CA Bordeaux, 4e ch. com., 26 mars 2025, n° 23/04737
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 26 MARS 2025
N° RG 23/04737 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NPB4
Monsieur [L] [V]
c/
S.E.L.A.R.L. [11]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 octobre 2023 (R.G. 23/00011) par le Tribunal judiciaire de PERIGUEUX suivant déclaration d'appel du 20 octobre 2023
APPELANT :
Monsieur [L] [V] né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13] de nationalité Française, demeurant [Adresse 12]
Représenté par Maître Clémence COLLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. [11], représentée par Maître [P] [X] chargé de la liquidation judiciaire de Monsieur [L] [V], désignée à cette fonction selon jugement du Tribunal Jud iciaire de PERIGUEUX en date du 08 mars 2022 [Adresse 2]
Représentée par Maître Guillaume DEGLANE de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE INTERBARREAUX LDJ-AVOCATS, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
1. Monsieur [L] [V], affilié à la Mutualité sociale agricole, exerce à titre individuel une activité d'entreprise de travaux agricoles et de culture de céréales depuis le 1er août 2013.
Sur assignation de la Mutualité sociale agricole, l'entreprise de M. [V] a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 15 mars 2021, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2022, la société [11] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
La date de l'état de cessation des paiements, provisoirement fixée au 1er mars 2022, a été reportée au 15 septembre 2019 par jugement prononcé le 13 juin 2022 sur requête du mandataire liquidateur.
Par acte d'huissier délivré le 3 avril 2023, la société [11] a fait assigner M. [V] devant le tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de prononcé d'une faillite personnelle d'une durée de quinze années ou, à titre subsidiaire, d'une interdiction de gérer, administrer, diriger ou contrôler toute entreprise ou exploitation agricole pour une durée de quinze années.
2. Par jugement prononcé le 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire a statué ainsi qu'il suit :
Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,
Vu la requête de la société [11], représentée par Me [P] [X], agissant en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [L] [V],
Vu les réquisitions du ministère public,
- prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq ans à l'encontre de Monsieur [L] [V], né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13], demeurant [Adresse 12] ;
- précise que conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
- dit que, indépendamment des mentions portées au casier judiciaire, le jugement fera l'objet des publicités prévues à l'article R 621-8 du code de commerce et sera adressé aux personnes mentionnées à l'article R. 621-7 du même code ;
- constate que les fonds disponibles du débiteur ne peuvent suffire immédiatement à faire face aux frais de signification et d'insertion du jugement dans les journaux ;
- dit que le Trésor public fera donc l'avance des frais de signification et de publicité dans le journal local et le Bodacc conformément à l'article L663-1 du code de commerce, ainsi que des frais de mention au Registre du commerce et des sociétés perçus par le greffe du tribunal de commerce ;
- dit que pour le remboursement de ses avances, le Trésor public est garanti par le privilège des frais de justice ;
- dit que la décision sera signifiée dans les 15 jours à la diligence du greffe aux personnes sanctionnées ;
- dit que les mesures prononcées par le présent jugement seront inscrites au fichier national des interdits de gérer à la diligence du ministère public dans les conditions des articles R. 128-1 et suivants du code de commerce ;
- rejette le surplus des demandes ;
- condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], représentée par Me [P] [X] en qualité de mandataire liquidateur, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
M. [V] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 20 octobre 2023. La société [11] a formé un appel incident.
***
3. Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, Monsieur [L] [V] demande à la cour de :
A titre principal,
Vu l'article R662-12 du code de commerce,
- prononcer la nullité du jugement rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux, sans effet dévolutif ;
A titre subsidiaire,
Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,
- réformer le jugement du 16 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- prononcer, en lieu et place de la faillite personnelle, une mesure d'interdiction de diriger à l'encontre de Monsieur [V], pour une durée qu'il appartiendra à la cour d'apprécier.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 17 septembre 2024, la société [11] es qualités demande à la cour de :
Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,
- juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;
- en conséquence l'en débouter ;
- en tout état de cause et compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l'absence de rapport du juge commissaire ;
- juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;
Y faisant droit,
- juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l'ouverture de la procédure collective et s'est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité à 5 ans l'interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l'encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;
En conséquence,
- condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;
A titre subsidiaire,
- prononcer l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l'article L 653-8, dernier alinéa ;
- condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;
- ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l'article R 653-3 du code de commerce.
***
5. Par avis notifié le 8 août 2024, le procureur général indique que l'absence de rapport du juge commissaire est susceptible d'entraîner la nullité du jugement mais n'affecte pas la saisine de la cour, ce par application de l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile.
Sur le fond, le procureur général requiert la confirmation du jugement déféré, tant en ce qui concerne la sanction de la faillite personnelle qu'en ce qui concerne la durée de cinq années de cette sanction.
6. Par arrêt prononcé le 20 novembre 2024, la cour d'appel a statué ainsi qu'il suit :
- annule le jugement prononcé le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux ;
Vu l'article 562 du code de procédure civile,
Vu l'article 444 du code de procédure civile,
- ordonne la réouverture des débats ;
- invite la société [11] à produire :
- l'inventaire dressé par la société civile professionnelle [15],
- les éléments comptables et bancaires mentionnés dans les courriers adressés les 1er mars, 15 avril et 4 octobre 2022 au procureur de la République de Périgueux ;
- sursoit à statuer sur les demandes au fond ;
- renvoie l'affaire à l'audience du 15 janvier 2025 à 14 heures avec une clôture des débats au 8 janvier précédent ;
- réserve les dépens.
7. Par dernières conclusions communiquées le 13 janvier 2025, la société [11] demande à la cour de :
Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,
- juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;
- en conséquence l'en débouter ;
- en tout état de cause et compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l'absence de rapport du juge commissaire ;
- juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;
Y faisant droit,
- juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l'ouverture de la procédure collective et s'est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité à 5 ans l'interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l'encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;
En conséquence,
- condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;
A titre subsidiaire,
- prononcer l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l'article L 653-8, dernier alinéa ;
- condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;
- ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l'article R 653-3 du code de commerce.
***
L'ordonnance de clôture a été reportée au 15 janvier 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
8. En vertu des articles L.653-3 et L.653-5 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle d'un agriculteur contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
- avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ;
- avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif ;
Sous le couvert de l'activité ou du patrimoine visés par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de cette activité ou de ce patrimoine ;
- avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
- avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
- avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
- avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
- avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
- avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
- avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.
9. La société [11], liquidateur de M. [V], excipe des faits suivants au soutien de sa demande en prononcé de la faillite personnelle de celui-ci :
- l'augmentation frauduleuse du passif,
- l'emploi de moyens ruineux afin de retarder l'ouverture de la procédure collective,
- l'absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure collective.
a.] Sur l'augmentation frauduleuse du passif
10. Il faut tout d'abord rappeler que l'état de cessation des paiements, fixé provisoirement au 1er mars 2021, a été reporté au 15 septembre 2019 par jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 13 juin 2022.
11. La déclaration de créances fiscales effectuée le 3 juin 2021, pour un montant de 477.936,61 euros, par le Pôle de recouvrement spécialisé de la Dordogne met en évidence le fait que M. [V] s'est acquitté de façon erratique de ses obligations fiscales à compter de l'année 2019, pour la période d'imposition courant du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2018 en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée et pour la période d'imposition courant du 1er janvier au 31 décembre 2018 en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et la cotisation foncière des entreprises.
12. Il doit être relevé que M. [V] a encaissé la TVA facturée à ses clients mais ne l'a pas reversée, ce du 1er octobre 2017 et jusqu'au 31 décembre 2020, ce qui est le fruit d'une volonté délibérée et est de nature à augmenter le passif de l'activité puisqu'un tel comportement génère nécessairement des pénalités, en l'espèce pour un montant de 53.876 euros.
L'appelant s'est également volontairement soustrait au paiement de l'impôt, ce qui a généré des pénalités pour un montant de 53.665 euros.
De même, M. [V] n'a pas procédé aux déclarations nécessaires auprès de la Mutualité sociale agricole, ce qui génère des redressements forfaitaires calculés sur une assiette reconstituée à partir des dernières déclarations connues.
Or, ainsi que le rappelle la société [11], l'obligation générale des redevables est au premier chef une obligation déclarative, ainsi que le prévoient les articles 287 du code des général des impôts pour la TVA et L.133-5 et suivants du code de la sécurité sociale pour les déclarations sociales.
13. M. [V] ne peut sérieusement soutenir qu'il s'agissait d'une négligence de sa part alors qu'il a immatriculé son activité le 27 août 2013, de sorte qu'il connaissait ses obligations à cet égard depuis déjà plusieurs années lorsqu'il a cessé de les honorer, générant de plus de la trésorerie aux dépens de l'Etat en ne reversant pas la TVA.
Au surplus, les éléments avancés au soutien de l'argument relatif à la négligence -difficultés familiales, impayé de 100.000 euros dont il a été victime, dissensions avec son expert-comptable- ne sont soutenus par aucune pièce.
14. Il ya donc lieu de retenir que, en s'abstenant, en toute connaissance de cause, d'établir les différentes déclarations auxquelles l'astreignait son activité et en conservant des sommes dont il n'était que le dépositaire -s'agissant de la TVA-, M. [V] a frauduleusement augmenté le passif de son activité agricole.
b.] Sur l'emploi de moyens ruineux afin de retarder l'ouverture de la procédure collective
15. M. [V] a conclu avec la société [9] les contrats de vente à réméré suivants :
- 10 octobre 2019 pour une durée de 12 mois : matériel d'exploitation, pour un montant principal de 50.000 euros ;
- 17 janvier 2020 pour une durée de 12 mois : matériel d'exploitation, pour un montant principal de 25.000 euros ;
- 4 mars 2020 pour une durée de 12 mois : 70 tonnes de blé, 300 tonnes d'orge, 50 tonnes de colza, pour un montant principal de 25.000 euros ;
- 2 avril 2020 pour une durée de 4 mois : 75 tonnes de blé, pour un montant principal de 10.000 euros.
16. Au cours de cette période, M. [V] avait d'ores et déjà été destinataire de deux mises en demeure, les 11 décembre 2018 et 28 mars 2019, de la société [4] pour les sommes de 29.461,70 euros et 37.850,97 euros au titre d'échéances de prêts impayées ; il avait ensuite été assigné à ce titre devant le tribunal de grande instance de Périgueux par acte du 7 août 2019.
Egalement, le juge des référés du tribunal de grande instance de Périgueux a, par ordonnance du 12 septembre 2019, constaté la résiliation de quatre contrats de location de matériels conclus avec la société [6] ; M. [V] a été condamné au paiement d'une provision de 53.978,30 euros au titre des loyers impayés.
De plus, la société [5] a, le 30 décembre 2019, adressé à M. [V] plusieurs mises en demeure de régler les sommes suivantes au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, de la facilité de trésorerie et des échéances impayées de deux prêts : 7.288,65 euros, 68.347,80 euros, 5.323,76 euros et 21.005,33 euros.
L'appelant présentait également des impayés aux dépens des sociétés [10], [16], [7], [8], de la MSA et de l'administration fiscale, ce qui résulte des termes des déclarations de créance au passif de son activité.
17. Dès lors, il doit être retenu que, alors que M. [V] était d'ores et déjà en état de cessation des paiements, ce qui a été consacré par le jugement du 13 juin 2022 qui a ramené la date de la cessation des paiements au 15 septembre 2019, il a pourtant conclu les quatre contrats de vente à réméré rappelés plus haut, ce qui caractérise l'emploi de moyens ruineux aux fins de créer artificiellement de la trésorerie et de retarder l'ouverture d'une procédure collective.
En effet, M. [V] n'a pas été en mesure de restituer à la société [9] les marchandises vendues à réméré dans le délai contractuellement prévu.
A cet égard, M. [V] ne peut sérieusement soutenir que les conditions de revendication des récoltes de blé, colza et orge n'étaient pas réunies puisqu'il s'agit d'une question qui doit être examinée dans le cadre de la procédure collective, ce qui est étranger au simple constat du défaut d'exécution du contrat de vente à réméré, conclu alors que M. [V] n'était, d'emblée, pas en mesure de l'honorer à son terme.
18. Il doit être ajouté que Maître [G] [K], huissier de justice, a procédé le 21 avril 2021 sur instruction du tribunal judiciaire à un premier inventaire des biens professionnels de M. [V] dans le cadre du prononcé du redressement judiciaire puis, le 15 mars 2022, à un second inventaire dans le cadre du prononcé de la liquidation judiciaire.
Maître [K] a mis en évidence le fait que trois engins donnés à bail par la société [3] (une épareuse de marque Guépard) et la société [6] ( une moissonneuse batteuse de marque New Holland et une herse rotative de marque Maschio) n'étaient pas présents à l'ouverture de la procédure de redressement.
De plus, l'huissier de justice a mis en évidence le fait que certains matériels inventoriés en 2021 ne se trouvaient plus sur les lieux en 2022 : des coffrets d'outillage et de l'outillage, des matériels de culture mais également plusieurs engins : trois tracteurs de marque Case, deux faucheuses de marque Samasz, un quad et un pick up.
La société [11], es qualités, a invité M. [V] le 23 mai 2022, à donner toutes explications sur l'absence de ces biens entre le premier et le second inventaire. L'appelant n'en a pas donné dans le cadre de la procédure collective mais il explique à la cour qu'il n'a vendu qu'un tracteur et une moissonneuse batteuse, qui faisaient l'objet de contrats de bail, cela pour procurer de la trésorerie à son activité, non pour s'enrichir personnellement.
19. Toutefois, il n'est pas discuté que ces engins ont été revendus à l'étranger compte tenu du fait qu'ils n'étaient pas la propriété de M. [V]. Ces ventes antérieures à l'ouverture de la procédure collective, nécessairement à perte, constituent également des moyens ruineux puisque cette trésorerie irrégulière est ensuite absorbée par les actions en paiement des sociétés bailleresses, propriétaires des matériels, en l'espèce les sociétés [6] et [3].
c.] Sur l'absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure collective
20. Il n'est pas discuté par M. [V] que, postérieurement à l'ouverture du redressement de son activité sur assignation de la MSA, il a présenté à la société [11], désignée en qualité de mandataire judiciaire, des relevés de compte courant et une situation comptable qui ne reflétaient pas la situation réelle de l'entreprise.
L'intimée produit à son dossier un courrier électronique qui lui a été adressé le 1er mars 2022 sous l'objet 'alerte [V]' par l'expert comptable de l'appelant, qui indique : « ces deux documents n'ont pas été établis par mon cabinet. De plus ma signature a été usurpée. Devant l'ampleur de ces agissements délictueux, je me réserve le droit de porter l'affaire en justice. (') Il apparaît rétrospectivement qu'il use de man'uvres dilatoires (absence de remise des documents, inertie, retard paiement de nos honoraires, etc.) pour nous empêcher de redresser sa comptabilité et établir ses déclarations fiscales. Mon cabinet va rapidement démissionner de ce dossier.»
Il apparaît que M. [V], qui ne le discute pas, a fait usage de la signature de son expert comptable afin de présenter au tribunal un projet de plan de redressement qui mentionne un e trésorerie positive de 182.442 euros, confortée par des relevés de compte [14] modifiés qui présentent un solde positif de 112.428,44 euros au 31 octobre 2021.
21. Il s'agit d'actes positifs de refus de coopération avec les organes de la procédure collective.
22. M. [V] fait valoir à cet égard qu'il a d'ores et déjà été sanctionné par le tribunal correctionnel de Périgueux et que, en vertu du principe selon lequel on ne peut condamner une personne deux fois pour les mêmes faits, ces faux en écriture ne peuvent être ici retenus pour le prononcé d'une faillite personnelle ; que, de surcroît, l'amende prévue par le code pénal et le fait que les créanciers de M. [V] recouvreront leur droit de poursuite en suite du prononcé de sa faillite personnelle sont constitutifs d'une même peine financière.
23. Toutefois, il est constant en droit que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distinctes.
En l'espèce, la faillite personnelle d'un dirigeant de personne morale est prévue par les articles L.653-1 et L.653-5 du code de commerce ; il s'agit d'une sanction de nature différente de la peine de trois années d'emprisonnement et 45'000 euros d'amende prévue par l'article 441-1 du code pénal et de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle dans l'exercice et à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, peines édictées pour la sanction des délits de faux et usage de faux.
Par ailleurs, les effets du prononcé de la faillite personnelle prévus à l'article L.643-11 III du code de commerce ne sont pas une sanction de même nature que l'amende pénale puisque ces effets ont pour objet de restituer à des personnes privées leur droit de recouvrer leurs créances civiles.
24. Il y a donc lieu de retenir également le fait pour M. [V] de s'être volontairement abstenu de coopérer avec les organes de la procédure au rang des éléments susceptibles d'entraîner le prononcé d'une faillite personnelle.
25. Il doit être pris en compte le fait que les éléments retenus par la cour démontrent un comportement qui s'est inscrit dans la durée pour masquer, dans certains cas par l'emploi de moyens illicites, une situation financière préoccupante qui a ainsi généré un passif de plus de deux millions d'euros.
Il doit également être observé que M. [V] n'a pas pris la mesure des conséquences de ce comportement puisqu'il explique qu'il ne souhaitait que continuer à exploiter son entreprise pour justifier des actes délictueux et, plus généralement, le système de cavalerie mis en oeuvre depuis plusieurs années.
26. Il apparaît donc proportionné de prononcer la faillite personnelle de M. [V] pour une durée de dix années.
Il est conforme à l'équité de condamner l'appelant à payer à la société [11] es qualités une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix années à l'encontre Monsieur [L] [V].
Ordonne, conformément à l'article R.653-3 du code de commerce, les publicités prévues par les articles R.621-8 du code de commerce et la transmission aux personnes mentionnées à l'article R.621-7 du code de commerce, aux frais avancés du Trésor public, garanti par le privilège des frais de justice pour le remboursement de ses avances.
Ordonne la transmission du présent arrêt au procureur général aux fins d'inscription de cette décision au casier judiciaire de Monsieur [L] [V].
Condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'activité de Monsieur [V], la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 26 MARS 2025
N° RG 23/04737 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NPB4
Monsieur [L] [V]
c/
S.E.L.A.R.L. [11]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 octobre 2023 (R.G. 23/00011) par le Tribunal judiciaire de PERIGUEUX suivant déclaration d'appel du 20 octobre 2023
APPELANT :
Monsieur [L] [V] né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13] de nationalité Française, demeurant [Adresse 12]
Représenté par Maître Clémence COLLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. [11], représentée par Maître [P] [X] chargé de la liquidation judiciaire de Monsieur [L] [V], désignée à cette fonction selon jugement du Tribunal Jud iciaire de PERIGUEUX en date du 08 mars 2022 [Adresse 2]
Représentée par Maître Guillaume DEGLANE de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE INTERBARREAUX LDJ-AVOCATS, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
1. Monsieur [L] [V], affilié à la Mutualité sociale agricole, exerce à titre individuel une activité d'entreprise de travaux agricoles et de culture de céréales depuis le 1er août 2013.
Sur assignation de la Mutualité sociale agricole, l'entreprise de M. [V] a bénéficié de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 15 mars 2021, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2022, la société [11] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
La date de l'état de cessation des paiements, provisoirement fixée au 1er mars 2022, a été reportée au 15 septembre 2019 par jugement prononcé le 13 juin 2022 sur requête du mandataire liquidateur.
Par acte d'huissier délivré le 3 avril 2023, la société [11] a fait assigner M. [V] devant le tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de prononcé d'une faillite personnelle d'une durée de quinze années ou, à titre subsidiaire, d'une interdiction de gérer, administrer, diriger ou contrôler toute entreprise ou exploitation agricole pour une durée de quinze années.
2. Par jugement prononcé le 16 octobre 2023, le tribunal judiciaire a statué ainsi qu'il suit :
Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,
Vu la requête de la société [11], représentée par Me [P] [X], agissant en qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [L] [V],
Vu les réquisitions du ministère public,
- prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq ans à l'encontre de Monsieur [L] [V], né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 13], demeurant [Adresse 12] ;
- précise que conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale ;
- dit que, indépendamment des mentions portées au casier judiciaire, le jugement fera l'objet des publicités prévues à l'article R 621-8 du code de commerce et sera adressé aux personnes mentionnées à l'article R. 621-7 du même code ;
- constate que les fonds disponibles du débiteur ne peuvent suffire immédiatement à faire face aux frais de signification et d'insertion du jugement dans les journaux ;
- dit que le Trésor public fera donc l'avance des frais de signification et de publicité dans le journal local et le Bodacc conformément à l'article L663-1 du code de commerce, ainsi que des frais de mention au Registre du commerce et des sociétés perçus par le greffe du tribunal de commerce ;
- dit que pour le remboursement de ses avances, le Trésor public est garanti par le privilège des frais de justice ;
- dit que la décision sera signifiée dans les 15 jours à la diligence du greffe aux personnes sanctionnées ;
- dit que les mesures prononcées par le présent jugement seront inscrites au fichier national des interdits de gérer à la diligence du ministère public dans les conditions des articles R. 128-1 et suivants du code de commerce ;
- rejette le surplus des demandes ;
- condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], représentée par Me [P] [X] en qualité de mandataire liquidateur, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
M. [V] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 20 octobre 2023. La société [11] a formé un appel incident.
***
3. Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2024, Monsieur [L] [V] demande à la cour de :
A titre principal,
Vu l'article R662-12 du code de commerce,
- prononcer la nullité du jugement rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux, sans effet dévolutif ;
A titre subsidiaire,
Vu les articles L653-1 et suivants du code de commerce,
- réformer le jugement du 16 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- prononcer, en lieu et place de la faillite personnelle, une mesure d'interdiction de diriger à l'encontre de Monsieur [V], pour une durée qu'il appartiendra à la cour d'apprécier.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 17 septembre 2024, la société [11] es qualités demande à la cour de :
Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,
- juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;
- en conséquence l'en débouter ;
- en tout état de cause et compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l'absence de rapport du juge commissaire ;
- juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;
Y faisant droit,
- juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l'ouverture de la procédure collective et s'est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité à 5 ans l'interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l'encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;
En conséquence,
- condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;
A titre subsidiaire,
- prononcer l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l'article L 653-8, dernier alinéa ;
- condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;
- ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l'article R 653-3 du code de commerce.
***
5. Par avis notifié le 8 août 2024, le procureur général indique que l'absence de rapport du juge commissaire est susceptible d'entraîner la nullité du jugement mais n'affecte pas la saisine de la cour, ce par application de l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile.
Sur le fond, le procureur général requiert la confirmation du jugement déféré, tant en ce qui concerne la sanction de la faillite personnelle qu'en ce qui concerne la durée de cinq années de cette sanction.
6. Par arrêt prononcé le 20 novembre 2024, la cour d'appel a statué ainsi qu'il suit :
- annule le jugement prononcé le 16 octobre 2023 par le tribunal judiciaire de Périgueux ;
Vu l'article 562 du code de procédure civile,
Vu l'article 444 du code de procédure civile,
- ordonne la réouverture des débats ;
- invite la société [11] à produire :
- l'inventaire dressé par la société civile professionnelle [15],
- les éléments comptables et bancaires mentionnés dans les courriers adressés les 1er mars, 15 avril et 4 octobre 2022 au procureur de la République de Périgueux ;
- sursoit à statuer sur les demandes au fond ;
- renvoie l'affaire à l'audience du 15 janvier 2025 à 14 heures avec une clôture des débats au 8 janvier précédent ;
- réserve les dépens.
7. Par dernières conclusions communiquées le 13 janvier 2025, la société [11] demande à la cour de :
Vu les articles L 653-1 et suivants du code de commerce,
- juger Monsieur [L] [V] recevable mais mal fondé en son appel ;
- en conséquence l'en débouter ;
- en tout état de cause et compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour évoquera le fond du dossier même si le jugement de première instance devait être annulé en raison de l'absence de rapport du juge commissaire ;
- juger la société [11] représentée par Maître [P] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] recevable et bien fondée en son action ;
Y faisant droit,
- juger que Monsieur [L] [V] a augmenté frauduleusement le passif, a employé des moyens ruineux en vue de retarder l'ouverture de la procédure collective et s'est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle à son bon déroulement ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a limité à 5 ans l'interdiction de gérer, administrer, diriger, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale à l'encontre de M. [V] et porter cette durée à 15 ans ;
En conséquence,
- condamner Monsieur [L] [V] à une mesure de faillite personnelle portant interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans ;
A titre subsidiaire,
- prononcer l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 15 ans, conformément à l'article L 653-8, dernier alinéa ;
- condamner Monsieur [L] [V] à payer à la société [11] représentée par Maître [P] [X], mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [L] [V] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens seront mis à la charge de M. [V] ;
- ordonner les publicités prévues par la loi et notamment celles prévues à l'article R 653-3 du code de commerce.
***
L'ordonnance de clôture a été reportée au 15 janvier 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
8. En vertu des articles L.653-3 et L.653-5 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle d'un agriculteur contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
- avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ;
- avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif ;
Sous le couvert de l'activité ou du patrimoine visés par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de cette activité ou de ce patrimoine ;
- avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
- avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
- avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
- avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
- avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
- avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
- avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.
9. La société [11], liquidateur de M. [V], excipe des faits suivants au soutien de sa demande en prononcé de la faillite personnelle de celui-ci :
- l'augmentation frauduleuse du passif,
- l'emploi de moyens ruineux afin de retarder l'ouverture de la procédure collective,
- l'absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure collective.
a.] Sur l'augmentation frauduleuse du passif
10. Il faut tout d'abord rappeler que l'état de cessation des paiements, fixé provisoirement au 1er mars 2021, a été reporté au 15 septembre 2019 par jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 13 juin 2022.
11. La déclaration de créances fiscales effectuée le 3 juin 2021, pour un montant de 477.936,61 euros, par le Pôle de recouvrement spécialisé de la Dordogne met en évidence le fait que M. [V] s'est acquitté de façon erratique de ses obligations fiscales à compter de l'année 2019, pour la période d'imposition courant du 1er octobre 2017 au 30 septembre 2018 en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée et pour la période d'imposition courant du 1er janvier au 31 décembre 2018 en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et la cotisation foncière des entreprises.
12. Il doit être relevé que M. [V] a encaissé la TVA facturée à ses clients mais ne l'a pas reversée, ce du 1er octobre 2017 et jusqu'au 31 décembre 2020, ce qui est le fruit d'une volonté délibérée et est de nature à augmenter le passif de l'activité puisqu'un tel comportement génère nécessairement des pénalités, en l'espèce pour un montant de 53.876 euros.
L'appelant s'est également volontairement soustrait au paiement de l'impôt, ce qui a généré des pénalités pour un montant de 53.665 euros.
De même, M. [V] n'a pas procédé aux déclarations nécessaires auprès de la Mutualité sociale agricole, ce qui génère des redressements forfaitaires calculés sur une assiette reconstituée à partir des dernières déclarations connues.
Or, ainsi que le rappelle la société [11], l'obligation générale des redevables est au premier chef une obligation déclarative, ainsi que le prévoient les articles 287 du code des général des impôts pour la TVA et L.133-5 et suivants du code de la sécurité sociale pour les déclarations sociales.
13. M. [V] ne peut sérieusement soutenir qu'il s'agissait d'une négligence de sa part alors qu'il a immatriculé son activité le 27 août 2013, de sorte qu'il connaissait ses obligations à cet égard depuis déjà plusieurs années lorsqu'il a cessé de les honorer, générant de plus de la trésorerie aux dépens de l'Etat en ne reversant pas la TVA.
Au surplus, les éléments avancés au soutien de l'argument relatif à la négligence -difficultés familiales, impayé de 100.000 euros dont il a été victime, dissensions avec son expert-comptable- ne sont soutenus par aucune pièce.
14. Il ya donc lieu de retenir que, en s'abstenant, en toute connaissance de cause, d'établir les différentes déclarations auxquelles l'astreignait son activité et en conservant des sommes dont il n'était que le dépositaire -s'agissant de la TVA-, M. [V] a frauduleusement augmenté le passif de son activité agricole.
b.] Sur l'emploi de moyens ruineux afin de retarder l'ouverture de la procédure collective
15. M. [V] a conclu avec la société [9] les contrats de vente à réméré suivants :
- 10 octobre 2019 pour une durée de 12 mois : matériel d'exploitation, pour un montant principal de 50.000 euros ;
- 17 janvier 2020 pour une durée de 12 mois : matériel d'exploitation, pour un montant principal de 25.000 euros ;
- 4 mars 2020 pour une durée de 12 mois : 70 tonnes de blé, 300 tonnes d'orge, 50 tonnes de colza, pour un montant principal de 25.000 euros ;
- 2 avril 2020 pour une durée de 4 mois : 75 tonnes de blé, pour un montant principal de 10.000 euros.
16. Au cours de cette période, M. [V] avait d'ores et déjà été destinataire de deux mises en demeure, les 11 décembre 2018 et 28 mars 2019, de la société [4] pour les sommes de 29.461,70 euros et 37.850,97 euros au titre d'échéances de prêts impayées ; il avait ensuite été assigné à ce titre devant le tribunal de grande instance de Périgueux par acte du 7 août 2019.
Egalement, le juge des référés du tribunal de grande instance de Périgueux a, par ordonnance du 12 septembre 2019, constaté la résiliation de quatre contrats de location de matériels conclus avec la société [6] ; M. [V] a été condamné au paiement d'une provision de 53.978,30 euros au titre des loyers impayés.
De plus, la société [5] a, le 30 décembre 2019, adressé à M. [V] plusieurs mises en demeure de régler les sommes suivantes au titre du solde débiteur du compte courant professionnel, de la facilité de trésorerie et des échéances impayées de deux prêts : 7.288,65 euros, 68.347,80 euros, 5.323,76 euros et 21.005,33 euros.
L'appelant présentait également des impayés aux dépens des sociétés [10], [16], [7], [8], de la MSA et de l'administration fiscale, ce qui résulte des termes des déclarations de créance au passif de son activité.
17. Dès lors, il doit être retenu que, alors que M. [V] était d'ores et déjà en état de cessation des paiements, ce qui a été consacré par le jugement du 13 juin 2022 qui a ramené la date de la cessation des paiements au 15 septembre 2019, il a pourtant conclu les quatre contrats de vente à réméré rappelés plus haut, ce qui caractérise l'emploi de moyens ruineux aux fins de créer artificiellement de la trésorerie et de retarder l'ouverture d'une procédure collective.
En effet, M. [V] n'a pas été en mesure de restituer à la société [9] les marchandises vendues à réméré dans le délai contractuellement prévu.
A cet égard, M. [V] ne peut sérieusement soutenir que les conditions de revendication des récoltes de blé, colza et orge n'étaient pas réunies puisqu'il s'agit d'une question qui doit être examinée dans le cadre de la procédure collective, ce qui est étranger au simple constat du défaut d'exécution du contrat de vente à réméré, conclu alors que M. [V] n'était, d'emblée, pas en mesure de l'honorer à son terme.
18. Il doit être ajouté que Maître [G] [K], huissier de justice, a procédé le 21 avril 2021 sur instruction du tribunal judiciaire à un premier inventaire des biens professionnels de M. [V] dans le cadre du prononcé du redressement judiciaire puis, le 15 mars 2022, à un second inventaire dans le cadre du prononcé de la liquidation judiciaire.
Maître [K] a mis en évidence le fait que trois engins donnés à bail par la société [3] (une épareuse de marque Guépard) et la société [6] ( une moissonneuse batteuse de marque New Holland et une herse rotative de marque Maschio) n'étaient pas présents à l'ouverture de la procédure de redressement.
De plus, l'huissier de justice a mis en évidence le fait que certains matériels inventoriés en 2021 ne se trouvaient plus sur les lieux en 2022 : des coffrets d'outillage et de l'outillage, des matériels de culture mais également plusieurs engins : trois tracteurs de marque Case, deux faucheuses de marque Samasz, un quad et un pick up.
La société [11], es qualités, a invité M. [V] le 23 mai 2022, à donner toutes explications sur l'absence de ces biens entre le premier et le second inventaire. L'appelant n'en a pas donné dans le cadre de la procédure collective mais il explique à la cour qu'il n'a vendu qu'un tracteur et une moissonneuse batteuse, qui faisaient l'objet de contrats de bail, cela pour procurer de la trésorerie à son activité, non pour s'enrichir personnellement.
19. Toutefois, il n'est pas discuté que ces engins ont été revendus à l'étranger compte tenu du fait qu'ils n'étaient pas la propriété de M. [V]. Ces ventes antérieures à l'ouverture de la procédure collective, nécessairement à perte, constituent également des moyens ruineux puisque cette trésorerie irrégulière est ensuite absorbée par les actions en paiement des sociétés bailleresses, propriétaires des matériels, en l'espèce les sociétés [6] et [3].
c.] Sur l'absence de coopération volontaire avec les organes de la procédure collective
20. Il n'est pas discuté par M. [V] que, postérieurement à l'ouverture du redressement de son activité sur assignation de la MSA, il a présenté à la société [11], désignée en qualité de mandataire judiciaire, des relevés de compte courant et une situation comptable qui ne reflétaient pas la situation réelle de l'entreprise.
L'intimée produit à son dossier un courrier électronique qui lui a été adressé le 1er mars 2022 sous l'objet 'alerte [V]' par l'expert comptable de l'appelant, qui indique : « ces deux documents n'ont pas été établis par mon cabinet. De plus ma signature a été usurpée. Devant l'ampleur de ces agissements délictueux, je me réserve le droit de porter l'affaire en justice. (') Il apparaît rétrospectivement qu'il use de man'uvres dilatoires (absence de remise des documents, inertie, retard paiement de nos honoraires, etc.) pour nous empêcher de redresser sa comptabilité et établir ses déclarations fiscales. Mon cabinet va rapidement démissionner de ce dossier.»
Il apparaît que M. [V], qui ne le discute pas, a fait usage de la signature de son expert comptable afin de présenter au tribunal un projet de plan de redressement qui mentionne un e trésorerie positive de 182.442 euros, confortée par des relevés de compte [14] modifiés qui présentent un solde positif de 112.428,44 euros au 31 octobre 2021.
21. Il s'agit d'actes positifs de refus de coopération avec les organes de la procédure collective.
22. M. [V] fait valoir à cet égard qu'il a d'ores et déjà été sanctionné par le tribunal correctionnel de Périgueux et que, en vertu du principe selon lequel on ne peut condamner une personne deux fois pour les mêmes faits, ces faux en écriture ne peuvent être ici retenus pour le prononcé d'une faillite personnelle ; que, de surcroît, l'amende prévue par le code pénal et le fait que les créanciers de M. [V] recouvreront leur droit de poursuite en suite du prononcé de sa faillite personnelle sont constitutifs d'une même peine financière.
23. Toutefois, il est constant en droit que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distinctes.
En l'espèce, la faillite personnelle d'un dirigeant de personne morale est prévue par les articles L.653-1 et L.653-5 du code de commerce ; il s'agit d'une sanction de nature différente de la peine de trois années d'emprisonnement et 45'000 euros d'amende prévue par l'article 441-1 du code pénal et de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle dans l'exercice et à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, peines édictées pour la sanction des délits de faux et usage de faux.
Par ailleurs, les effets du prononcé de la faillite personnelle prévus à l'article L.643-11 III du code de commerce ne sont pas une sanction de même nature que l'amende pénale puisque ces effets ont pour objet de restituer à des personnes privées leur droit de recouvrer leurs créances civiles.
24. Il y a donc lieu de retenir également le fait pour M. [V] de s'être volontairement abstenu de coopérer avec les organes de la procédure au rang des éléments susceptibles d'entraîner le prononcé d'une faillite personnelle.
25. Il doit être pris en compte le fait que les éléments retenus par la cour démontrent un comportement qui s'est inscrit dans la durée pour masquer, dans certains cas par l'emploi de moyens illicites, une situation financière préoccupante qui a ainsi généré un passif de plus de deux millions d'euros.
Il doit également être observé que M. [V] n'a pas pris la mesure des conséquences de ce comportement puisqu'il explique qu'il ne souhaitait que continuer à exploiter son entreprise pour justifier des actes délictueux et, plus généralement, le système de cavalerie mis en oeuvre depuis plusieurs années.
26. Il apparaît donc proportionné de prononcer la faillite personnelle de M. [V] pour une durée de dix années.
Il est conforme à l'équité de condamner l'appelant à payer à la société [11] es qualités une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Prononce une mesure de faillite personnelle pour une durée de dix années à l'encontre Monsieur [L] [V].
Ordonne, conformément à l'article R.653-3 du code de commerce, les publicités prévues par les articles R.621-8 du code de commerce et la transmission aux personnes mentionnées à l'article R.621-7 du code de commerce, aux frais avancés du Trésor public, garanti par le privilège des frais de justice pour le remboursement de ses avances.
Ordonne la transmission du présent arrêt au procureur général aux fins d'inscription de cette décision au casier judiciaire de Monsieur [L] [V].
Condamne Monsieur [L] [V] à payer à la société [11], en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'activité de Monsieur [V], la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président