Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. b, 25 mars 2025, n° 23/03244

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 23/03244

25 mars 2025

N° RG 23/03244 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O5SE

Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Au fond

du 01 mars 2023

RG : 20/06979

ch n°1 cab 01 A

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 25 Mars 2025

APPELANTS ET INTIMES :

M. [B] [N]

CABINET BLANCHARD & ASSOCIES

[Adresse 5]

[Localité 7]

La société CABINET BLANCHARD & ASSOCIES

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentés par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de LYON, toque : 1813

ayant pour avocat plaidant le cabinet PARRINELLO VILAIN & KIENER, avocat au barreau de PARIS

INTIMES ET APPELANTS :

M. [K] [V]

demeurant chez la SAS [Adresse 9]

[Localité 1]

La société AUDIT 01

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat postulant au barreau de LYON, toque : 1106

ayant pour avocat plaidantMe Frédéric NICOLETTI de la SELAS CABINET F & F NICOLETTI, avocat au barreau d'AIN

INTIMES :

M. [F] [Z]

né le [Date naissance 3] 1957

[Adresse 10]

[Localité 8]

S.A.S. VALCORP INVEST

[Adresse 6],

[Localité 2]

Représentés par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant au barreau de LYON, toque : 475

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas BES de la SCP BES SAUVAIGO ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 07 Mars 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Janvier 2025

Date de mise à disposition : 25 Mars 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

La société DPI international a exercé une activité de bureau d'études et de conception de pièces et moules pour l'injection des matières plastiques. En juillet 2013, elle a racheté la société DPI molds, devenue MPA, à laquelle elle a sous-traité une partie de ses prestations.

Le Cabinet Blanchard et associés (le Cabinet Blanchard), ayant pour associé signataire M. [N], a été désigné commissaire aux comptes de la société DPI international lors d'une assemblée générale du 31 mai 2011.

La société Audit 01, ayant pour associé signataire M. [V], a été désignée commissaire aux comptes de la société DPI molds (renouvellement du 5 février 2015).

M. [Z] et la société Valcorp invest, dont il est président (la société Valcorp), sont entrés au capital de DPI international à hauteur de 12,5% le 11 juillet 2016, le premier souscrivant 513 actions par un apport en numéraire de 90.000,72 euros et la seconde souscrivant 2.337 actions par un apport en numéraire de 410.003,28 euros, soit au total 500.004 euros.

Le 4 janvier 2017, la société Valcorp a apporté la somme de 120.000 euros au compte courant de la société DPI international.

Par ordonnances des 16 et 21 mars 2017, le président du tribunal de commerce de Bourg en Bresse a désigné un mandataire ad hoc pour la société DPI international et un conciliateur pour la société DPI molds, qui a déclaré être en état de cessation des paiements depuis le 20 février 2017.

Par jugement du 31 mai 2017, le tribunal de commerce de Bourg en Bresse a ouvert des procédures de redressement judiciaire pour les sociétés DPI international et DPI molds, devenue MPA, converties en liquidation judiciaire, respectivement le 1er juin 2018 et le 26 juillet 2017.

Estimant avoir investi dans le groupe DPI sur la base d'informations comptables inexactes, M. [Z] et la société Valcorp ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon qui, par ordonnance du 4 avril 2018, a désigné un expert pour examiner ces informations et donner un avis sur la régularité et la sincérité des états financiers et comptes des sociétés pour les exercices 2013/2014, 2014/2015, 2015/2016, ainsi que sur les diligences des commissaires aux comptes de ces sociétés.

Cette décision a été confirmée par un arrêt du 19 février 2019 de la cour d'appel de Lyon.

Par actes du 7 février 2019, M. [Z] et la société Valcorp ont fait assigner le Cabinet Blanchard et M. [N], la société Audit 01 et M. [V], devant le tribunal judiciaire de Lyon aux fins, principalement, de voir ordonner un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport.

Par ordonnance du 17 octobre 2019, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise de M. [I], désigné par ordonnance du juge des référés du 31 mai 2018.

Le rapport d'expertise a été déposé le 6 mai 2020.

Par jugement contradictoire du 1er mars 2023, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- déclaré recevable l'action de M. [Z] et de la société Valcorp,

- condamné le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] in solidum à payer à M. [Z] la somme de 45.000,36 euros,

- condamné le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] in solidum à payer à la société Valcorp la somme de 229.001,64 euros,

- condamné le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] in solidum aux dépens,

- condamné le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] in solidum à payer à M. [Z] et la société Valcorp la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration du 18 avril 2023, le Cabinet Blanchard et M. [N] ont interjeté appel.

Puis, par déclaration du 20 avril 2023, M. [V] et la société Audit 01 ont également relevé appel.

Par ordonnance du 6 juillet 2023, le conseiller de la mise en état a notamment ordonné la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 23/3244 et 23/3319 et dit que l'instance se poursuivra sous le numéro 23/3244.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 11 janvier 2024, le Cabinet Blanchard et M. [N] demandent à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er mars 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon,

Statuant à nouveau,

- déclarer M. [Z] et la société Valcorp irrecevables et subsidiairement mal fondés en leur demandes les visant, et les en débouter,

En toute hypothèse,

- débouter M. [Z] et la société Valcorp de leur appel incident,

- condamner solidairement M. [Z] et la société Valcorp à leur payer une somme globale de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Werquin, avocat.

***

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 10 janvier 2024, la société Audit 01 et M. [V] demandent à la cour de :

- les recevoir dans leurs explications et les déclarer bien fondées,

A titre principal

- infirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon le 1er mars 2023,

Y faisant droit et statuant à nouveau,

- dire n'y avoir lieu de retenir leur responsabilité civile professionnelle,

- débouter M. [Z] et la société Valcorp de leur appel incident et de toutes leurs demandes comme infondées,

A titre subsidiaire

Si par impossible leur responsabilité civile professionnelle venait à se voir engagée :

- limiter la condamnation susceptible d'être prononcée à leur encontre à l'indemnisation du seul préjudice en lien direct avec la faute commise par le commissaire aux comptes dans le cadre de l'accomplissement de son mandat auprès, uniquement, de la société DPI molds et ce, compte tenu, notamment, de la connaissance que les demandeurs pouvaient avoir de la situation financière des sociétés DPI international et DPI molds préalablement à leur prise de participation,

- débouter M. [Z] et la société Valcorp de leurs demandes contraires,

Dans tous les cas,

- débouter la société Cabinet Blanchard et M. [N] de leurs demandes à leur encontre,

- condamner M. [Z] et la société Valcorp à leur verser la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

***

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 13 octobre 2023, la société Valcorp et M. [Z] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la condamnation in solidum du Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] à verser la somme de 45.000,35 euros à M. [Z] et la somme de 229.001,64 euros à la société Valcorp,

Et statuant à nouveau,

- condamner in solidum le Cabinet Blanchard M. [N], la société Audit 01 et M. [V] à verser :

- une somme de 530.003,28 euros à la société Valcorp,

- une somme de 90.000,72 euros à M. [Z],

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions du Cabinet Blanchard, de M. [N], de la société Audit 01 et de M. [V],

- confirmer en conséquence pour le surplus la décision entreprise en toutes ses dispositions,

En tout état de cause,

- condamner in solidum le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] à verser aux à M. Jean- une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum le Cabinet Blanchard, M. [N], la société Audit 01 et M. [V] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la recevabilité de l'action

Le Cabinet Blanchard et M. [N] font notamment valoir que:

- l'action initiée par M [Z] et la société Valcorp a pour objet de récupérer les sommes qu'ils ont investies dans la société DPI international, qu'ils ne peuvent pas récupérer du fait de la liquidation judiciaire de cette société,

- ils agissent donc en tant qu'actionnaires créanciers d'une société en liquidation judiciaire pour tenter de récupérer directement la perte de leurs apports en capital et les concours apportés en compte courant, alors que le liquidateur judiciaire est seul recevable à agir au nom et dans l'intérêt des créanciers et des actionnaires de la société mise en liquidation judiciaire,

- la perte de valeur des parts sociales ou des apports d'un actionnaire ou encore la perte du remboursement des comptes courants constituent pour l'actionnaire une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers et non un préjudice propre, de sorte que cette action est irrecevable, même si elle est exercée contre un tiers.

M. [Z] et la société Valcorp invest font essentiellement valoir qu'ils ont subi un préjudice purement personnel, distinct de l'intérêt collectif des créanciers, résultant de la perte de leurs investissements, lesquels ont été consentis en raison de fausses informations et d'une présentation des comptes inexacte, de sorte que leur action est recevable. Ils précisent que:

- le préjudice de M. [Z] s'élève à la somme de 90 000,72 euros, correspondant à la souscription de 513 actions de la société DPI International d'une valeur nominale de 175,44 euros par virement du 8 juillet 2016,

- le préjudice de la société Valcorp s'élève à la somme de 530 003,28 euros, correspondant à la souscription de 2 337 actions de la société DPI International d'une valeur nominale de 175,44 euros par virement du 8 juillet 2016 et à un apport en compte courant d'associé du 4 janvier 2017,

- leur préjudice correspond à la perte de ces investissements, soit à une perte de chance de 100%.

Réponse de la cour

En vertu de l'article L 622-20 du code de commerce, auquel l'article L. 641-4 renvoie s'agissant des pouvoirs du liquidateur, le mandataire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers.

Il en résulte que si l'action individuelle d'un créancier est irrecevable pour obtenir la réparation du préjudice collectif des créanciers, elle est recevable pour un préjudice personnel à ce créancier.

En l'espèce, la réparation des préjudices liés directement au coût de l'investissement dans l'acquisition des actions de la société débitrice, qui est étrangère à la reconstitution du gage commun des créanciers, doit être demandée par les investisseurs eux-mêmes, soit M. [Z] et la société Valcorp invest.

Dès lors, le jugement ayant déclaré leur action recevable à ce titre est confirmé.

En revanche, la réparation du préjudice résultant, pour la société Valcorp, de l'impossibilité d'obtenir la paiement, par la société DPI International, de la créance résultant des sommes avancées en compte courant ne constitue qu'une fraction du passif collectif dont l'apurement est assuré par le gage commun des créanciers, qu'il appartient au seul mandataire judiciaire de reconstituer.

Dès lors, l'action de la société Valcorp est irrecevable à ce titre. Le jugement est donc infirmé de ce chef.

2. Sur la responsabilité des commissaires aux comptes

M. [Z] et la société Valcorp invest font essentiellement valoir que:

- l'expertise judiciaire a permis de déterminer la responsabilité de chacun des appelants dans leur préjudice,

- les comptes annuels des sociétés sont soumis à la certification du commissaire aux comptes qui porte sur la régularité, la sincérité et la fidélité de l'image donnée du patrimoine,

- trois obligations principales pèsent sur le commissaire aux comptes : une obligation de contrôle de la comptabilité, une obligation de certification des comptes annuels, une obligation d'information des dirigeants sociaux, notamment pour leur faire part des irrégularités découvertes,

- le caractère régulier, sincère et fidèle des comptes des sociétés DPI International et DPI Molds a été certifié sans réserve par les commissaire aux comptes des deux sociétés pour les exercices clos au 31/08/2014, 31/08/2015 et 31/08/2016,

- la comptabilité des deux sociétés est contestable en raison, d'une part, d'une surévaluation du chiffre d'affaires de la société DPI International, du fait de la comptabilisation d'acomptes ne correspondant à aucune réalité économique et, d'autre part, d'une surévaluation des en-cours de production comptabilisés pour certains au niveau de chacune des sociétés alors qu'ils correspondaient à une seule et même commande,

- les résultats des deux sociétés ont été faussés et ne reflétaient pas la situation économique du groupe et alors que les résultats étaient déficitaires de plusieurs centaines de milliers d'euros sur les exercices 2014, 2015 et 2016, les commissaires aux comptes n'ont pas détecté l'inexactitude et le manque de sincérité des comptes,

- les commissaires aux comptes ont engagé leur responsabilité en privilégiant la méthode de l'avancement au détriment de la méthode de l'achèvement alors que les conditions légales de sa mise en oeuvre n'étaient pas remplies, en n'informant pas les dirigeants des sociétés de cette erreur dans le choix de la méthode de comptabilisation des encours, en manquant de diligence dans l'approche des risques, en constatant qu'ils n'étaient pas en mesure d'avoir l'assurance qu'il n'existait pas d'anomalies significatives et d'avoir pourtant certifié les comptes,

- le préjudice qu'ils ont subi doit être réparé dans son intégralité, le lien de causalité entre le préjudice et les fautes commises étant avéré,

- le préjudice de M. [Z] s'élève à la somme de 90 000,72 euros correspondant à la souscription de 513 actions de la société DPI International d'une valeur nominale de 175,44 euros par virement du 8 juillet 2016,

- le préjudice de la société Valcorp s'élève à la somme de 530 003,28 euros correspondant à la souscription de 2 337 actions de la société DPI International d'une valeur nominale de 175,44 euros par virement du 8 juillet 2016 et à un apport en compte courant d'associé du 4 janvier 2017,

- leur préjudice correspond à la perte de ces investissements, soit à une perte de chance de 100%.

Le Cabinet Blanchard et M. [N] font notamment valoir que:

- la recherche de la responsabilité du commissaire aux comptes suppose d'établir au préalable des anomalies significatives affectant les comptes annuels, sans quoi sa responsabilité ne saurait être recherchée, ce qui n'a pas pu être confirmé par l'expert judiciaire,

- l'expert s'est borné à remettre en cause la méthode comptable employée par les sociétés et a ensuite indiqué qu'il n'est pas possible de mesurer l'impact qu'aurait eu sur les comptes la mise en 'uvre de la méthode de l'achèvement par rapport à la méthode de l'avancement, de sorte qu'une anomalie significative n'est pas démontrée,

- la conclusion de l'expert selon laquelle les comptes auraient été inexacts au motif d'une surévaluation des encours ne repose sur aucun constat technique matériellement vérifiable,

- la société DPI International bénéficiait des services d'un expert-comptable qui a validé et justifié de l'application de la méthode de l'avancement, qui est la méthode comptable préférentielle,

- la surévaluation des encours retenue par l'expert judiciaire n'a jamais pu être chiffrée,

- aucune faute ne peut leur être reprochée,

- la perte des investissements, qui résultent de la seule liquidation judiciaire de la société DPI International, est sans lien avec leurs défaillances supposées dans la certification des comptes 2014/2015 ou 2015/2016,

- il n'est pas établi que leurs éventuels manquements ont eu un effet déterminant sur la décision d'investissement,

- avant l'investissement, M [R] a uniquement remis « les bilans 2014 et 2015 des trois sociétés du groupe DPI », sans mention des rapports du commissaire aux comptes et M [Z] a uniquement réclamé le projet de développement de DPI International pour les dix ans, le projet de business plan pour les cinq années à venir et une copie des trois derniers bilans consolidés,

- les intimés ont investi en toute connaissance de cause des fragilités financières de la

société et du caractère risqué de leur investissement, ainsi que cela résulte de leurs échanges,

- en tout état de cause, ils auraient dû faire procéder à un audit à une date proche de leur investissement, ce manquement étant constitutif d'une faute faisant disparaître le lien de causalité entre leur fait personnel et le préjudice allégué,

- la perte de chance alléguée est nulle.

La société Audit 01 et M. [V] font notamment valoir que:

- il est paradoxal que l'expert, après avoir estimé que les commissaires aux comptes

avaient accompli des diligences approfondies, en conformité avec les règles légales et réglementaires, conclut qu'ils auraient dû refuser l'application, quant à la valorisation des travaux en cours des sociétés, de la méthode dite de l'avancement, alors même que les analyses de l'expert n'ont permis de mettre en évidence ni une survalorisation des encours, ni une double comptabilisation d'acomptes, ni même l'impact qu'aurait eu l'application de la méthode de valorisation dite de l'achèvement par rapport à la méthode retenue dite de l'avancement,

- les anomalies significatives interdisant aux commissaires aux comptes de certifier les comptes sans réserve ne sont pas établies,

- s'agissant du contrôle de la comptabilisation d'acomptes dans les comptes de la société DPI International, il ne peut lui être fait de reproche puisqu'elle n'était commissaire aux comptes que de la seule société DPI Molds devenue MPA,

- plus largement, les griefs allégués concernant la société DPI International ne la concernent pas,

- les diligences et contrôles qu'elle a mis en 'uvre ont été accomplis en conformité avec les règles légales et réglementaires, ainsi que l'a reconnu l'expert, et n'ont révélé aucune anomalie significative,

- il résulte des négociations que la décision d'investir de M [Z] et de la société Valcorp invest ne résulte pas des comptes sociaux passés de la société DPI International, mais des perspectives de développement de cette société, M [Z] ayant parfaitement analysé les faiblesses, voire les dangers structurels de cette société,

- c'est en connaissance de cause qu'ils ont souscrit à l'augmentation de capital social de la société DPI International en 2016,

- il n'existe aucun lien de causalité direct entre la prétendue faute qu'elle aurait commise et le préjudice allégué, la décision d'investir, fondée sur les capacités de développement futur des sociétés DPI International et DPI Molds, s'appuyant sur la situation comptable établie au 31 Janvier 2016 à laquelle elle n'a pas participé.

Réponse de la cour

Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La mise en oeuvre de la responsabilité d'une personne nécessite ainsi la preuve par celui qui s'en prévaut d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage.

M. [Z] et la société Valcorp soutiennent que les manquements des commissaires aux comptes, qui ont certifié sans réserve des comptes sociaux faux, les ont conduit à s'engager dans le projet porté par la société DPI International, ce qui leur a causé un préjudice économique conséquent à hauteur de leur investissement.

Il appartient donc à M. [Z] et la société Valcorp de rapporter la preuve que les manquements des commissaires aux comptes dont ils se prévalent ont eu un effet déterminant sur leur décision d'investissement.

Lors des pourparlers entre M. [Z] et M. [R], lequel représentait la société DPI International, ce dernier a remis au premier, selon un courriel du 11 mars 2016, les trois derniers bilans de la société.

Selon un courriel du même jour, M. [Z] lui a réclamé en retour « le projet de développement de DPI International pour les 10 ans, le projet de business plan pour les 5 années à venir, une copie de vos 3 derniers bilans consolidés, une ébauche de votre projet professionnel (votre motivation, comment vous vous projetez dans les prochaines années, organisation etc..., transmission à terme: familiale, autre, etc...) ».

Il n'est pas fait mention des rapports des commissaires aux comptes ni de la transmission de bilans qui auraient été certifiés par ces derniers.

Les intimés ne prouvent pas que ces pièces auraient été accompagnées des rapports des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que la situation intermédiaire de la société, arrêtée au 31 janvier 2016, que les intimés mentionnent avoir obtenue, qui a été établie par l'expert-comptable de la société DPI International, n'a pas été certifiée par les commissaires aux comptes.

Postérieurement, suivant un courriel du 22 avril 2016, M. [Z] a indiqué à M. [R] qu'il avait étudié les documents qui lui avaient été communiqués avec ses conseils, qui confirmaient « le potentiel » de la société mais également « ses fragilités », de sorte que « sous réserve d'un audit plus précis et d'un accord à formaliser », il pourrait envisager d'apporter 500.000 euros en prise de participations dans le capital de la société afin, notamment, de couvrir les besoins en fonds propres estimés à 1 million d'euros.

Puis, par courriel du 26 mai 2016, M. [Z] a écrit à M. [R] qu'il avait conscience que « les fonds propres [de la société] sont faibles et que les dettes cumulées (prêts et leasing) sont importantes et que, d'autre part, il reste encore des investissements conséquents à envisager ». Il a ajouté qu'il lui avait été conseillé d'être prudent, mais qu'il était persuadé que la société présentait « un réel potentiel de développement ».

Alors qu'aucun audit n'avait été effectué ou planifié, M. [Z] a conclu ce message en faisant la proposition d'apporter au capital la somme de 500.000 euros.

Il ressort de ces éléments, qu'il n'est pas établi que les rapports des commissaires aux comptes n'ont pas été remis à M. [R] et à la société Valcorp invest antérieurement à leur décision d'investir, de sorte que le lien de causalité entre la faute alléguée dans la certification des comptes et leur décision n'est pas démontré.

Ce lien de causalité est d'autant moins démontré que M. [Z], qui avait conscience du caractère risqué de son investissement et de la fragilité de la situation financière de la société DPI International et de la société DPI Molds, a renoncé à procéder à un audit, contrairement à ce qu'il avait envisagé dans un premier temps, en mentionnant que son intérêt portait sur les perspectives de développement des sociétés et en faisant une proposition correspondant aux besoins en fonds propres plutôt que sur leurs résultats.

Il est ainsi démontré que la situation comptable fragile des sociétés DPI International et DPI Molds n'a pas conduit les investisseurs à renoncer au projet et ne constituait pas l'élément déterminant dans leur décision.

En conséquence, en l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée des commissaires aux comptes et le dommage subi par les intimés, il convient, infirmant le jugement, de les débouter de leurs demandes de dommages-intérêts.

3. Sur les autres demandes

Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit, d'une part, de la société Cabinet Blanchard et associés et M. [N] et, d'autre part, de la société Audit 01 et M. [V] et condamne in solidum M. [Z] et la société Valcorp Invest à leur payer à chacun la somme de 3.000 euros à ce titre.

Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. [Z] et la société Valcorp Invest.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action de M. [F] [Z] et la société Valcorp invest en réparation de leur investissement dans l'acquisition des actions de la société DPI International,

statuant de nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [F] [Z] et la société Valcorp invest de leurs demandes de dommages-intérêts,

Condamne in solidum M. [F] [Z] et la société Valcorp invest à payer à la société Cabinet Blanchard et associés et M. [N] la somme globale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [F] [Z] et la société Valcorp invest à payer à la société Audit 01 et M. [V] la somme globale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne in solidum M. [F] [Z] et la société Valcorp invest aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La greffière, La Présidente,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site