CA Versailles, ch. soc. 4-4, 26 mars 2025, n° 23/00715
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 MARS 2025
N° RG 23/00715
N° Portalis DBV3-V-B7H-VXP6
AFFAIRE :
[T] [X]
C/
Société CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
Section : E
N° RG : F 20/00891
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Aurélie FOURNIER
Me Chantal DE CARFORT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [X]
né le 4 octobre 1970 à [Localité 5]
de nationalité française
domicilié au cabinet de Me Aurélie Fournier,
Cabinet PJM Avocats
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Aurélie FOURNIER de la SELEURL AURELIE FOURNIER AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0372
APPELANT
****************
Société CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
N° SIRET: 304 187 701
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462
Plaidant : Me Philippe ROGEZ de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L301
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [X] a été engagé par la société Crédit Lyonnais, en qualité d'auditeur interne, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 8 septembre 1997.
La société Crédit lyonnais a été rachetée au début des années 2000 par la société Crédit agricole, à laquelle le contrat de travail de M. [X] a été transféré, au sein de la société CALYON, devenue par la suite Crédit agricole CIB (la société CACIB).
Cette société est la banque d'investissement et de financement du groupe Crédit agricole. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale de la banque.
M. [X] a été engagé à compter du 17 juillet 2005 en qualité de « head of ICC & Treasury Support, director » niveau E6, par la société CALYON Securities, succursale [Localité 7] de la société CALYON.
M. [X] a été ensuite engagé en qualité de business manager, à compter du 1er février 2011 par la succursale basée à [Localité 6] de la société CACIB. Le 16 octobre 2015, il a été promu au poste de « regional chief operating officer for Asia Pacific, global markets division », et il percevait en dernier un salaire mensuel moyen brut de 25 685 euros.
Ce contrat de travail a été rompu d'un commun accord des parties le 30 août 2019.
Par requête du 31 juillet 2020, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de juger qu'il aurait dû être repositionné au sein de la société CACIB en France, de requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :
. dit que le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord entre des parties le 17 juillet 2005,
. dit que M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
. dit que M. [X] n'a pas subi de licenciement,
. débouté M. [X] de l'ensemble des demandes relatives à la rupture du contrat de travail, sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents, le bonus pour l'année 2019,
. dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
. et ainsi débouté M. [X] de ses demandes faites à ce titre,
. dit que la société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X],
. et ainsi, débouté M. [X] de ses demandes à titre,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
. reçu la société Crédit Agricole CIB en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles mais l'en a débouté.
Par déclaration adressée au greffe le 14 mars 2023, le salarié a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 17 décembre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [X] demande à la cour de :
A titre principal :
. Infirmer le jugement du conseil de Boulogne Billancourt en ce qu'il a :
. dit que le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord le 17 juillet 2005,
. dit que M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
. dit que M. [X] n'a pas subi de licenciement,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents, le bonus pour l'année 2019,
. dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
. débouté M. [X] de ses demandes faites au titre du préjudice retraite,
. dit que la Société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X],
. débouté M. [X] de ses demandes au titre de l'obligation de rapatriement et de réintégration de la société Crédit Agricole CIB à son égard,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
. reçu la société Crédit Agricole CIB en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.
Statuant à nouveau,
A titre principal :
. juger que le lien de subordination entre M. [X] et la Société n'a jamais cessé d'exister et qu'en conséquence ses demandes ne sont pas prescrites conformément aux dispositions de l'article L1231-5 du code du travail
. juger que M. [X] aurait dû être repositionné en France,
. juger que M. [X] a fait l'objet d'un licenciement de fait qui doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 423 814,21 euros nets de charges sociales, de CSG/CRDS et de prélèvement à la source à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 211 633,09 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 77 057,13 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 7 705,71 euros bruts au titre des congés payés inhérents,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 120 000 euros bruts au titre du bonus pour l'année 2019,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 12 000 euros bruts au titre des congés payés inhérents,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 100 000 euros nets de charges sociales, de CSG/CRDS et de prélèvement à la source à titre de dommages et intérêts compte tenu du caractère abusif de la rupture et du préjudice moral subi,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] une somme à hauteur de 958 740 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu du préjudice de retraite subi, à titre principal et à 555 740 euros à titre subsidiaire
. ordonner les intérêts légaux sur la décision à intervenir et la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
. condamner la Société CA CIB aux entiers dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Crédit Agricole corporate and investment bank (la CACIB) demande à la cour de :
. Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que :
. le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord des parties le 17 juillet 2005 ;
. M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail;
. M. [X] n'a pas subi de licenciement;
. débouté M. [X] de l'ensemble des demandes relatives :
. à la rupture du contrat de travail,
. sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle
. l'indemnité conventionnelle de licenciement,
. l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents
. le bonus pour l'année 2019 ;
. les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites et qu'ainsi M. [X] doit être débouté de ses demandes faites à ce titre ;
. la société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X] et ainsi, déboute M. [X] de ses demandes à ce titre;
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
En conséquence :
A titre principal
. Juger irrecevable l'action de Monsieur [X] à l'encontre de la société Crédit Agricole CIB compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail;
A titre subsidiaire
. Dire et juger que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer à la relation de travail entre Crédit Agricole CIB et Monsieur [X] ;
. Dire et juger que seule la loi Hongkongaise est applicable à la relation de travail entre M. [X] et la société Crédit Agricole CIB ;
. Constater l'absence de tout fondement juridique en droit Hongkongais apporté par M. [X] au soutien de ses demandes ;
MOTIFS
Sur la prescription de l'action engagée par M. [X] contre la société CACIB
A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement qui a retenu la prescription de ses demandes à l'encontre de la société SA CACIB, le salarié expose que le lien de subordination entre lui et la société CACIB n'a jamais cessé d'exister, que ce contrat n'a jamais fait l'objet d'une rupture en tant que telle, aucun des modes de rupture visés par les articles L. 1231-1 à L. 1238-5 n'ayant été mis en 'uvre, qu'en conséquence ses demandes ne sont pas prescrites. Il fait valoir qu'en cas de licenciement par la filiale, comme c'est le cas en l'espèce, la société-mère doit rapatrier le salarié ou le repositionner dans un emploi équivalent, ce qui n'a pas été le cas après son licenciement par la filiale [Localité 6] de la société CACIB, dans le cadre duquel il a dû signer un accord transactionnel sous la contrainte. Il soutient que l'article L. 1235-1 du code du travail a vocation à s'appliquer et que la société SA CACIB ne peut se prévaloir du contrat de travail conclu avec la succursale [Localité 6] pour justifier son manquement à ses obligations au droit du travail français. Il ajoute qu'après vingt années au service de CACIB, il a fait l'objet d'un licenciement intervenu de façon abusive, dans le cadre d'une soit-disant réorganisation, cette rupture lui ayant été indéniablement préjudiciable en terme de droits à la retraite, et que son action à ce titre n'est pas prescrite car le point de départ de la prescription ne court qu'à compter du jour de liquidation de la retraite par le salarié et non avant.
La société CACIB objecte que le contrat de travail de droit français a été rompu d'un commun accord entre les parties le 17 mai 2005 suite à l'acceptation par M. [X] d'un contrat de travail avec sa succursale [Localité 7], la société CALYON Securities, portant sur un poste auquel il a postulé dans le cadre d'une démarche personnelle d'évolution professionnelle, que ce contrat de droit américain a été rompu en 2011, et lui a succédé un contrat de travail de droit hongkongais avec la succursale [Localité 6], également rompu le 1er décembre 2019 conformément au droit local applicable, dans le cadre d'un accord transactionnel, que les demandes relatives au contrat de travail de droit français sont donc prescrites. La société ajoute qu'elle n'avait aucune obligation de rapatriement du salarié car il n'a pas été expatrié à [Localité 7] puis [Localité 6] mais il a pris l'initiative, dans le cadre de son déroulement de carrière, de postuler à ces postes qu'il a occupés dans le cadre de contrats de travail de droit étranger, moyennant des conditions de rémunération qu'il a lui-même négociées, et qui ont été valablement rompus.
**
D'abord, il était constant, en l'état du droit antérieur à l'introduction d'un nouveau mode de rupture, désigné comme la rupture conventionnelle, réglementé dans le code du travail à la suite d'une loi du 25 juin 2008, elle-même consécutive à un accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, que le contrat de travail peut prendre fin, non seulement par un licenciement ou par une démission, mais encore du commun accord des parties. (Soc., 2 décembre 2003, pourvoi n° 01-46.176, Bull. 2003, V, n° 308).
Il résulte désormais de la combinaison des articles L.1231-1 issu de la loi du 25 juin 2008, et L.1237-11 du code du travail que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par le second, relatif à la rupture conventionnelle. (cf Soc., 15 octobre 2014, pourvoi n° 11-22.251, Bull. 2014, V, n° 241). Toutefois la loi précitée n'était pas encore en vigueur en 2005.
Ensuite, l'article L.1231-5 du code du travail prévoit que « Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.
Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement. ».
Alors qu'une filiale est dotée d'une personnalité juridique propre, une succursale n'a pas de personnalité juridique distincte; il s'agit d'un simple établissement de l'entreprise, dont elle est une émanation, et qui ne dispose pas, sur un plan juridique, de patrimoine propre.
Il ressort des pièces produites par les parties que :
- M. [X] a été engagé par la société Crédit Lyonnais le 8 septembre 1997 en qualité d'auditeur interne, et il n'est pas contesté que, lors du rachat par la société Crédit Agricole du Crédit Lyonnais, au début des années 2000, ce contrat de travail a été transféré au sein de la société CALYON corporate et investment bank (devenue SA CACIB en 2010),
- contrairement à ce que soutient le salarié, ce contrat a été rompu d'un commun accord à compter du 17 juillet 2005, ainsi que l'établit l'employeur par la production de la lettre du 30 juin 2005 signée par le salarié le 4 juillet 2005. Cette lettre indique « nous avons le plaisir de vous confirmer notre accord concernant votre décision de devenir salarié de CALYON [Localité 7] à compter du 18 juillet 2005, Il est entendu que votre ancienneté acquise dans notre groupe depuis le 8 septembre 1997 sera intégralement reprise et que vous serez dispensé de période d'essai. D'un commun accord nous mettons donc fin à votre contrat avec CALYON [Localité 8] le 17 juillet 2005. Nous vous adresserons dans les meilleurs délais votre solde de tout compte ainsi que votre certificat de travail. (') Avec tous nos v'ux de succès dans la poursuite de votre carrière (...)»,
- M. [X] avait en effet reçu le 21 avril 2005 une promesse d'embauche au sein de la société « CALYON Securities, Crédit agricole group », succursale de CALYON à [Localité 7], pour un poste de « head of ICC & Treasury Support, director » niveau E6, et il n'est pas contesté qu'un contrat de travail a été conclu entre les parties conformément à cette promesse, avec reprise de l'ancienneté acquise au sein des sociétés du groupe Crédit agricole,
- par courriel du 26 octobre 2010 adressé à ses interlocuteurs américains au sein de la société CALYON securities, il indique que « vous devez savoir que je déménage à [Localité 6] au début de l'an prochain. Je suis déjà en contact avec les ressources humaines de [Localité 6]. Avec qui puis-je échanger à ce sujet à [Localité 7] ' »,
- M. [X] avait en effet été engagé par contrat de travail du 20 octobre 2010 au sein du « Crédit agricole corporate and investment Bank - [Localité 6] branch », la succursale [Localité 6] de la société SA CACIB, en tant « business manager, IRD Asia ex-Japon », avec reprise de l'ancienneté acquise au sein des sociétés du groupe CACIB,
- par courriel du 24 juin 2019 adressé à des salariés du groupe CACIB il a candidaté à un poste « de « Country COO » pour la Corée »,
- par des courriels dans lesquels, entre avril et juillet 2019, M. [X] échange avec M. [I], « Head of HR for Asia Pacific at Crédit agricole CIB », basé à [Localité 6], sur différentes offres de poste qui pourraient l'intéresser, le salarié indique par exemple le 29 juin à M. [I] qui l'interroge sur une offre, que « cette offre ne correspond pas à ce que je recherche. Par ailleurs j'ai eu un entretien avec [Z] [D] la semaine dernière pour le rôle de COO en Corée. Et je parle à [O] [J] ce mercredi. Je suis aussi dans l'attente d'un retour sur le ALM à [Localité 6] »,
- le dernier contrat, conclu avec CACIB [Localité 6], a été rompu le 30 août 2019 dans le cadre d'un accord transactionnel prévoyant notamment le paiement par l'employeur d'une « indemnité de licenciement statutaire » de 333 452,05 dollars de [Localité 6], et d'une indemnité de départ discrétionnaire de 1 766 547,95 dollars de [Localité 6], la cour relevant que la nullité de cet accord transactionnel n'est pas sollicitée ni même invoquée par M. [X], lequel a retourné la lettre de rupture signée le 6 septembre 2019,
- par courriel du 5 septembre 2019, M. [X] a indiqué à M. [I], que « malgré mes nombreuses relances la Banque ignore tout simplement l'article L.1235-1 du code du travail qui garantit pourtant mon rapatriement et la fourniture d'un emploi équivalent en France compte tenu de mon précédent emploi en qualité d'employé du groupe Crédit agricole en France de septembre 1997 à juillet 2005 ».
En premier lieu, il se déduit de ces différentes pièces et documents contractuels l'existence d'une rupture d'un commun accord des parties, en juillet 2005, du contrat de travail de droit français conclu entre M. [X] et la société CALYON, après la formation, en avril 2005, d'un nouveau contrat de travail, de droit américain, avec la succursale américaine, la société CALYON Securities, en dehors de toute convention de détachement ou d'expatriation. La cour relève d'ailleurs que, dans son courriel précité du 5 septembre 2019, le salarié se prévaut de sa qualité d'employé du groupe Crédit agricole en France au regard de son emploi entre 1997 et 2005 pour invoquer son obligation de rapatriement, mais n'y invoque pas le contrat de droit américain conclu avec CALYON Securities.
La cour relève que les allégations du salarié selon lesquelles il n'a pas été à l'initiative des changements d'affectation qu'il a connus dans le cadre de sa carrière et qu'il s'agissait d'un poste créé pour lui à [Localité 7] par son employeur, sont dépourvues d'offre de preuve. Le fait que Mme [Y] soit mentionnée sur les évaluations produites comme étant sa supérieure hiérarchique en 2003 puis à nouveau en 2008 et 2010, ne suffit pas à caractériser l'absence de rupture d'un commun accord de son contrat et l'existence d'un maintien du lien de subordination, dès lors que Mme [Y] a pu elle-aussi évoluer professionnellement de [Localité 8] à [Localité 7], et qu'en tout état de cause, la société [Localité 7] puis [Localité 6] n'était qu'une succursale de la société CACIB basée à [Localité 8], qui était donc fondée à ce titre à connaître des entretiens d'évaluation annuel du salarié de ses succursales et à connaître de son activité dans le cadre des opérations relevant de la ligne métier dans laquelle M. [X] exerçait.
Le seul fait que M. [X], qui n'invoque pas l'existence d'un coemploi, ait continué à travailler au sein de la même ligne métier dans le cadre de ses emplois successifs ne suffit pas à caractériser le maintien d'un lien de subordination, par l'existence d'un pouvoir de direction de la société CACIB en France. La date d'ancienneté reprise dans ses contrats de travail successifs ne caractérise pas davantage le maintien d'un lien de subordination avec la société CACIB, mais relève seulement d'une négociation entre les parties successives, laquelle a permis à M. [X] de bénéficier, lors de la rupture de son dernier contrat de travail, d'une indemnité de rupture calculée sur la base de cette ancienneté remontant à son premier contrat.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que le contrat de travail de droit français conclu entre Crédit Agricole CIB, venant aux droit de CALYON, et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord entre les parties le 17 juillet 2005.
En second lieu, de la même façon, après la rupture d'un commun accord des parties, en octobre 2010, du contrat de travail de droit américain conclu entre M. [X] et la société CALYON Securities, un nouveau contrat de travail a été conclu directement par le salarié avec la succursale [Localité 6] de la société CACIB, en dehors de toute convention de détachement ou d'expatriation.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que, contrairement à ce que soutient le salarié, dès lors qu'il n'a pas été mis à disposition par la société SA CACIB d'une de ses filiales, mais qu'après avoir rompu le contrat qui la liait à elle (alors dénommée CALYON), il a conclu de son propre chef de nouveaux contrats de travail successivement avec ses succursales [Localité 7], puis [Localité 6], les dispositions de l'article L. 1231-5 précité ne sont pas applicables au litige.
En effet, ces dispositions ne sont applicables que lorsque la mise à disposition de la filiale étrangère est faite par la société mère, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la société CALYON Securities étant une succursale de CACIB, au même titre que la société CACIB [Localité 6], et la relation de travail avec la société CACIB ayant été rompue en 2005, par une rupture d'un commun accord des parties.
Lors de cette rupture du contrat de travail d'un commun accord le 17 juillet 2005, le délai de prescription applicable à l'action engagée par le salarié en contestation de la rupture d'un contrat de travail intervenue d'un commun accord était alors le délai de prescription de droit commun, prévu à l'article 2224 du code civil. Cependant, l'ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié l'article L. 1471-1 du code du travail, qui énonce désormais que « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois à compter de la notification de la rupture ».
Or, M. [X], qui, en application de l'article 40-II de l'ordonnance précitée, avait donc jusqu'au 24 septembre 2018 pour engager son action portant sur la rupture de son contrat de travail de droit français n'a saisi le conseil de prud'hommes à l'encontre de la société SA CACIB que par une requête du 31 juillet 2020.
Il en résulte que l'action de M. [X] engagée à l'encontre de la société SA CACIB aux fins de voir juger que le lien de subordination avec elle n'a jamais cessé d'exister, qu'il aurait dû être repositionné en France et qu'il a fait l'objet d'un licenciement de fait qui doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont prescrites, de même que les demandes afférentes à la requalification de la rupture.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il dit qu'est irrecevable comme prescrite l'action de M. [X] s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
Sur la prescription de la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi
Le manquement par l'employeur à son obligation de payer les cotisations aux régimes d'assurance de retraite du salarié constitue une faute qui cause à ce dernier un préjudice résultant de la perte de ses droits aux prestations correspondant aux cotisations non versées.
L'action en responsabilité d'un salarié contre son employeur qui n'a pas versé les cotisations aux organismes de retraite est une action en responsabilité civile contractuelle, qui était soumise au délai de prescription de droit commun de trente ans de l'article 2262 du code civil, et se prescrit donc par cinq ans en application des dispositions de l'article 2224 du code civil depuis la loi de 2008 pour les actions engagées, comme en l'espèce, après le 19 juin 2013 (Soc., 23 novembre 2022, pourvoi n° 21-19.611).
Il est ainsi désormais constant que l'action qui tend non pas à obtenir l'exécution d'une créance née du contrat de travail, mais la réparation d'un préjudice causé par la faute de l'employeur, pour manquement à ses obligations en terme d'affiliation à un régime de retraite complémentaire, ne s'analyse pas en une action relative à l'exécution du contrat de travail mais en une action en responsabilité civile soumise à la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil (Soc., 11 juillet 2018 n°16.20.029 ; Soc., 3 avril 2019 n°17-15.568).
Le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite (Soc., 1er avril 1997, bull n° 130), sans que puissent y faire obstacle l'article 2232 du code civil (cf. Soc., 3 avril 2019 n°17-15.568).
Le préjudice né de la perte de droit à la retraite n'acquiert son caractère certain qu'à la date de la liquidation des droits. La connaissance antérieure de l'absence ou de l'insuffisance des cotisations n'est dès lors pas de nature à faire courir la prescription de l'action en responsabilité, dans la mesure où ce préjudice n'a été révélé qu'à cette date. ( Soc., 26 avril 2006, pourvoi n 03-47.525, Bull. 2006, V, n 146 ; cf également Soc., 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-17.847, diffusé).
Au cas d'espèce, M. [X] établit avoir fait appel à un actuaire pour évaluer son préjudice résultant, selon lui, du défaut d'affiliation au régime de retraite français et de règlement par la société SA CACIB des cotisations qui en découlent depuis juillet 2005. Il produit à ce titre une pièce 26 intitulée « étude retraite internationale » datée du 31 août 2021 dont il résulte qu'il « ne pourra prendre sa retraite au taux plein qu'à l'âge du taux plein automatique c'est à dire 67 ans alors qu'il aurait pu bénéficier du taux plein dès l'âge de 65 ans si son employeur avait cotisé pour lui à la CFE ».
Il n'est pas contesté que, au regard de son âge et du fait qu'il est encore en activité, dans le cadre d'un contrat de travail conclu en 2021 avec la société Natixis, M. [X], qui a eu connaissance en juillet 2005 de la fin de son affiliation au régime de retraite français, n'a pas encore reçu à ce jour la notification de liquidation de ses droits à la retraite, qui constitue le point de départ du délai de prescription, laquelle n'a donc pas encore commencé à courir.
Sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi, formée alors qu'il n'a pas encore liquidé ses droits à la retraite, n'est donc pas prescrite, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi
L'employeur est tenu à une obligation prétorienne d'informer le salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son expatriation (Soc., 25 janvier 2012, pourvoi n° 11-11.374, Bull. 2012, V, n°19 ; Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n°11-23.706 ; Soc., 11 décembre 2015, pourvoi n° 14-13.875, 14-13.876). Cette information doit intervenir avant le départ du salarié (Soc., 19 juin 2013, pourvoi n°12-17.980).
Le manquement de l'employeur à son obligation d'information du salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son expatriation est de nature à causer au salarié un préjudice consistant en une perte de chance de s'assurer volontairement contre le risque vieillesse (Soc., 25 janvier 2012, pourvoi n°11-11.374, Bull. 2012, V, n 19 ; Soc., 11 décembre 2015, pourvoi n°14-13.875, 14-13.876).
La réparation du dommage en résultant ne peut être que partielle , et doit être mesurée à la chance perdue et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (1re Civ., 16 juillet 1998, pourvoi n°96-15.380, Bull. 1998, I, n°260 ; Soc., 18 mai 2011, pourvoi n°09-42.741, Bull. 2011, V, n°119 ; Soc., 3 avril 2019, pourvoi n°17-18.095). Les juges du fond sont souverains pour calculer la probabilité que l'événement se réalise (1re Civ., 1 février 2005, pourvoi n°03-15.740, Bull. 2005, I, n° 54).
En l'espèce, il n'est pas contesté par le salarié qu'en vertu du principe de territorialité, il ne relevait pas de l'obligation légale d'affiliation au régime général de la sécurité sociale. Il a été précédemment retenu que M. [X] n'a fait l'objet d'aucune convention de détachement ou d'expatriation de la part de la société CACIB, qui n'était donc pas tenue à son égard de l'obligation d'information qu'elle doit à ses salariés expatriés, avant leur départ en expatriation.
En outre, ainsi que l'admet d'ailleurs le salarié dans ses écritures, il a reçu l'information concernant sa possibilité de continuer à cotiser au régime de sécurité sociale en France au lieu et place du régime de retraite local, cette information étant contenue dans sa lettre d'engagement à [Localité 7].
De la même façon, la mention l'informant de sa possibilité de cotiser au régime local figure dans son contrat de travail de droit hongkongais avec la succursale à [Localité 6], et ses bulletins de paie (payroll) ne mentionnent pas de précomptes de cotisations AGIRC-ARRCO.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute M. [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [X], partie succombante.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
Statuant à nouveau du seul chef infirmé, et y ajoutant,
DIT que la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi n'est pas prescrite,
DEBOUTE M. [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marcinek, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 MARS 2025
N° RG 23/00715
N° Portalis DBV3-V-B7H-VXP6
AFFAIRE :
[T] [X]
C/
Société CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-
BILLANCOURT
Section : E
N° RG : F 20/00891
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Aurélie FOURNIER
Me Chantal DE CARFORT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [X]
né le 4 octobre 1970 à [Localité 5]
de nationalité française
domicilié au cabinet de Me Aurélie Fournier,
Cabinet PJM Avocats
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Aurélie FOURNIER de la SELEURL AURELIE FOURNIER AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0372
APPELANT
****************
Société CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
N° SIRET: 304 187 701
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462
Plaidant : Me Philippe ROGEZ de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L301
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [X] a été engagé par la société Crédit Lyonnais, en qualité d'auditeur interne, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 8 septembre 1997.
La société Crédit lyonnais a été rachetée au début des années 2000 par la société Crédit agricole, à laquelle le contrat de travail de M. [X] a été transféré, au sein de la société CALYON, devenue par la suite Crédit agricole CIB (la société CACIB).
Cette société est la banque d'investissement et de financement du groupe Crédit agricole. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale de la banque.
M. [X] a été engagé à compter du 17 juillet 2005 en qualité de « head of ICC & Treasury Support, director » niveau E6, par la société CALYON Securities, succursale [Localité 7] de la société CALYON.
M. [X] a été ensuite engagé en qualité de business manager, à compter du 1er février 2011 par la succursale basée à [Localité 6] de la société CACIB. Le 16 octobre 2015, il a été promu au poste de « regional chief operating officer for Asia Pacific, global markets division », et il percevait en dernier un salaire mensuel moyen brut de 25 685 euros.
Ce contrat de travail a été rompu d'un commun accord des parties le 30 août 2019.
Par requête du 31 juillet 2020, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de juger qu'il aurait dû être repositionné au sein de la société CACIB en France, de requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 15 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :
. dit que le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord entre des parties le 17 juillet 2005,
. dit que M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
. dit que M. [X] n'a pas subi de licenciement,
. débouté M. [X] de l'ensemble des demandes relatives à la rupture du contrat de travail, sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents, le bonus pour l'année 2019,
. dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
. et ainsi débouté M. [X] de ses demandes faites à ce titre,
. dit que la société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X],
. et ainsi, débouté M. [X] de ses demandes à titre,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
. reçu la société Crédit Agricole CIB en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles mais l'en a débouté.
Par déclaration adressée au greffe le 14 mars 2023, le salarié a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 17 décembre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [X] demande à la cour de :
A titre principal :
. Infirmer le jugement du conseil de Boulogne Billancourt en ce qu'il a :
. dit que le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord le 17 juillet 2005,
. dit que M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
. dit que M. [X] n'a pas subi de licenciement,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents, le bonus pour l'année 2019,
. dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
. débouté M. [X] de ses demandes faites au titre du préjudice retraite,
. dit que la Société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X],
. débouté M. [X] de ses demandes au titre de l'obligation de rapatriement et de réintégration de la société Crédit Agricole CIB à son égard,
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
. reçu la société Crédit Agricole CIB en l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.
Statuant à nouveau,
A titre principal :
. juger que le lien de subordination entre M. [X] et la Société n'a jamais cessé d'exister et qu'en conséquence ses demandes ne sont pas prescrites conformément aux dispositions de l'article L1231-5 du code du travail
. juger que M. [X] aurait dû être repositionné en France,
. juger que M. [X] a fait l'objet d'un licenciement de fait qui doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 423 814,21 euros nets de charges sociales, de CSG/CRDS et de prélèvement à la source à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 211 633,09 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 77 057,13 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 7 705,71 euros bruts au titre des congés payés inhérents,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 120 000 euros bruts au titre du bonus pour l'année 2019,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 12 000 euros bruts au titre des congés payés inhérents,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 100 000 euros nets de charges sociales, de CSG/CRDS et de prélèvement à la source à titre de dommages et intérêts compte tenu du caractère abusif de la rupture et du préjudice moral subi,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] une somme à hauteur de 958 740 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu du préjudice de retraite subi, à titre principal et à 555 740 euros à titre subsidiaire
. ordonner les intérêts légaux sur la décision à intervenir et la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
. condamner la Société CA CIB à verser à M. [X] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
. condamner la Société CA CIB aux entiers dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Crédit Agricole corporate and investment bank (la CACIB) demande à la cour de :
. Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que :
. le contrat de travail conclu entre Crédit Agricole CIB et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord des parties le 17 juillet 2005 ;
. M. [X] est irrecevable compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail;
. M. [X] n'a pas subi de licenciement;
. débouté M. [X] de l'ensemble des demandes relatives :
. à la rupture du contrat de travail,
. sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse dont les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle
. l'indemnité conventionnelle de licenciement,
. l'indemnité de préavis ainsi que les congés payés afférents
. le bonus pour l'année 2019 ;
. les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites et qu'ainsi M. [X] doit être débouté de ses demandes faites à ce titre ;
. la société Crédit Agricole CIB n'était soumise à aucune obligation de rapatriement et de réintégration de M. [X] et ainsi, déboute M. [X] de ses demandes à ce titre;
. débouté M. [X] de l'ensemble de ses autres demandes,
En conséquence :
A titre principal
. Juger irrecevable l'action de Monsieur [X] à l'encontre de la société Crédit Agricole CIB compte tenu de la prescription de son action s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail;
A titre subsidiaire
. Dire et juger que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer à la relation de travail entre Crédit Agricole CIB et Monsieur [X] ;
. Dire et juger que seule la loi Hongkongaise est applicable à la relation de travail entre M. [X] et la société Crédit Agricole CIB ;
. Constater l'absence de tout fondement juridique en droit Hongkongais apporté par M. [X] au soutien de ses demandes ;
MOTIFS
Sur la prescription de l'action engagée par M. [X] contre la société CACIB
A l'appui de sa demande d'infirmation du jugement qui a retenu la prescription de ses demandes à l'encontre de la société SA CACIB, le salarié expose que le lien de subordination entre lui et la société CACIB n'a jamais cessé d'exister, que ce contrat n'a jamais fait l'objet d'une rupture en tant que telle, aucun des modes de rupture visés par les articles L. 1231-1 à L. 1238-5 n'ayant été mis en 'uvre, qu'en conséquence ses demandes ne sont pas prescrites. Il fait valoir qu'en cas de licenciement par la filiale, comme c'est le cas en l'espèce, la société-mère doit rapatrier le salarié ou le repositionner dans un emploi équivalent, ce qui n'a pas été le cas après son licenciement par la filiale [Localité 6] de la société CACIB, dans le cadre duquel il a dû signer un accord transactionnel sous la contrainte. Il soutient que l'article L. 1235-1 du code du travail a vocation à s'appliquer et que la société SA CACIB ne peut se prévaloir du contrat de travail conclu avec la succursale [Localité 6] pour justifier son manquement à ses obligations au droit du travail français. Il ajoute qu'après vingt années au service de CACIB, il a fait l'objet d'un licenciement intervenu de façon abusive, dans le cadre d'une soit-disant réorganisation, cette rupture lui ayant été indéniablement préjudiciable en terme de droits à la retraite, et que son action à ce titre n'est pas prescrite car le point de départ de la prescription ne court qu'à compter du jour de liquidation de la retraite par le salarié et non avant.
La société CACIB objecte que le contrat de travail de droit français a été rompu d'un commun accord entre les parties le 17 mai 2005 suite à l'acceptation par M. [X] d'un contrat de travail avec sa succursale [Localité 7], la société CALYON Securities, portant sur un poste auquel il a postulé dans le cadre d'une démarche personnelle d'évolution professionnelle, que ce contrat de droit américain a été rompu en 2011, et lui a succédé un contrat de travail de droit hongkongais avec la succursale [Localité 6], également rompu le 1er décembre 2019 conformément au droit local applicable, dans le cadre d'un accord transactionnel, que les demandes relatives au contrat de travail de droit français sont donc prescrites. La société ajoute qu'elle n'avait aucune obligation de rapatriement du salarié car il n'a pas été expatrié à [Localité 7] puis [Localité 6] mais il a pris l'initiative, dans le cadre de son déroulement de carrière, de postuler à ces postes qu'il a occupés dans le cadre de contrats de travail de droit étranger, moyennant des conditions de rémunération qu'il a lui-même négociées, et qui ont été valablement rompus.
**
D'abord, il était constant, en l'état du droit antérieur à l'introduction d'un nouveau mode de rupture, désigné comme la rupture conventionnelle, réglementé dans le code du travail à la suite d'une loi du 25 juin 2008, elle-même consécutive à un accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, que le contrat de travail peut prendre fin, non seulement par un licenciement ou par une démission, mais encore du commun accord des parties. (Soc., 2 décembre 2003, pourvoi n° 01-46.176, Bull. 2003, V, n° 308).
Il résulte désormais de la combinaison des articles L.1231-1 issu de la loi du 25 juin 2008, et L.1237-11 du code du travail que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par le second, relatif à la rupture conventionnelle. (cf Soc., 15 octobre 2014, pourvoi n° 11-22.251, Bull. 2014, V, n° 241). Toutefois la loi précitée n'était pas encore en vigueur en 2005.
Ensuite, l'article L.1231-5 du code du travail prévoit que « Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables.
Le temps passé par le salarié au service de la filiale est alors pris en compte pour le calcul du préavis et de l'indemnité de licenciement. ».
Alors qu'une filiale est dotée d'une personnalité juridique propre, une succursale n'a pas de personnalité juridique distincte; il s'agit d'un simple établissement de l'entreprise, dont elle est une émanation, et qui ne dispose pas, sur un plan juridique, de patrimoine propre.
Il ressort des pièces produites par les parties que :
- M. [X] a été engagé par la société Crédit Lyonnais le 8 septembre 1997 en qualité d'auditeur interne, et il n'est pas contesté que, lors du rachat par la société Crédit Agricole du Crédit Lyonnais, au début des années 2000, ce contrat de travail a été transféré au sein de la société CALYON corporate et investment bank (devenue SA CACIB en 2010),
- contrairement à ce que soutient le salarié, ce contrat a été rompu d'un commun accord à compter du 17 juillet 2005, ainsi que l'établit l'employeur par la production de la lettre du 30 juin 2005 signée par le salarié le 4 juillet 2005. Cette lettre indique « nous avons le plaisir de vous confirmer notre accord concernant votre décision de devenir salarié de CALYON [Localité 7] à compter du 18 juillet 2005, Il est entendu que votre ancienneté acquise dans notre groupe depuis le 8 septembre 1997 sera intégralement reprise et que vous serez dispensé de période d'essai. D'un commun accord nous mettons donc fin à votre contrat avec CALYON [Localité 8] le 17 juillet 2005. Nous vous adresserons dans les meilleurs délais votre solde de tout compte ainsi que votre certificat de travail. (') Avec tous nos v'ux de succès dans la poursuite de votre carrière (...)»,
- M. [X] avait en effet reçu le 21 avril 2005 une promesse d'embauche au sein de la société « CALYON Securities, Crédit agricole group », succursale de CALYON à [Localité 7], pour un poste de « head of ICC & Treasury Support, director » niveau E6, et il n'est pas contesté qu'un contrat de travail a été conclu entre les parties conformément à cette promesse, avec reprise de l'ancienneté acquise au sein des sociétés du groupe Crédit agricole,
- par courriel du 26 octobre 2010 adressé à ses interlocuteurs américains au sein de la société CALYON securities, il indique que « vous devez savoir que je déménage à [Localité 6] au début de l'an prochain. Je suis déjà en contact avec les ressources humaines de [Localité 6]. Avec qui puis-je échanger à ce sujet à [Localité 7] ' »,
- M. [X] avait en effet été engagé par contrat de travail du 20 octobre 2010 au sein du « Crédit agricole corporate and investment Bank - [Localité 6] branch », la succursale [Localité 6] de la société SA CACIB, en tant « business manager, IRD Asia ex-Japon », avec reprise de l'ancienneté acquise au sein des sociétés du groupe CACIB,
- par courriel du 24 juin 2019 adressé à des salariés du groupe CACIB il a candidaté à un poste « de « Country COO » pour la Corée »,
- par des courriels dans lesquels, entre avril et juillet 2019, M. [X] échange avec M. [I], « Head of HR for Asia Pacific at Crédit agricole CIB », basé à [Localité 6], sur différentes offres de poste qui pourraient l'intéresser, le salarié indique par exemple le 29 juin à M. [I] qui l'interroge sur une offre, que « cette offre ne correspond pas à ce que je recherche. Par ailleurs j'ai eu un entretien avec [Z] [D] la semaine dernière pour le rôle de COO en Corée. Et je parle à [O] [J] ce mercredi. Je suis aussi dans l'attente d'un retour sur le ALM à [Localité 6] »,
- le dernier contrat, conclu avec CACIB [Localité 6], a été rompu le 30 août 2019 dans le cadre d'un accord transactionnel prévoyant notamment le paiement par l'employeur d'une « indemnité de licenciement statutaire » de 333 452,05 dollars de [Localité 6], et d'une indemnité de départ discrétionnaire de 1 766 547,95 dollars de [Localité 6], la cour relevant que la nullité de cet accord transactionnel n'est pas sollicitée ni même invoquée par M. [X], lequel a retourné la lettre de rupture signée le 6 septembre 2019,
- par courriel du 5 septembre 2019, M. [X] a indiqué à M. [I], que « malgré mes nombreuses relances la Banque ignore tout simplement l'article L.1235-1 du code du travail qui garantit pourtant mon rapatriement et la fourniture d'un emploi équivalent en France compte tenu de mon précédent emploi en qualité d'employé du groupe Crédit agricole en France de septembre 1997 à juillet 2005 ».
En premier lieu, il se déduit de ces différentes pièces et documents contractuels l'existence d'une rupture d'un commun accord des parties, en juillet 2005, du contrat de travail de droit français conclu entre M. [X] et la société CALYON, après la formation, en avril 2005, d'un nouveau contrat de travail, de droit américain, avec la succursale américaine, la société CALYON Securities, en dehors de toute convention de détachement ou d'expatriation. La cour relève d'ailleurs que, dans son courriel précité du 5 septembre 2019, le salarié se prévaut de sa qualité d'employé du groupe Crédit agricole en France au regard de son emploi entre 1997 et 2005 pour invoquer son obligation de rapatriement, mais n'y invoque pas le contrat de droit américain conclu avec CALYON Securities.
La cour relève que les allégations du salarié selon lesquelles il n'a pas été à l'initiative des changements d'affectation qu'il a connus dans le cadre de sa carrière et qu'il s'agissait d'un poste créé pour lui à [Localité 7] par son employeur, sont dépourvues d'offre de preuve. Le fait que Mme [Y] soit mentionnée sur les évaluations produites comme étant sa supérieure hiérarchique en 2003 puis à nouveau en 2008 et 2010, ne suffit pas à caractériser l'absence de rupture d'un commun accord de son contrat et l'existence d'un maintien du lien de subordination, dès lors que Mme [Y] a pu elle-aussi évoluer professionnellement de [Localité 8] à [Localité 7], et qu'en tout état de cause, la société [Localité 7] puis [Localité 6] n'était qu'une succursale de la société CACIB basée à [Localité 8], qui était donc fondée à ce titre à connaître des entretiens d'évaluation annuel du salarié de ses succursales et à connaître de son activité dans le cadre des opérations relevant de la ligne métier dans laquelle M. [X] exerçait.
Le seul fait que M. [X], qui n'invoque pas l'existence d'un coemploi, ait continué à travailler au sein de la même ligne métier dans le cadre de ses emplois successifs ne suffit pas à caractériser le maintien d'un lien de subordination, par l'existence d'un pouvoir de direction de la société CACIB en France. La date d'ancienneté reprise dans ses contrats de travail successifs ne caractérise pas davantage le maintien d'un lien de subordination avec la société CACIB, mais relève seulement d'une négociation entre les parties successives, laquelle a permis à M. [X] de bénéficier, lors de la rupture de son dernier contrat de travail, d'une indemnité de rupture calculée sur la base de cette ancienneté remontant à son premier contrat.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que le contrat de travail de droit français conclu entre Crédit Agricole CIB, venant aux droit de CALYON, et M. [X] a été valablement rompu d'un commun accord entre les parties le 17 juillet 2005.
En second lieu, de la même façon, après la rupture d'un commun accord des parties, en octobre 2010, du contrat de travail de droit américain conclu entre M. [X] et la société CALYON Securities, un nouveau contrat de travail a été conclu directement par le salarié avec la succursale [Localité 6] de la société CACIB, en dehors de toute convention de détachement ou d'expatriation.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que, contrairement à ce que soutient le salarié, dès lors qu'il n'a pas été mis à disposition par la société SA CACIB d'une de ses filiales, mais qu'après avoir rompu le contrat qui la liait à elle (alors dénommée CALYON), il a conclu de son propre chef de nouveaux contrats de travail successivement avec ses succursales [Localité 7], puis [Localité 6], les dispositions de l'article L. 1231-5 précité ne sont pas applicables au litige.
En effet, ces dispositions ne sont applicables que lorsque la mise à disposition de la filiale étrangère est faite par la société mère, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la société CALYON Securities étant une succursale de CACIB, au même titre que la société CACIB [Localité 6], et la relation de travail avec la société CACIB ayant été rompue en 2005, par une rupture d'un commun accord des parties.
Lors de cette rupture du contrat de travail d'un commun accord le 17 juillet 2005, le délai de prescription applicable à l'action engagée par le salarié en contestation de la rupture d'un contrat de travail intervenue d'un commun accord était alors le délai de prescription de droit commun, prévu à l'article 2224 du code civil. Cependant, l'ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié l'article L. 1471-1 du code du travail, qui énonce désormais que « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois à compter de la notification de la rupture ».
Or, M. [X], qui, en application de l'article 40-II de l'ordonnance précitée, avait donc jusqu'au 24 septembre 2018 pour engager son action portant sur la rupture de son contrat de travail de droit français n'a saisi le conseil de prud'hommes à l'encontre de la société SA CACIB que par une requête du 31 juillet 2020.
Il en résulte que l'action de M. [X] engagée à l'encontre de la société SA CACIB aux fins de voir juger que le lien de subordination avec elle n'a jamais cessé d'exister, qu'il aurait dû être repositionné en France et qu'il a fait l'objet d'un licenciement de fait qui doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont prescrites, de même que les demandes afférentes à la requalification de la rupture.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il dit qu'est irrecevable comme prescrite l'action de M. [X] s'agissant des demandes relatives à la rupture du contrat de travail.
Sur la prescription de la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi
Le manquement par l'employeur à son obligation de payer les cotisations aux régimes d'assurance de retraite du salarié constitue une faute qui cause à ce dernier un préjudice résultant de la perte de ses droits aux prestations correspondant aux cotisations non versées.
L'action en responsabilité d'un salarié contre son employeur qui n'a pas versé les cotisations aux organismes de retraite est une action en responsabilité civile contractuelle, qui était soumise au délai de prescription de droit commun de trente ans de l'article 2262 du code civil, et se prescrit donc par cinq ans en application des dispositions de l'article 2224 du code civil depuis la loi de 2008 pour les actions engagées, comme en l'espèce, après le 19 juin 2013 (Soc., 23 novembre 2022, pourvoi n° 21-19.611).
Il est ainsi désormais constant que l'action qui tend non pas à obtenir l'exécution d'une créance née du contrat de travail, mais la réparation d'un préjudice causé par la faute de l'employeur, pour manquement à ses obligations en terme d'affiliation à un régime de retraite complémentaire, ne s'analyse pas en une action relative à l'exécution du contrat de travail mais en une action en responsabilité civile soumise à la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil (Soc., 11 juillet 2018 n°16.20.029 ; Soc., 3 avril 2019 n°17-15.568).
Le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite (Soc., 1er avril 1997, bull n° 130), sans que puissent y faire obstacle l'article 2232 du code civil (cf. Soc., 3 avril 2019 n°17-15.568).
Le préjudice né de la perte de droit à la retraite n'acquiert son caractère certain qu'à la date de la liquidation des droits. La connaissance antérieure de l'absence ou de l'insuffisance des cotisations n'est dès lors pas de nature à faire courir la prescription de l'action en responsabilité, dans la mesure où ce préjudice n'a été révélé qu'à cette date. ( Soc., 26 avril 2006, pourvoi n 03-47.525, Bull. 2006, V, n 146 ; cf également Soc., 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-17.847, diffusé).
Au cas d'espèce, M. [X] établit avoir fait appel à un actuaire pour évaluer son préjudice résultant, selon lui, du défaut d'affiliation au régime de retraite français et de règlement par la société SA CACIB des cotisations qui en découlent depuis juillet 2005. Il produit à ce titre une pièce 26 intitulée « étude retraite internationale » datée du 31 août 2021 dont il résulte qu'il « ne pourra prendre sa retraite au taux plein qu'à l'âge du taux plein automatique c'est à dire 67 ans alors qu'il aurait pu bénéficier du taux plein dès l'âge de 65 ans si son employeur avait cotisé pour lui à la CFE ».
Il n'est pas contesté que, au regard de son âge et du fait qu'il est encore en activité, dans le cadre d'un contrat de travail conclu en 2021 avec la société Natixis, M. [X], qui a eu connaissance en juillet 2005 de la fin de son affiliation au régime de retraite français, n'a pas encore reçu à ce jour la notification de liquidation de ses droits à la retraite, qui constitue le point de départ du délai de prescription, laquelle n'a donc pas encore commencé à courir.
Sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi, formée alors qu'il n'a pas encore liquidé ses droits à la retraite, n'est donc pas prescrite, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi
L'employeur est tenu à une obligation prétorienne d'informer le salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son expatriation (Soc., 25 janvier 2012, pourvoi n° 11-11.374, Bull. 2012, V, n°19 ; Soc., 26 septembre 2012, pourvoi n°11-23.706 ; Soc., 11 décembre 2015, pourvoi n° 14-13.875, 14-13.876). Cette information doit intervenir avant le départ du salarié (Soc., 19 juin 2013, pourvoi n°12-17.980).
Le manquement de l'employeur à son obligation d'information du salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale pendant la durée de son expatriation est de nature à causer au salarié un préjudice consistant en une perte de chance de s'assurer volontairement contre le risque vieillesse (Soc., 25 janvier 2012, pourvoi n°11-11.374, Bull. 2012, V, n 19 ; Soc., 11 décembre 2015, pourvoi n°14-13.875, 14-13.876).
La réparation du dommage en résultant ne peut être que partielle , et doit être mesurée à la chance perdue et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (1re Civ., 16 juillet 1998, pourvoi n°96-15.380, Bull. 1998, I, n°260 ; Soc., 18 mai 2011, pourvoi n°09-42.741, Bull. 2011, V, n°119 ; Soc., 3 avril 2019, pourvoi n°17-18.095). Les juges du fond sont souverains pour calculer la probabilité que l'événement se réalise (1re Civ., 1 février 2005, pourvoi n°03-15.740, Bull. 2005, I, n° 54).
En l'espèce, il n'est pas contesté par le salarié qu'en vertu du principe de territorialité, il ne relevait pas de l'obligation légale d'affiliation au régime général de la sécurité sociale. Il a été précédemment retenu que M. [X] n'a fait l'objet d'aucune convention de détachement ou d'expatriation de la part de la société CACIB, qui n'était donc pas tenue à son égard de l'obligation d'information qu'elle doit à ses salariés expatriés, avant leur départ en expatriation.
En outre, ainsi que l'admet d'ailleurs le salarié dans ses écritures, il a reçu l'information concernant sa possibilité de continuer à cotiser au régime de sécurité sociale en France au lieu et place du régime de retraite local, cette information étant contenue dans sa lettre d'engagement à [Localité 7].
De la même façon, la mention l'informant de sa possibilité de cotiser au régime local figure dans son contrat de travail de droit hongkongais avec la succursale à [Localité 6], et ses bulletins de paie (payroll) ne mentionnent pas de précomptes de cotisations AGIRC-ARRCO.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute M. [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [X], partie succombante.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il dit que les demandes faites au titre du préjudice retraite sont toutes prescrites,
Statuant à nouveau du seul chef infirmé, et y ajoutant,
DIT que la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi n'est pas prescrite,
DEBOUTE M. [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de retraite subi,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marcinek, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente