CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 1 avril 2025, n° 24/10851
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 1er AVRIL 2025
(n° / 2025 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/10851 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJS7L
Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 juin 2024 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2023022416
APPELANT
Monsieur [S] [V]
Né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 25] (83)
De nationalité française
Demeurant au domaine [19] [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assisté de Me Loïc HENRIOT de la SELEURL LOIC HENRIOT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1916,
INTIMÉES
S.A.S. [11], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de LILLE sous le numéro 883 140 683,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Assistée de Me Arthur SUSSMANN de la SELEURL SUSSMANN ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque D1311,
S.A.S. [27], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 442 988 341,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [14], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 443 567 110,
Dont le siège social est situé [Adresse 18]
[Localité 6]
S.A.S. [23] [V], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 444 722 862,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [V] [12], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 501 062 863,
[Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [15], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 350 875 472,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [26], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 498 336 437,
[Adresse 4]
[Localité 7]
Société [22], société de droit espagnol, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Dont le siège social est situé [Adresse 24],
[Adresse 24],
[Adresse 24]
[Localité 9]
ESPAGNE
S.A.S. [16] [V], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 321 486 789,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
Représentées par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056,
Assistées de Me Nicolas MONNOT de la SELARL GASTAUD - LELLOUCHE - HANOUNE - MONNOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0430,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 3 décembre 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Mme Constance LACHEZE, conseillère,
Mme Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [S] [V], est le fondateur, l'associé et l'ancien président de la société par actions simplifiée [27] (« la société [27] »), société holding de tête d'un groupe de sociétés (le « groupe [V] ») composé des sociétés [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] qui sont toutes des filiales de [27], créées ou acquises au fil des années.
L'activité du groupe [V] se concentre autour de six pôles d'activités : la conception et la réalisation de jardins et d'espaces verts, l'entretien, la pépinière, la valorisation des déchets, le vin et l'immobilier.
Le 6 mai 2020, M. [V] a cédé 40,93% des actions qu'il détenait dans le capital social de la société [27] à la société [11], contrôlée et gérée par M. [J] [B], M. [N] [U] et M. [P] [W]. Le jour même a été votée et réalisée une augmentation de capital permettant à la société [11] de devenir associée majoritaire de la société [27], à hauteur de 52% du capital et des droits de vote, 48% étant conservés par M. [V], nommé président de [27] tandis que M. [W] accédait aux fonctions de directeur général de [27].
En outre, les statuts de la société [27] ont été modifiés et ont été conclu un pacte d'actionnaires entre la société [11] et M. [V] ainsi qu'une convention de rémunération entre la société [27] et M. [V].
Début 2021, un important conflit est né entre les associés.
Selon la société [11] et les sociétés du groupe [V], M. [V] se livrerait à diverses malversations financières et détournements ayant conduit M. [W] à déposer plainte contre lui notamment pour abus de biens sociaux. Le 12 février 2021, M. [V] a été convoqué par le conseil d'administration aux fins que celui-ci statue sur son exclusion. Le 23 février 2021, le tribunal de commerce de Fréjus statuant en référé a ajourné la réunion du conseil d'administration et de l'assemblée générale amenés à statuer sur l'exclusion et la révocation de M. [V] puis par jugement du 25 octobre 2021, ce tribunal a annulé les mesures d'exclusion et de révocation visant M. [V].
Selon la société [11] et les sociétés du groupe [V], les faits délictueux imputés à
M. [V] ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire par le procureur de la République de Draguignan dans le cadre de laquelle M. [V] a été mis en examen en décembre 2023, reconnaissant une partie des faits reprochés selon la presse locale, et les décisions rendues par le tribunal de commerce de Fréjus ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire par le procureur de la République de Grasse pour trafic d'influence en raison notamment des liens d'amitié notoire liant M. [V] avec des juges consulaires du tribunal de commerce de Fréjus.
Le 29 janvier 2024, M. [V] a été révoqué de ses fonctions de président de [27] puis il a été à nouveau exclu du capital de [27] par une décision du conseil d'administration du 24 juin 2024. Par ordonnance du 19 juillet 2024, la contestation portée par M. [V] le 16 juillet 2024 devant le tribunal de commerce de Fréjus a été dépaysée devant le tribunal de commerce de Marseille.
Par ailleurs, M. [V] reprochant à la société [11] sa stratégie d'éviction, il a assigné cette dernière le 27 avril 2022 en annulation du protocole de cession du 6 mai 2020 et des autres accords du même jour, puis MM. [B], [U] et [W] le 30 juin 2022 en révocation de leurs fonctions d'administrateurs de [27]. Par suite de requêtes en suspicion légitime auxquelles le Premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a fait droit, ces affaires ont été dépaysées devant le tribunal de commerce de Marseille où elles demeurent pendantes.
Parallèlement, le 3 mai 2022, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard des sociétés du groupe [V] et, après dépaysement de la procédure, le tribunal de commerce de Marseille a, par jugements du 17 mai 2023, rejeté la demande de conversion de la procédure en redressement judiciaire, mis fin à la période d'observation et arrêté un plan de sauvegarde.
Par acte du 6 avril 2023, les sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11], actionnaire majoritaire de [27], (« les sociétés intimées »), ont assigné M. [V], devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation d'un préjudice matériel et moral qu'elles évaluent à 10 millions d'euros, en raison de prétendus manquements de M.[V] à ses obligations de loyauté et de fidélité en sa qualité de dirigeant des sociétés du groupe [V].
Les sociétés intimées ont porté l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris en se prévalant de la clause attributive de compétence territoriale au profit du tribunal de commerce de Paris contenue dans le pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 et les statuts de la société [27].
Avant toute défense au fond, M. [V] a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de Fréjus, se prévalant pour sa part de sa domiciliation à Gassin dans le ressort du Tribunal de commerce de Fréjus et de l'application de l'article 42 du code de procédure civile.
Par jugement du 4 juin 2024, le tribunal de commerce de Paris a :
- mis hors de cause la société [28] agissant en qualité d'administrateur de la société [27] ;
- dit l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de céans au profit du Tribunal de commerce de Fréjus soulevée par Monsieur [V] recevable mais mal fondée,
- se déclarant compétent, renvoyé les parties à l'audience publique de mise en état du 1er juillet 2024 à 14 h, pour communication de pièces et conclusions au fond,
- condamné M. [V] à payer aux sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré en premier lieu que l'article 48 du code de procédure civile n'était pas une disposition d'ordre public en sorte que les parties pouvaient valablement écarter son application par une clause contraire ; que cette disposition était contredite par le principe de liberté contractuelle posé aux articles 1103 et 1104 du code civil qui sont d'ordre public ; qu'il convenait d'en déduire qu'en l'absence de violation d'une règle de droit d'ordre public, une clause attributive de compétence dérogatoire librement convenue entre les parties pouvait, dès lors, s'appliquer à tous les signataires du pacte d'actionnaires, qu'ils aient ou non la qualité de commerçant.
Il a relevé en second lieu que du seul fait qu'une des sociétés demanderesses était une société de droit espagnol, la validité des clauses attributives de compétence territoriale invoquées par les intimées devait s'apprécier par référence à l'article 25 du règlement Bruxelles I Bis et non par référence à l'article 48 du code de procédure civile ; que les règles de droit de l'Union européenne qui reconnaissent la validité de ces clauses même conclues entre non-commerçants, étaient applicables en l'espèce.
Surabondamment, le tribunal a écarté l'article 48 compte tenu des « circonstances particulières » qu'il estimait remplies en l'espèce par le fait que le tribunal de commerce de Fréjus avait été dessaisi de plusieurs autres affaires concernant les mêmes parties pour cause de suspicion légitime.
Par déclaration du 19 juin 2024, M. [V] a relevé appel de ce jugement.
Sur requête du 19 juin et par ordonnance du 3 juillet 2024, il a été autorisé à assigner à jour-fixe pour l'audience du 3 décembre 2024. Les assignations à jour-fixe ont été délivrées les 12 et 17 juillet 2024.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 15 novembre 2024, M. [V] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 4 juin 2024 en ce qu'il a statué en ces termes :
o « Dit l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de céans au profit du Tribunal de commerce de Fréjus soulevée par Monsieur [V] recevable mais mal fondée,
o Se déclarera compétent,
o Renvoie les parties à l'audience publique de mise en état du 1er juillet 14 h, pour communication de pièces et conclusions au fond,
o Dit que le greffe procèdera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception,
o Dit qu'en application des dispositions de l'article 84 du Code de procédure civile, la voie d'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de la présente notification,
o Condamne Monsieur [V] à payer aux sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
o Condamne Monsieur [S] [V] aux dépens de l'incident ».
- statuant à nouveau, de déclarer l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de Fréjus recevable et bien fondée,
- de juger que les clauses attributives de compétence territoriales sont réputées non écrites,
- de déclarer le tribunal de commerce de Fréjus compétent ;
- de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus ;
- de débouter les sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] de leurs demandes ;
- de condamner la société [11] à payer à Monsieur [V] la somme de 25 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner la société [11] au paiement de l'ensemble des frais et dépens de première instance et d'appel, les dépens en cause d'appel étant recouvrés par Me Matthieu Boccon Gibod, SELAS Lexavoué Paris-Versailles, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [V] fait valoir que le tribunal a retenu à tort qu'une clause attributive de compétence territoriale « dérogatoire librement convenue entre les parties » pourrait s'imposer à un non-commerçant car le principe de liberté contractuelle prime sur l'article 48 du Code de procédure civile qui ne serait pas d'ordre public, que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la simple présence d'une société de droit espagnol dans la cause permettrait de soumettre le litige aux règles du droit de l'Union européenne et de déroger de ce fait aux dispositions de l'article 48 du code de procédure civile, qu'il s'est opposé à tort au renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus en arguant du droit au procès équitable des sociétés intimées et surabondamment qu'il n'avait pas à juger que le renvoi de l'affaire devant le tribunal de Fréjus n'était pas pertinent en raison du risque de dépaysement de l'affaire et contraire au droit à un procès équitable mais qu'il appartenait aux sociétés demanderesses de saisir le tribunal compétent, c'est-à dire le tribunal de Fréjus, à charge pour ce dernier de demander le dépaysement de l'affaire le cas échéant.
M. [V] soutient en effet que l'article 48 du code de procédure civile présente un caractère d'ordre public de protection du non-commerçant auquel il n'est pas possible de déroger, qu'il n'a pas la qualité de commerçant, qu'il n'a pas accepté les clauses attributives de compétence litigieuses en qualité de commerçant à titre personnel mais en qualité de mandataire des entités du groupe [V], que la cession de contrôle du groupe [V] réalisée de manière isolée ne suffit pas à lui conférer la qualité de commerçant, qu'il conteste formellement les allégations de concurrence déloyale et que la seule présence à l'instance de la société de droit espagnol [22] alors qu'elle n'est pas partie au pacte d'actionnaires, ne permet pas non plus de déroger aux dispositions de l'article 48.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 novembre 2024, les sociétés du groupe [V] et la société [11] demandent à la cour de :
- de rejeter l'ensemble des demandes de M. [V] ;
- en conséquence, de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 juin 2024,
- de juger que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du présent litige,
- de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris,
- de condamner M. [V] à leur verser la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Me Audrey Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés intimées soutiennent que le tribunal de commerce de Paris est compétent en application de l'article 26 du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 et de l'article 34 des statuts de la société [27], que leur droit d'accéder à un tribunal impartial exclut que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal de commerce de Fréjus, dont plusieurs juges consulaires sont liés d'amitié avec M. [V] et n'ont pas hésité à manifester leur partialité en sa faveur, que l'article 48 du code de procédure civile n'est pas d'ordre public et n'est pas applicable dans les litiges internationaux, que le droit à un procès équitable garanti par les articles 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'UE excluent le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus, que les règles du droit de l'Union européenne, notamment l'article 25 du règlement de Bruxelles I bis applicable en présence d'une filiale espagnole partie au litige, conduisent à écarter l'application de l'article 48 du code de procédure civile.
Elles ajoutent que M. [V] avait bien la qualité de commerçant au moment où il a conclu les clauses attributives de compétence litigieuses, se livrant de manière régulière à des actes de concurrence illicites et à l'activité de location de chambres d'hôtes entre 2016 et 2024, que la cession de ses actions ayant pour objet et pour effet le changement de contrôle de la société est un acte de commerce et que l'article 48 n'est pas applicable aux clauses contenues dans les statuts d'une société par actions simplifiée.
SUR CE,
L'article 42, alinéa 1, du code de procédure civile prévoit que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur et s'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux.
Toutefois, le 6 mai 2020, les parties ont fait accompagner la cession des droits sociaux de M. [V] d'une modification des statuts de la société [27] et d'un pacte d'actionnaires conclu entre la société [11] et M. [V].
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et selon 1104 du code civil, les contrats doivent exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
Il ressort du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 que l'acquisition par la société [11] de la quotité de 40,93% du capital et des droits de vote de [27] auprès de M. [V] s'inscrit dans un ensemble indivisible (« l'Opération ») composé de quatre opérations réalisées le même jour :
(i) l'acquisition des actions de M.[V] pour un prix de 5 millions d'euros,
(ii) la transformation de [27] en SAS à conseil d'administration composé d'un collège [V] et d'un collège [11], chacun étant composé de deux membres, et la nomination des membres du conseil d'administration,
(iii) la désignation de M.[V] en qualité de président de la société et de M. [P] [W] en qualité de directeur général et
(iv) l'augmentation de capital de [27] par émission d'actions nouvelles réservées à la société [11] pour un montant de 3 millions d'euros.
A l'issue de l'Opération définie comme la prise de participation, par voie d'acquisition d'Actions et de souscription à l'Augmentation de capital, dans [27], telle que plus amplement détaillée ci-dessus, la société [11] est devenu détentrice d'environ 52% du capital et des droits de vote de [27], M. [V] en conservant 48%.
L'article 34 des statuts de [27] dont la modification résulte de l'acquisition par [11] de titres de capital de la société [27] dans le cadre d'une opération globale et indivisible ayant eu pour objet et pour effet un changement de contrôle de la société [27] a été unanimement voté en ces termes :
« ARTICLE 34 ' CONTESTATIONS
Toutes les contestations qui pourraient s'élever pendant la durée de la Société ou lors de sa liquidation soit entre la Société et les associés titulaires de ses Actions, soit entre les Associés titulaires d'Actions eux-mêmes, concernant les affaires sociales, l'interprétation ou l'exécution des présents Statuts seront jugées conformément à la loi et soumises à la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Paris. »
Il y lieu de constater que cette clause attribuant compétence au tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige figure dans les statuts de manière très apparente et dépourvue d'ambiguïté, ce qui au demeurant ne fait pas débat, et de relever qu'elle a fait l'objet d'un vote unanime des associés lors de son adoption au cours de l'AGE du 6 mai 2020 et suivant un projet de résolution rédigé en des termes strictement identiques.
En outre, le pacte d'associés du 6 mai 2020 a donné lieu à la stipulation d'une clause attributive de compétence territoriale similaire ainsi rédigée :
« ARTICLE 26 ' LOI APPLICABLE ' ATTRIBUTION DE JURIDICTION
26.1 ' Le présent Pacte est régi par la loi française.
26.2 ' Tout différend né entre les Parties quant à son interprétation, sa validité, son application, son exécution ou inexécution, à défaut de résolution amiable, devant intervenir dans un délai maximum de TRENTE (30) Jours ouvrés à compter de la notification du différend dans les formes prévues à l'Article 20 ci-dessus par la Partie contestante à l'autre Partie, sera soumis par la Partie la plus diligente à la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris, sauf compétence obligatoire autre. »
M. [V] qui affirme que sa qualité de mandataire de sociétés commerciales ne lui confère pas la qualité de commerçant, soutient que l'article 48 du code de procédure civile qui dispose que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée », s'oppose en l'espèce à l'application des clauses précitées, en ce que ce texte présente un caractère d'ordre public de protection du non-commerçant auquel il n'est pas possible de déroger et conduit à ce que les clauses soient réputées non écrites.
Aux termes de l'article L. 121-1 du code de commerce, sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.
Il en résulte que des contrats commerciaux signés par l'associé fondateur d'une société en sa qualité de mandataire social au nom et pour le compte de la personne morale ne s'analysent pas à son égard en des actes de commerce. Le seul acte de cession du contrôle d'une société ne suffit pas à démontrer que celui qui accomplit ces actes de commerce en a fait sa profession habituelle au sens de l'article L. 121-1 du code de commerce.
Il s'ensuit que la cession de contrôle de la société [27] au profit de [11] qui procède d'un acte de commerce auquel s'est livré M. [V] ne suffit pas à elle seule à lui conférer la qualité de commerçant et qu'il y a lieu de rechercher si M. [V] s'est livré à titre habituel à la réalisation d'actes de commerce.
A cet égard, il convient d'exclure l'ensemble des actes effectués en qualité de dirigeant d'une ou plusieurs sociétés.
Les activités du groupe [V] menées par M. [V] l'ont été par ce dernier en qualité de président de la société-mère [27] et non à titre personnel.
Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats que M. [V] se livre à une activité hôtelière sur le site du domaine des [19], vaste propriété où il demeure et qui est située à [Localité 7] dans le golfe de [Localité 25], cette activité consistant à mettre à disposition sur des sites spécialisés de type « Booking » et sur les réseaux sociaux de type « Facebook » des logements meublés dits « d'exception » disponibles à la location qualifiés tour à tour de « gîtes », « maisons d'hôtes », ou « Bed and Breakfast », totalisant 9 hébergements dont deux suites et une maisonnette en teck nommée « [Adresse 17] », instrument de l'infraction dénoncée par M. [W]. M. [V] se livre également sur sa propriété à une activité de location d'espaces pour les mariages dans le « champ d'oliviers millénaires ». Les actes de commerce réalisés par M. [V] dans ce cadre ne le sont pas non plus à titre personnel mais en qualité de co-gérant de la SCI [19] et de la SARL Maison [13] ainsi que des SCI [20] et [8].
Reste à analyser les activités prétendument occultes de M. [V] qualifiées de « concurrence déloyale illicite » par les sociétés intimées que M. [V] conteste formellement.
Au sein du groupe [V], les pièces aux débats montrent M. [V] n'était pas seulement l'associé fondateur d'une société mais qu'il avait su construire un groupe d'envergure comportant sept filiales organisées autour de la conception, la réalisation et l'entretien de parcs et jardins, depuis l'approvisionnement avec la filiale espagnole et la pépinière jusqu'au recyclage de végétaux. Ce groupe employait environ 150 salariés et a généré en 2019 un chiffre d'affaires de plus de 11 millions d'euros.
M. [V] avait su développer une clientèle fortunée propriétaire de villas dans la baie de [Localité 25] et s'attacher l'amitié de notables locaux et de milliardaires, bénéficiant dans la foulée de leur réseau d'influence.
Au vu de la valorisation des actions cédées à la société [11] qu'il détenait dans le groupe [V] qu'il a fondé (soit 5 millions d'euros), M. [V] fait davantage figure d'homme d'affaires averti que de non-commerçant.
L'audit interne réalisé par la société [21] en février 2021 confirme l'investissement personnel de M. [V], soulignant que « jusqu'à une date récente », le management était assuré directement par M. [V] dans l'ensemble des entités qui évoluaient de manière cloisonnée.
Il ressort par ailleurs du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 que M. [V] nommé président s'était engagé à ne pas démissionner de ses fonctions avant le 30 juin 2025, preuve de son implication dans les affaires du groupe.
Alors que M. [V] assurait la direction opérationnelle des sociétés du groupe au quotidien, le rapport du commissaire aux comptes, le [10], dressé le 27 juillet 2021 à l'issue d'un contrôle portant sur l'exercice 2020, a mis en lumière plus particulièrement durant les mois de mars, juin et juillet 2020, au sein de trois sociétés du groupe [V], des sous-facturations, voire des absences de facturation pour certains clients, des végétaux livrés et des prestations d'aménagement et d'entretien réalisées.
De surcroît, l'audit de la société [21] mentionne en miroir l'organisation parallèle de « rémunérations » bénéficiant à un petit groupe de salariés qui disposaient en contrepartie de leur travail de la faculté d'utiliser pour leur compte propre les moyens de l'entreprise ou de versements en espèces sous forme de « primes » sous l'autorité de M. [V],
Il s'en déduit que dans un temps immédiatement proche de la cession d'une partie de sa participation dans le groupe [V], M. [S] [V] s'est livré à titre habituel à des actes de commerce extérieurs au groupe.
Le fait que plusieurs clients n'aient pas été facturés ou aient bénéficié de sous-facturations exclut que l'opération ait exclusivement profité à ceux-ci mais implique que les actes de commerce réalisés ont nécessairement et au moins pour partie bénéficié à M. [V], à titre personnel, celui-ci ayant au demeurant reconnu dans la presse des paiements en espèces, peu important une éventuelle qualification pénale susceptible d'être apportée à ces mêmes faits.
Le caractère habituel sur l'année 2020 des actes commerciaux réalisés par M. [V] à titre personnel parallèlement à son activité de mandataire social, comme s'il s'agissait de sa profession habituelle mais pour son propre compte, permet de caractériser la qualité de commerçant de M. [V] au moment où il a signé le pacte d'actionnaires et où il a voté favorablement la modification des statuts de la société [27] le 6 mai 2020.
M. [V] ayant la qualité de commerçant contrairement à ce qu'il soutient, les clauses attributives de compétence trouvent à s'appliquer, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé à ces motifs substitués, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré de l'application du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, ni celui tiré de l'application de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la Charte des droits fondamentaux, ce dernier moyen, à le supposer fondé, ne permettant que d'écarter la compétence du tribunal de commerce de Fréjus mais pas de fonder la compétence du tribunal de commerce de Paris.
M. [V] qui succombe en son appel, sera condamné à en supporter les dépens. Il ne peut de ce fait prétendre à l'octroi d'une indemnité procédurale sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande en revanche d'allouer aux sociétés intimées une somme de 8 000 euros de ce chef en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire, et à ces motifs substitués,
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Renvoie la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris ;
Condamne M. [S] [V] aux dépens d'appel ;
Accorde aux avocats pouvant y prétendre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. [S] [V] à payer aux sociétés [11], [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26] et [22], prises ensemble, la somme 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [S] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 1er AVRIL 2025
(n° / 2025 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/10851 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJS7L
Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 juin 2024 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2023022416
APPELANT
Monsieur [S] [V]
Né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 25] (83)
De nationalité française
Demeurant au domaine [19] [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assisté de Me Loïc HENRIOT de la SELEURL LOIC HENRIOT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1916,
INTIMÉES
S.A.S. [11], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de LILLE sous le numéro 883 140 683,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Assistée de Me Arthur SUSSMANN de la SELEURL SUSSMANN ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque D1311,
S.A.S. [27], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 442 988 341,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [14], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 443 567 110,
Dont le siège social est situé [Adresse 18]
[Localité 6]
S.A.S. [23] [V], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 444 722 862,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [V] [12], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 501 062 863,
[Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [15], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 350 875 472,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
S.A.S. [26], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 498 336 437,
[Adresse 4]
[Localité 7]
Société [22], société de droit espagnol, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Dont le siège social est situé [Adresse 24],
[Adresse 24],
[Adresse 24]
[Localité 9]
ESPAGNE
S.A.S. [16] [V], société par actions simplifiée, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de FREJUS sous le numéro 321 486 789,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 7]
Représentées par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056,
Assistées de Me Nicolas MONNOT de la SELARL GASTAUD - LELLOUCHE - HANOUNE - MONNOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0430,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 3 décembre 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Mme Constance LACHEZE, conseillère,
Mme Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [S] [V], est le fondateur, l'associé et l'ancien président de la société par actions simplifiée [27] (« la société [27] »), société holding de tête d'un groupe de sociétés (le « groupe [V] ») composé des sociétés [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] qui sont toutes des filiales de [27], créées ou acquises au fil des années.
L'activité du groupe [V] se concentre autour de six pôles d'activités : la conception et la réalisation de jardins et d'espaces verts, l'entretien, la pépinière, la valorisation des déchets, le vin et l'immobilier.
Le 6 mai 2020, M. [V] a cédé 40,93% des actions qu'il détenait dans le capital social de la société [27] à la société [11], contrôlée et gérée par M. [J] [B], M. [N] [U] et M. [P] [W]. Le jour même a été votée et réalisée une augmentation de capital permettant à la société [11] de devenir associée majoritaire de la société [27], à hauteur de 52% du capital et des droits de vote, 48% étant conservés par M. [V], nommé président de [27] tandis que M. [W] accédait aux fonctions de directeur général de [27].
En outre, les statuts de la société [27] ont été modifiés et ont été conclu un pacte d'actionnaires entre la société [11] et M. [V] ainsi qu'une convention de rémunération entre la société [27] et M. [V].
Début 2021, un important conflit est né entre les associés.
Selon la société [11] et les sociétés du groupe [V], M. [V] se livrerait à diverses malversations financières et détournements ayant conduit M. [W] à déposer plainte contre lui notamment pour abus de biens sociaux. Le 12 février 2021, M. [V] a été convoqué par le conseil d'administration aux fins que celui-ci statue sur son exclusion. Le 23 février 2021, le tribunal de commerce de Fréjus statuant en référé a ajourné la réunion du conseil d'administration et de l'assemblée générale amenés à statuer sur l'exclusion et la révocation de M. [V] puis par jugement du 25 octobre 2021, ce tribunal a annulé les mesures d'exclusion et de révocation visant M. [V].
Selon la société [11] et les sociétés du groupe [V], les faits délictueux imputés à
M. [V] ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire par le procureur de la République de Draguignan dans le cadre de laquelle M. [V] a été mis en examen en décembre 2023, reconnaissant une partie des faits reprochés selon la presse locale, et les décisions rendues par le tribunal de commerce de Fréjus ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire par le procureur de la République de Grasse pour trafic d'influence en raison notamment des liens d'amitié notoire liant M. [V] avec des juges consulaires du tribunal de commerce de Fréjus.
Le 29 janvier 2024, M. [V] a été révoqué de ses fonctions de président de [27] puis il a été à nouveau exclu du capital de [27] par une décision du conseil d'administration du 24 juin 2024. Par ordonnance du 19 juillet 2024, la contestation portée par M. [V] le 16 juillet 2024 devant le tribunal de commerce de Fréjus a été dépaysée devant le tribunal de commerce de Marseille.
Par ailleurs, M. [V] reprochant à la société [11] sa stratégie d'éviction, il a assigné cette dernière le 27 avril 2022 en annulation du protocole de cession du 6 mai 2020 et des autres accords du même jour, puis MM. [B], [U] et [W] le 30 juin 2022 en révocation de leurs fonctions d'administrateurs de [27]. Par suite de requêtes en suspicion légitime auxquelles le Premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a fait droit, ces affaires ont été dépaysées devant le tribunal de commerce de Marseille où elles demeurent pendantes.
Parallèlement, le 3 mai 2022, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard des sociétés du groupe [V] et, après dépaysement de la procédure, le tribunal de commerce de Marseille a, par jugements du 17 mai 2023, rejeté la demande de conversion de la procédure en redressement judiciaire, mis fin à la période d'observation et arrêté un plan de sauvegarde.
Par acte du 6 avril 2023, les sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11], actionnaire majoritaire de [27], (« les sociétés intimées »), ont assigné M. [V], devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation d'un préjudice matériel et moral qu'elles évaluent à 10 millions d'euros, en raison de prétendus manquements de M.[V] à ses obligations de loyauté et de fidélité en sa qualité de dirigeant des sociétés du groupe [V].
Les sociétés intimées ont porté l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris en se prévalant de la clause attributive de compétence territoriale au profit du tribunal de commerce de Paris contenue dans le pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 et les statuts de la société [27].
Avant toute défense au fond, M. [V] a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de Fréjus, se prévalant pour sa part de sa domiciliation à Gassin dans le ressort du Tribunal de commerce de Fréjus et de l'application de l'article 42 du code de procédure civile.
Par jugement du 4 juin 2024, le tribunal de commerce de Paris a :
- mis hors de cause la société [28] agissant en qualité d'administrateur de la société [27] ;
- dit l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de céans au profit du Tribunal de commerce de Fréjus soulevée par Monsieur [V] recevable mais mal fondée,
- se déclarant compétent, renvoyé les parties à l'audience publique de mise en état du 1er juillet 2024 à 14 h, pour communication de pièces et conclusions au fond,
- condamné M. [V] à payer aux sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré en premier lieu que l'article 48 du code de procédure civile n'était pas une disposition d'ordre public en sorte que les parties pouvaient valablement écarter son application par une clause contraire ; que cette disposition était contredite par le principe de liberté contractuelle posé aux articles 1103 et 1104 du code civil qui sont d'ordre public ; qu'il convenait d'en déduire qu'en l'absence de violation d'une règle de droit d'ordre public, une clause attributive de compétence dérogatoire librement convenue entre les parties pouvait, dès lors, s'appliquer à tous les signataires du pacte d'actionnaires, qu'ils aient ou non la qualité de commerçant.
Il a relevé en second lieu que du seul fait qu'une des sociétés demanderesses était une société de droit espagnol, la validité des clauses attributives de compétence territoriale invoquées par les intimées devait s'apprécier par référence à l'article 25 du règlement Bruxelles I Bis et non par référence à l'article 48 du code de procédure civile ; que les règles de droit de l'Union européenne qui reconnaissent la validité de ces clauses même conclues entre non-commerçants, étaient applicables en l'espèce.
Surabondamment, le tribunal a écarté l'article 48 compte tenu des « circonstances particulières » qu'il estimait remplies en l'espèce par le fait que le tribunal de commerce de Fréjus avait été dessaisi de plusieurs autres affaires concernant les mêmes parties pour cause de suspicion légitime.
Par déclaration du 19 juin 2024, M. [V] a relevé appel de ce jugement.
Sur requête du 19 juin et par ordonnance du 3 juillet 2024, il a été autorisé à assigner à jour-fixe pour l'audience du 3 décembre 2024. Les assignations à jour-fixe ont été délivrées les 12 et 17 juillet 2024.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 15 novembre 2024, M. [V] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 4 juin 2024 en ce qu'il a statué en ces termes :
o « Dit l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de céans au profit du Tribunal de commerce de Fréjus soulevée par Monsieur [V] recevable mais mal fondée,
o Se déclarera compétent,
o Renvoie les parties à l'audience publique de mise en état du 1er juillet 14 h, pour communication de pièces et conclusions au fond,
o Dit que le greffe procèdera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception,
o Dit qu'en application des dispositions de l'article 84 du Code de procédure civile, la voie d'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de la présente notification,
o Condamne Monsieur [V] à payer aux sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
o Condamne Monsieur [S] [V] aux dépens de l'incident ».
- statuant à nouveau, de déclarer l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de Fréjus recevable et bien fondée,
- de juger que les clauses attributives de compétence territoriales sont réputées non écrites,
- de déclarer le tribunal de commerce de Fréjus compétent ;
- de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus ;
- de débouter les sociétés [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26], [22] et [11] de leurs demandes ;
- de condamner la société [11] à payer à Monsieur [V] la somme de 25 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner la société [11] au paiement de l'ensemble des frais et dépens de première instance et d'appel, les dépens en cause d'appel étant recouvrés par Me Matthieu Boccon Gibod, SELAS Lexavoué Paris-Versailles, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [V] fait valoir que le tribunal a retenu à tort qu'une clause attributive de compétence territoriale « dérogatoire librement convenue entre les parties » pourrait s'imposer à un non-commerçant car le principe de liberté contractuelle prime sur l'article 48 du Code de procédure civile qui ne serait pas d'ordre public, que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la simple présence d'une société de droit espagnol dans la cause permettrait de soumettre le litige aux règles du droit de l'Union européenne et de déroger de ce fait aux dispositions de l'article 48 du code de procédure civile, qu'il s'est opposé à tort au renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus en arguant du droit au procès équitable des sociétés intimées et surabondamment qu'il n'avait pas à juger que le renvoi de l'affaire devant le tribunal de Fréjus n'était pas pertinent en raison du risque de dépaysement de l'affaire et contraire au droit à un procès équitable mais qu'il appartenait aux sociétés demanderesses de saisir le tribunal compétent, c'est-à dire le tribunal de Fréjus, à charge pour ce dernier de demander le dépaysement de l'affaire le cas échéant.
M. [V] soutient en effet que l'article 48 du code de procédure civile présente un caractère d'ordre public de protection du non-commerçant auquel il n'est pas possible de déroger, qu'il n'a pas la qualité de commerçant, qu'il n'a pas accepté les clauses attributives de compétence litigieuses en qualité de commerçant à titre personnel mais en qualité de mandataire des entités du groupe [V], que la cession de contrôle du groupe [V] réalisée de manière isolée ne suffit pas à lui conférer la qualité de commerçant, qu'il conteste formellement les allégations de concurrence déloyale et que la seule présence à l'instance de la société de droit espagnol [22] alors qu'elle n'est pas partie au pacte d'actionnaires, ne permet pas non plus de déroger aux dispositions de l'article 48.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 novembre 2024, les sociétés du groupe [V] et la société [11] demandent à la cour de :
- de rejeter l'ensemble des demandes de M. [V] ;
- en conséquence, de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 juin 2024,
- de juger que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du présent litige,
- de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris,
- de condamner M. [V] à leur verser la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Me Audrey Schwab, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés intimées soutiennent que le tribunal de commerce de Paris est compétent en application de l'article 26 du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 et de l'article 34 des statuts de la société [27], que leur droit d'accéder à un tribunal impartial exclut que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal de commerce de Fréjus, dont plusieurs juges consulaires sont liés d'amitié avec M. [V] et n'ont pas hésité à manifester leur partialité en sa faveur, que l'article 48 du code de procédure civile n'est pas d'ordre public et n'est pas applicable dans les litiges internationaux, que le droit à un procès équitable garanti par les articles 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'UE excluent le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Fréjus, que les règles du droit de l'Union européenne, notamment l'article 25 du règlement de Bruxelles I bis applicable en présence d'une filiale espagnole partie au litige, conduisent à écarter l'application de l'article 48 du code de procédure civile.
Elles ajoutent que M. [V] avait bien la qualité de commerçant au moment où il a conclu les clauses attributives de compétence litigieuses, se livrant de manière régulière à des actes de concurrence illicites et à l'activité de location de chambres d'hôtes entre 2016 et 2024, que la cession de ses actions ayant pour objet et pour effet le changement de contrôle de la société est un acte de commerce et que l'article 48 n'est pas applicable aux clauses contenues dans les statuts d'une société par actions simplifiée.
SUR CE,
L'article 42, alinéa 1, du code de procédure civile prévoit que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur et s'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux.
Toutefois, le 6 mai 2020, les parties ont fait accompagner la cession des droits sociaux de M. [V] d'une modification des statuts de la société [27] et d'un pacte d'actionnaires conclu entre la société [11] et M. [V].
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et selon 1104 du code civil, les contrats doivent exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
Il ressort du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 que l'acquisition par la société [11] de la quotité de 40,93% du capital et des droits de vote de [27] auprès de M. [V] s'inscrit dans un ensemble indivisible (« l'Opération ») composé de quatre opérations réalisées le même jour :
(i) l'acquisition des actions de M.[V] pour un prix de 5 millions d'euros,
(ii) la transformation de [27] en SAS à conseil d'administration composé d'un collège [V] et d'un collège [11], chacun étant composé de deux membres, et la nomination des membres du conseil d'administration,
(iii) la désignation de M.[V] en qualité de président de la société et de M. [P] [W] en qualité de directeur général et
(iv) l'augmentation de capital de [27] par émission d'actions nouvelles réservées à la société [11] pour un montant de 3 millions d'euros.
A l'issue de l'Opération définie comme la prise de participation, par voie d'acquisition d'Actions et de souscription à l'Augmentation de capital, dans [27], telle que plus amplement détaillée ci-dessus, la société [11] est devenu détentrice d'environ 52% du capital et des droits de vote de [27], M. [V] en conservant 48%.
L'article 34 des statuts de [27] dont la modification résulte de l'acquisition par [11] de titres de capital de la société [27] dans le cadre d'une opération globale et indivisible ayant eu pour objet et pour effet un changement de contrôle de la société [27] a été unanimement voté en ces termes :
« ARTICLE 34 ' CONTESTATIONS
Toutes les contestations qui pourraient s'élever pendant la durée de la Société ou lors de sa liquidation soit entre la Société et les associés titulaires de ses Actions, soit entre les Associés titulaires d'Actions eux-mêmes, concernant les affaires sociales, l'interprétation ou l'exécution des présents Statuts seront jugées conformément à la loi et soumises à la compétence exclusive du Tribunal de commerce de Paris. »
Il y lieu de constater que cette clause attribuant compétence au tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige figure dans les statuts de manière très apparente et dépourvue d'ambiguïté, ce qui au demeurant ne fait pas débat, et de relever qu'elle a fait l'objet d'un vote unanime des associés lors de son adoption au cours de l'AGE du 6 mai 2020 et suivant un projet de résolution rédigé en des termes strictement identiques.
En outre, le pacte d'associés du 6 mai 2020 a donné lieu à la stipulation d'une clause attributive de compétence territoriale similaire ainsi rédigée :
« ARTICLE 26 ' LOI APPLICABLE ' ATTRIBUTION DE JURIDICTION
26.1 ' Le présent Pacte est régi par la loi française.
26.2 ' Tout différend né entre les Parties quant à son interprétation, sa validité, son application, son exécution ou inexécution, à défaut de résolution amiable, devant intervenir dans un délai maximum de TRENTE (30) Jours ouvrés à compter de la notification du différend dans les formes prévues à l'Article 20 ci-dessus par la Partie contestante à l'autre Partie, sera soumis par la Partie la plus diligente à la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris, sauf compétence obligatoire autre. »
M. [V] qui affirme que sa qualité de mandataire de sociétés commerciales ne lui confère pas la qualité de commerçant, soutient que l'article 48 du code de procédure civile qui dispose que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée », s'oppose en l'espèce à l'application des clauses précitées, en ce que ce texte présente un caractère d'ordre public de protection du non-commerçant auquel il n'est pas possible de déroger et conduit à ce que les clauses soient réputées non écrites.
Aux termes de l'article L. 121-1 du code de commerce, sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.
Il en résulte que des contrats commerciaux signés par l'associé fondateur d'une société en sa qualité de mandataire social au nom et pour le compte de la personne morale ne s'analysent pas à son égard en des actes de commerce. Le seul acte de cession du contrôle d'une société ne suffit pas à démontrer que celui qui accomplit ces actes de commerce en a fait sa profession habituelle au sens de l'article L. 121-1 du code de commerce.
Il s'ensuit que la cession de contrôle de la société [27] au profit de [11] qui procède d'un acte de commerce auquel s'est livré M. [V] ne suffit pas à elle seule à lui conférer la qualité de commerçant et qu'il y a lieu de rechercher si M. [V] s'est livré à titre habituel à la réalisation d'actes de commerce.
A cet égard, il convient d'exclure l'ensemble des actes effectués en qualité de dirigeant d'une ou plusieurs sociétés.
Les activités du groupe [V] menées par M. [V] l'ont été par ce dernier en qualité de président de la société-mère [27] et non à titre personnel.
Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats que M. [V] se livre à une activité hôtelière sur le site du domaine des [19], vaste propriété où il demeure et qui est située à [Localité 7] dans le golfe de [Localité 25], cette activité consistant à mettre à disposition sur des sites spécialisés de type « Booking » et sur les réseaux sociaux de type « Facebook » des logements meublés dits « d'exception » disponibles à la location qualifiés tour à tour de « gîtes », « maisons d'hôtes », ou « Bed and Breakfast », totalisant 9 hébergements dont deux suites et une maisonnette en teck nommée « [Adresse 17] », instrument de l'infraction dénoncée par M. [W]. M. [V] se livre également sur sa propriété à une activité de location d'espaces pour les mariages dans le « champ d'oliviers millénaires ». Les actes de commerce réalisés par M. [V] dans ce cadre ne le sont pas non plus à titre personnel mais en qualité de co-gérant de la SCI [19] et de la SARL Maison [13] ainsi que des SCI [20] et [8].
Reste à analyser les activités prétendument occultes de M. [V] qualifiées de « concurrence déloyale illicite » par les sociétés intimées que M. [V] conteste formellement.
Au sein du groupe [V], les pièces aux débats montrent M. [V] n'était pas seulement l'associé fondateur d'une société mais qu'il avait su construire un groupe d'envergure comportant sept filiales organisées autour de la conception, la réalisation et l'entretien de parcs et jardins, depuis l'approvisionnement avec la filiale espagnole et la pépinière jusqu'au recyclage de végétaux. Ce groupe employait environ 150 salariés et a généré en 2019 un chiffre d'affaires de plus de 11 millions d'euros.
M. [V] avait su développer une clientèle fortunée propriétaire de villas dans la baie de [Localité 25] et s'attacher l'amitié de notables locaux et de milliardaires, bénéficiant dans la foulée de leur réseau d'influence.
Au vu de la valorisation des actions cédées à la société [11] qu'il détenait dans le groupe [V] qu'il a fondé (soit 5 millions d'euros), M. [V] fait davantage figure d'homme d'affaires averti que de non-commerçant.
L'audit interne réalisé par la société [21] en février 2021 confirme l'investissement personnel de M. [V], soulignant que « jusqu'à une date récente », le management était assuré directement par M. [V] dans l'ensemble des entités qui évoluaient de manière cloisonnée.
Il ressort par ailleurs du pacte d'actionnaires du 6 mai 2020 que M. [V] nommé président s'était engagé à ne pas démissionner de ses fonctions avant le 30 juin 2025, preuve de son implication dans les affaires du groupe.
Alors que M. [V] assurait la direction opérationnelle des sociétés du groupe au quotidien, le rapport du commissaire aux comptes, le [10], dressé le 27 juillet 2021 à l'issue d'un contrôle portant sur l'exercice 2020, a mis en lumière plus particulièrement durant les mois de mars, juin et juillet 2020, au sein de trois sociétés du groupe [V], des sous-facturations, voire des absences de facturation pour certains clients, des végétaux livrés et des prestations d'aménagement et d'entretien réalisées.
De surcroît, l'audit de la société [21] mentionne en miroir l'organisation parallèle de « rémunérations » bénéficiant à un petit groupe de salariés qui disposaient en contrepartie de leur travail de la faculté d'utiliser pour leur compte propre les moyens de l'entreprise ou de versements en espèces sous forme de « primes » sous l'autorité de M. [V],
Il s'en déduit que dans un temps immédiatement proche de la cession d'une partie de sa participation dans le groupe [V], M. [S] [V] s'est livré à titre habituel à des actes de commerce extérieurs au groupe.
Le fait que plusieurs clients n'aient pas été facturés ou aient bénéficié de sous-facturations exclut que l'opération ait exclusivement profité à ceux-ci mais implique que les actes de commerce réalisés ont nécessairement et au moins pour partie bénéficié à M. [V], à titre personnel, celui-ci ayant au demeurant reconnu dans la presse des paiements en espèces, peu important une éventuelle qualification pénale susceptible d'être apportée à ces mêmes faits.
Le caractère habituel sur l'année 2020 des actes commerciaux réalisés par M. [V] à titre personnel parallèlement à son activité de mandataire social, comme s'il s'agissait de sa profession habituelle mais pour son propre compte, permet de caractériser la qualité de commerçant de M. [V] au moment où il a signé le pacte d'actionnaires et où il a voté favorablement la modification des statuts de la société [27] le 6 mai 2020.
M. [V] ayant la qualité de commerçant contrairement à ce qu'il soutient, les clauses attributives de compétence trouvent à s'appliquer, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé à ces motifs substitués, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré de l'application du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, ni celui tiré de l'application de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la Charte des droits fondamentaux, ce dernier moyen, à le supposer fondé, ne permettant que d'écarter la compétence du tribunal de commerce de Fréjus mais pas de fonder la compétence du tribunal de commerce de Paris.
M. [V] qui succombe en son appel, sera condamné à en supporter les dépens. Il ne peut de ce fait prétendre à l'octroi d'une indemnité procédurale sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande en revanche d'allouer aux sociétés intimées une somme de 8 000 euros de ce chef en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire, et à ces motifs substitués,
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Renvoie la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris ;
Condamne M. [S] [V] aux dépens d'appel ;
Accorde aux avocats pouvant y prétendre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne M. [S] [V] à payer aux sociétés [11], [27], [14], [23] [V], [16], [V] [12], [15], [26] et [22], prises ensemble, la somme 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [S] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Liselotte FENOUIL
Greffière
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
Présidente