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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 26 mars 2025, n° 23/13309

PARIS

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohee

Avocat :

Me Guerlain

Institut national de la propriété indust…

30 mars 2023

***

Vu le projet de décision du 30 mars 2023, devenu définitif le 18 mai 2023, par lequel le directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) a rejeté l'octroi de la protection en France de la marque internationale n° 1599413 dont est titulaire la société de droit espagnol [Y] [E] ;

Vu le recours en annulation formé le 10 juillet 2023 par la société [Y] [E] contre cette décision ;

Vu les conclusions transmises par la société [Y] [E] le 3 novembre 2023 ;

Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI transmises le 26 août 2024 ;

Vu la note d'audience par laquelle la cour a pris acte de ce que le conseil de la société [Y] [E] a renoncé oralement à la production de ses pièces 23 et 24 ;

Le conseil de la société [Y] [E] et la représentante de l'INPI entendus en leurs observations orales reprenant leurs écritures ;

Le ministère public ayant été avisé de la date de l'audience ;

SUR CE,

La société [Y] [E] est titulaire de l'enregistrement international n° 1599413, déposé le 19 avril 2021 et portant sur le signe figuratif ci-dessous reproduit :

Ce signe est présenté comme destiné à distinguer les produits suivants, en classe 18 : « Sacs; fourre-tout, sacs, sacs à main, sacs à bandoulière, sacs à main sans poignées, sacs de voyage, petits sacs; malles, valises, sacs à hanches, sacs à dos; bourses, portefeuilles de poche, portefeuilles, pochettes pour cartes de crédit ; trousses de voyage [maroquinerie], porte-cartes de cérit [portefeuilles], coffrets destinés à contenir des articles de toilette dits "vanity cases", étuis pour cravates. ».

Dans la décision contestée, le directeur général de l'INPI a considéré, en substance, que le signe déposé sera perçu par le consommateur moyen d'attention moyenne, raisonnablement attentif et avisé, comme un motif décoratif et non comme un signe lui permettant de déterminer l'origine des produit précités sans confusion possible et de distinguer ces produits de ceux ayant une autre provenance, dès lors que le signe déposé ne se distingue pas suffisamment des normes et habitudes du secteur concerné ; qu'ainsi, le signe déposé

est dépourvu de caractère distinctif à l'égard des produits visés et ne peut donc être adopté comme marque pour désigner lesdits produits.

La société [Y] [E] requérante demande à la cour :

de la déclarer recevable et bien fondée en son recours,

en conséquence, d'annuler le projet de décision du directeur général de l'INPI de refus définitif de protection faisant suite à la notification de refus provisoire du 20 octobre 2021, daté du 30 mars 2023, reçu le 3 avril 2023, et devenu définitif le 18 mai 2023, en ce qu'il a rejeté l'octroi de protection en France de la marque internationale n°1599413.

Elle fait valoir que, créée en 2010, elle commercialise des articles de maroquinerie de luxe, en particulier des sacs, fabriqués à la main en Espagne dans un cuir « nappa » particulièrement souple présentant un effet « bulle » obtenu grâce à une technique très particulière de vaporisation et de contraction, unique sur le marché, constituant la signature de tous ses produits, devenu synonyme de son nom et garantissant l'origine de ses produits; que forte de son succès, elle est présente dans une vingtaine de pays, avec près de 170 boutiques et points de vente à travers le monde, ses produits étant régulièrement cités dans la presse spécialisée en raison du caractère iconique de l'effet « bulle » ; que pour apprécier le caractère distinctif d'une marque de motif, il convient d'appliquer les mêmes critères que ceux appliqués aux marques tridimensionnelles constituées par l'apparence du produit lui-même ; que selon la jurisprudence du TUE, plus la forme dont l'enregistrement a été demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif, de sorte que seule une marque qui, « de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur concerné et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif » ; qu'en application de cette jurisprudence, les juridictions françaises confirment la validité de marques de motif dès lors qu'elles divergent des habitudes ou normes du secteur concerné (motif ANDROS, effet « cannage » de DIOR, carreaux écossais de BURBERRY') ; que le public pertinent est composé de consommateurs qui prêteront une attention « extrêmement particulière » au choix des produits de mode que sont les sacs et les articles de maroquinerie, produits dont on ne change pas quotidiennement, comme d'un vêtement, mais qui accompagnent leur utilisateur dans la durée ; que contrairement à ce qu'a retenu l'INPI, le signe en cause diverge significativement des normes et habitudes du secteur concerné ; que la diversité de produits originaux et fantaisistes sur le marché de la bagagerie n'exclut pas que le consommateur perçoive une forme particulière comme un élément permettant d'en déterminer l'origine dès lors qu'en matière de mode, les consommateurs savent qu'un détail peut « faire signe » et être distinctif ; que par ailleurs, le caractère original ou fantaisiste du signe est indifférent et qu'en tout état de cause, le signe litigieux présente un haut degré d'originalité et de fantaisie, ne consistant nullement en un motif décoratif simple ou courant ; qu'enfin, le signe se distingue parfaitement des motifs présents sur des produits de bagagerie, aucun autre produit ni aucune autre marque ne comportant un motif qui soit identique ou même seulement similaire à la marque en cause ; que ces éléments constituent un faisceau d'indices permettant d'attester du caractère distinctif du signe en cause ; que du fait de son caractère fantaisiste et de la manière dont ses éléments sont juxtaposés et non pas combinés entre eux, le motif de triangles à bords arrondis à effet « bulle » se distingue de la représentation habituelle d'autres motifs composés d'éléments qui se répètent de façon régulière ; que ce signe est distinctif et arbitraire et susceptible d'attirer l'attention des consommateurs, et ainsi d'indiquer la provenance ou l'origine des produits.

Le directeur général de l'INPI observe que le signe est destiné à être utilisé comme motif de surface des produits en cause, se composant d'une succession d'éléments clairs sur un fond plus sombre, disposés en quinconce, rappelant la forme de grains de maïs ou de gouttes d'eau, répétés de façon régulière et à l'infini ; que le signe étant ainsi destiné à être utilisé comme motif de surface des produits désignés, la jurisprudence relative aux marques se confondant avec l'apparence des produits est applicable ; que le public pertinent est le grand public, constitué de consommateurs d'attention moyenne, normalement informés et raisonnablement attentifs, les articles de bagagerie et de maroquinerie visés étant des produits de consommation courante, commercialisés à tous les prix et pas exclusivement dans des maroquineries mais également sur Internet, dans les boutiques de vêtements ou même les grandes surfaces ; que les produits en cause sont des biens dont la fréquence d'achat est élevée, quand bien même ils ne seraient pas changés quotidiennement ; qu'en tout état de cause, lorsqu'un produit est destiné tant à un public plus averti qu'au grand public, il convient de prendre en compte la perception du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif (TUE, 14 juin 2007, EUROPIG, T-207/06, point 32) ; que le motif dont la protection est recherchée ne présente pas de divergences significatives par rapport aux normes habituelles du secteur de la bagagerie et de la maroquinerie ; que le motif est d'une grande simplicité et la présence de motifs répétitifs, en relief ou non, courante sur les produits en cause ; que le motif ne constitue en réalité qu'une simple variante des formes de base qui apparaissent communément sur les produits de bagagerie concernés pour des raisons purement décoratives, sans aucun élément arbitraire (logo, dessin, lettre') de nature à indiquer l'origine commerciale des produits et donc à lui permettre d'assurer la fonction essentielle d'une marque.

Ceci étant exposé, l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales ». L'article L. 711-2 du même code dispose quant à lui que « Ne peuvent être valablement enregistrées et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclarés nuls : (') « 2° Une marque dépourvue de caractère distinctif (') ». Enfin, l'article L. 712-7 du même code prévoit que la demande d'enregistrement est rejetée en totalité ou en partie si le signe déposé ne peut constituer une marque par application des articles susvisés.

La fonction essentielle de la marque étant de garantir l'origine ou la provenance du produit ou du service marqué, pour pouvoir être adopté à titre de marque, un signe doit notamment être en lui-même apte à distinguer les produits et services d'une entité par rapport à ceux d'une autre entité.

Il est constant qu'en matière de marque tridimensionnelle, qui permet de protéger la forme d'un produit ou son conditionnement ou encore la forme caractérisant un service, dès lors que le consommateur n'a pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, « seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur (') est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine [et] n'est pas dépourvue de caractère distinctif » (CJUE, 29 avril 2004, Henkel, C-456/01, points 38 et 39). Cette jurisprudence est applicable lorsque le signe est constitué d'un motif appliqué à la surface d'une marchandise ou de son emballage : « (') seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'indication d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif (') Cette jurisprudence, développée au sujet des marques tridimensionnelles constituées par l'apparence du produit lui-même vaut également lorsque la marque demandée est une marque figurative constituée par la représentation bidimensionnelle dudit produit (') ou encore lorsque la marque demandée est un signe constitué d'un motif appliqué à la surface d'un produit (') » (CJUE, 13 septembre 2018, Birkenstock Sales, C-26/17 P, points 33 et 34).

En l'espèce, il n'est pas contesté que le signe dont la protection est demandée en France est destiné à être utilisé comme motif de surface des produits de bagagerie en cause. La description accompagnant le dépôt litigieux indique d'ailleurs que « La marque consiste en un motif répétitif consistant en l'agencement sur une surface d'une pluralité d'éléments tridimensionnels disposés en quinconce. Ces éléments ont une base triangulaire à bords arrondis et leur surface extérieure est convexe. Le motif apparaîtra sur toute la surface des produits ou sur diverses parties des surfaces des produits ».

La société [Y] [E] précise que l'aspect convexe des éléments tridimensionnels et leur disposition en quinconce donnent au signe un aspect visuel tout à fait particulier, rappelant celui de grains de maïs ou de gouttes d'eau. Il sera ajouté que la surface extérieure convexe des éléments triangulaires produit une impression de relief.

Le directeur général de l'INPI soutient à juste raison que les produits de bagagerie et de maroquinerie visés sont des produits de consommation courante, de sorte que le public pertinent est constitué de consommateurs d'attention moyenne, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés. La circonstance que les produits de bagagerie et de maroquinerie ne se changent pas tous les jours et accompagnent leurs utilisateurs sur la durée ne conduit pas à modifier cette analyse, un vêtement ' pour reprendre l'exemple cité par la requérante ' restant un produit de consommation courante qu'il s'agisse d'un vêtement dont on change très souvent (t-shirt, chemise') ou moins souvent (veste, manteau').

La cour partage l'appréciation du directeur général de l'INPI selon laquelle la marque dont la protection est recherchée, constituée du motif répétitif à base d'éléments tridimensionnels disposés en quinconce, de forme triangulaire à bords arrondis et de surface convexe, évoquant des grains de maïs ou des gouttes d'eau ressortant en relief, ne présente pas de divergences significatives par rapport aux normes habituelles du secteur de la bagagerie et de la maroquinerie.

À cet égard, les exemples de bagages fournis par l'INPI, annexés à la décision dont recours, montrent que de nombreuses marques proposent des sacs confectionnés dans des matières dont le motif consiste en une répétition d'éléments de forme géométrique qui se combinent entre eux (sacs CHLOE, MIU-MIU, BOTTEGA VENETA, ZARA, OH MY BAG), ce que confirment les modèles produits par la requérante elle-même (sacs VUITTON « Speedy » ou « Neverfull » de DIOR, sacs matelassés « Cassette » et « Point » de BOTTEGA VENETA, le motif de ce dernier sac « Point » étant d'ailleurs très proche du motif revendiqué, évoquant pareillement des grains de maïs ou des gouttes d'eau) (pièce 15 requérante) :

Sac « Point » de BOTTEGA VENETA

La requérante argue, mais sans convaincre, que, contrairement aux motifs de marques déposées pour des produits en classe 18 qui habituellement se combinent entre eux, par exemple ceux des marques ENZO, HARDY ou FRED, le motif revendiqué est, lui, composé d'éléments « indépendants les uns des autres et simplement juxtaposés » et présente en cela un haut degré d'originalité et de fantaisie :

En effet, d'autres motifs utilisés pour des produits de maroquinerie présentent des motifs composés pareillement d'éléments « indépendants les uns des autres et simplement juxtaposés » : par exemple, celui du sac précité « Point » de BOTTEGA VENETA, des sacs « Lady Dior » de DIOR ou encore celui des sacs « Speedy » ou « Neverfull » de LOUIS VUITTON à motif « damier » (pièce 15 de la requérante), outre que cette particularité ne sera pas perçue par le consommateur d'attention moyenne qui ne verra dans le motif de la marque de la société requérante qu'une répétition d'éléments disposés en quinconce évoquant des grains de maïs ou des gouttes d'eau, à vocation purement décorative.

C'est à juste raison que le directeur général de l'INPI observe que le fait que les entreprises du secteur de la maroquinerie utilisent couramment des motifs répétitifs sur leurs produits ne permet pas d'en déduire que le consommateur est, de ce fait, habitué à distinguer ces produits en se fondant sur le seul motif dont ils sont revêtus, en l'absence de tout autre élément graphique (dessin, logo') ou textuel, la large diversité des produits disponibles sur ce marché restreignant au contraire la probabilité d'une identification des produits par le motif composant la marque.

Il s'infère de ces développements que le motif de la marque de la société [Y] [E] constitue une variante des formes apparaissant communément sur les produits de maroquinerie pour des raisons purement décoratives et ne diffère pas, de manière significative, d'autres motifs présents dans le secteur considéré.

Dès lors, le signe composé de ce motif n'apparaît pas de nature à permettre d'identifier l'origine commerciale des produits proposés et, faute de caractère distinctif, ne peut être adopté comme marque pour désigner les produits concernés.

Le recours en annulation de la décision du directeur général de l'INPI sera en conséquence rejeté.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Par arrêt contradictoire,

Rejette le recours de la société [Y] [E] à l'encontre du projet de décision du 30 mars 2023, devenu définitif le 18 mai 2023 du directeur général de l'INPI,

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe à la société [Y] [E] et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, par lettre recommandée avec accusé de réception.

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