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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 27 mars 2025, n° 23/08685

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hotel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun Lallemand

Conseillers :

Mme Dupont, Mme Girousse

Avocats :

Me Fertier, Me Dourdet, Me Allerit, Me Brault, Brault & Associes

TJ Paris, du 4 avr. 2023, n° 20/02262

4 avril 2023

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte notarié du 14 octobre 2011, la société dénommée 'société civile immobilière [Adresse 10] (ci-après la SCI [Adresse 10]) a donné à bail commercial en renouvellement à la société Hôtel [7] des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4], pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2011.

Le preneur exploite dans les lieux un établissement hôtelier.

Par acte d'huissier de justice du 12 février 2019, la SCI [Adresse 10] a fait délivrer à la société Hôtel [7] un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2020, moyennant un loyer annuel de 450.000 euros hors taxes et hors charges.

Par lettre du 2 avril 2019, le preneur a répondu qu'il acceptait le principe du renouvellement du bail mais a constesté le montant du loyer proposé par le bailleur.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 7 janvier 2020, la SCI [Adresse 10] a notifié à la société Hôtel [7] un mémoire préalable en fixation du prix du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2020 à la somme annuelle de 510.000 euros en principal.

Par assignation du 25 février 2020, la SCI [Adresse 10], se prévalant des termes de son mémoire préalable, a attrait la société Hôtel [7] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement du 23 octobre 2020, le juge des loyers commerciaux a :

- constaté que le bail liant les parties avait pris fin le 31 décembre 2019,

- dit que le prix du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2020 serait fixé à la valeur locative,

- avant dire droit sur le fond, désigné un expert avec mission notamment de rechercher la valeur locative au regard des articles L. 145-36 et R. 145-10 du code de commerce,

- fixer le loyer provisionnel dû par la société Hôtel [7] pour la durée de l'instance au montant du loyer contractuel indexé en principal, outre les taxes et les charges,

- réservé les dépens.

L'expert a déposé son rapport le 15 avril 2022. Il conclut qu'à son avis, la valeur locative de renouvellement des lieux loués est de 392.600 euros par an hors taxes et hors charges.

Par jugement du 4 avril 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris a :

- fixé à 392.500 euros hors taxes et hors charges par an à compter du 1er janvier 2020 le montant du loyer du bail renouvelé entre la SCI [Adresse 10] et la société Hôtel [7] pour les locaux situés au [Adresse 2] à [Localité 4],

- dit que des intérêts au taux légal ont couru sur le différentiel entre loyer effectivement acquitté et le loyer dû à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après le renouvellement,

- débouté la société Hôtel [7] de sa demande de lissage durant la première période triennale du bail renouvelé au 1er janvier 2020,

- rappelé que la décision était assortie de l'exécution provisoire ,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- partagé les dépens par moitié entre les parties, dont le coût de l'expertise judiciaire.

Par déclaration du 10 mai 2023, la société Hôtel [7] a interjeté appel du jugement en en critiquant tous les chefs.

Par conclusions déposées et notifiées le 18 octobre 2023, la SCI [Adresse 10] a formé appel incident.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 décembre 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 janvier 2024, la société Hôtel [7] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 avril 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris.

Statuant à nouveau sur la fixation du loyer renouvelé des locaux sis [Adresse 2] au 1er janvier 2020 :

- fixer le prix moyen praticable à 200 ' HT,

- fixer l'abattement pour commissions à 20 %,

- fixer le taux d'occupation théorique à 77 %,

- fixer le pourcentage sur recette hébergement à 15 %,

- juger qu'il n'y a pas lieu à majoration de la valeur locative pour recettes annexes,

- fixer l'abattement pour travaux à 30 %,

- fixer en conséquence le montant du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme annuelle en principal de 220.267 ' toutes autres clause et conditions demeurant inchangées, sous réserve des modifications requises par la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application,

- juger que la valeur locative sera lissée afin de tenir compte des conséquences de la crise sanitaire durant la première période triennale du bail renouvelé au 1er janvier 2020,

- juger la SCI [Adresse 10] mal fondée en son appel incident et la débouter de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la SCI [Adresse 10] aux entiers dépens incluant les frais d'expertise dont le recouvrement sera effectué par la SELARL JRF & Associés, représentée par Maître Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Hôtel [7] fait valoir :

Sur l'emplacement,

- que si l'emplacement des locaux est recherché pour se trouver à proximité de la [Adresse 9] et du [Adresse 6], la [Adresse 10] est une petite voie à sens unique très peu passante et donc sans aucune visibilité ;

- qu'il existe une forte concurrence dans le secteur en raison d'une importante concentration d'établissements hôteliers ;

- que le juge des loyers commerciaux n'a pas tiré toutes les conséquences de cette concurrence ;

- que les locaux souffrent des embouteillages (difficultés d'accès et nuisances ) et des nuisances liées à la proximité de l'hôtel [11] [Localité 8] [Adresse 12] (428 chambres et une activité événementielle conséquente), l'entrée de service de cet établissement étant située face à l'entrée de l'hôtel [7] (blocage de la rue par les camions de livraison, nuisances sonores diurnes et nocturnes, poubelles face à l'entrée de l'hôtel [7], nuisances olfactives lors de l'extraction des huiles de cuisson des cuisines 3 fois par mois...) ;

- que l'expert et le premier juge ont sous-estimé ces nuisances dans leur appréciation de l'emplacement ;

Sur les lieux loués,

- que l'hôtel [7] est un établissement de 47 chambres pour une capacité de 85 personnes, classé en tant qu'hôtel de tourisme 4 étoiles ;

- que seules les chambres situées du 3ème étage au 6ème étage sont rénovées ;

- que l'établissement est dépourvu d'espaces de services annexes à l'hébergement en dehors de la salle de bar/petit déjeuner ;

Sur les travaux réalisés par la locataire,

- que le juge des loyers commerciaux a conclu sommairement à la présence d'aménagements ' en bon état général, voire en très bon état pour avoir été rénovés en 2018/2019 " alors que seules les chambres situées du 3ème au 6ème étages ont été rénovées ;

- que le budget total des travaux retenu par l'expert est de 2.154.000 euros hors taxes dont 645.583,23 euros entrant dans le champ d'application de l'article L. 311-1 du code de tourisme outre 97.997,40 euros au titre des honoraires d'architecte et autres intervenants ;

Sur la détermination du loyer renouvelé,

- que la fixation du loyer renouvelé obéit aux dispositions de l'article R. 145-10 du code de commerce s'agissant de locaux monovalents ;

- que le loyer renouvelé doit être fixé selon la méthode hôtelière rénovée ;

- que les références citées par l'expert à titre de comparaison ne sont pas pertinentes en raison :

- des particularités des hôtels pris comme référence qui sont soit orientés vers l'ultra luxe, soit bien mieux situés, à l'abri des nuisances de l'hôtel [11],

- de l'ancienneté de la prise d'effet des baux, 9 références sur 11 étant antérieures à fin 2015, alors que depuis 2015 l'activité hôtelière à [Localité 8] a fortement été perturbée ;

- que l'expert a retenu un prix moyen praticable de la chambre par nuitée de 215 ' HT, supérieur de 20 % à la réalité de l'exploitation de l'hôtel [7], en se fondant sur les statistiques de prix dans le secteur [Adresse 5]/[Adresse 12] qui regroupe des établissements d'un standing très supérieur à celui de l'hôtel [7] ; que la politique tarifaire d'un hôtel est plus complexe que les seuls tarifs visibles en ligne et que le prix effectivement pratiqué n'est pas le prix théorique affiché ; que l'hôtel [7] ne peut pas pratiquer les mêmes tarifs que des hôtels mieux situés et offrant des prestations de grand luxe ; que l'expert n'a pas communiqué les décisions relatives aux fixations judiciaires qu'il a retenues comme références privant ainsi la société Hôtel [7] de la possibilité de discuter ces références ;

- qu'il devrait être retenu un prix moyen praticable de 200 ' HT ;

- que 60 % des réservations au cours des trois dernières années ont donné lieu à des commissions, allant de 17 % à 20 % , de sorte que l'abattement pour commissions de 10 % retenu par l'expert est éloigné de la réalité ; que pour un hôtel indépendant de petite capacité comme l'hôtel [7], le recours aux agences de voyage est inévitable ;

- qu'elle ne discute pas le taux d'occupation théorique de 77 % retenu par l'expert ;

- que le pourcentage sur recettes devrait être de 15 % et non de 16 %, compte-tenu de ses charges de fonctionnement, des caractéristiques des locaux et de l'évolution défavorable du marché hôtelier dans le [Localité 4] depuis 2015,

- qu'il n'y a pas lieu de retenir un pourcentage sur les recettes annexes au regard de la jurisprudence habituelle en la matière (CA Paris 4 février 2019 ; CA Paris 16 septembre 2009 ;

CA Paris 16 février 2011) ;

- que le taux d'abattement pour travaux doit être fixé à 30 %, étant observé que la jurisprudence admet habituellement un taux allant de 10 % à 50 %, au regard de l'importance des travaux réalisés qui valorisent considérablement les locaux ;

- que la convention locative met l'assurance incendie à la charge du preneur, ce qui constitue une clause exorbitante du droit commun ; qu'il doit donc être déduit du loyer la somme de 1650 euros correspondant au montant refacturé ;

- qu'en application de l'article R. 145-35 du code de commerce, les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil sont désormais à la charge du bailleur ;

- que l'autorisation de sous-louer une partie du rez-de-chaussée ne saurait justifier une majoration de loyer puisque cette faculté n'est pas applicable dans les faits sans réduire les prestations offertes par l'établissement ;

- que les conséquences de la crise sanitaire et des événements géopolitiques, économiques et sociaux doivent être prises en compte dans la détermination du prix du bail renouvelé ; qu'il ne peut simplement être jugé que ces événements sont postérieurs à la date de renouvellement du bail ; qu'il s'agit de prendre en considération la capacité de la locataire à payer le loyer sur la période entière du bail.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 10 avril 2024, la SCI [Adresse 10] demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 4 avril 2023 en ce qu'il a fixé le montant du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme annuelle de 392.500 ' HT/HC ;

- confirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau :

À titre principal :

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme annuelle en principal de 431.622 ' (quatre cent trente et un mille six cent vingt-deux euros), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées sous réserve des ajustements requis par la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application ;

- débouter la société Hôtel [7] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

À titre subsidiaire :

- fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2020 à la somme annuelle en principal de 404.405 ' (quatre cent quatre mille quatre cent cinq euros), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées sous réserve des ajustements requis par la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application,

- débouter la Société Hôtel [7] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause :

- condamner la Société Hôtel [7] à verser à la SCI [Adresse 10] la somme de 6.000 ' (six mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Société hôtel [7] aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me Eric Allerit, membre de la SELARL TBA, selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SCI [Adresse 10] fait valoir :

Sur l'emplacement,

- que les locaux sont situés dans un environnement recherché pour y exercerune activité hôtelière, en lisière du jardin des Tuileries, proche de nombreux lieux touristiques et de nombreuses boutiques de luxe, facilement accessible par le métro et le bus ;

- que le juge n'a pas fait l'économie de rappeler que cette bonne position était contrebalancée par une forte concurrence ;

- que le rapport d'expertise mentionne la gêne occasionné par l'hôtel [11] ;

Sur les lieux loués,

- que l'immeuble dispose d'une façade en pierre de taille, de deux ascenseurs distribuant tous les étages et d'un monte-charge reliant le sous-sol au rez-de-chaussée ;

- que les prix affichés sont inférieurs aux prix des hôtels de même catégorie (4 étoiles) dans le secteur ;

Sur les modalités de fixation du loyer en renouvellement,

- que la méthode hôtelière a fait l'objet d'une actualisation, pour rester cohérente avec les pratiques du marché, par la compagnie des experts ;

- que la valeur locative s'apprécie sur la base d'un flux théorique de chiffre d'affaires ;

- que la méthode hôtelière ne prend pas pour base les résultats comptables de l'exploitation du locataire ;

- que le prix moyen praticable retenu par le juge, de 215 ' HT, est très inférieur à la moyenne des références données par l'expert amiable et l'expert judiciaire ;

- que la politique tarifaire du locataire n'est pas pertinente pour apprécier le prix moyen praticable, étant rappelé que le prix praticable n'est pas le prix effectivement pratiqué et que le bailleur n'a pas à subir les conséquences des choix de gestion du locataire ;

- que contrairement à ce que soutient la société Hôtel [7], l'activité hôtelière n'a pas diminué à partir de 2015 et a connu, notamment dans la zone géographique considérée, une hausse de chiffre d'affaires ;

- qu'il convient de confirmer le taux de 10 % retenu par le juge des loyers commerciaux au titre de l'abattement pour commissions ; que le bilan de la société Hôtel [7] arrêté au 31 décembre 2019 faisait d'ailleurs état de commissions d'agences à hauteur de 7 % de son chiffre d'affaires ; que la moyenne du taux des commissions facturées par les agences de voyage en ligne n'est pas pertinente puisque seule une partie du chiffre d'affaires est réalisée via ces agences ;

- que s'il est retenu un prix praticable très inférieur à la moyenne des références, il ne doit pas être retenu un taux d'occupation conforme à la moyenne ;

- que le taux sur recettes devrait être de 16,5 %, ce qui correspond au milieu de la fourchette admise par la méthode hôtelière pour un hôtel 4 étoiles, dès lors que la société Hôtel [7] ne propose pas d'autres prestations que le petit déjeuner ;

- que la méthode hôtelière actualisée prévoit un taux de prélèvement sur les recettes annexes ; que la recette annexe en lien avec un service de petit-déjeuner se réalise grâce à l'outil immobilier ; que le taux de 10 % retenu par le juge des loyers commerciaux doit être confirmé ;

- que l'auto-financement des travaux de rénovation de l'hôtel par la société Hôtel [7] est sans effet sur la détermination de la valeur locative ; que la proposition de la société Hôtel [7] au titre de l'abattement pour les travaux réalisés conduirait, sur une période de 12 ans, à une économie de loyer de plus du double du montant des travaux ; que le taux de 7,5 % retenu par le juge des loyers commerciaux devra être confirmé ;

- qu'elle ne critique pas l'abattement retenu par le premier juge au titre des clauses exorbitantes du droit commun ;

- que les conséquences de la pandémie du virus Covid-19 ne doivent pas être prises en compte dans la détermination du prix du bail renouvelé dès lors qu'il est constant que 'ne peuvent être pris en considération, pour le calcul du prix du bail renouvelé, que les éléments existant à la date du renouvellement' ; qu'en outre, le chiffre d'affaires de la société Hôtel [7] était de 4.078.223 ' en 2022 pour un bénéfice net de 1.061.861 '.

Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

En application des articles L. 145-36 et R. 145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L. 145-33 et R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée.

Ces dispositions s'appliquent au prix du bail des hôtels, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les parties.

En l'espèce, la discussion des parties porte sur les modalités d'application de la méthode d'appréciation de la valeur locative des locaux à usage d'hôtel dite 'méthode hôtelière actualisée' mais ne portent pas sur l'application même de cette méthode qui est admise par les deux parties.

La méthode hôtelière actualisée consiste à :

- déterminer la recette théorique maximale de l'hôtel à partir d'un prix praticable par chambre, apprécié au regard de l'emplacement et des caractéristiques des locaux, qui est multiplié par le nombre de chambre et le nombre de nuitées,

- déterminer la recette théorique réalisable en appliquant à la recette théorique maximale un abattement pour les commissions versées par l'hôtel, notamment aux agences de voyage en ligne (OTA), et un taux d'occupation,

- appliquer un taux de prélèvement sur la recette théorique réalisable qui représente la part admissible du loyer dans les charges du preneur,

- ajouter les éventuelles recettes annexes,

- appliquer divers correctifs.

1 Sur l'emplacement des locaux et leurs caractéritiques

La cour renvoie aux motifs retenus par le premier juge, qu'elle adopte, pour décrire l'emplacement des locaux et leurs caractéristiques.

Il convient d'ajouter que l'appréciation de la qualité de l'emplacement des locaux par l'expert judiciaire et sa description des caractéristiques des locaux sont cohérentes avec les observations des experts amiables figurant dans les rapports produits aux débats par la bailleresse et la locataire.

Il convient également de préciser que la rénovation des locaux en 2018/2019 n'a porté que sur les étages 3 à 6 inclus et que le rez-de-chaussée comprend une chambre quadruple omise par le premier juge dans sa description des lieux.

Il s'infère de l'ensemble de ces éléments, que les locaux loués par la société Hôtel [7] sont en bon état général ('immeuble de belle facture'- 'aménagements et décorations en bon état général voire en excellent état'), dispose d'un nombre de chambres suffisant et d'une bonne configuration générale mais sans espace de services annexes hormis la salle de bar-petit déjeuner. Ils bénéficient d'un très bon emplacement, à proximité de plusieurs lieux touristiques, d'un quartier d'affaires et d'artères commerçantes orientées haut de gamme. Ce secteur est néanmoins très concurentiel, le [Localité 4] comptant près de 70 établissements hôteliers classés et plus de 4000 chambres. Par ailleurs, les locaux loués sont situés immédiatement face à l'accès livraison et de service du plus gros hôtel de l'arrondissement en nombre de chambres, 428 chambres, ce qui n'est pas sans créer des nuisances en terme de circulation, de bruit et d'odeur. En outre, si les locaux sont bien desservis par les transports en commun, la dépose des clients par car/navette y est peu aisée pour se faire dans une rue à sens unique de circulation avec emplacements de stationnement et de livraison de part et d'autre de la chaussée.

L'hôtel [7] dispose de 47 chambres pour une capacité de 85 personnes, une chambre quadruple, 11 chambres simples et 35 chambres doubles. Il est classé comme hôtel de tourisme 4 étoiles.

2 Sur la valeur locative brute

2-1 Sur la recette annuelle théorique maximale

Le premier juge a retenu, conformément à l'avis de l'expert judiciaire, un prix moyen praticable de 215 euros par chambre par nuitée.

La société Hôtel [7] estime que ce prix devrait être fixé à 200 euros et la SCI [Adresse 10] à 230 euros.

L'expert judiciaire a certes pris en considération, comme le relève la société Hôtel [7], les statistiques du prix hors taxes, commissions incluses, des chambres louées dans le secteur '[Adresse 5]/[Adresse 12]' catégorie 'haut de gamme' (source MKG). Il ne s'agit cependant pas d'une erreur de méthodologie dès lors que ce secteur et cette catégorie correspondent à ceux de l'hôtel [7] et que l'expert a pris en considération d'autres sources statistiques (les statistiques de KPMG concernant les hôtels 4 étoiles de [Localité 8], les statistiques du comité départemental du tourisme concernant les hôtels de catégorie haut de gamme de [Localité 8], les statistiques de l'office du tourisme et des congrès de [Localité 8] concernant les hôtels 4 et 5 étoiles dans le secteur du grand [Localité 8]). Selon ces sources statistiques , le prix moyen de la chambre d'hôtel à [Localité 8], concernant les établissements classés 4 ou 5 étoiles, varie entre 160,18 ' et 282,02 ' par nuitée en 2019.

L'expert judiciaire a également cité, à titre d'élements de comparaison, 11 références de prix concernant des hôtels 4 étoiles situés à [Localité 8], tirées de décisions judiciaires relatives à la fixation du prix du bail renouvelé. Si l'expert n'a pas communiqué les décisions de justice concernées, comme le soutient la société Hôtel [7], il a fourni les éléments nécessaires et utiles à la discussion de ces références par les parties dans le cadre de la présente instance (nom de l'hôtel et adresse, date d'effet du bail renouvelé, nombre de chambres, abattement pour remises et commissions, taux d'occupation, revenu par chambre). Le prix moyen de la chambre varie, pour ces références, entre 117 ' et 279,08 ' par nuitée.

Le fait que le prix moyen praticable d'une chambre retenu par le premier juge soit supérieur à la réalité de l'exploitation de l'hôtel [7] est inopérant. En effet, le prix moyen praticable est celui que peut espérer le preneur à raison de l'emplacement et des caractéristiques des locaux loués alors que le prix effectivement pratiqué par le preneur résulte de choix de gestion de sa part. Or, le bailleur, qui n'est pas l'associé du preneur, ne saurait ni profiter des choix de gestion de son preneur ni en subir les conséquences.

Par ailleurs, la société Hôtel [7] soutient, pour voir fixer le prix praticable moyen à un montant inférieur à celui retenu par le premier juge, que l'activité des hôtels situés au centre de [Localité 8] a été perturbée à partir de la fin d'année 2015. Toutefois, il est observé que les sources statistiques mentionnées par l'expert judiciaire en page 58 de son rapport montrent qu'après une diminution du revenu par chambre en 2015 et 2016, celui- ci a augmenté de 2017 à 2019 pour arriver en 2019 à un niveau supérieur de près de 30 % à celui de 2015.

Quant à la SCI [Adresse 10], elle souligne que le prix praticable moyen retenu par le premier juge est bien inférieur aux éléments de référence cités par l'expert judiciaire. Toutefois, il doit être rappelé que pour comparer utilement les références et les locaux loués, il doit être tenu compte des caractéristiques des locaux de chacun des établissements.

Au vu de ces éléments, de l'emplacement et des caractéristiques des locaux loués à la société Hôtel [7] ci-dessus décrits, notamment de la proportion des chambres individuelles, c'est à raison que le premier juge a retenu un prix praticable moyen de 215 ' par chambre par nuitée.

La recette annuelle théorique maximale hors taxes, commissions incluses, s'élève donc à 3.688.325 ' (215 ' x 47 chambres x 365 nuitées).

2-2 Sur les abattements pour commissions

Le premier juge a retenu un abattement de 10 %, conformément à l'avis de l'expert judiciaire.

La société Hôtel [7] demande à la cour d'appel de retenir un abattement de 20 % alors que la SCI [Adresse 10] ne critique par le jugement entrepris sur ce point.

Faire droit à la demande de la société Hôtel [7] reviendrait à fixer le taux d'abattement pour commissions peu ou prou au montant du taux des commissions versées par la société Hôtel [7] aux agences de voyages.

Or, ces taux ne sont pas appliqués sur la même assiette. Le taux d'abattement pour commissions est appliqué sur la totalité de la recette alors que le taux des commissions est appliqué sur la seule partie de la recette générée par les agences de voyage.

Dans la mesure où la société Hôtel [7] soutient qu'elle verse des commissions de l'ordre de 17 à 20 % et que près de 60 % de ses réservations sont concernées par ces commissions, le taux d'abattement pour commissions de 10 % retenu par le premier juge apparait adapté à la situation.

2-3 Sur le taux d'occupation

Le premier juge a retenu un taux d'occupation théorique de 77 %. Ce point n'est pas critiqué par les parties.

2-4 Sur le taux sur recettes

Le premier juge a retenu un taux de 16 %.

La société Hôtel [7] demande à la cour d'appel de retenir un taux de 15 % et la SCI [Adresse 10] un taux de 16,5 %.

Ce taux qui représente le taux d'effort qu'un établissement hôtelier consacre à son loyer dépend du classement de l'hôtel et des prestations fournies par l'hôtelier. L'expert judiciaire indique que 'le pourcentage sur recette doit être plus important lorsque la prestation fournie par l'établissement est majoritairement un outil immobilier', que le taux des hôtels 4 étoiles est plus faible que celui des hôtels 3 étoiles car les hôtels 4 étoiles ont des charges de fonctionnement plus élevées que les hôtels 3 étoiles.

Il est habituellement retenu un taux entre 15 et 18 % pour les hôtels 3 et 4 étoiles en centre-ville ou en périphérie.

Compte-tenu du classement de l'hôtel [7] (4 étoiles) et de l'absence de prestation fournie par la société Hôtel [7] en dehors du petit-déjeuner, le premier juge a fait une juste appréciation des faits en retenant un taux de 16 %.

2-5 Sur les recettes annexes

Le premier juge a retenu des recettes annexes pour un montant de 17.238,20 euros, adoptant l'avis de l'expert.

La société Hôtel [7] demande à la cour d'appel de ne pas retenir de recettes annexes dans la détermination de la valeur locative des locaux loués. La SCI [Adresse 10] ne critique pas le jugement entrepris sur ce point.

Contrairement à ce que soutient la société Hôtel [7] et depuis l'actualisation de la méthode hôtelière en 2016, il est habituellement tenu compte des recettes des services annexes dans la détermination de la valeur locative des locaux loués à usage d'hôtel en ce que ces recettes sont en partie permises par l'outil immobilier mis à la disposition de l'exploitant dans le cadre du contrat de bail.

La somme retenue par la premier juge est justifiée compte-tenu du calcul effectué par l'expert judiciaire à partir du prix moyen hors taxe d'un petit déjeuner dans un hôtel 4 étoiles, qui peut être estimé à 15 ' au regard des sources statistiques fournies par l'expert judiciaire, du nombre théorique de clients au petit déjeuner et d'un taux de prélèvement de 10 % sur les recettes du petit-déjeuner, ce taux rémunérant dans ce service offert à la clientèle la part relative à l'outil immobilier. Après examen du rapport d'expertise judiciaire, il apparait que le calcul de l'expert ne comporte ni erreur ni biais méthodologique.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la valeur locative brute, avant correctifs, des locaux loués par la société Hôtel [7] est de (3.688.325 ' x 0,9 x 0,77 x 0,16) + 17.238,20 ' = 426.199,68 '.

3 Sur les correctifs de la valeur locative brute

3-1 Sur les travaux hôteliers

En application de l'article L. 311-3 du code du tourisme, pendant la durée du bail en cours et celle du bail renouvelé qui lui fait suite et pour une durée de douze années à compter de l'expiration du délai d'exécution mentionné à l'article 311-2, le propriétaire ne peut prétendre à aucune majoration de loyer du fait de l'incorporation à l'immeuble des améliorations résultant de l'exécution des travaux mentionnés à l'article L. 311-1.

La société Hôtel [7] a effectué des travaux de rénovation dans les locaux loués d'un montant de 2.108.547,53 ' dont 645.583,23 ' entrent dans le champ d'application de l'article L. 311-1 du code de tourisme outre 97.997,40 ' de frais d'honoraires.

Le premier juge a retenu un abattement de 7,5 % compte-tenu de ces travaux.

La société Hôtel [7] estime qu'il devrait être retenu un abattement de 30 % alors que la SCI [Adresse 10] ne critique pas le jugement sur ce point.

Les moyens soutenus par l'appelant ne font que réitérer sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte sauf à préciser qu'en cas de fixation de l'abattement à 30 %, la société Hôtel [7] bénéficierait d'une économie de loyer de plus de 2 ans sur une période de 12 ans, ce qui apparait disproportionné.

En conséquence, l'abattement pour travaux hôteliers de 7,5 % retenu par le premier juge est adapté.

3-2 Sur les clauses exorbitantes du droit commun

Les parties s'accordent sur l'abattement de 1650 ' retenu par le premier juge.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la valeur locative des locaux loués est de (426.199,68 ' x 0,925) - 1650 ' = 392.584,70 ' arrondis à 392.500 '.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 392.500 euros, hors taxes et hors charges par an, à compter du 1er janvier 2020, le montant du loyer du bail renouvelé entre la SCI [Adresse 10] et la société Hôtel [7] pour les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 4].

4 Sur les intérêts

Dans sa déclaration d'appel, la société Hôtel [7] a critiqué le jugement entrepris en ce qu'il a dit que des intérêts aux taux légal ont couru sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer dû à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après le renouvellement.

Dans ses conclusions, la société Hôtel [7] demande l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions mais ne forme aucune prétention au titre des intérêts.

Dans ces conditions, la cour, saisie par la déclaration d'appel et la demande d'infirmation mais en l'absence de prétention, ne peut que confirmer ce chef du jugement entrepris.

4 Sur la demande de lissage de la valeur locative

La société Hôtel [7] demande à la cour de lisser la valeur locative afin de tenir compte des conséquences de la crise sanitaire durant la première période triennale du bail renouvelé au 1er janvier 2020, sans indiquer le fondement juridique de sa demande.

En matière de fixation du prix du bail renouvelé, le mécanisme d'étalement de l'augmentation du loyer, ou lissage, est prévu par le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce qui dispose :

'En cas de modification notable des éléments mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation du loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l'année précédente.'

Ces dispositions s'appliquent au loyer fixé à la valeur locative en raison d'un déplafonnement du loyer consécutif à la durée du bail ou à la modification des caractéristiques du local loué, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité, qui sont les éléments mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 145-33.

Elles ne s'appliquent pas au loyer fixé à la valeur locative pour une autre cause, notamment à raison du caractère monovalent des locaux loués, ce qui est le cas en l'espèce.

Le mécanisme d'étalement de l'augmentation du loyer prévu au dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce n'est donc pas applicable en l'espèce.

Par ailleurs et comme l'a jugé le premier juge, il est constant que seuls peuvent être pris en considération pour le cacul du prix du bail renouvelé les éléments existants à la date du renouvellement. Or, au 1er janvier 2020, la crise sanitaire liée au virus Covid-19 n'avait pas débuté.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Hôtel [7] de cette demande.

4- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les parties ayant un intérêt partagé à voir ordonner une expertise et fixer le prix du bail renouvelé, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a partagé les dépens de première instance par moitié entre les parties, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

La société Hôtel [7] qui succombe en appel est condamnée aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

En outre, l'équité commande de la condamner à payer à la SCI [Adresse 10] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par cette dernière à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris du 4 avril 2023 (RG n° 20/2262) en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant

Condamne la société Hôtel [7] aux dépens de la procédure d'appel, dont distraction au profit de Maître Stéphane Fertier, représentant la Selarl JRF & associés, et de Maître Eric Allerit, membre de la Selarl TBA, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Hôtel [7] à payer à la SCI [Adresse 10] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés à hauteur d'appel,

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