CA Rennes, 7e ch prud'homale, 27 mars 2025, n° 22/03283
RENNES
Arrêt
Autre
7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°101/2025
N° RG 22/03283 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SY5R
M. [M] [Z]
C/
S.A. JB MARTIN
S.C.P. BTSG PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [F] [C]
S.E.L.A.F.A. MJA PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [P] [U]
Association UNEDIC DÉLÉGATION CGEA IDF OUEST
RG CPH : 20/00119
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Janvier 2025 devant Monsieur Bruno GUINET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [M] [Z]
né le 27 Mars 1960 à [Localité 8]
[Adresse 10]
[Localité 4] / FRANCE
Représenté par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me LEMOINE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
S.C.P. BTSG prise en la personne de Maître [F] [C] agissant en sa qualité mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société J.B. MARTIN , à ce désignée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 2 juin 2020.
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS,Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sabine ANGELY MANCEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.F.A. MJA Prise en la personne de Maître [P] [R] agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société J.B. MARTIN à ce désignée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 2 juin 2020.
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sabine ANGELY MANCEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Association UNEDIC DÉLÉGATION CGEA IDF OUEST
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [M] [Z] a été engagé par la SA JB Martin selon un contrat à durée indéterminée en date du 08 septembre 2003 pour exercer les fonctions de directeur des opérations logistiques et industrielles, statut cadre.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de l'industrie de la chaussure.
Du 16 février au 02 mars 2018, M. [Z] a été placé en arrêt de travail et à nouveau à compter du 21 mars.
Le 21 septembre 2018, le salarié a sollicité auprès de la CPAM une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Par décision du 24 mai 2019, la CPAM a pris en charge la maladie « dépression nerveuse dans un contexte de harcèlement professionnel » de M. [Z] au titre de la législation sur les risques professionnels. Puis, le 15 novembre 2019, le taux d'incapacité du salarié a été fixé à 40%, taux sur la base duquel a été calculé le montant de la rente maladie professionnelle servie à l'assuré.
Au terme d'une visite de reprise organisée le 1 er octobre 2019, le médecin du travail a déclaré M. [Z] inapte avec dispense de reclassement.
La société JB Martin a convoqué M. [Z] à un entretien préalable au licenciement fixé au 22 octobre 2019. Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 octobre 2019, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement en date du 02 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire sur résolution du plan de redressement de la SA JB Martin et désigné la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [P] [R] et la SCP BTSG, prise en la personne de Me [F] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société.
Par jugement en date du 04 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Rennes a dit que la maladie déclarée par M. [Z] a un caractère professionnel, que ladite maladie dont le salarié a été victime est due à la faute inexcusable de la société JB Martin, ordonné la majoration maximale de la rente allouée par la CPAM à M. [Z] des suites de son incapacité permanente partielle fixée à 40% et ordonné une expertise médicale afin d'évaluer ses postes de préjudice.
***
Sollicitant le paiement de diverses sommes et indemnités, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 13 février 2020 afin de voir :
- Dire et juger nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour
inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [Z]
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les créances suivantes
de M. [Z] :
- la somme nette de 124 426,72 euros à titre de dommages-intérêts
principalement pour nullité du licenciement et subsidiairement pour absence de cause réelle et sérieuse
- Condamner in solidum ès qualités de liquidateurs, Me [C], et Me [R],
ou à défaut l'un ou l'autre, à payer M. [Z] la somme de 3 000 euros sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui seront employés en
frais privilégiés de procédure en application de L 621-32 du code du commerce
- Dire et juger la décision opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie.
- Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité du dispositif en application de l'article R. 1454-28 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum ès qualités de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [P], Me [R], SELAFA MJA, aux entiers dépens.
La SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de mandataires judiciaires de la SAS JB Martin, ont demandé au conseil de prud'hommes de :
A titre principal :
- Déclarer irrecevable M. [Z] en toutes ses demandes
A titre subsidiaire :
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
A titre plus subsidiaire :
- Limiter le quantum de la créance à 23 330,01 euros.
A titre infiniment subsidiaire :
- Limiter le quantum de la créance à 46 662,02 euros.
En tout état de cause
- Condamner M. [Z] aux dépens et à payer aux concluantes ès qualité une
indemnité de procédure 2 000,00 euros
L'AGS CGEA Ile de France Ouest a demandé au conseil de prud'hommes de Rennes de :
- Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes.
- A titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions le quantum de l'indemnisation sollicitée, qui ne saurait excéder 3 mois de salaires, soit
23 330 euros.
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre
de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
Par jugement en date du 02 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Rennes a :
- Ordonné la jonction des affaires inscrites au répertoire général sous les N°
20/119, N°20/363,
- Déclaré M. [Z] recevable en ses demandes,
- Dit et jugé que le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- Débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes
- Débouté la SCP BTSG, en la personne de Me [F] [C] ès-qualités de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire de la société JB Martin et la SELAFA MJA, en la personne de Me [P] [R], ès-qualités de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire de la société JB Martin de leurs demandes.
- Déclaré le jugement opposable au CGEA Ile de France Ouest.
- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que :
o Les attestations produites par M. [Z], dont les termes sont généraux, non datés et non circonstanciés ne permettent pas d'établir la matérialité des faits invoqués ;
M. [Z] a été confronté à une situation difficile dans une entreprise luttant pour sa survie ; en prenant en compte les documents médicaux et après avoir examiné l'ensemble des éléments, les faits, pris dans leur ensemble ne sont pas matériellement établis et ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
o Il n'est pas démontré que la société JB Martin, durant cette période perturbé où sa survie (au sens économique du terme) était en jeu aurait manqué à son obligation de sécurité envers M. [Z].
***
M. [Z] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 24 mai 2022.
Par ordonnance en date du 2 mai 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Rennes a :
- Débouté la SCP BTSG prise en la personne de Me [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société JB Martin et la société MJA prise en la 4 personne de Maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA JB Martin de leur demande tendant à voir prononcer la caducité de l'appel ;
- Débouté M. [Z] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamné la SCP BTSG prise en la personne de Maître [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA JB Martin et la société MJA prise en la personne de Maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société JB Martin aux dépens de l'incident.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 11 décembre 2024, M. [Z] demande à la cour d'appel de :
Infirmant,
- Dire et juger nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse le
licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [Z].
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Anonyme JB Martin les créances suivantes de M. [Z]:
- La somme 124 426,72 euros à titre de dommages et intérêts, pour nullité du
licenciement et subsidiairement, pour absence de cause réelle et sérieuse
- Débouter Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, es qualité de liquidateurs, et l'AGS de l'intégralité de leurs prétentions.
- Condamner in solidum es qualité de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, ou à défaut l'un ou l'autre, à payer M. [Z] la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui seront employés en frais privilégiés de procédure en application de L. 641-13 du code de commerce.
- Dire et juger l'arrêt opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie.
- Condamner in solidum es qualité de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, aux entiers dépens.
En l'état de leurs dernières conclusions transmises par leur conseil sur le RPVA le 11 décembre 2024, la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin, demandent à la cour d'appel de :
A titre principal,
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022
en toutes ses dispositions ;
A titre subsidiaire,
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022 en ce qu'il « déclare M. [Z] recevable en ses demandes » ;
- En conséquence, réformer le jugement en ce qu'il déboute M. [Z] au lieu de le déclarer irrecevable et statuant à nouveau,
- Déclarer irrecevables toutes les demandes de M. [Z] ;
Plus subsidiairement,
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes ;
Très subsidiairement,
- Limiter le quantum de la créance à 46 662,02 euros ; 5
En tout état de cause,
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse
mal fondée,
- Condamner M. [Z] aux dépens de l'appel dont distraction au profit de la SELARL LX Rennes Angers dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [Z] à payer aux concluante une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 10 octobre 2022, l'AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour d'appel de :
- Déclarer mal fondé M. [Z] en son appel
- Subsidiairement, ramener à de plus justes proportions le quantum de
l'indemnisation sollicitée, qui ne saurait excéder 3 mois de salaires, soit 23 330 euros ;
En toute hypothèse :
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre
de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 17 décembre 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 27 janvier 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur l'effet dévolutif de l'appel principal
Les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin, font valoir que par application combinée des articles 542 et 954 du code de 6 procédure civile, le jugement doit être confirmé dès lors que les conclusions du 1 er juillet 2022 notifiées par M. [Z] mentionnent au dispositif « infirmant » sans aucune précision.
En réplique, M. [Z] soutient que le dispositif de ses conclusions comporte une demande d'infirmation ainsi que des prétentions au fond visant à la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société
L'article 542 du code de procédure civile énonce que l'appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
L'article 562 du même code, dans sa version antérieure au décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023, dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
Il en résulte que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.
Il en découle que lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision (Civ. 2 ème, 14 septembre 2023, n°20-18.169).
Enfin, aux termes de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023, les conclusions d'appel comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de dispositif critiqués, une discussion des prétentions et des moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions.
Il en résulte que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel est déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile.
En l'espèce, force est de constater que dans le dispositif de ses premières conclusions d'appelant déposées le 11 juillet 2022 ainsi que dans le dispositif de ses dernières conclusions d'appelant n°4 notifiées le 11 décembre 2024, M. [Z] sollicite l'infirmation du jugement entrepris par le seul mot « infirmant ».
Bien que le dispositif de ses conclusions, n'énumère pas chaque chef de jugement expressément critiqué, il n'existe cependant aucune ambiguïté quant à la portée de l'appel interjeté par M. [Z] dans la mesure où :
- L'appelant a régulièrement énuméré les chefs du jugement dont il sollicite l'infirmation dans l'acte de déclaration d'appel,
- Il énonce des prétentions à l'appui de sa demande d'infirmation du jugement entrepris.
Dans ces conditions et dès lors que dans sa version applicable aux faits de l'espèce, l'article 954 du code de procédure civile n'exigeait pas que le dispositif des conclusions d'appelant énonce les chefs de jugement critiqués, il n'y a pas lieu d'imposer un tel formalisme aux conclusions querellées.
Les conclusions de M. [Z] produisant un effet dévolutif, il y a lieu de débouter les liquidateurs judiciaires de la société JB Martin de la prétention formulée à ce titre.
2- Sur la recevabilité des prétentions de l'appelant
Pour infirmation du jugement entrepris, les liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin exposent que les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de fixation d'une créance de dommages et intérêts dont l'objet est indéterminé sont irrecevables.
Les intimés font valoir à ce titre qu'aucune distinction n'est opérée dans le dispositif des écritures adverses entre l'indemnisation d'un licenciement nul et l'indemnisation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour confirmation du jugement, M. [Z] soutient que la Cour de cassation a
jugé que la nullité du licenciement et l'absence de cause réelle et sérieuse tendent aux mêmes fins et visent à obtenir l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'un salarié estime injustifié. Le salarié expose que sa prétention porte sur la fixation d'une créance de dommages et intérêts au passif de la liquidation judiciaire, principalement au titre de la nullité du licenciement et subsidiairement, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse, de sorte que ses prétentions sont recevables.
Il résulte des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge judiciaire,
qui doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé, est tenu d'examiner les demandes dans l'ordre fixé par les parties.
En l'espèce, dans le dispositif de ses dernières écritures déposées le 11
décembre 2024, M. [Z] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
« - Dire et juger nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [M] [Z]
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société anonyme J.B Martin les créances suivantes de Monsieur [Z] : la somme de 124.426,72 euros à titre de dommages et intérêts, pour nullité du licenciement et subsidiairement, pour absence de cause réelle et sérieuse' »
Force est de constater qu'il n'existe aucune confusion quant aux prétentions énoncées au dispositif des écritures de l'appelant qui sollicite que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement soit déclaré nul à titre principal, et dépourvu de cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire.
De même, le moyen tiré du caractère indéterminé des dommages et intérêts est inopérant dès lors qu'il est expressément sollicite de fixer une créance de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement et subsidiairement, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse.
A titre surabondant, aucun texte n'interdit au salarié de solliciter un quantum identique au titre de l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'il estime nul ou injustifié, sous réserve du respect du barème fixé par l'article L. 1235-3 du même code et qu'en tout état de cause, une demande en justice non chiffrée n'est pas, de ce seul fait, irrecevable.
Partant, il y a lieu de débouter les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société J.B Martin, de leur demande à ce titre, par voie de confirmation du jugement entrepris.
3- Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement
La lettre de licenciement datée du 28 octobre 2019, qui circonscrit l'objet du litige est rédigée selon les termes suivants :
« ['] Nous vous notifions, par la présente, notre décision de mettre fin à votre contrat de travail du fait de votre inaptitude d'origine professionnelle à occuper votre emploi médicalement constatée le 1 er octobre 2019 par le médecin du travail, et de l'impossibilité de reclassement ainsi que le mentionne expressément l'avis selon lequel « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Comme nous vous l'avons indiqué dans notre courrier daté du 10 octobre 2019, la mention expresse figurant dans l'avis d'inaptitude du médecin du travail, rend impossible votre reclassement au sein du Groupe. Devant cette impossibilité de vous reclasser, nous nous voyons malheureusement dans l'obligation de vous licencier' » (pièce n°7 salarié).
Pour infirmation du jugement, M. [Z] impute son inaptitude aux agissements
de harcèlement moral exercés par son employeur et subsidiairement à un
manquement de ce dernier à son obligation de sécurité de sorte que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est soit nul, soit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
3-1 Sur les agissements de harcèlement moral
Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour gradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses
droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, même sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié 9 déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 08 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses
décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient aux juges du fond (Soc. 8 juin 2016, n° 14-13.418) :
1- d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits,
2- d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
3- dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, M. [Z] invoque, au titre des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, les faits suivants, qu'il reproche à son employeur :
' Des pressions résultant de l'envoi de mails et d'appels téléphoniques
quotidiens,
' Des ordres contradictoires données par l'actionnaire et les équipes dirigeantes,
' Le retrait de ses attributions et sa mise à l'écart du comité de direction et des
comités stratégiques,
' L'interdiction de rencontrer les fabricants et fournisseurs,
' Le retrait de sa délégation de pouvoirs.
Au soutien de sa demande, le salarié verse aux débats :
- Le compte rendu de l'enquête administrative menée par un enquêteur agréé et assermenté de la CPAM de [Localité 12] qui comporte les documents ci-après :
o Un procès-verbal de constatation rédigé par l'enquêteur aux termes duquel il est indiqué que : « Monsieur [Z] me remet un document qu'il a rédigé avec soins reprenant son parcours professionnel au sein de l'entreprise JB Martin et mettant en exergue la dégradation progressive de ses conditions de travail l'ayant conduit à un effondrement total et un point de non-retour (pièce jointe n°2).[']
De 2014 à 2018, la pression devenait de plus en plus forte et la dégradation des conditions de travail de Monsieur [Z] s'accélérait au fur et à mesure que les résultats du groupe financier s'enfonçaient dans le négatif. A chaque changement de Directoire, les choix stratégiques différaient et étaient même contradictoires. Monsieur [Z] se trouvait à faire le tampon entre le Président et ses équipes.
[']
Monsieur [Z] ne cache pas que les rapports avec Monsieur [J] étaient compliqués, voire conflictuels. La pression était insupportable et il avait le sentiment qu'on cherchait à lui trouver des fautes. On l'a soupçonné de favoriser certains fabricants (pièces jointes n°13-14-15), on lui a reproché la livraison de la collection « été 2018 » avec un gros retard (pièces jointes n°16-17-18-19)' Monsieur [Z] était toujours obligé de se justifier.
En décembre 2017, il n'y avait plus qu'un seul membre au Directoire, au lieu de deux. Il a été proposé à Monsieur [Z] de devenir membre du Directoire, ce qu'il a refusé compte tenu du sort réservé aux prédécesseurs (mail joint ' pièce n°20). [']
Un nouveau dirigeant a été désigné par l'actionnaire et à partir de là s'est engagée une lutte de pouvoir entre le Président en poste et ce nouveau Directeur. Monsieur [Z] s'est retrouvé pris entre deux feux avec des ordres et contre-ordres. A chaque fois, les directives étaient différentes et Monsieur [Z] faisait le tampon. Il n'adhérait pas forcément aux choix faits par Monsieur [J] et l'actionnaire, les réunions étaient houleuses.
Le samedi 17 mars 2018, alors que Monsieur [Z] se trouvait en famille pour trouver repos et réconfort, il a reçu vers 16 heures un appel téléphonique sur son mobile professionnel de la part du Président, lui disant de façon agressive qu'il venait de sortir d'un conseil de surveillance très houleux et que ce conseil n'avait plus confiance en lui. Il lui faisait divers reproches et pour finir, il lui a annoncé qu'il lui retirait sa délégation de pouvoir concernant les relations commerciales et techniques entre JB Martin et les Administrations publiques. A 18h18, M. [J] lui confirmait par mail cette révocation (pièce jointe n°21).
[']
Le jeudi 13 décembre 2018, je me suis rendue sur le site de l'Entreprise JB Martin à [Localité 9] où j'ai été reçue par la Directrice des ressources humaines : Madame [A] [W].
[']
Madame [W] me confirme la chronologie des faits. Elle ne peut que valider les changements de Directoire connus et subis depuis les 5 dernières années et qui ont mis à mal l'entreprise et l'ensemble du personnel, dont elle fait partie. 11
Elle a toujours travaillé en étroite collaboration avec Monsieur [Z] et elle reconnaît que ce dernier a subi diverses contrariétés au cours de sa vie professionnelle, notamment une réduction de son périmètre d'activité.
[']
On demandait toujours à Monsieur [Z] de faire des efforts sur les prix pour dégager plus de marges. Il subissait à cette période des ordres et contre-ordres. Par exemple on lui disait qu'il fallait approvisionner le cuir, puis après on lui disait qu'il ne fallait plus le faire. Il est vrai qu'à cette période, tout était sujet à critique. »
o Un document dactylographié de 6 pages rédigé par M. [Z] faisant état des missions et objectifs qui lui étaient assignés, de l'évolution de ses conditions de travail, des difficultés économiques rencontrées par la société J.B Martin et de ses difficultés relationnelles avec le Président du Directoire, M. [Y] [J] ;
o Trois délégations de pouvoir datées des 13 janvier 2015, 14 décembre 2015 et 15 décembre 2017 aux termes desquelles les présidents successifs du Directoire ont donné délégation de pouvoir et de signature à M. [Z] pour tous les actes engageant la société J.B Martin en matière de candidatures, de soumissions, et de façon générale pour toutes les relations commerciales techniques entre la société et les administrations publiques clientes de l'entreprise ;
o Un document dactylographié récapitulant les déplacements réalisés par M. [Z] de 2015 à 2018, duquel il ressort une nette diminution du nombre de déplacements du salarié qui, a effectué 21 déplacements à l'étranger et à [Localité 11] en 2015 et n'effectuait qu'un déplacement au Portugal en 2018 ;
o Des mails échangés entre M. [J], Mme [G] [L] et M. [Z] du 13 au 15 février 2018, portant sur les comptes des fournisseurs, notamment l'absence de dette de deux fournisseurs qualifiés d'importants ;
o Le planning de livraison prévisionnel pour la collection été 2018 transmis par mail du 16 janvier 2018 au Président du Directoire, ce dernier réagissant en ces termes :
« Well well well : tout ce qui dépasse mars n'est pas bon. D'ailleurs c'était bien notre objectif' » ;
o Un mail daté du 19 décembre 2017 aux termes duquel M. [Z] indiquait à M. [J] : « Bonjour, suite à notre entretien d'hier je vous remercie de la confiance que vous m'avez témoigné, cependant après réflexion je suis au regret de ne pouvoir accepter ce mandat de membre du Directoire de la société J.B Martin' » ;
o Un mail daté du samedi 17 mars 2018 aux termes duquel M. [J] indiquait à M. [Z] : « Bonjour, je vous confirme par la présente que la délégation de pouvoir, que je vous ai donné en date du 15 décembre 2017, et concernant les relations commerciales et techniques entre JB Martin et les Administrations publiques, clientes de l'entreprise, est révoquée avec effet immédiat. J'ai bien noté que cette délégation est similaire à celle que vous aviez eu au cours des années passées, et données par les dirigeants successifs de l'entreprise dans le cadre des marchés
publics, et sans d'ailleurs que cela ne pose aucun problème, mais la situation particulière de l'entreprise amène à modifier nos modes de fonctionnement' » ;
o Un certificat médical établi le 29 mars 2018 pars le Dr [K] [D] indiquant : « Je vois ce jour M. [Z] [M] en dépression due au travail' » (pièce n°2) ;
- L'attestation de Mme [X] [O], ancienne responsable
approvisionnement, indiquant que : « Lors des 8 années pendant lesquelles j'ai tenu le poste de responsable Supply chain du groupe J.B Martin j'ai pu être témoin de la dégradation des conditions de travail de M. [Z]. Parmi les difficultés qui lui étaient imposées pour assurer sa fonction je peux citer :
- Le travail toujours plus sous pression avec des emails et appels sept jours sur sept,
- La succession de 12 équipes dirigeantes avec les changements incessants de
directives et stratégies
- Les décisions contradictoires émanant des différents dirigeants le mettant dans des situations inconfortables et de conflits venant à douter de tous et de tout - Les divergences d'opinions entre l'Actionnaire et les dirigeants a créé petit à petit un climat très tendu à tendance paranoïaque
- Monsieur [Z] s'est vu petit à petit retirer plusieurs de ses attributions, le mettant à l'écart du comité de Direction et des projets de l'entreprise. Il lui a même été interdit de voyager et de rencontrer les fournisseurs et fabricants, l'une de ses principales fonctions.
Et enfin, la suppression sans raison de la délégation de pouvoir qui lui avait été donnée.
Monsieur [Z] a tout fait pour protéger ses équipes en prenant sur lui un maximum de stress et de responsabilités ; et ce pour faire avancer l'entreprise dans ses tourments. Le climat était devenu peu propice à l'épanouissement personnel et professionnel. » (pièce n°8) ;
- L'attestation de M. [N] [V], ancien directeur marketing de la société, selon lequel : « ['] collègue de Monsieur [M] [Z] pendant près de 15 ans, j'ai pu constater les très fortes pressions exercées sur lui par tous les dirigeants de l'entreprise depuis le changement d'actionnaire en 2007. Ces derniers lui imposaient des directives très souvent contradictoires, négligeant tous les avis professionnels donnés par M. [Z]. M. [Z] a subi une mise à l'écart et une réduction importante de ses responsabilités professionnelles : tout d'abord il a été écarté sans justification du Comité de direction dont il faisait partie depuis 2003. Il s'est ensuite vu imposer le choix de certains fournisseurs industriels dont les compétences étaient clairement contestées par M. [Z]. Depuis il a été progressivement été
écarté des relations avec les fournisseurs. Il lui a même été interdit de se déplacer à l'étranger afin de rencontrer les fabricants, alors que ces derniers étaient visités à son insu par l'actionnaire, et ceci l'a totalement discrédité vis-à-vis des fournisseurs.
Les tensions claires et existantes entre l'actionnaire et les dirigeants successifs, lui ont fait subir un stress permanent d'une très forte intensité ce qui a eu pour conséquence de le mettre dans des conditions psychologiques de travail très difficiles et une instabilité permanente. Il a vécu au quotidien sous pression, recevait 13 des emails et des appels téléphoniques même régulièrement le week end' » (pièce n°9).
Il résulte des délégations de pouvoir et du mail daté du 17 mars 2018, que le retrait de la délégation de pouvoirs motivé par « la situation particulière de l'entreprise » est établi.
Il doit être relevé que la note dactylographiée faisant état d'une importante dégradation des conditions de travail ainsi que l'historique des déplacements professionnels effectués de 2015 à 2018, ont été établis par M. [Z] lui-même de sorte qu'ils ne sauraient permettre d'établir, de façon objective, la matérialité d'une interdiction de visiter les fournisseurs et clients à l'étranger.
De même, s'agissant de l'audition de Mme [W] et des deux attestations versées aux débats, force est de constater que :
- Les salariés qui unanimement dénoncent les pressions, contre-ordres et la mise à l'écart subis par M. [Z] ne citent pour autant aucun exemple circonstancié et ne décrivent d'ailleurs aucun fait précis imputable au Président du Directoire ou à l'actionnaire de la société JB Martin ; à cet égard, contrairement aux allégations de Mme [W], il ne ressort aucunement des différents mails rédigés selon des termes courtois et mesurés que le président du Directoire reprochait à M. [Z] un quelconque favoritisme de certains fabricants ainsi que la livraison tardive de la collection été 2018 ;
- Ces témoignages font état de ressentis à caractère subjectif de sorte que le climat au sein de l'entreprise décrit comme «très tendu à tendance paranoïaque» ainsi que l'affirmation selon laquelle « on cherchait à lui trouver des fautes », ne s'appuie sur aucun exemple concret et n'est corroborée par aucun élément objectif ;
- Les salariés dénoncent essentiellement l'instabilité de l'équipe de direction de la SA JB Martin liée aux changements successifs des membres du Directoire, entraînant des bouleversements perpétuels des directives et stratégies ainsi que des désaccords entre l'équipe de direction et l'actionnaire de la société; pour autant il n'est aucunement établi que dans ce contexte de difficultés relationnelles M. [Z] était confronté à des injonctions contradictoires émanant de l'actionnaire de la société et des équipes dirigeantes, ni que ces réorganisations multiples seraient précisément à l'origine d'une désorganisation de ses missions et d'un retrait de ses attributions.
Il s'ensuit que M. [Z] qui se prévaut de différents agissements répétés ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail, échoue à établir la matérialité de différents faits qu'il dénonce, à savoir : l'envoi de mails et appels téléphoniques au quotidien, d'ordres contradictoires donnés par l'actionnaire et les équipes dirigeantes, du retrait d'attributions, d'une mise à l'écart, ainsi que l'interdiction de rencontrer les fabricants et fournisseurs.
Le seul élément matériellement établi relatif au retrait de sa délégation de pouvoir étant insuffisant pour s'inscrire dans le cadre d'agissements de harcèlement moral, 14 les autres éléments dont se prévaut M. [Z], qui ne sont pas matériellement établis, ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande à ce titre.
3-2 Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Lorsque le comportement fautif de l'employeur est à l'origine d'une dégradation de l'état de santé du salarié et de l'inaptitude physique de celui-ci, l'intéressé peut se prévaloir d'un non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité.
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1. Des actions de prévention des risques professionnels ;
2. Des actions d'information et de formation ;
3. La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur est également tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1. Eviter les risques ;
2. Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3. Combattre les risques à la source ;
4. Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5. Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6. Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7. Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L. 1153-1 ;
8.Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9.Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, alors que l'employeur doit assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de lasécurité des travailleurs dans l'entreprise. Il lui est interdit de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.
Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié et ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Le salarié est tenu de démontrer la connaissance du risque par l'employeur, notamment en rapportant l'alerte émise sur le risque, sauf si cette connaissance est présumée. Ensuite, il suffit au salarié d'alléguer la violation de l'obligation de sécurité sans avoir à la démontrer et il incombe à l'employeur d'établir qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité.
M. [Z] expose que son inaptitude étant consécutive à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
A cet égard, le salarié se prévaut de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et dénonce l'absence de mesure de prévention.
Outre les éléments précités, à savoir les deux attestations d'anciens collègues et le compte rendu de l'enquête diligentée par la CPAM de [Localité 12], M. [Z] verse aux débats :
- Un avis d'inaptitude daté du 1 er octobre 2019 ; étant observé que dans l'encadré relatif aux cas de dispense de l'obligation de reclassement, la case « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » est cochée (pièce n°5) ;
- Un certificat d'arrêt de travail pour maladie professionnelle établi le 14 août 2018 indiquant : « Dépression nerveuse dans un contexte de harcèlement professionnel reconnu par la médecine du travail » (pièce n°10) ;
- Le jugement du tribunal judiciaire de Rennes en date du 4 octobre 2023 ayant dit que la maladie du 21 mars 2018 déclarée par M. [Z] a un caractère professionnel et que cette maladie est due à la faute inexcusable de la société JB Martin (pièce n°12).
En réplique, les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires, qui ne produisent strictement aucun élément sur ce point, font valoir qu'il appartient au salarié de démontrer que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.
Tel qu'il résulte des précédents développements et pièces versées aux débats, les liquidateurs judiciaires ne remettent pas utilement en cause la réalité des réorganisations multiples et désordonnées de l'équipe de Direction (12 Directoires en 9 ans), pas plus qu'ils ne contestent que cette situation a été source d'instabilité pour les salariés de l'entreprise, confrontés à des changements intempestifs de stratégies d'entreprise.
Si les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs, font état de la situation économique complexe de la société à compter de l'année 2017, elles ne justifient d'aucune organisation adaptée, ni de mesure d'accompagnement du salarié qui en sa qualité de Directeur des opérations logistiques et industrielles et membre du Comité de direction et du comité exécutif du Groupe se trouvait au c'ur des difficultés économiques de la société mais également des difficultés relationnelles opposant les présidents du Directoire successifs à l'actionnaire de la SA JB Martin.
Ces manquements de l'employeur sont d'autant plus fautifs que suite au retrait brutal de la délégation de pouvoir le 17 mars 2018 sans autre explication que la « situation particulière de l'entreprise », M. [Z] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du 21 mars suivant et n'a plus jamais été en mesure de reprendre son poste de travail.
Il est objectivement établi que la dégradation de l'état de santé de M. [Z], comptant plus de 16 ans d'ancienneté, résulte de l'absence de toute mesure de prévention, d'accompagnement et de formation dans un contexte d'instabilité notoire de l'équipe de Direction exacerbée par des difficultés économiques et relationnelles.
Les liquidateurs ne produisent, de surcroît, ni le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), ni tout autre élément permettant de vérifier la mise en 'uvre de mesures de prévention et d'accompagnement des salariés.
Dans ces conditions où il est démontré que M. [Z] était mis à l'écart et confronté à une dégradation de ses conditions de travail liées à des réorganisations multiples et désordonnées et dès lors que les liquidateurs judiciaires de la société JB Martin ne justifient d'aucune action concrète de prévention des risques professionnels et ne produisent aucun élément justifiant des mesures qui auraient été prises suite aux différents arrêts de travail du salarié, licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 28 octobre 2019, il est établi que l'employeur a manqué à son obligation légale de sécurité.
L'inaptitude sans possibilité de reclassement de M. [Z], déclarée aux termes de plusieurs arrêts de travail pour « dépression due au travail », étant en lien avec la persistance fautive des manquements de l'employeur, le licenciement notifié le 28 octobre 2019 est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
4- Sur les conséquences financières
Le licenciement de M. [Z] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il est fondé à solliciter des dommages et intérêts à ce titre.
L'article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d'emploi. Le montant de cette indemnité est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en nombre de mois de salaire, en fonction de l'ancienneté du salarié.
Au cas d'espèce, l'entreprise employant habituellement plus de onze salariés, le montant des dommages et intérêts est compris entre 3 et 13,5 mois pour une ancienneté en années complètes de 16 ans à la date du licenciement.
Au regard de l'ancienneté de M. [Z] (16 ans et 1 mois), de son âge lors de la rupture (60 ans), du montant mensuel de son salaire brut (7 776,67 euros), de sa situation personnelle postérieure à la rupture (pièces n°4 et 13 : perception d'une rente et de l'ARE) il y a lieu de lui accorder la somme de
77 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
6. Sur la garantie de l'AGS
Le présent arrêt sera déclaré opposable au CGEA-AGS de [Localité 12] dont les garanties s'appliqueront pour les sommes précitées dans les limites et plafonds prévus par les articles L. 3253-8, L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail.
7. Sur les dépens et frais irrépétibles
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA J.B Martin, parties perdantes, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il n'est pas contraire à l'équité, eu égard aux circonstances de l'espèce, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et il convient donc de débouter M. [Z] de la demande qu'il a formée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Dit que la cour est pleinement saisie par l'effet dévolutif de l'appel ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022 en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [M] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de ses demandes formulées de ce chef ;
Le confirme en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement nul ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié par la SA JB Martin à M. [M] [Z] le 28 octobre 2019 est sans cause réelle et sérieuse ;
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SA JB Martin la somme de
77 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à l'AGS dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail et des plafonds prévus à l'article D. 3253-5 du même code ;
Déboute M. [Z] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin aux entiers dépens.
Le président La greffière
ARRÊT N°101/2025
N° RG 22/03283 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SY5R
M. [M] [Z]
C/
S.A. JB MARTIN
S.C.P. BTSG PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [F] [C]
S.E.L.A.F.A. MJA PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [P] [U]
Association UNEDIC DÉLÉGATION CGEA IDF OUEST
RG CPH : 20/00119
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Janvier 2025 devant Monsieur Bruno GUINET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [M] [Z]
né le 27 Mars 1960 à [Localité 8]
[Adresse 10]
[Localité 4] / FRANCE
Représenté par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me LEMOINE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
S.C.P. BTSG prise en la personne de Maître [F] [C] agissant en sa qualité mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société J.B. MARTIN , à ce désignée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 2 juin 2020.
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS,Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sabine ANGELY MANCEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.E.L.A.F.A. MJA Prise en la personne de Maître [P] [R] agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société J.B. MARTIN à ce désignée par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 2 juin 2020.
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sabine ANGELY MANCEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Association UNEDIC DÉLÉGATION CGEA IDF OUEST
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [M] [Z] a été engagé par la SA JB Martin selon un contrat à durée indéterminée en date du 08 septembre 2003 pour exercer les fonctions de directeur des opérations logistiques et industrielles, statut cadre.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de l'industrie de la chaussure.
Du 16 février au 02 mars 2018, M. [Z] a été placé en arrêt de travail et à nouveau à compter du 21 mars.
Le 21 septembre 2018, le salarié a sollicité auprès de la CPAM une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Par décision du 24 mai 2019, la CPAM a pris en charge la maladie « dépression nerveuse dans un contexte de harcèlement professionnel » de M. [Z] au titre de la législation sur les risques professionnels. Puis, le 15 novembre 2019, le taux d'incapacité du salarié a été fixé à 40%, taux sur la base duquel a été calculé le montant de la rente maladie professionnelle servie à l'assuré.
Au terme d'une visite de reprise organisée le 1 er octobre 2019, le médecin du travail a déclaré M. [Z] inapte avec dispense de reclassement.
La société JB Martin a convoqué M. [Z] à un entretien préalable au licenciement fixé au 22 octobre 2019. Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 octobre 2019, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement en date du 02 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire sur résolution du plan de redressement de la SA JB Martin et désigné la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [P] [R] et la SCP BTSG, prise en la personne de Me [F] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société.
Par jugement en date du 04 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Rennes a dit que la maladie déclarée par M. [Z] a un caractère professionnel, que ladite maladie dont le salarié a été victime est due à la faute inexcusable de la société JB Martin, ordonné la majoration maximale de la rente allouée par la CPAM à M. [Z] des suites de son incapacité permanente partielle fixée à 40% et ordonné une expertise médicale afin d'évaluer ses postes de préjudice.
***
Sollicitant le paiement de diverses sommes et indemnités, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 13 février 2020 afin de voir :
- Dire et juger nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour
inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [Z]
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les créances suivantes
de M. [Z] :
- la somme nette de 124 426,72 euros à titre de dommages-intérêts
principalement pour nullité du licenciement et subsidiairement pour absence de cause réelle et sérieuse
- Condamner in solidum ès qualités de liquidateurs, Me [C], et Me [R],
ou à défaut l'un ou l'autre, à payer M. [Z] la somme de 3 000 euros sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui seront employés en
frais privilégiés de procédure en application de L 621-32 du code du commerce
- Dire et juger la décision opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie.
- Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité du dispositif en application de l'article R. 1454-28 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum ès qualités de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [P], Me [R], SELAFA MJA, aux entiers dépens.
La SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de mandataires judiciaires de la SAS JB Martin, ont demandé au conseil de prud'hommes de :
A titre principal :
- Déclarer irrecevable M. [Z] en toutes ses demandes
A titre subsidiaire :
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
A titre plus subsidiaire :
- Limiter le quantum de la créance à 23 330,01 euros.
A titre infiniment subsidiaire :
- Limiter le quantum de la créance à 46 662,02 euros.
En tout état de cause
- Condamner M. [Z] aux dépens et à payer aux concluantes ès qualité une
indemnité de procédure 2 000,00 euros
L'AGS CGEA Ile de France Ouest a demandé au conseil de prud'hommes de Rennes de :
- Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes.
- A titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions le quantum de l'indemnisation sollicitée, qui ne saurait excéder 3 mois de salaires, soit
23 330 euros.
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre
de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
Par jugement en date du 02 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Rennes a :
- Ordonné la jonction des affaires inscrites au répertoire général sous les N°
20/119, N°20/363,
- Déclaré M. [Z] recevable en ses demandes,
- Dit et jugé que le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- Débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes
- Débouté la SCP BTSG, en la personne de Me [F] [C] ès-qualités de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire de la société JB Martin et la SELAFA MJA, en la personne de Me [P] [R], ès-qualités de mandataire judiciaire de la procédure de liquidation judiciaire de la société JB Martin de leurs demandes.
- Déclaré le jugement opposable au CGEA Ile de France Ouest.
- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré que :
o Les attestations produites par M. [Z], dont les termes sont généraux, non datés et non circonstanciés ne permettent pas d'établir la matérialité des faits invoqués ;
M. [Z] a été confronté à une situation difficile dans une entreprise luttant pour sa survie ; en prenant en compte les documents médicaux et après avoir examiné l'ensemble des éléments, les faits, pris dans leur ensemble ne sont pas matériellement établis et ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;
o Il n'est pas démontré que la société JB Martin, durant cette période perturbé où sa survie (au sens économique du terme) était en jeu aurait manqué à son obligation de sécurité envers M. [Z].
***
M. [Z] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 24 mai 2022.
Par ordonnance en date du 2 mai 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Rennes a :
- Débouté la SCP BTSG prise en la personne de Me [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société JB Martin et la société MJA prise en la 4 personne de Maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA JB Martin de leur demande tendant à voir prononcer la caducité de l'appel ;
- Débouté M. [Z] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamné la SCP BTSG prise en la personne de Maître [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA JB Martin et la société MJA prise en la personne de Maître [R] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société JB Martin aux dépens de l'incident.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 11 décembre 2024, M. [Z] demande à la cour d'appel de :
Infirmant,
- Dire et juger nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse le
licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [Z].
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Anonyme JB Martin les créances suivantes de M. [Z]:
- La somme 124 426,72 euros à titre de dommages et intérêts, pour nullité du
licenciement et subsidiairement, pour absence de cause réelle et sérieuse
- Débouter Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, es qualité de liquidateurs, et l'AGS de l'intégralité de leurs prétentions.
- Condamner in solidum es qualité de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, ou à défaut l'un ou l'autre, à payer M. [Z] la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui seront employés en frais privilégiés de procédure en application de L. 641-13 du code de commerce.
- Dire et juger l'arrêt opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie.
- Condamner in solidum es qualité de liquidateurs, Me [C], SCP BTSG et Me [R], SELAFA MJA, aux entiers dépens.
En l'état de leurs dernières conclusions transmises par leur conseil sur le RPVA le 11 décembre 2024, la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin, demandent à la cour d'appel de :
A titre principal,
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022
en toutes ses dispositions ;
A titre subsidiaire,
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022 en ce qu'il « déclare M. [Z] recevable en ses demandes » ;
- En conséquence, réformer le jugement en ce qu'il déboute M. [Z] au lieu de le déclarer irrecevable et statuant à nouveau,
- Déclarer irrecevables toutes les demandes de M. [Z] ;
Plus subsidiairement,
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes ;
Très subsidiairement,
- Limiter le quantum de la créance à 46 662,02 euros ; 5
En tout état de cause,
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse
mal fondée,
- Condamner M. [Z] aux dépens de l'appel dont distraction au profit de la SELARL LX Rennes Angers dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [Z] à payer aux concluante une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 10 octobre 2022, l'AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour d'appel de :
- Déclarer mal fondé M. [Z] en son appel
- Subsidiairement, ramener à de plus justes proportions le quantum de
l'indemnisation sollicitée, qui ne saurait excéder 3 mois de salaires, soit 23 330 euros ;
En toute hypothèse :
- Débouter M. [Z] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre
de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 17 décembre 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 27 janvier 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur l'effet dévolutif de l'appel principal
Les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin, font valoir que par application combinée des articles 542 et 954 du code de 6 procédure civile, le jugement doit être confirmé dès lors que les conclusions du 1 er juillet 2022 notifiées par M. [Z] mentionnent au dispositif « infirmant » sans aucune précision.
En réplique, M. [Z] soutient que le dispositif de ses conclusions comporte une demande d'infirmation ainsi que des prétentions au fond visant à la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société
L'article 542 du code de procédure civile énonce que l'appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
L'article 562 du même code, dans sa version antérieure au décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023, dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
Il en résulte que la déclaration d'appel qui mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel quand les conclusions, par l'énoncé dans leur dispositif, de la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement déterminent, quant à elles, la finalité de l'appel, qui tend à l'annulation ou à la réformation du jugement, dans les limites de la dévolution opérée par la déclaration d'appel.
Il en découle que lorsque la déclaration d'appel vise l'ensemble des chefs de dispositif du jugement, l'appelant a la faculté de solliciter dans ses conclusions, soit la réformation, soit l'annulation de cette décision (Civ. 2 ème, 14 septembre 2023, n°20-18.169).
Enfin, aux termes de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023, les conclusions d'appel comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de dispositif critiqués, une discussion des prétentions et des moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions.
Il en résulte que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel est déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile.
En l'espèce, force est de constater que dans le dispositif de ses premières conclusions d'appelant déposées le 11 juillet 2022 ainsi que dans le dispositif de ses dernières conclusions d'appelant n°4 notifiées le 11 décembre 2024, M. [Z] sollicite l'infirmation du jugement entrepris par le seul mot « infirmant ».
Bien que le dispositif de ses conclusions, n'énumère pas chaque chef de jugement expressément critiqué, il n'existe cependant aucune ambiguïté quant à la portée de l'appel interjeté par M. [Z] dans la mesure où :
- L'appelant a régulièrement énuméré les chefs du jugement dont il sollicite l'infirmation dans l'acte de déclaration d'appel,
- Il énonce des prétentions à l'appui de sa demande d'infirmation du jugement entrepris.
Dans ces conditions et dès lors que dans sa version applicable aux faits de l'espèce, l'article 954 du code de procédure civile n'exigeait pas que le dispositif des conclusions d'appelant énonce les chefs de jugement critiqués, il n'y a pas lieu d'imposer un tel formalisme aux conclusions querellées.
Les conclusions de M. [Z] produisant un effet dévolutif, il y a lieu de débouter les liquidateurs judiciaires de la société JB Martin de la prétention formulée à ce titre.
2- Sur la recevabilité des prétentions de l'appelant
Pour infirmation du jugement entrepris, les liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin exposent que les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de fixation d'une créance de dommages et intérêts dont l'objet est indéterminé sont irrecevables.
Les intimés font valoir à ce titre qu'aucune distinction n'est opérée dans le dispositif des écritures adverses entre l'indemnisation d'un licenciement nul et l'indemnisation d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour confirmation du jugement, M. [Z] soutient que la Cour de cassation a
jugé que la nullité du licenciement et l'absence de cause réelle et sérieuse tendent aux mêmes fins et visent à obtenir l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'un salarié estime injustifié. Le salarié expose que sa prétention porte sur la fixation d'une créance de dommages et intérêts au passif de la liquidation judiciaire, principalement au titre de la nullité du licenciement et subsidiairement, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse, de sorte que ses prétentions sont recevables.
Il résulte des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge judiciaire,
qui doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé, est tenu d'examiner les demandes dans l'ordre fixé par les parties.
En l'espèce, dans le dispositif de ses dernières écritures déposées le 11
décembre 2024, M. [Z] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
« - Dire et juger nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [M] [Z]
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société anonyme J.B Martin les créances suivantes de Monsieur [Z] : la somme de 124.426,72 euros à titre de dommages et intérêts, pour nullité du licenciement et subsidiairement, pour absence de cause réelle et sérieuse' »
Force est de constater qu'il n'existe aucune confusion quant aux prétentions énoncées au dispositif des écritures de l'appelant qui sollicite que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement soit déclaré nul à titre principal, et dépourvu de cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire.
De même, le moyen tiré du caractère indéterminé des dommages et intérêts est inopérant dès lors qu'il est expressément sollicite de fixer une créance de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement et subsidiairement, au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse.
A titre surabondant, aucun texte n'interdit au salarié de solliciter un quantum identique au titre de l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'il estime nul ou injustifié, sous réserve du respect du barème fixé par l'article L. 1235-3 du même code et qu'en tout état de cause, une demande en justice non chiffrée n'est pas, de ce seul fait, irrecevable.
Partant, il y a lieu de débouter les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la société J.B Martin, de leur demande à ce titre, par voie de confirmation du jugement entrepris.
3- Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement
La lettre de licenciement datée du 28 octobre 2019, qui circonscrit l'objet du litige est rédigée selon les termes suivants :
« ['] Nous vous notifions, par la présente, notre décision de mettre fin à votre contrat de travail du fait de votre inaptitude d'origine professionnelle à occuper votre emploi médicalement constatée le 1 er octobre 2019 par le médecin du travail, et de l'impossibilité de reclassement ainsi que le mentionne expressément l'avis selon lequel « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Comme nous vous l'avons indiqué dans notre courrier daté du 10 octobre 2019, la mention expresse figurant dans l'avis d'inaptitude du médecin du travail, rend impossible votre reclassement au sein du Groupe. Devant cette impossibilité de vous reclasser, nous nous voyons malheureusement dans l'obligation de vous licencier' » (pièce n°7 salarié).
Pour infirmation du jugement, M. [Z] impute son inaptitude aux agissements
de harcèlement moral exercés par son employeur et subsidiairement à un
manquement de ce dernier à son obligation de sécurité de sorte que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est soit nul, soit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
3-1 Sur les agissements de harcèlement moral
Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour gradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses
droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, même sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié 9 déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 08 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses
décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient aux juges du fond (Soc. 8 juin 2016, n° 14-13.418) :
1- d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits,
2- d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
3- dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, M. [Z] invoque, au titre des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, les faits suivants, qu'il reproche à son employeur :
' Des pressions résultant de l'envoi de mails et d'appels téléphoniques
quotidiens,
' Des ordres contradictoires données par l'actionnaire et les équipes dirigeantes,
' Le retrait de ses attributions et sa mise à l'écart du comité de direction et des
comités stratégiques,
' L'interdiction de rencontrer les fabricants et fournisseurs,
' Le retrait de sa délégation de pouvoirs.
Au soutien de sa demande, le salarié verse aux débats :
- Le compte rendu de l'enquête administrative menée par un enquêteur agréé et assermenté de la CPAM de [Localité 12] qui comporte les documents ci-après :
o Un procès-verbal de constatation rédigé par l'enquêteur aux termes duquel il est indiqué que : « Monsieur [Z] me remet un document qu'il a rédigé avec soins reprenant son parcours professionnel au sein de l'entreprise JB Martin et mettant en exergue la dégradation progressive de ses conditions de travail l'ayant conduit à un effondrement total et un point de non-retour (pièce jointe n°2).[']
De 2014 à 2018, la pression devenait de plus en plus forte et la dégradation des conditions de travail de Monsieur [Z] s'accélérait au fur et à mesure que les résultats du groupe financier s'enfonçaient dans le négatif. A chaque changement de Directoire, les choix stratégiques différaient et étaient même contradictoires. Monsieur [Z] se trouvait à faire le tampon entre le Président et ses équipes.
[']
Monsieur [Z] ne cache pas que les rapports avec Monsieur [J] étaient compliqués, voire conflictuels. La pression était insupportable et il avait le sentiment qu'on cherchait à lui trouver des fautes. On l'a soupçonné de favoriser certains fabricants (pièces jointes n°13-14-15), on lui a reproché la livraison de la collection « été 2018 » avec un gros retard (pièces jointes n°16-17-18-19)' Monsieur [Z] était toujours obligé de se justifier.
En décembre 2017, il n'y avait plus qu'un seul membre au Directoire, au lieu de deux. Il a été proposé à Monsieur [Z] de devenir membre du Directoire, ce qu'il a refusé compte tenu du sort réservé aux prédécesseurs (mail joint ' pièce n°20). [']
Un nouveau dirigeant a été désigné par l'actionnaire et à partir de là s'est engagée une lutte de pouvoir entre le Président en poste et ce nouveau Directeur. Monsieur [Z] s'est retrouvé pris entre deux feux avec des ordres et contre-ordres. A chaque fois, les directives étaient différentes et Monsieur [Z] faisait le tampon. Il n'adhérait pas forcément aux choix faits par Monsieur [J] et l'actionnaire, les réunions étaient houleuses.
Le samedi 17 mars 2018, alors que Monsieur [Z] se trouvait en famille pour trouver repos et réconfort, il a reçu vers 16 heures un appel téléphonique sur son mobile professionnel de la part du Président, lui disant de façon agressive qu'il venait de sortir d'un conseil de surveillance très houleux et que ce conseil n'avait plus confiance en lui. Il lui faisait divers reproches et pour finir, il lui a annoncé qu'il lui retirait sa délégation de pouvoir concernant les relations commerciales et techniques entre JB Martin et les Administrations publiques. A 18h18, M. [J] lui confirmait par mail cette révocation (pièce jointe n°21).
[']
Le jeudi 13 décembre 2018, je me suis rendue sur le site de l'Entreprise JB Martin à [Localité 9] où j'ai été reçue par la Directrice des ressources humaines : Madame [A] [W].
[']
Madame [W] me confirme la chronologie des faits. Elle ne peut que valider les changements de Directoire connus et subis depuis les 5 dernières années et qui ont mis à mal l'entreprise et l'ensemble du personnel, dont elle fait partie. 11
Elle a toujours travaillé en étroite collaboration avec Monsieur [Z] et elle reconnaît que ce dernier a subi diverses contrariétés au cours de sa vie professionnelle, notamment une réduction de son périmètre d'activité.
[']
On demandait toujours à Monsieur [Z] de faire des efforts sur les prix pour dégager plus de marges. Il subissait à cette période des ordres et contre-ordres. Par exemple on lui disait qu'il fallait approvisionner le cuir, puis après on lui disait qu'il ne fallait plus le faire. Il est vrai qu'à cette période, tout était sujet à critique. »
o Un document dactylographié de 6 pages rédigé par M. [Z] faisant état des missions et objectifs qui lui étaient assignés, de l'évolution de ses conditions de travail, des difficultés économiques rencontrées par la société J.B Martin et de ses difficultés relationnelles avec le Président du Directoire, M. [Y] [J] ;
o Trois délégations de pouvoir datées des 13 janvier 2015, 14 décembre 2015 et 15 décembre 2017 aux termes desquelles les présidents successifs du Directoire ont donné délégation de pouvoir et de signature à M. [Z] pour tous les actes engageant la société J.B Martin en matière de candidatures, de soumissions, et de façon générale pour toutes les relations commerciales techniques entre la société et les administrations publiques clientes de l'entreprise ;
o Un document dactylographié récapitulant les déplacements réalisés par M. [Z] de 2015 à 2018, duquel il ressort une nette diminution du nombre de déplacements du salarié qui, a effectué 21 déplacements à l'étranger et à [Localité 11] en 2015 et n'effectuait qu'un déplacement au Portugal en 2018 ;
o Des mails échangés entre M. [J], Mme [G] [L] et M. [Z] du 13 au 15 février 2018, portant sur les comptes des fournisseurs, notamment l'absence de dette de deux fournisseurs qualifiés d'importants ;
o Le planning de livraison prévisionnel pour la collection été 2018 transmis par mail du 16 janvier 2018 au Président du Directoire, ce dernier réagissant en ces termes :
« Well well well : tout ce qui dépasse mars n'est pas bon. D'ailleurs c'était bien notre objectif' » ;
o Un mail daté du 19 décembre 2017 aux termes duquel M. [Z] indiquait à M. [J] : « Bonjour, suite à notre entretien d'hier je vous remercie de la confiance que vous m'avez témoigné, cependant après réflexion je suis au regret de ne pouvoir accepter ce mandat de membre du Directoire de la société J.B Martin' » ;
o Un mail daté du samedi 17 mars 2018 aux termes duquel M. [J] indiquait à M. [Z] : « Bonjour, je vous confirme par la présente que la délégation de pouvoir, que je vous ai donné en date du 15 décembre 2017, et concernant les relations commerciales et techniques entre JB Martin et les Administrations publiques, clientes de l'entreprise, est révoquée avec effet immédiat. J'ai bien noté que cette délégation est similaire à celle que vous aviez eu au cours des années passées, et données par les dirigeants successifs de l'entreprise dans le cadre des marchés
publics, et sans d'ailleurs que cela ne pose aucun problème, mais la situation particulière de l'entreprise amène à modifier nos modes de fonctionnement' » ;
o Un certificat médical établi le 29 mars 2018 pars le Dr [K] [D] indiquant : « Je vois ce jour M. [Z] [M] en dépression due au travail' » (pièce n°2) ;
- L'attestation de Mme [X] [O], ancienne responsable
approvisionnement, indiquant que : « Lors des 8 années pendant lesquelles j'ai tenu le poste de responsable Supply chain du groupe J.B Martin j'ai pu être témoin de la dégradation des conditions de travail de M. [Z]. Parmi les difficultés qui lui étaient imposées pour assurer sa fonction je peux citer :
- Le travail toujours plus sous pression avec des emails et appels sept jours sur sept,
- La succession de 12 équipes dirigeantes avec les changements incessants de
directives et stratégies
- Les décisions contradictoires émanant des différents dirigeants le mettant dans des situations inconfortables et de conflits venant à douter de tous et de tout - Les divergences d'opinions entre l'Actionnaire et les dirigeants a créé petit à petit un climat très tendu à tendance paranoïaque
- Monsieur [Z] s'est vu petit à petit retirer plusieurs de ses attributions, le mettant à l'écart du comité de Direction et des projets de l'entreprise. Il lui a même été interdit de voyager et de rencontrer les fournisseurs et fabricants, l'une de ses principales fonctions.
Et enfin, la suppression sans raison de la délégation de pouvoir qui lui avait été donnée.
Monsieur [Z] a tout fait pour protéger ses équipes en prenant sur lui un maximum de stress et de responsabilités ; et ce pour faire avancer l'entreprise dans ses tourments. Le climat était devenu peu propice à l'épanouissement personnel et professionnel. » (pièce n°8) ;
- L'attestation de M. [N] [V], ancien directeur marketing de la société, selon lequel : « ['] collègue de Monsieur [M] [Z] pendant près de 15 ans, j'ai pu constater les très fortes pressions exercées sur lui par tous les dirigeants de l'entreprise depuis le changement d'actionnaire en 2007. Ces derniers lui imposaient des directives très souvent contradictoires, négligeant tous les avis professionnels donnés par M. [Z]. M. [Z] a subi une mise à l'écart et une réduction importante de ses responsabilités professionnelles : tout d'abord il a été écarté sans justification du Comité de direction dont il faisait partie depuis 2003. Il s'est ensuite vu imposer le choix de certains fournisseurs industriels dont les compétences étaient clairement contestées par M. [Z]. Depuis il a été progressivement été
écarté des relations avec les fournisseurs. Il lui a même été interdit de se déplacer à l'étranger afin de rencontrer les fabricants, alors que ces derniers étaient visités à son insu par l'actionnaire, et ceci l'a totalement discrédité vis-à-vis des fournisseurs.
Les tensions claires et existantes entre l'actionnaire et les dirigeants successifs, lui ont fait subir un stress permanent d'une très forte intensité ce qui a eu pour conséquence de le mettre dans des conditions psychologiques de travail très difficiles et une instabilité permanente. Il a vécu au quotidien sous pression, recevait 13 des emails et des appels téléphoniques même régulièrement le week end' » (pièce n°9).
Il résulte des délégations de pouvoir et du mail daté du 17 mars 2018, que le retrait de la délégation de pouvoirs motivé par « la situation particulière de l'entreprise » est établi.
Il doit être relevé que la note dactylographiée faisant état d'une importante dégradation des conditions de travail ainsi que l'historique des déplacements professionnels effectués de 2015 à 2018, ont été établis par M. [Z] lui-même de sorte qu'ils ne sauraient permettre d'établir, de façon objective, la matérialité d'une interdiction de visiter les fournisseurs et clients à l'étranger.
De même, s'agissant de l'audition de Mme [W] et des deux attestations versées aux débats, force est de constater que :
- Les salariés qui unanimement dénoncent les pressions, contre-ordres et la mise à l'écart subis par M. [Z] ne citent pour autant aucun exemple circonstancié et ne décrivent d'ailleurs aucun fait précis imputable au Président du Directoire ou à l'actionnaire de la société JB Martin ; à cet égard, contrairement aux allégations de Mme [W], il ne ressort aucunement des différents mails rédigés selon des termes courtois et mesurés que le président du Directoire reprochait à M. [Z] un quelconque favoritisme de certains fabricants ainsi que la livraison tardive de la collection été 2018 ;
- Ces témoignages font état de ressentis à caractère subjectif de sorte que le climat au sein de l'entreprise décrit comme «très tendu à tendance paranoïaque» ainsi que l'affirmation selon laquelle « on cherchait à lui trouver des fautes », ne s'appuie sur aucun exemple concret et n'est corroborée par aucun élément objectif ;
- Les salariés dénoncent essentiellement l'instabilité de l'équipe de direction de la SA JB Martin liée aux changements successifs des membres du Directoire, entraînant des bouleversements perpétuels des directives et stratégies ainsi que des désaccords entre l'équipe de direction et l'actionnaire de la société; pour autant il n'est aucunement établi que dans ce contexte de difficultés relationnelles M. [Z] était confronté à des injonctions contradictoires émanant de l'actionnaire de la société et des équipes dirigeantes, ni que ces réorganisations multiples seraient précisément à l'origine d'une désorganisation de ses missions et d'un retrait de ses attributions.
Il s'ensuit que M. [Z] qui se prévaut de différents agissements répétés ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail, échoue à établir la matérialité de différents faits qu'il dénonce, à savoir : l'envoi de mails et appels téléphoniques au quotidien, d'ordres contradictoires donnés par l'actionnaire et les équipes dirigeantes, du retrait d'attributions, d'une mise à l'écart, ainsi que l'interdiction de rencontrer les fabricants et fournisseurs.
Le seul élément matériellement établi relatif au retrait de sa délégation de pouvoir étant insuffisant pour s'inscrire dans le cadre d'agissements de harcèlement moral, 14 les autres éléments dont se prévaut M. [Z], qui ne sont pas matériellement établis, ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande à ce titre.
3-2 Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Lorsque le comportement fautif de l'employeur est à l'origine d'une dégradation de l'état de santé du salarié et de l'inaptitude physique de celui-ci, l'intéressé peut se prévaloir d'un non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité.
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1. Des actions de prévention des risques professionnels ;
2. Des actions d'information et de formation ;
3. La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur est également tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : « L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1. Eviter les risques ;
2. Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3. Combattre les risques à la source ;
4. Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5. Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6. Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7. Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L.1152-1 et L. 1153-1 ;
8.Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9.Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, alors que l'employeur doit assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de lasécurité des travailleurs dans l'entreprise. Il lui est interdit de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.
Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié et ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Le salarié est tenu de démontrer la connaissance du risque par l'employeur, notamment en rapportant l'alerte émise sur le risque, sauf si cette connaissance est présumée. Ensuite, il suffit au salarié d'alléguer la violation de l'obligation de sécurité sans avoir à la démontrer et il incombe à l'employeur d'établir qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité.
M. [Z] expose que son inaptitude étant consécutive à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
A cet égard, le salarié se prévaut de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et dénonce l'absence de mesure de prévention.
Outre les éléments précités, à savoir les deux attestations d'anciens collègues et le compte rendu de l'enquête diligentée par la CPAM de [Localité 12], M. [Z] verse aux débats :
- Un avis d'inaptitude daté du 1 er octobre 2019 ; étant observé que dans l'encadré relatif aux cas de dispense de l'obligation de reclassement, la case « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » est cochée (pièce n°5) ;
- Un certificat d'arrêt de travail pour maladie professionnelle établi le 14 août 2018 indiquant : « Dépression nerveuse dans un contexte de harcèlement professionnel reconnu par la médecine du travail » (pièce n°10) ;
- Le jugement du tribunal judiciaire de Rennes en date du 4 octobre 2023 ayant dit que la maladie du 21 mars 2018 déclarée par M. [Z] a un caractère professionnel et que cette maladie est due à la faute inexcusable de la société JB Martin (pièce n°12).
En réplique, les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires, qui ne produisent strictement aucun élément sur ce point, font valoir qu'il appartient au salarié de démontrer que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.
Tel qu'il résulte des précédents développements et pièces versées aux débats, les liquidateurs judiciaires ne remettent pas utilement en cause la réalité des réorganisations multiples et désordonnées de l'équipe de Direction (12 Directoires en 9 ans), pas plus qu'ils ne contestent que cette situation a été source d'instabilité pour les salariés de l'entreprise, confrontés à des changements intempestifs de stratégies d'entreprise.
Si les sociétés BTSG et MJA, ès qualités de liquidateurs, font état de la situation économique complexe de la société à compter de l'année 2017, elles ne justifient d'aucune organisation adaptée, ni de mesure d'accompagnement du salarié qui en sa qualité de Directeur des opérations logistiques et industrielles et membre du Comité de direction et du comité exécutif du Groupe se trouvait au c'ur des difficultés économiques de la société mais également des difficultés relationnelles opposant les présidents du Directoire successifs à l'actionnaire de la SA JB Martin.
Ces manquements de l'employeur sont d'autant plus fautifs que suite au retrait brutal de la délégation de pouvoir le 17 mars 2018 sans autre explication que la « situation particulière de l'entreprise », M. [Z] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du 21 mars suivant et n'a plus jamais été en mesure de reprendre son poste de travail.
Il est objectivement établi que la dégradation de l'état de santé de M. [Z], comptant plus de 16 ans d'ancienneté, résulte de l'absence de toute mesure de prévention, d'accompagnement et de formation dans un contexte d'instabilité notoire de l'équipe de Direction exacerbée par des difficultés économiques et relationnelles.
Les liquidateurs ne produisent, de surcroît, ni le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), ni tout autre élément permettant de vérifier la mise en 'uvre de mesures de prévention et d'accompagnement des salariés.
Dans ces conditions où il est démontré que M. [Z] était mis à l'écart et confronté à une dégradation de ses conditions de travail liées à des réorganisations multiples et désordonnées et dès lors que les liquidateurs judiciaires de la société JB Martin ne justifient d'aucune action concrète de prévention des risques professionnels et ne produisent aucun élément justifiant des mesures qui auraient été prises suite aux différents arrêts de travail du salarié, licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 28 octobre 2019, il est établi que l'employeur a manqué à son obligation légale de sécurité.
L'inaptitude sans possibilité de reclassement de M. [Z], déclarée aux termes de plusieurs arrêts de travail pour « dépression due au travail », étant en lien avec la persistance fautive des manquements de l'employeur, le licenciement notifié le 28 octobre 2019 est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
4- Sur les conséquences financières
Le licenciement de M. [Z] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il est fondé à solliciter des dommages et intérêts à ce titre.
L'article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d'emploi. Le montant de cette indemnité est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en nombre de mois de salaire, en fonction de l'ancienneté du salarié.
Au cas d'espèce, l'entreprise employant habituellement plus de onze salariés, le montant des dommages et intérêts est compris entre 3 et 13,5 mois pour une ancienneté en années complètes de 16 ans à la date du licenciement.
Au regard de l'ancienneté de M. [Z] (16 ans et 1 mois), de son âge lors de la rupture (60 ans), du montant mensuel de son salaire brut (7 776,67 euros), de sa situation personnelle postérieure à la rupture (pièces n°4 et 13 : perception d'une rente et de l'ARE) il y a lieu de lui accorder la somme de
77 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
6. Sur la garantie de l'AGS
Le présent arrêt sera déclaré opposable au CGEA-AGS de [Localité 12] dont les garanties s'appliqueront pour les sommes précitées dans les limites et plafonds prévus par les articles L. 3253-8, L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail.
7. Sur les dépens et frais irrépétibles
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA J.B Martin, parties perdantes, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il n'est pas contraire à l'équité, eu égard aux circonstances de l'espèce, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et il convient donc de débouter M. [Z] de la demande qu'il a formée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Dit que la cour est pleinement saisie par l'effet dévolutif de l'appel ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 mai 2022 en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [M] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de ses demandes formulées de ce chef ;
Le confirme en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande tendant à voir déclarer le licenciement nul ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié par la SA JB Martin à M. [M] [Z] le 28 octobre 2019 est sans cause réelle et sérieuse ;
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SA JB Martin la somme de
77 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à l'AGS dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail et des plafonds prévus à l'article D. 3253-5 du même code ;
Déboute M. [Z] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SCP BTSG et la SELAFA MJA, ès qualités de liquidateurs judiciaires de la SA JB Martin aux entiers dépens.
Le président La greffière