pas davantage pour objet ou effet de soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou des modalités plus rigoureuses pour l'emprunteur que pour la banque. Ce mécanisme, qui permet au contraire à l'emprunteur d'obtenir le financement nécessaire à l'acquisition d'un bien immobilier sur la base de ses propres déclarations, sans que la fiabilité de celles-ci ne soit systématiquement remise en cause par le prêteur en l'absence d'anomalie apparente, n'a pas pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, à son détriment.

Aussi, la Commission des clauses abusives, dans sa recommandation n°04-03 relative aux crédits immobiliers (...), 'Recommande que soient éliminées des contrats de prêt immobilier les clauses ayant pour objet ou pour effet : 9 - De laisser croire que le prêteur peut prononcer la déchéance du terme en cas d'inobservation d'une quelconque obligation ou en cas de déclaration fausse ou inexacte relative à une demande de renseignements non essentiels à la conclusion du contrat, et sans que le consommateur puisse recourir au juge pour contester le bien fondé de cette déchéance'.

Il est indiscutable que les renseignements formalisés dans ou à l'occasion d'une demande de prêt, concernent des éléments essentiels qui ont été déterminants du consentement de l'établissement prêteur astreint à des obligations légales imposées par le code monétaire et financier dont les dispositions d'ordre public s'inscrivent dans la lutte contre le blanchiment d'argent ou de capitaux, dès lors qu'il est constaté que les informations recueillies dans ce document lors de la souscription du prêt ont pour unique but de renseigner le prêteur sur les revenus et la consistance du patrimoine de l'emprunteur afin de déterminer sa capacité de remboursement et d'évaluer le risque potentiel d'endettement né de l'octroi du prêt, ce que ne pouvaient d'ailleurs pas ignorer les emprunteurs en signant la demande de prêt, lesquels 'Certifient sur l'honneur l'exactitude des renseignements donnés, notamment en ce qui concerne les revenus et l'endettement. En cas d'erreur, omission ou fausse déclaration, leur dossier pourrait être refusé ou leur crédit annulé.'

Il peut être ajouté que la clause litigieuse respecte aussi le principe dégagé par la Commission des clauses abusives dans son avis n° 05-03 du 24 février 2005, repris en jurisprudence, selon lequel les clauses de résiliation anticipée présentent un caractère abusif, soit lorsqu'elles prévoient des causes de résiliation étrangères aux manquements aux obligations essentielles de l'emprunteur, soit lorsqu'elles se rapportent à des informations qui ne sont pas de nature à éclairer le prêteur sur le risque de défaillance de l'emprunteur. Or, il ne saurait être contesté que des documents tels les avis d'imposition et bulletins de paie sont déterminants pour l'octroi du prêt et sont par nature en lien direct avec l'appréciation par le prêteur, du risque de défaillance de l'emprunteur.

Dans ces conditions, une telle clause ne revêt pas de caractère abusif justifiant qu'elle soit réputée non écrite. En conséquence de ce qui précède, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Dès lors, la clause critiquée n'étant pas réputée non écrite, il y a lieu d'examiner les conditions dans lesquelles la déchéance du terme a été prononcée.

Sur la régularité de la déchéance du terme

Pour débouter la banque de toutes ses demandes le tribunal a statué en se fondant sur l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt.

Le tribunal relève : 'En l'espèce, la banque justifie, par la production de mails émanant du service de lutte contre la fraude des banques Société Générale et Banque Postale que M. [I] [E] et M. [Z] [E] ont chacun fourni des relevés de banques falsifiés pour obtenir leur prêt (pièce n°15). Toutefois, elle ne produit pas le courrier recommandé avec accusé de réception visé à l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt, qu'elle prétend avoir adressé à M. [I] [E]. En effet, s'agissant de ce dernier, elle produit exclusivement un courrier recommandé distribué le 24 avril 2020, par lequel elle l'a informé de la cessation de leurs relations commerciales et de la clôture de ses comptes à l'issue d'un délai de préavis de deux mois, ainsi que le courrier recommandé avec accusé de réception distribué le 4 mars 2021 lui notifiant la déchéance du terme (pièces n°13 et 14). Concernant M. [Z] [E], la banque produit un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 10 mars 2020 dans lequel elle se prévaut de la falsification de certains documents fournis pour l'obtention du prêt et sollicite des explications dans un délai de 30 jours. Toutefois, ce courrier lui a été retourné le 13 mars 2020 avec la mention 'défaut d'accès ou d'adressage'. À cette même date, la banque connaissait pourtant l'adresse de M. [Z] [E], à laquelle elle a pu lui adresser utilement d'autres courriers et qui avait été renseignée lors du dépôt de la demande de prêt. Ainsi, et bien qu'elle produise un autre courrier daté du 10 mars 2020, identique à celui visé ci-avant, expédié à l'adresse effective de M. [Z] [E], elle n'apporte pas la preuve de son envoi en recommandé avec accusé de réception, comme exigé par l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt.'

Le premier juge ajoute : 'En outre, la banque ne fait état d'aucun courrier qui aurait été adressé à la société Crédit Logement, en sa qualité de caution, alors qu'une telle formalité est également prévue par l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt.'

Il en conclut : 'Il résulte de ces éléments que la banque Crédit Lyonnais n'a pas respecté les exigences posées à l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt, ni à l'égard de Monsieur [I] [E], ni à l'égard de Monsieur [Z] [E], ni même à l'égard de la société Crédit Logement.'

Ensuite le tribunal a relevé : 'En outre, il ressort du document intitulé 'Décompte pour la période du 15 février 2021 au 12 mai 2022' que Monsieur [I] [E] et Monsieur [Z] [E] ne présentent aucun retard dans le remboursement de leur prêt (pièce n°18). Seul un retard peut être relevé au mois de mars 2021 qui a été régularisé dès le 11 mars 2021 (pièce n°17). En tout état de cause, la banque ne justifie pas avoir adressé aux emprunteurs un courrier recommandé avec accusé de réception faisant état d'un impayé et les mettant en demeure de régulariser leur situation sous quinzaine, comme stipulé à l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt.'

'Dans ces conditions, la déchéance du terme prononcée par courriers recommandés avec accusé de réception distribués le 4 mars 2021 à M. [I] [E] et M. [Z] [E] n'est pas valable et est dépourvue d'effet.

La banque est dès lors mal fondée à se prévaloir d'un impayé qui trouverait sa cause dans l'absence de paiement de la somme de 222 739,54 euros, devenue exigible des suites du prononcé de la déchéance du terme, dont la validité a été remise en cause par le présent jugement. En conséquence, la banque Crédit Lyonnais sera déboutée de sa demande de paiement formée contre Monsieur [I] [E] et Monsieur [Z] [E] au titre du prêt n°4000914I2P9T11AH. Consécutivement elle sera déboutée de sa demande tendant à voir ordonner la capitalisation des intérêts (..).'

Pour critique de cette décision la société Le Crédit Lyonnais fait valoir les arguments et moyens suivants :

- Dans la mesure où les emprunteurs se sont engagés solidairement entre eux (pages 1 et 6 de l'offre de prêt) l'interpellation faite à l'un des codébiteurs vaut à l'égard des autres co-emprunteurs. Or l'une des mises en demeure adressées le 10 mars 2020 à chacun des co-emprunteurs et à chacune des adresses dont il connaissait l'existence, est revenue : 'défaut d'accès ou d'adressage' mais l'autre accusé de réception est revenu signé (pièce n°19).

- Le courrier prononçant la déchéance du terme fait état du courrier adressé aux emprunteurs le 10 mars 2020. Or, entre le courrier envoyé le 2 mars 2021 et aujourd'hui, les emprunteurs n'ont à aucun moment tenté de justifier leur situation.

- Le tribunal motive aussi sa décision par le fait que la banque ne fait état d'aucun courrier qui aurait été adressé à la société Crédit Logement, en sa qualité de caution, alors qu'une telle formalité est également prévue par l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt, or la caution dont il est question dans cet article est celle bénéficiant à l'emprunteur et non à la banque, comme c'est le cas de Crédit Logement : la caution, personne physique, de l'emprunteur doit être informée dès la première défaillance de celui-ci conformément à l'article L. 333-1 du code de la consommation (applicable au moment des faits et abrogé par ordonnance du 15 septembre 2021 puis codifié à l'article 2303 du code civil). Cette disposition ne s'applique pas à la caution professionnelle qu'est Crédit Logement, personne morale, dont les relations sont régies par des conventions et protocoles particuliers.

Sur ce

Il résulte des pièces produites par la société Le Crédit Lyonnais que la banque a rédigé à l'intention des co-emprunteurs un courrier daté du 10 mars 2020 informant son destinataire de ce que des renseignements ou justificatifs remis à l'appui de la demande de prêt et déterminant de la décision d'octroi du prêt se sont avérés inexacts, l'invitant à contacter Le Crédit Lyonnais dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la présente lettre en vue de fournir ses explications sur ces renseignements et présenter les justificatifs ainsi que les originaux des pièces produites à l'appui de la demande de prêt, indiquant aussi qu'à défaut Le Crédit Lyonnais se prévaudra de la déchéance du terme en application de l'article 5 'exigibilité anticipée' des Conditions générales de l'offre de prêt.

Cette lettre recommandée avec demande d'avis de réception a été envoyée :

- au [Adresse 6] qui correspond à l'adresse du bien financé,

- au [Adresse 1], adresse déclarée par les intéressés dans la demande de prêt, reprise dans l'offre acceptée.

Les lettres recommandées avec demande d'avis de réception envoyées au [Adresse 6], qu'il s'agisse de M. [I] [E] lors de la notification de la rupture des relations commerciales du 10 avril 2020 (pièce 13) ou de M. [Z] [E] le 10 mars 2020 (pièce 12, feuillet 1), ont été retournées avec le même motif de non distribution à savoir : 'défaut d'accès ou d'adressage' et il en sera d'ailleurs de même quant au courrier du 2 mars 2021 portant prononcé de la déchéance du terme (pièce 14, feuillets 3 et 4) lequel a été réceptionné à l'autre adresse, [Adresse 1] (pièce 14, feuillets 1 et 2).

S'il n'est pas produit d'accusé de réception quant à la lettre envoyée le 10 mars 2020 au [Adresse 1] à M. [Z] [E] (pièce 12 feuillet 1), en revanche il ressort de la pièce 19 de la banque, la réception de ce courrier à l'adresse du [Adresse 1].

Ainsi, la banque démontre avoir prononcé la déchéance du terme à l'égard de M. [I] [E] conformément aux stipulations contractuelles, mais à défaut de produire l'accusé de réception du courrier de mise en demeure adressé à M. [Z] [E], ne justifie pas d'une déchéance du terme régulièrement prononcée à son égard.

Or, aux termes de l'article 1305-5 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2026, applicable aux faits de la cause, le contrat de prêt résultant d'une offre acceptée le 25 octobre 2026 : 'La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés mêmes solidaires', et par conséquent, en l'espèce la banque ne peut se prévaloir à l'égard de M. [Z] [E] de la déchéance du terme régulièrement prononcée vis à vis de M. [I] [E].

Le jugement déféré est au vu de l'ensemble de ces éléments confirmé de ce premier chef.

Sur les demandes de la banque à titre subsidiaire et à titre très subsidiaire

La banque appelante, à titre subsidiaire, entend se prévaloir de l'exigibilité anticipée du prêt en vertu de sa faculté de résiliation unilatérale, demande sur laquelle le tribunal n'a pas statué. Elle rappelle que l'une des échéances du prêt n'a pas été réglée à bonne date. En effet, au 8 février 2021, le solde du compte n°0000017686J de MM. [E] présentait un solde créditeur de 1 593,36 euros. Ce solde a fait l'objet d'une saisie le 10 février 2021 à hauteur de 1 028,58 euros. Du fait de cette saisie, l'échéance du 15 février 2021, qui pour mémoire s'élève à 1 071,42 euros, n'a pas été payée à bonne date, ni en son intégralité, Le Crédit Lyonnais n'ayant pu prélever que la somme de 564,78 euros. Ce n'est que le 11 mars 2021, soit avec près d'un mois de retard que l'échéance du mois de février a été intégralement payée à la suite du prélèvement de 506,64 euros sur le compte de MM. [E] - Pièces n° 15 à 17. Ce faisant, les emprunteurs ont gravement enfreint leur obligation de payer les échéances d'amortissement du prêt, qui est aussi une obligation essentielle de l'emprunteur.

Par ailleurs, et contrairement à ce que semblent sous-entendre les emprunteurs dans leurs écritures, la demande de résiliation ne trouve pas uniquement son fondement dans l'existence d'un impayé, mais également dans le fait que des relevés de compte irréguliers ont été produits.

Par conséquent, il est demandé à la cour de juger que Le Crédit Lyonnais a valablement résilié de manière unilatérale le prêt, pour déloyauté, mais aussi sur constat d'impayés par les emprunteurs, et en conséquence, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de condamner solidairement MM. [E] à lui payer la somme de 200 525,11 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 1,95 % sur la somme 185 804,60 euros à compter du 29 août 2023 jusqu'à parfait paiement, et des intérêts au taux légal sur la somme de 14 571,61 euros à compter de la même date jusqu'à parfait paiement.

Ensuite, la banque appelante, à titre'ultra subsidiaire', demande à la cour de prononcé la résolution judiciaire du prêt litigieux. Elle fait valoir qu'en dépit de l'ensemble des réclamations qu'elle a présentées aux emprunteurs aucune explication n'a été apportée sur les déclarations et documents remis au soutien de la demande de prêt. Dès lors que les manquements commis par les co-emprunteurs présentent une gravité suffisante, la cour d'appel prononcera la résolution judiciaire du contrat de prêt. En effet contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, le courrier du 2 mars 2021ne démontre aucunement la volonté du Crédit Lyonnais de voir le prêt maintenu en amortissement, mais notifie bien au contraire aux défendeurs sa décision de mettre un terme aux relations commerciales, et il ne peut être plus clair quant à la volonté pour Le Crédit Lyonnais de recouvrer sa créance. L'ensemble de ces courriers constituent des interpellations suffisantes qui permettent au Crédit Lyonnais de solliciter que la cour d'appel de céans prononce la résolution judiciaire du présent contrat de prêt.

Les intimés répondent qu'en ce qui concerne les demandes subsidiaires de la banque en résiliation et en résolution du contrat de prêt, il importe de relever qu'il n'y a pas eu d'impayés, MM. [E] ont régularisé d'eux-mêmes dès lors que cela leur a été demandé, étant à préciser qu'auparavant aucune des lettres qui leur ont été adressées ne comportait d'interpellation suffisante. La demande de la banque démontre de plus fort le caractère abusif de la clause de l'article 5 des conditions générales du contrat de prêt. En réalité, la banque tente de s'affranchir des prévisions contractuelles, qui n'ont pas été respectées.

Sur ce

La banque, aux termes de ses écritures, exposait qu'au 29 août 2023, la créance du Crédit Lyonnais s'élevait à la somme de 200 525,11 euros se décomposant comme suit (pièce n°18) :

- Principal : 185 804,60 euros

- Intérêts : 148,90 euros

- Indemnité forfaitaire : 14 571,61 euros

- Intérêts et frais jusqu'à parfait règlement : 'Pour mémoire'

Total restant dû : 200 525,11 euros.

La société Le Crédit Lyonnais a été autorisée à adresser à la cour une note en délibéré, sur laquelle les intimés n'ont pas fait valoir d'observations. Elle communique en pièce 21 un décompte pour la période du 15 février 2021 au 28 janvier 2025 faisant apparaitre des versements mensuels de 1 100 euros et leurs imputations successives entre le 12 septembre 2023 et le 28 janvier 2025 ramenant la créance de la banque à la somme de 175 323,09 euros en principal.

Contrairement à ce que laissent entendre MM. [E], leurs manquements ne se limitent pas à un simple impayé, qui en l'espèce, en effet à lui seul ne suffirait pas à caractériser une inexécution suffisamment grave au sens de l'article 1224 du code civil, par son caractère isolé et en ce que l'incident a été régularisé dans un délai raisonnable. Il s'agit de manquements à leur obligation de bonne foi, non respectée par l'un comme par l'autre, du fait de leur production de faux documents à l'appui de leur demande de crédit, ce qui justifie que soit prononcée la résolution judiciaire du contrat de prêt du 25 octobre 2026 sur le fondement de l'article 1227 du code civil.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté la société Le Crédit Lyonnais de toutes ses demandes en paiement à l'encontre de MM. [E].

Il est fait droit à la demande de la banque telle que justifiée par sa pièce 21, ainsi qu'à sa demande présentée au titre de l'indemnité prévue à l'article 6 des conditions générales du contrat soit 7 % de cette somme, indemnité dont il est stipulé qu'elle sera due quel que soit le motif de la résiliation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

MM. [E], partie succombante, supporteront la charge des dépens et ne peuvent prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de la banque appelante formulée sur ce même fondement pour la somme réclamée, de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE M. [Z] [E] et M. [I] [E] de leur demande tendant à voir réputer non écrite la clause d'exigibilité du contrat de prêt conclu le 25 octobre 2016 avec la société Le Crédit Lyonnais ;

PRONONCE la résolution du contrat de prêt conclu le 25 octobre 2016 avec la société Le Crédit Lyonnais sur le fondement de l'article 1227 du code civil ;

CONDAMNE M. [Z] [E] et M. [I] [E], solidairement, à payer à la société Le Crédit Lyonnais :

- la somme de 175 323,09 euros dont il conviendra de déduire les paiements le cas échéant effectués postérieurement au 28 janvier 2025,

- la somme correspondant à l'indemnité prévue à l'article 6 des conditions générales du contrat soit 7 % de cette somme,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

CONDAMNE M. [Z] [E] et M. [I] [E], in solidum, à payer à la société Le Crédit Lyonnais la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés pour l'entière instance ;

DÉBOUTE M. [Z] [E] et M. [I] [E] de leur propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE M. [Z] [E] et M. [I] [E] aux entiers dépens.

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