CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 27 mars 2025, n° 21/17047
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
La Poste (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Devillers
Conseillers :
Mme Morlet, Mme Zysman
Avocats :
Me Pineau, SCP Regnier-Bequet-Moisan, Me Cusinato, SELARL Abeille & Associes
EXPOSE DU LITIGE
M. [O] [Z] est avocat, inscrit au barreau d'Aix-en-Provence depuis 1979. Il a été en charge pendant de nombreuses années du contentieux qui lui était confié par la Délégation Méditerranée de La Poste.
Le 2 décembre 2014, M. [Z] et la société La Poste ont conclu une convention d'honoraires au forfait applicable « à tous les dossiers futurs confiés à l'avocat ainsi qu'aux instances nouvelles engagées après la date d'effet de la présente convention dans les dossiers en cours ».
Reprochant à la société La Poste de ne pas lui avoir confié de nouveaux dossiers durant les cinq années qui ont suivies la régularisation de la convention d'honoraires alors que cette condition avait déterminé la forfaitisation des honoraires pour les dossiers en cours, M. [Z] l'a fait assigner, par acte d'huissier du 29 novembre 2019, devant le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Paris en réparation de ses préjudices.
Par jugement du 1er juillet 2021, le tribunal a :
- Débouté M. [Z] de sa demande tendant au paiement d'une somme de 427.500 euros, et subsidiairement celle de 392.573 euros, en réparation de son préjudice matériel, économique et financier,
- Débouté M. [Z] de sa demande tendant au paiement d'une somme de 135.000 euros en réparation de la perte de chance de céder sa clientèle,
- Débouté M. [Z] de sa demande tendant à juger nulle l'obligation d'étendre la forfaitisation de l'honoraire « aux instances nouvelles engagées après la date de la convention dans les dossiers en cours »,
- Débouté M. [Z] de sa demande tendant au paiement d'une somme de 45.000 euros pour non-respect du délai de préavis de six mois,
- Débouté M. [Z] de sa demande tendant au paiement d'une somme de 25.000 euros en réparation de son préjudice moral, de la déconsidération, de l'atteinte à l'image, et de la situation d'incertitude,
- Débouté la SA La Poste de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- Condamné M. [Z] aux dépens de l'instance,
- Condamné M. [Z] à payer la SA La Poste la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rejeté le surplus des demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.
Le tribunal a estimé que La Poste n'avait pas manqué à son devoir d'exécuter de bonne foi la convention d'honoraires ; que la preuve d'une absence de cause ou d'une fausse cause n'était pas rapportée, rien ne permettant de corroborer l'allégation de M. [Z] selon laquelle La Poste lui aurait fait croire qu'il se verrait confier de nouvelles affaires dans le seul but d'obtenir une forfaitisation des dossiers en cours ; que la preuve de man'uvres dolosives n'était pas plus rapportée, de telle sorte que tant les demandes de nullité de la convention que d'indemnisation devaient être rejetées ; enfin, qu'aucun manquement contractuel ne pouvait être reproché à La Poste dans le cadre de la cessation de la relation entre les parties.
Par déclaration du 28 septembre 2021, M. [O] [Z] a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 juin 2022, M. [O] [Z] demande à la cour de :
- Le recevoir en son appel,
Etant constaté que M. [Z] renonce à sa demande de nullité de l'obligation d'étendre la forfaitisation de l'honoraire aux « instances nouvelles engagées après la date de la convention dans les dossiers en cours »
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de chacune de ses autres demandes et l'a condamné au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
Statuant à nouveau
- Dire et juger qu'en l'état des relations professionnelles nouées depuis 23 ans, la convention du 2 décembre 2014 impliquait dans l'intention des parties mais aussi par nature, dans l'esprit, dans la lettre et selon les usages, que La Poste continue de confier des « dossiers futurs » à l'avocat si bien que ce n'est pas de bonne foi au visa de l'article 1134 du code civil qu'elle s'est dispensée de lui en confier dans les cinq années qui ont suivi, générant ainsi un manque à gagner certain pour ce dernier sur la seule base du forfait conventionnel,
- En conséquence, condamner La Poste à payer à M. [Z] au principal, la somme de
427.500 euros en réparation du préjudice matériel, économique et financier subi au titre du manque à gagner entre le 2 décembre 2014 et le 6 septembre 2019, date de la dénonciation du mandat, au subsidiaire, s'il fallait retenir la perte de marge brute, la somme de 392.573 euros,
- Condamner La Poste au paiement de la somme de 135.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de chance pour M. [Z], à l'approche de la retraite, de pouvoir céder ce client d'importance par voie de présentation, voire de pouvoir céder sa clientèle dont ce client était l'élément majeur,
- Subsidiairement, s'il fallait considérer que la convention n'emporte pas en droit engagement de La Poste de confier des « dossiers futurs » à l'avocat, dire et juger que cette dernière a usé de man'uvres dolosives pour faire croire le contraire à son cocontractant et obtenir ainsi son consentement à la signature de la convention et la condamner sur le fondement de l'article 1382 du code civil à payer à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance sur les gains manqués, la somme de 427.500 euros au principal ou de 392.573 euros au subsidiaire et pour la perte de chance de cession de clientèle, celle de 135.000 euros,
- Dans tous les cas, condamner La Poste à payer à titre de dommages et intérêts pour non-respect du délai de préavis conventionnel de six mois lors de la dénonciation de la convention du 6 septembre 2019 principalement la somme de 63.408,50 euros sur la base du chiffre d'affaires HT de l'année 2019, subsidiairement celle de 45.000 euros sur la base du gain manqué revendiqué,
- Condamner en outre La Poste à payer à M. [Z] la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice moral, de la déconsidération, de l'atteinte à l'image, de la situation d'incertitude, engendrés par ses manigances trompeuses,
- Dire que les précédentes condamnations seront dues avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation à titre de dommages et intérêts complémentaires,
- Débouter La Poste des fins de son appel incident,
- Condamner La Poste au paiement de la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel, ces derniers étant recouvrés au profit de l'avocat postulant soussigné.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2022, la société La Poste demande à la cour, au visa des articles 1130, 1134 et suivants du code civil dans sa rédaction alors applicable antérieurement à l'ordonnance portant réforme du droit des obligations, de :
Confirmant en cela le jugement entrepris,
A titre principal,
- Juger que la convention d'honoraires entre La Poste et M. [Z] a été parfaitement exécutée par La Poste et qu'elle n'a commis aucune inexécution fautive,
- Juger que La Poste n'a pas engagé sa responsabilité civile contractuelle à l'égard de M. [Z],
- Juger que La Poste n'a pas engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de M. [Z],
En conséquence,
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes de condamnation à l'égard de La Poste,
- Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions au titre d'une inexécution de la convention par La Poste tant sur le fondement de la prétendue obligation de La Poste de lui confier des dossiers nouveaux, que sur le fondement d'une prétendue rupture abusive de la convention imputable à La Poste,
- Débouter M. [Z] de ses prétentions indemnitaires tant en ce qui concerne la réparation d'un prétendu préjudice matériel, économique et financier subi entre 2015 et 2020, d'un prétendu préjudice de perte de chance de céder sa clientèle, outre un prétendu préjudice moral,
- Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions au titre d'une prétendue réticence dolosive de La Poste,
- Débouter M. [Z] de toutes ses autres prétentions,
A titre subsidiaire, si la cour jugeait que les demandes de M. [Z] sont fondées,
- Juger que le quantum de la réclamation de M. [Z], sur le fondement contractuel, à hauteur de 427.500 euros et subsidiairement, de 392.573 euros en réparation de son préjudice matériel, économique et financier, n'est pas justifié,
- Juger que le quantum de la réclamation de M. [Z], sur le fondement délictuel, à hauteur de 427.500 euros et subsidiairement, de 392.573 euros en réparation de son préjudice matériel, économique et financier n'est pas justifié,
- Juger que M. [Z] ne justifie pas du quantum de sa réclamation sur le fondement de la prétendue perte de chance de céder sa clientèle, à hauteur de 135.000 euros,
- Juger que le quantum de la réclamation de M. [Z] fondée sur la prétendue rupture abusive de la convention par La Poste n'est pas démontré,
- Juger que le montant sollicité au titre du préjudice moral prétendument subi par M. [Z] n'est pas justifié,
En conséquence,
- Débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant injustifiées et infondées,
A titre incident, vu les dispositions de l'article 1240 du code civil, ainsi que des articles 515 et suivants et 700 du code de procédure civile :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté La Poste de sa demande de condamnation à l'égard M. [Z] au paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le caractère particulièrement abusif de la procédure intentée,
En conséquence,
- Condamner M. [Z] au paiement d'une somme de 20.000,00 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement du caractère abusif de la procédure initiée,
- En tout état de cause, condamner M. [Z] au paiement d'une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La clôture a été prononcée le 27 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Il convient à titre liminaire de relever que M. [Z] ne maintient pas en cause d'appel sa demande tendant à voir « dire et juger nulle pour absence de cause ou pour fausse cause voire pour dol l'obligation d'étendre la forfaitisation de l'honoraire aux « instances nouvelles engagées après la date de la convention dans les dossiers en cours ».
En outre, les demandes des parties tendant à voir le tribunal « constater » ou « dire et juger » ne constituant pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.
Sur la responsabilité contractuelle de La Poste
- Sur l'exécution de la convention
M. [Z] rappelle qu'il a été l'avocat de La Poste durant 23 ans et que le préambule de la convention d'honoraires indique qu'elle tend à « pérenniser les relations professionnelles des parties ».
Il soutient que la convention du 2 décembre 2014 impliquait nécessairement, comme condition essentielle et déterminante, que la cliente institutionnelle lui envoie des dossiers nouveaux à compter de sa date.
Il précise que le tarif d'honoraire forfaitaire négocié concerne les dossiers futurs, c'est-à-dire ceux qui n'existaient pas encore, et a été étendu, après les discussions menées de juillet à décembre 2014, aux futurs et éventuels appels des dossiers en cours ; que dès lors, la signature d'une convention destinée à « pérenniser » les relations existant depuis plus de 20 ans signifiait indubitablement une continuité dans l'envoi de dossiers nouveaux, sauf clause contraire qui n'existe pas.
Il résulte ainsi, selon lui, de la commune intention des parties tirée de la volonté de poursuivre les relations contractuelles, de la nature même de la convention associée aux usages en la matière, de l'objet et des termes de la convention concrétisant les discussions préalables, que la convention impliquait de la part du client institutionnel, sans qu'il soit besoin de le spécifier de manière expresse, la promesse de se voir confier, sans exclusivité, un flux de « dossiers futurs » issu de son contentieux récurrent en contrepartie d'une forfaitisation de l'honoraire. Il s'estime donc fondé, sur le fondement contractuel, à reprocher à La Poste une absence de bonne foi dans l'exécution de la convention au sens de l'article 1134 du code civil.
Il fait valoir qu'en ne lui confiant aucun nouveau dossier depuis le 2 décembre 2014, La Poste a manqué à son devoir de bonne foi dans l'exécution du contrat, ce qui l'a privé d'un chiffre d'affaires important, le manque à gagner étant estimé à 427.500 euros de chiffre d'affaires (ou 392.573 euros si l'on ne prend en compte que la marge brute).
Il ajoute que l'absence d'exécution de bonne foi de la convention lui a en outre causé un préjudice lié à la perte de chance de céder sa clientèle à un confrère dès lors qu'il était en fin de carrière et pouvait légitimement espérer, en l'état de ces relations professionnelles entretenues pendant plus de 25 ans, pouvoir transmettre par voie de présentation et céder cette cliente institutionnelle à un confrère volontaire, préjudice qu'il évalue à la somme de 135.000 euros.
La Poste, qui poursuit la confirmation du jugement, soutient que la convention d'honoraires se contente de fixer un barème forfaitaire et ne comporte aucun engagement de sa part de confier à M. [Z] un certain volume de dossiers ni aucune exclusivité, le client conservant la faculté de choisir son avocat. Elle relève qu'un tel engagement serait contraire au principe constitutionnel du libre choix de l'avocat par son client et conduirait à faire entrer dans le champs contractuel un objet illicite. Elle ajoute que la convention a fait l'objet de discussions entre les parties et qu'elle a, par ailleurs, été exécutée puisque durant quatre ans, M. [Z] a continué à assurer des prestations pour la Poste et a facturé un volume conséquence d'honoraires.
La Poste conteste également le préjudice allégué par M. [Z], faisant valoir que le manque à gagner est hypothétique et non certain ; que M. [Z] évalue son préjudice comme étant une perte de chiffre d'affaires, sans prendre en compte les charges qu'il aurait exposé pour réaliser ce chiffre d'affaires ; enfin, qu'en tant qu'avocat, M. [Z] ne peut bénéficier des dispositions relatives aux ruptures brutales de relations commerciales établies et ne peut contraindre un client à le conserver comme avocat au titre de la liberté de choix de l'avocat. Quant à la perte de chance de céder sa clientèle, La Poste estime que M. [Z] ne rapporte pas la preuve de l'existence de cette dernière.
Sur ce
Il sera fait référence aux articles du code civil selon leur numérotation antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, celle-ci n'étant applicable qu'aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.
Selon l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
Selon l'article 1147 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Comme l'ont justement rappelé les premiers juges, le manquement à l'obligation de bonne foi caractérise un comportement fautif dans l'exécution du contrat qui peut engager la responsabilité contractuelle de son auteur.
L'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi n'autorise pas pour autant le juge à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties.
En l'espèce, la convention du 2 décembre 2014 rappelle en préambule que « Maître [Z], en sa qualité d'avocat, est en relations professionnelles avec la Direction des Bouches du Rhône de La Poste depuis que celle-ci est passée du statut d'Administration à celui d'Etablissement Public. A ce titre, il est amené à traiter le contentieux du personnel de DSCC des Bouches du Rhône.
Il est apparu utile d'établir une convention d'honoraires afin de pérenniser les relations professionnelles des parties. »
Elle indique en son article I qu'elle « a pour objet de régir les relations entre l'avocat et le client dans le cadre de la gestion amiable ou judiciaire des contentieux individuels ou collectifs initiée par les salariés de la DSCC des BOUCHES DU RHONES et confié par le client à l'avocat ». Elle précise expressément qu'elle « n'emporte aucune exclusivité à l'égard de l'avocat ».
Elle fixe le principe d'une facturation forfaitaire des honoraires dont le montant dépend de la nature de la procédure et de l'activité.
Elle stipule en son article VII « Effet et durée de la convention » qu'elle « prendra effet à compter de sa signature. Elle sera applicable à tous les dossiers futurs confiés à l'Avocat ainsi qu'aux instances nouvelles engagées après la date d'effet de la présente convention dans les dossiers en cours ».
Force est donc de constater, comme l'ont justement relevé les premiers juges, qu'il ne ressort d'aucune stipulation contractuelle que la société La Poste se serait engagée à confier à Maître [Z] de nouveaux dossiers.
L'article 1156 du code civil dispose que l'on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. En l'occurrence, la circonstance que la convention ait poursuivi l'objectif de « pérenniser les relations professionnelles entre les parties » et prévu de s'appliquer « aux dossiers futurs confiés à l'avocat » mais également « aux instances nouvelles engagées après la date d'effet de la convention dans les dossiers en cours », de même que l'utilisation dans la convention des termes « dans les procédures judiciaires qui lui seront confiées » (article II-1), « dans le cadre de la gestion des contentieux qui lui seront confiés » (article II-3), ne peuvent s'analyser comme un engagement explicite ou implicite de La Poste de confier de nouveaux dossiers à l'avocat.
Si M. [Z] n'invoque pas une obligation pour La Poste de lui confier, de manière irrévocable, la défense future de ses intérêts, au risque de méconnaître le principe du libre choix de l'avocat, relevant toutefois que la signature d'une convention d'honoraires est, par définition, la manifestation du choix d'un avocat librement opéré par le client, il ne peut être suivi dans son argumentation lorsqu'il soutient que la nature même de la convention d'honoraires conclue avec un client institutionnel, associée aux usages, implique l'engagement ou la promesse de ce dernier de confier à l'avocat, avec ou sans exclusivité, un flux futur de dossiers issu de son contentieux récurrent contre une forfaitisation de l'honoraire.
Il convient à cet égard de relever qu'une première convention a été discutée à compter de mois de mai 2012 et qu'après plusieurs échanges, au cours desquels des modifications ont été proposées de part et d'autre, la convention a été signée le 2 décembre 2014, soit presque deux ans plus tard. Il apparaît ainsi qu'au mois d'avril 2014, lorsque les discussions ont repris, Maître [Z] a adressé à La Poste, par mail du 17 juillet 2014, le projet de convention du mois de juin 2012 tout en soulignant « qu'un forfait suppose par définition un traitement en nombre de dossiers, ce qui n'est plus le cas depuis deux ans », relevant également que depuis le mois d'octobre 2023, soit dix mois, il n'avait pas eu la chance de recevoir le moindre dossier et que depuis juin 2012, soit 26 mois, il n'en avait reçu que huit.
De même, dans un courrier du 6 novembre 2014, Maître [Z] écrivait « qu'un forfait n'est concevable que pour des dossiers en nombre, ce qui n'est plus le cas depuis deux ans ». Réagissant sur l'ajout, en fin d'acte, d'une clause prévoyant que le forfait convenu s'appliquerait aux dossiers en cours et ouverts depuis des années, Maître [Z] indiquait « l'accord contenu dans la convention ne peut avoir d'effet que pour les missions futures et ne peut avoir d'incidence sur les dossiers anciens qui obéissent à leurs propres conditions. Et s'il s'agit d'une condition pour recevoir de nouveau des dossiers à l'avenir, comment dois-je le prendre ' ».
Il ne ressort cependant de ces discussions préalables à la signature de la convention aucun élément contenant un engagement ou une promesse de La Poste de confier à Maître [Z] un « flux de dossiers futurs ».
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que M. [Z] échouait à rapporter la preuve d'un manquement de La Poste à l'obligation d'exécuter la convention de bonne foi. Cette preuve n'étant pas davantage rapportée en cause d'appel, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes tendant au paiement de la somme de 427.500 euros ou subsidiairement celle de 392.573 euros en réparation du manque à gagner et de la somme de 135.000 euros en réparation de la perte de chance de pouvoir céder sa clientèle.
- Sur la rupture de la convention d'honoraires
M. [Z] soutient que le courrier de La Poste du 6 septembre 2109 constitue sans ambiguïté une notification de rupture de la relation contractuelle sans respect du délai de préavis conventionnel de six mois. Il sollicite, en réparation du préjudice subi, l'allocation d'une somme de 63.408,50 euros et subsidiairement de 45.000 euros correspondant à six mois de chiffre d'affaires.
La Poste estime, pour sa part, que dans sa correspondance du 6 septembre 2019, elle n'a fait que prendre acte de la volonté de Maître [Z], manifestée dans son courrier du 23 mai 2019, de ne plus poursuivre l'application de la convention d'honoraires, de sorte que la rupture est manifestement imputable à ce dernier et qu'aucune rupture brutale du mandat ne peut lui être reprochée. Elle précise que ce n'est que lorsque Maître [Z] a saisi le tribunal judiciaire de Paris qu'elle lui a demandé, pour assurer la bonne gestion des contentieux en cours, de se dessaisir des dossiers dont il avait la charge.
Sur ce
L'article VII de la convention stipule qu'elle « est conclue pour une durée indéterminée et pourra être dénoncée par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant le respect d'un préavis de 6 mois ».
Il ressort des débats et des pièces produites que suite à la contestation par La Poste de factures émises par Maître [Z], celui-ci a, par courrier du 23 mai 2109, indiqué qu'il ne souhaitait plus appliquer la convention « pour les quelques dossiers d'appel apparus après le 2 décembre 2014 », estimant que le forfait lui paraissait désormais dénué de « cause » dès lors que « la DSCC 13 s'est manifestement appliquée depuis 4 ans et demi à ne pas me saisir de dossiers nouveaux ».
En réponse à ce courrier, La Poste, par lettre recommandée avec avis de réception du 6 septembre 2019, après avoir contesté un prétendu engagement de sa part quant à un volume de dossiers à confier à l'avocat et rappelé l'absence de clause d'exclusivité, a indiqué « nous concluons dans votre sens sur le fait qu'il soit souhaitable de mettre fin à
toute collaboration avec votre cabinet, une fois les derniers dossiers facturés, conformément à la convention d'honoraires ».
C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'il ne résultait pas des termes de ce courrier que La Poste ait entendu mettre un terme à la convention à cette date, en violation du préavis contractuel.
Ce qui est d'ailleurs confirmé par les échanges postérieurs puisque par courriel du 16 septembre 2019, Maître [Z] a demandé confirmation à La Poste si « en l'état de [sa] lettre du 6 courant », il pouvait achever un dossier qu'il gère depuis 2006, La Poste ayant répondu par courriel du même jour que ce courrier ne le dessaisissait en aucun cas des dossiers en cours.
Il convient, dès lors, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'aucun manquement ne pouvait être reproché à La Poste et a débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre.
Sur la responsabilité délictuelle de La Poste
Subsidiairement, M. [Z] s'estime fondé à reprocher à La Poste un comportement dolosif (article 1137 et 1116 du code civil) et à en demander réparation sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du même code.
Il considère que La Poste lui a délibérément laissé croire que la conclusion de la convention d'honoraires était un prérequis à l'envoi de nouveaux dossiers ; qu'en conséquence, son consentement a été vicié par ce stratagème constitutif d'une faute dolosive. Il sollicite les mêmes sommes à titre de dommages et intérêts que celles précédemment réclamées en réparation du préjudice correspondant à « la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses ».
La Poste considère que M. [Z] ne rapporte pas la preuve d'un comportement dolosif qui lui serait imputable et rappelle que celui-ci a participé à l'élaboration et à la rédaction de la convention, de telle sorte que son consentement n'a pas pu être vicié.
Sur ce
Selon l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.
Au-delà des manoeuvres, la simple réticence peut être assimilée à un dol.
Aux termes de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le dol constituant un délit civil, la victime a la possibilité, indépendamment de l'annulation du contrat, d'intenter une action en réparation du préjudice subi sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Le préjudice réparable de la victime d'un dol qui fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat correspond uniquement à la perte de la chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses.
La charge de la preuve du dol pèse sur celui qui s'en prévaut et il appartient donc à M. [Z] de rapporter la preuve de manoeuvres dolosives commises par La Poste afin de lui faire croire qu'elle allait reprendre l'envoi de dossiers nouveaux pour emporter son consentement.
Or, en l'espèce, M. [Z] échoue à rapporter une telle preuve. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la signature de la convention d'honoraires a été précédée de plusieurs échanges entre les parties, au cours desquels M. [Z] avait déjà évoqué la baisse du nombre de nouveaux dossiers, et ce dès son courrier du 12 juin 2012. Aucun élément ne vient corroborer ses affirmations selon lesquelles La Poste lui aurait laissé croire à la reprise d'envoi de nouveaux dossiers en contrepartie de la signature de la convention, l'objectif mentionné dans celle-ci de forfaitaiser les honoraires de l'avocat afin de « pérenniser les relations professionnelles des parties » ne pouvant suffire à caractériser une réticence dolosive ayant vicié son consentement.
Dans ces conditions, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes de dommages et intérêts formées à ce titre.
Sur le préjudice moral
M. [Z] rappelle que le choix de l'avocat est libre et qu'il est, par voie de conséquence, possible d'en changer à tout moment, sauf abus dans la dénonciation du mandat lorsqu'elle est faite sans préavis après des années de relations et estime qu'en l'espèce, il a été victime de man'uvres des plus vexatoires, engendrant une profonde déception et un préjudice moral portant atteinte à son honneur et à sa considération et trahissant cruellement son dévouement et la confiance qu'il avait pu placer durant 25 ans en cet organisme de service public et en ses dirigeants locaux successifs. Il ajoute que la dénonciation de la convention du jour au lendemain, au bout de 28 ans de collaboration, dès les dossiers en cours terminés, relève d'un mépris infamant. Il indique avoir subi un préjudice résultant de l'atteinte à son image, au sentiment de déconsidération et à la situation d'incertitude dans laquelle il s'est trouvé pendant plusieurs années. Il réclame en réparation de son préjudice moral l'allocation d'une somme de 25.000 euros.
La Poste répond que ce chef de préjudice n'est pas justifié, faisant valoir que si de nouveaux dossiers n'ont pas été confiés à l'avocat, aucun dossier en cours ne lui a été retiré. Elle rappelle que le mandat de l'avocat est par nature révocable ad nutum et qu'aucun abus n'est caractérisé ; qu'en outre, c'est Maître [Z] qui a fait le choix en mai 2019 de ne plus appliquer la convention, ce dont elle a pris acte le 6 septembre 2019.
Sur ce
Aucun manquement contractuel ou délictuel n'étant retenu à l'encontre de La Poste, M. [Z] ne peut qu'être débouté de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [Z] formée à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive
Formant appel incident, La Poste demande l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement du caractère abusif de la procédure. Elle considère que la démarche de M. [Z] s'apparente à une tentative de pression en vue d'obtenir une compensation financière illégitime dans le cadre d'un accord qu'il souhaiterait voir négocier avec elle et l'a contrainte à constituer des provisions comptables qui péjorent ses comptes eu égard aux prétentions exorbitantes qu'il formule. Elle estime que ce comportement déloyal doit être sanctionné et le préjudice subi compensé par l'allocation de dommages et intérêts qui ne sauraient être inférieurs à la somme de 20.000 euros.
M. [Z] estime cette demande infondée et sollicite la confirmation du jugement de ce chef.
Sur ce
L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus susceptible de donner lieu à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil que si le demandeur a agi avec intention de nuire, légèreté blâmable ou a commis une erreur équivalente au dol, circonstances qui n'apparaissent nullement caractérisées en l'espèce. La Poste ne démontre pas davantage l'existence d'un préjudice distinct des frais qu'elle a dû exposer pour la présente instance et qui seront indemnisés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée à ce titre par La Poste.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à la confirmation des dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de M. [Z].
Ajoutant au jugement, il y a lieu de condamner M. [Z], qui succombe en son recours, aux dépens d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à La Poste la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel en application de l'article 700 du même code. Il ne peut de ce fait prétendre à l'application de ce texte à son profit.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
Condamne M. [O] [Z] à payer à la société La Poste la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [Z] aux dépens d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.