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Décisions

CA Poitiers, 4e ch., 27 mars 2025, n° 24/00303

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 24/00303

27 mars 2025

ARRET N°

N° RG 24/00303 - N° Portalis DBV5-V-B7I-G7A7

[D]

[D]

Société [8]

C/

[O]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

4ème Chambre Civile

ARRÊT DU 27 MARS 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00303 - N° Portalis DBV5-V-B7I-G7A7

Décision déférée à la Cour : jugement du 23 janvier 2024 rendu par le tribunal judiciaire de LA ROCHELLE.

APPELANTS :

Monsieur [T] [D]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

ayant pour avocat postulant Me Gabriel WAGNER de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me Jean VIGNERON de la SELARL ASKE 3, avocat au barreau de NANTES

Monsieur [Y] [D]

né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 10]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ayant pour avocat postulant Me Gabriel WAGNER de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me Jean VIGNERON de la SELARL ASKE 3, avocat au barreau de NANTES

SCI [8] SCI au capital de 1 000 euros, immatriculée au RCS de NANTES sous le n° [N° SIREN/SIRET 6], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social sis

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ayant pour avocat postulant Me Gabriel WAGNER de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me Jean VIGNERON de la SELARL ASKE 3, avocat au barreau de NANTES

INTIMEE :

Madame [R] [O] épouse [D]

née le [Date naissance 4] 1979 à [Localité 10]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

ayant pour avocat postulant Me Justine ALVES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

ayant pour avocat plaidant Me Julio ODETTI, avocat au barreau de CHATEAUROUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Denys BAILLARD, Président,

Madame Marie-Béatrice THIERCELIN, Conseillère

Madame Véronique PETEREAU, Conseillère, qui a présenté son rapport

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Christine CHOPELET,

lors du prononcé : Madame Inès BELLIN,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

**********************

EXPOSE DU LITIGE

Dans des conditions de régularité, de forme et de délai non discutées, la SCI [8], M. [T] [D] et M. [Y] [D] ont interjeté appel le 8 février 2024 d'un jugement rendu le 23 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de La Rochelle qui a :

- rejeté les demandes de mise hors de cause de M. [Y] [D] et M. [T] [D] ;

- condamné la Sci [8] à verser à Mme [R] [O] la somme de 167.050 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2018 en remboursement de son compte courant d'associé ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [Y] [D] ;

- condamné la Sci [8] à verser à Mme [O], la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sci [8] aux dépens ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Les appelants concluent à la réformation de toutes les dispositions du jugement entrepris et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

- débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SCI [8] ;

- condamner Mme [O] à payer à M. [T] [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner Mme [O] à payer à M. [Y] [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts ;

Subsidiairement,

- juger éteinte par compensation avec une indemnité d'occupation la créance de Mme [O] au titre d'un compte-courant d'associé ;

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, il était nécessaire de déterminer le quantum précis des comptes courants d'associés :

- désigner tel expert qu'il plaira à la cour de nommer avec pour mission de reconstituer depuis sa création la comptabilité de la SCI [8] ;

- de déterminer à raison des versements effectués par chacun des associés et de l'affectation de ces différentes sommes (au profit de la sci ou au profit des dépenses courantes du couple) le montant des comptes courants de chacun des associés ;

- condamner Mme [O] à payer à M. [T] [D] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [O] à payer à M. [Y] [D] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [O] à payer à la SCI [8] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [O] aux entiers dépens.

Mme [R] [O], intimée, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, à titre subsidiaire, si le tribunal retenait une indemnité d'occupation et opérait une compensation avec la créance en compte-courant :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [O] de sa demande à l'encontre de M. [Y] [D] aux fins de le voir condamné à la somme de 83.525 euros au titre du remboursement de sa part au titre de l'indemnité d'occupation due à la Sci [8] ;

- condamner M. [Y] [D] à payer à Mme [O] la somme de 83.525 euros au titre du remboursement de sa part au titre de l'indemnité d'occupation due à la Sci [8] ;

En tout état de cause,

- condamner la Sci [8] et M. [Y] [D] à payer à Mme [O] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- lui délaisser les entiers dépens de la présente instance.

Au soutien de leurs prétentions, les appelants font valoir que :

- M. [T] [D] n'avait pas à être attrait à la cause à titre personnel et maintient donc sa demande de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure diligentée à son encontre ; il a largement contribué à assurer le train de vie du couple pendant toute la durée du mariage ; le total des sommes qu'il a dépensées pour eux deux est de 300.000 euros ; il subit un préjudice moral certain au vu de sa générosité et de sa mise en cause aujourd'hui ;

- la mise en cause de l'ex-mari, M. [Y] [D] est aussi abusive et maintient donc aussi sa demande de dommages et intérêts ;

- pour justifier sa demande, Mme [O] doit prouver l'existence de comptes-courants d'associés dans cette SCI et établir un quantum précis des comptes-courants pour chacun des associés, ce qu'elle ne fait pas ;

- les comptes-courants doivent être indiqués dans les statuts ou il faut une convention établie régissant les liens entre l'associé et la société ; cette convention doit être approuvée annuellement par décision de l'assemblée générale et le montant doit apparaître en comptabilité ; de plus, la seule preuve de la remise de fonds à la société par l'un des associés ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme qu'elle a reçue ;

- il n'a jamais été mentionné de comptes-courants, ni dans les statuts ni dans les délibérations des assemblées générales, ni même dans la comptabilité de la SCI ; si les associés avaient voulu que les sommes versées par chacun d'eux à la société leur soient remboursées, il aurait été nécessaire que ce principe soit validé et entériné chaque année lors de l'approbation des comptes, ce qui n'a pas été fait ; le premier juge s'est immiscé dans le fonctionnement de la société en imposant une règle qui n'existe pas ; les éléments retenus par ce premier juge sont insuffisants ; les tableurs excel établis a posteriori ne sauraient suffire ; ils ne sont qu'une preuve qu'elle s'est constituée pour elle-même pour les besoins de la cause ; les mails échangés entre les parties sont également insuffisants ; le tribunal se devait de vérifier l'existence de ces comptes-courants, ce qu'il n'a pas fait ; s'il est établi que l'idée des comptes-courants avait été suggérée, rien ne permet d'établir qu'il ait existé un accord sur ce sujet ;

- si par impossible la cour venait à dire qu'il existait des comptes-courants, il faudrait désigner un expert pour déterminer à raison des versements effectués par chacun et de l'affectation de ces différentes sommes le montant des comptes-courants de chacun des associés ; il est absurde de considérer que Mme [O] détiendrait une créance de restitution au titre des sommes transférées à la SCI sans pour autant n'être redevable d'aucune somme au titre des dépenses effectuées par cette dernière, via les comptes de la SCI ;

- la SCI n'a pas réalisé de plus-value sur la vente de la maison : l'opération de vente/revente du bien immobilier a même été déficitaire pour la société ; le bien acheté n'a pas coûté uniquement le prix de la vente, soit 675.000 euros mais aussi les 7% du prix au titre des émoluments du notaire les droits et taxes débours et contribution de sécurité immobilière, outre 8% du prix de la vente correspondant à la commission de l'agence immobilière ; M. [T] [D] a, au surplus, intégralement financé les travaux d'aménagement ; doivent aussi être intégrés dans le calcul de la plus-value les intérêts du prêt immobilier souscrit pour financer l'acquisition du bien ; Mme [O] n'a nullement contribué à augmenter la valeur du bien par les versements qu'elle a effectués ; rien ne justifie que ces sommes versées puissent se transformer en investissement remboursable ; les sommes versées ont servi au financement des frais courants du foyer et n'incombaient pas à la SCI propriétaire du bien ;

- en toute hypothèse, la créance de la demanderesse, si tant est qu'elle soit reconnue, a nécessairement vocation à être compensée par une indemnité d'occupation versée en contrepartie de la jouissance du bien ; compte tenu du caractère familial de cette SCI, les parties n'avaient pas matérialisé de convention d'occupation, ce qui a conduit la demanderesse à soutenir que l'occupation était consentie à titre gratuit ; le tribunal a estimé que la créance de la demanderesse ne pouvait s'éteindre par voie de compensation avec des indemnités d'occupation au motif que la SCI avait renoncé au paiement de toute indemnité d'occupation ; le tribunal, pour dire qu'il avait existé, en l'espèce, une intention libérale de la SCI, s'est basé sur des indices trop minces pour pouvoir la caractériser avec certitude ;

- ils ne contestent pas le caractère prescrit d'une demande de paiement d'indemnité d'occupation ; toutefois, l'éventuelle créance de compte-courant de l'associé sera éteinte par voie de compensation avec les indemnités d'occupation réglées par cet associé ; la SCI ne cherche pas à obtenir un avantage autre que le rejet des prétentions adverses ; il s'agit donc d'un moyen de défense au sens de l'article 71 du code de procédure civile et un tel moyen de défense au fond est imprescriptible.

Au soutien de ses prétentions, Mme [O] fait valoir que :

- l'apport en compte-courant d'associé constitue une avance consentie par un associé à la société, qui est remboursable à tout moment, en l'absence de convention particulière ou statutaire ; que la preuve de cette avance obéit aux règles de droit commun des obligations et de la preuve (1341 et suivants du code civil) ; qu'il est de jurisprudence constante qu'en matière de SCI familiale, en raison des liens entre les différents associés, il n'est pas exigé une preuve parfaite (compte-courant associé, assemblée générale, approbation de comptes, comptabilité) mais un commencement de preuve par écrit ; que M. [T] [D] reconnaît lui-même l'existence de ce compte-courant ; qu'il a tenté maladroitement, lors de la séparation du couple, de compenser cette créance avec une indemnité d'occupation qui n'avait jamais été convenue ; que cela ressort des échanges sms entre eux deux ;

- elle justifie des versements qu'elle a faits sur le compte de la SCI ; que le montant de son compte-courant actualisé est de 167.050 euros ; que cette créance est payable à tout moment en l'absence de convention particulière ; que cette somme est retenue depuis bientôt 5 ans ; qu'elle a subi un préjudice de jouissance car cette somme lui aurait permis de concrétiser des projets et vivre plus confortablement ; qu'elle subit aussi un préjudice moral ;

- la SCI n'est tenue à aucune comptabilité, mais les éléments comptables étaient pour autant transmis par mail chaque année ; s'agissant de créances au sein d'une société familiale, l'un des associés peut se prévaloir de l'impossibilité morale de se procurer un écrit et peut prouver la créance en compte-courant par tous moyens ;

- l'intention libérale ne se présume pas ; c'est à celui qui l'invoque de la démontrer ; les appelants ne peuvent donc pas soutenir que Mme [O] donnait ces fonds à la SCI [8] et que ces versements n'engendraient aucune créance de restitution ;

- la SCI [8] est de parfaite mauvaise foi en refusant de communiquer les documents justifiant de la réalité des travaux ; elle produit certaines factures mais la SCI en détient d'autres ; ces travaux n'ont pas été faits dans l'unique intérêt des occupants ;

- elle n'a jamais utilisé, à des fins personnelles, des fonds qui auraient transité par la comptabilité de la SCI ; elle a versé des fonds sur le compte de la SCI pour que celle-ci puisse faire réaliser les travaux ; elle a versé 167.050 euros à cette fin ; elle-seule a assumé ces travaux puisque son mari ne le pouvait pas ;

- la compensation proposée entre cette créance et l'indemnité d'occupation prétendument due ne peut opérer car la demande d'indemnité d'occupation est prescrite ; l'indemnité d'occupation n'est pas un moyen de défense mais une demande reconventionnelle, raison pour laquelle elle est prescrite ;

- à titre très subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retient une indemnité d'occupation, celle-ci est due par le couple et donc par eux deux ; dans ce cas, elle aurait payé la part de son mari qui doit donc lui rembourser la somme de 83.525 euros ; la mise en cause de ce dernier est donc bel et bien justifiée.

Vu les dernières conclusions (n° 2) des appelants signifiées le 10 janvier 2025 ;

Vu les dernières conclusions de l'intimée signifiées le 20 janvier 2025 ;

L' ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2025.

SUR QUOI

La Sci [8] a été constituée le 15 septembre 2007 entre Mme [R] [O] et M. [Y] [D], mariés à l'époque, et M. [T] [D], père de M. [Y] [D].

Cette société a pour objet l'acquisition, l'exploitation et la location de biens immobiliers et plus généralement, toutes opérations quelconques pouvant se rattacher directement ou indirectement à 1'objet social ou tous objets connexes pourvu que ces opérations ne modifient pas le caractère civil de la société.

Son capital social, fixé à 1.000 euros, et divisé en 1000 parts, avait été réparti à l'époque comme suit :

- Mme [R] [O] : l part

- M. [Y] [D] : 1 part

- M. [T] [D] : 98 parts

La Sci [8] a fait l'acquisition, pour un montant de 365.000 euros, d'un bien immobilier, situé à Saint-Marc du Désert, qui constituait le domicile conjugal du couple.

Ce bien a été vendu en 2013. La même année, la SCI [8] a acquis, pour un montant de 675.000 euros, un nouveau bien immobilier, situé [Adresse 2], au moyen d'un prêt souscrit, pour constituer le nouveau logement familial.

M. [T] [D] et M. [Y] [D] ont été cogérants de la Sci [8] jusqu'au mois de juillet 2018.

Puis, le couple [D]-[O] s'est séparé courant 2017.

M. [Y] [D] est resté au sein du bien de la SCI [8], le domicile conjugal, seul, à compter du 1er juillet 2017, puis la société l'a vendu.

Par ailleurs, M. [Y] [D] a vendu sa part d'associé à M. [T] [D].

Le 15 décembre 2018, Mme [O] a sollicité à M. [T] [D], en sa qualité de gérant de la Sci [8], le remboursement de son compte-courant d'associé pour un montant de 160.000 euros puis a saisi le juge des référés près le tribunal judiciaire de la Rochelle d'une action aux fins de retrait, de production de l'intégralité des comptes, d'expertise judiciaire sur la valeur des parts sociales et de son compte-courant d'associée.

Par ordonnance du 21 janvier 2020, le juge des référés a autorisé le retrait de Mme [O] de la Sci [8], ordonné une mesure d'expertise aux fins d'évaluation de sa part sociale, rejeté la demande de communication de pièces et débouté Mme [O] de sa demande portant sur le compte-courant, considérant que la question de l'existence de ce compte relevait du juge du fond.

C'est ainsi que Mme [O] a fait assigner la SCI [8] et Messieurs [D] devant le tribunal judiciaire de La Rochelle afin d'obtenir le remboursement de sa créance fondée sur son compte-courant d'associé, aux motifs qu'elle avait financé le remboursement de l'emprunt souscrit par la société, et avait participé financièrement à la réalisation des travaux ayant valorisé le bien immobilier.

Par ordonnance du 7 juillet 2022, le juge de la mise en état saisi d'un incident tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande d'indemnité d'occupation sollicitée par la SCI [8] a rejeté cette fin de non recevoir.

Mme [O] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par arrêt du 8 février 2023, la cour d'appel de Poitiers a infirmé cette ordonnance et a déclaré irrecevable comme prescrite la demande d'indemnité d'occupation formée par la SCI [8] à l'encontre de Mme [O] pour la période du 1er septembre 2007 au 1er décembre 2016.

* * *

Sur la demande de mise hors de cause de M. [T] [D]

Mme [O] était en droit d'assigner à la cause M. [T] [D] lequel a été gérant de la SCI [8] et lequel est actuellement le seul associé de ladite société et ce, même si Mme [O] ne formule pas de demande à son encontre à titre personnel.

M. [T] [D] n'est pas fondé à solliciter des dommages et intérêts puisqu'il ne rapporte pas la preuve qu'il aurait subi un quelconque dommage en lien avec cette mise en cause, ce d'autant qu'il n'a pas pris à sa charge les frais d'un conseil, étant défendu par le même que celui de la SCI [8].

Sur la demande de mise hors de cause de M. [Y] [D]

Mme [O] a fait assigner son ex-conjoint afin qu'il soit condamné à lui verser la moitié de la somme que la SCI [8] sollicite à son endroit au titre de l' indemnité d'occupation si le tribunal avait jugé fondé cette demande. Que sa demande soit ou non fondée, Mme [O] était en droit d'assigner à la cause son ex-époux.

La demande de dommages et intérêts de ce dernier en lien avec sa mise hors de cause sera donc rejetée.

De ces deux chefs, la décision déférée sera donc confirmée.

Sur la demande de remboursement par Mme [O] de son compte courant d'associé

Selon l'article 1353 du code civil, 'celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.'

Mme [O] doit donc démontrer qu'elle détient un compte-courant d'associé au sein de cette SCI et doit établir le montant de celui-ci.

Il convient, à titre liminaire, de rappeler que lorsque des personnes décident de s'associer pour acquérir un bien, elles ne sont pas propriétaires du bien acquis par la société, ni individuellement ni indivisément, puisque le bien est la propriété de la seule société.

En l'espèce, la SCI [8] est une société familiale ; elle a été constituée par les deux époux et par le père du marié, lequel pouvait, grâce à son patrimoine, être une caution solide pour la banque auprès de laquelle le prêt immobilier a été souscrit. Par l'intermédiaire de cette société, le couple a pu acquérir un très beau bien immobilier pour l'ensemble de la famille.

- sur l'existence d'un compte-courant d'associé au nom de Mme [O] :

L'existence d'un compte-courant peut être démontrée par tout moyen et notamment par des données comptables, le principe étant le consensualisme ; aucune règle précise n'existe en ce qui concerne les comptes-courants d'associés, sauf en ce qui concerne les intérêts de ces comptes-courants, qui nécessitent une réglementation spécifique.

Pour autant, pour éviter que des contestations ne naissent sur l'existence même du compte-courant d'un associé, et son montant, il est préférable qu'une comptabilité de la société soit bien tenue. Toutefois, la plupart du temps, ces SCI sont familiales et aucun membre de la famille ne souhaite ou n'estime utile de tenir cette comptabilité. Les difficultés apparaissent alors au moment des discordes notamment lorsque le couple se sépare. Tel est le cas, en l'espèce.

En l'espèce, aucun livre comptable, aucun compte de résultat et aucun bilan n'est produit. Pour autant, des 'pièces comptables' (tableaux excell) lesquelles n'ont pas été créées pour les besoins de la cause, ont été communiquées par l'intimée. Il est aussi produit des échanges de 'sms' entre elle et les autres associés, évoquant les 'CCA' ( autrement dit comptes-courants d'associés). De ces éléments, il est démontré qu'il a toujours été question de comptes-courants d'associés au sien de cette société.

C'est donc à juste titre, et par des développements très étayés que le premier juge a retenu que Mme [O] a établi l'existence d'un compte-courant d'associé, à son profit au sein de la SCI [8].

En conséquence, la décision déférée sera de ce chef confirmée.

Ainsi, chacun des associés avait un compte-courant alimenté par les sommes qu'il versait à la société, lesquelles amélioraient le bien appartenant à la SCI en y effectuant divers travaux ou lesquelles remboursaient les échéances, importantes, du prêt immobilier ayant servi à acquérir le bien immobilier.

Chaque associé qui met à disposition de la société des fonds a en réalité une créance en sa faveur due par la société car cette remise de fonds doit s'analyser comme un prêt : tous les fonds versés ainsi à la société s'inscrivent de facto sur le compte-courant de l'associé qui les a versés.

La conséquence est que ces sommes, qui appartiennent à l'associé, peuvent être à tout moment réclamées, auprès de la SCI. Mme [O] est donc en droit de solliciter le remboursement des sommes qu'elle a versées à la société et celle-ci ne saurait arguer du fait qu'elle aurait vendu 'à perte' ledit bien immobilier.

- sur le montant du compte-courant d'associé de Mme [O] :

A titre liminaire, il convient de rappeler que, faute de stipulation particulière, non démontrée ni même alléguée en l'espèce, le solde du compte-courant est remboursable à demande. L'associé est d'ailleurs toujours en droit d'exiger le remboursement des avances en compte-courant à tout moment, même en dehors de toute procédure de retrait.

En l'espèce, l'autorisation de retrait ayant été accueillie par le juge des référés au vu des circonstances, Mme [O] est en droit de solliciter le remboursement de son compte-courant.

Elle doit toutefois en établir le montant.

En l'espèce, Mme [O] a produit l'ensemble des relevés bancaires de la SCI [8] lesquels justifient le fait qu'elle a effectué sur le compte de la SCI [8], des versements de manière très régulière entre mars 2008 et avril 2017.

Durant les premières années, lorsque le couple vivait dans le premier bien immobilier appartenant à la SCI, Mme [O] ne versait que des sommes mensuelles comprises entre 750 et 850 euros (de mars 2008 à mars 2009) puis de 1.000 euros par mois, jusqu'en mars 2013 ; elle justifie toutefois avoir effectué, en sus, des versements, très importants, en 2009 pour un montant total de 12.900 euros. Il est probable que ces sommes aient servi à régler les travaux conséquents réalisés au sein de ce bien conjugal, et justifiés par les factures produites, mais pour autant, la cour entend souligner qu'il importe peu de déterminer la destination des fonds.

Il suffit que la preuve soit rapportée que Mme [O] a effectué des versements au sein du compte de la SCI, ce qu'elle fait en l'espèce.

Les appelants qui soutiennent que Mme [O] utilisait les fonds qu'elle déposait sur le compte de la SCI [8] pour effectuer des dépenses d'entretien du couple, n'en rapportent aucunement la preuve.

Puis, à compter de mars 2013, lorsque le premier bien immobilier a été vendu et que le second a été acheté, Mme [O] a versé tous les mois la somme de 2.000 euros sur le compte de la SCI et ce, jusqu'en avril 2017, étant souligné que les échéances du prêt immobilier étaient importantes (près de 4.000 euros par mois), et que M. [T] [D] versait également des sommes importantes sur le compte de la société.

La cour, après calculs, relève que Mme [O] a effectué des virements sur le compte de la SCI pour un montant global de 166.050 euros, et non de 167.050 euros, comme demandé.

Les appelants, qui soutiennent que Mme [O] ne peut pas récupérer la totalité des fonds qu'elle a versés, se contentent de soutenir que la société avait des charges à régler et que celles-ci doivent donc être naturellement déduites des fonds dont Mme [O] demande remboursement. Mais, pour autant, ils ne fournissent aucun élément permettant d'établir l'existence de ces charges ni même leur montant.

Par ailleurs, il faut souligner que les associés ne sont tenus aux pertes uniquement à hauteur des parts sociales qu'ils détiennent dans la société. Or, en l'espèce, il convient de rappeler que Mme [O] ne détient qu'une part sociale sur les 100 parts et qu'à ce titre, elle ne pourrait être tenue, en tout état de cause, qu'à hauteur de 1% des dettes de la société. Par ailleurs, la SCI ne démontre pas en l'espèce avoir subi une quelconque perte.

Enfin, les appelants sollicitent une expertise judiciaire mais celle-ci n'apparaît pas utile à la cour, laquelle s'estime suffisamment éclairée ce d'autant qu'en réalité, cette expertise servirait à pallier la carence des appelants dans l'administration de la preuve, ce qui n'est pas son objet. Les appelants avaient en effet toute lattitude pour produire leurs relevés bancaires, ou toutes pièces utiles pour justifier leurs allégations.

Cette demande d'expertise judiciaire sera donc rejetée.

Sur l'éventuelle compensation avec une indemnité d'occupation due par Mme [O]

Les appelants soutiennent que Mme [O] doit à la SCI [8] une indemnité d'occupation pour avoir occupé durant toutes ces années le bien appartenant à la société.

Mme [O] soutient que cette occupation du bien était gratuite, étant rappelé que la société était familiale et a été créée dans l'unique dessein d'acquérir un bien immobilier constituant le logement familial.

L'occupation gratuite du bien doit toutefois être démontrée par Mme [O].

En l'espèce, c'est par des développements étayés que le premier juge a retenu, à juste titre, que l'occupation du logement, par Mme [O] ainsi que son époux, n'était pas onéreuse. Sur ce point, les échanges de sms entre Mme [O] et son beau-père sont éclairants.

Au surplus, la cour ajoute, qu'à supposer cette indemnité d'occupation établie, elle ne pourrait pas être aujourd'hui réclamée en vue de solliciter une compensation entre les deux sommes car, même si les appelants arguent du fait que cette demande n'est soutenue qu'au titre d'un 'moyen de défense', elle constitue néanmoins et en réalité une demande reconventionnelle laquelle est soumise à la prescription, raison pour laquelle la cour de Poitiers, déjà saisie de l'incident a, par arrêt du 28 février 2023, déclaré prescrite cette demande.

La demande de compensation ne saurait donc s'appliquer, en l'espèce.

Ainsi, la SCI [8] doit être condamnée à rembourser à Mme [O] son compte-courant d'associé avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2018.

La décision déférée est donc confirmée de ce chef.

En revanche, elle est infirmée sur le montant remboursé, la cour n'ayant retenu qu'une somme globale de 166.050 euros au lieu de 167.050 euros.

La décision déférée est donc infirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu de la solution apportée au litige, la Sci [8] prendra à sa charge les entiers dépens de la présente instance et devra payer à Mme [O] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI [8] ainsi que M. [T] [D] et M. [Y] [D] seront déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme la décision déférée en toutes ces dispositions sauf en ce qui concerne le montant dû à Mme [O] par la SCI [8] ;

Statuant à nouveau sur ce seul chef,

Condamne la SCI [8] à payer à Mme [R] [O] la somme de 166.050 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2018, en remboursement de son compte-courant d'associé,

Y ajoutant,

Rejette les demandes de dommages et intérêts sollicitées par M. [T] [D] et M. [Y] [D],

Rejette la demande d'expertise judiciaire sollicitée par la SCI [8], M. [T] [D] et M. [Y] [D],

Condamne la SCI [8] aux dépens de l'appel,

Condamne la SCI [8] à payer à Mme [R] [O] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes des appelants sur ce même fondement,

Autorise les avocats de la cause à recouvrer les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Denys BAILLARD, Président et par Inès BELLIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

I. BELLIN D. BAILLARD

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