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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-3, 31 mars 2025, n° 22/02751

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/02751

31 mars 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-3

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MARS 2025

N° RG 22/02751

N° Portalis DBV3-V-B7G-VNE5

AFFAIRE :

S.A.R.L. LEGAL STUDIO

C/

[B] [U]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 08 août 2022 par le Conseil de Prud'hommes de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Section : E

N° RG : F 21/00273

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Audrey HINOUX

Me Frank PETERSON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE

S.A.R.L. LEGAL STUDIO

N° SIRET : 884 378 381 00013

Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social

[Adresse 4]

[Localité 1] BELGIQUE

Représentant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2477

Plaidant : Me Marijke GRANIER GUILLEMARRE de la SELARL MGG LEGAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0668

****************

INTIMÉ

Monsieur [B] [U]

né le 07 avril 1982 à [Localité 5] (FRANCE)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Frank PETERSON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1288

Substitué par : Me Violeta PLOQUIN, avocat au barreau de Paris

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 février 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence SINQUIN, Présidente chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Présidente,

Mme Florence SCHARRE, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Adjoint administratif faisant fonction de Greffier lors des débats : Madame Patricia GERARD,

Greffier placé lors du prononcé : Madame Solène ESPINAT

FAITS ET PROCÉDURE

La société Legal Studio est une société à responsabilité limitée (SARL) immatriculée au registre des personnes morales de Bruxelles sous le n°0685.629.0958.

La société Legal Studio propose à ses clients l'accès à une plate-forme de gestion de secrétariat juridique.

Elle emploie plus de 11 salariés. La société emploie 2 salariés en France.

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 24 août 2020, M. [U] a été engagé par la société Legal Studio, en qualité de Responsable développement France, statut cadre, position 3.1, coefficient 170, à temps plein, à compter du 24 août 2020.

Au dernier état de la relation de travail, M. [U] percevait un salaire moyen brut de 3 816,67 euros par mois.

La relation contractuelle était régie par les dispositions de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC).

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 30 mars 2021, la société Legal Studio a convoqué M. [U] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

L'entretien prévu pour le 8 avril 2021, a été reporté, à la demande du salarié au 15 avril 2021.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 avril 2021, la société Legal Studio a notifié à M. [U] son licenciement pour faute grave.

Dans la lettre de licenciement la première branche et libellée en ces termes : « nous avons constaté que malgré toute notre patience et tous nos efforts pour vous soutenir, vous ne réalisez pas les missions qui vous sont confiées avec la qualité et la rigueur attendue, ce qui est particulièrement préjudiciable à la bonne marche de notre entreprise ainsi qu'à son image. Les éléments que nous décrivons ci après caractérise votre insuffisance professionnelle. » : L'employeur invoque une insuffisance de maîtrise de l'orthographe et des fautes d'inattention ; un manque d'autonomie incompatible avec son poste ; un manque de connaissance du produit du marché et un manque de prospection.

Dans sa deuxième branche les griefs sont les suivants : « vous avez récemment adopté une attitude inadmissible et totalement déplacée et avez commis des agissements fautifs qui rendent impossible votre maintient au sein de la société ». Les reproches portent sur le fait d'avoir communiqué à des salariés de la société que la décision de le licencier avait déjà été actée et qu'elle serait liée à son état de santé; un manquement grave à l'obligation de loyauté l'utilisation illégale de la raison sociale de la société et la copie la conservation d'information confidentielle. L'employeur conclura à la faute grave.

Le salarié a contesté son licenciement.

Par requête introductive reçue au greffe en date du 09 juillet 2021, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain-en-Laye d'une demande tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse, et à obtenir le versement de diverses sommes à titre d'indemnités, de dommages et intérêts, de rappel de commissions, et d'une demande tendant à obtenir la remise de documents de fin de contrat de travail.

Par jugement rendu le 08 Août 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Saint Germain-en-Laye a :

Dit que le licenciement de Monsieur [U] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamné la Société LEGAL STUDIO SRL à payer à Monsieur [U] les sommes suivantes :

- 3.816,67 ' au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 11.450,01 ' au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1.145,00 ' au titre des congés payés afférents ;

- 2.500,00 ' au titre de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail; - 1.000,00 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonné le remboursement par la Société LEGAL STUDIO SRL à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Monsieur [B] [U] dans la limite d'un mois d'indemnités ;

Ordonné à la Société LEGAL STUDIO SRL la remise à Monsieur [B] [U] des bulletins de paie, du certificat de travail, et de l'attestation Pôle Emploi conformes au jugement ;

Condamné la Société LEGAL STUDIO SRL à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 22 juillet 2021, date de réception de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation et du prononcé sur le surplus ;

Rappelé que par application de l'article R. 1454-28 du Code du travail, l'exécution provisoire est de droit pour la remise des documents et pour les indemnités énoncées à l'article R. 1454-14 dans la limite de neuf mois de salaires et fixé pour ce faire la moyenne des trois derniers mois à la somme de 3.816,67 '.

Débouté M. [U] du surplus de ses demandes ;

Débouté la société Legal Studio de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société Legal Studio aux éventuels dépens comprenant les frais d'exécution du présent jugement.

Par déclaration d'appel reçue au greffe le 15 septembre 2022, la société Legal Studio a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 décembre 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 10 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Legal Studio, appelante, demande à la cour de :

DECLARER la Société Legal Studio SLR recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye le 8 août 2022 en ce qu'il a :

* DIT que le licenciement de Monsieur [U] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

* CONDAMNÉ la Société LEGAL STUDIO SRL à payer à Monsieur [U] les sommes suivantes :

3.816,67 ' au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

11.450,01 ' au titre de congés payés afférents ;

1.145,00 ' au titre des congés payés afférents ;

2.500,00 ' au titre de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail ;

1.000,00 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* ORDONNÉ le remboursement par la Société LEGAL STUDIO SRL à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Monsieur [B] [U] dans la limite d'un mois d'indemnités

* ORDONNÉ à la Société LEGAL STUDIO SRL la remise à Monsieur [B] [U] des bulletins de paie, du certificat de travail, et de l'attestation Pôle Emploi conformes au jugement ;

* CONDAMNÉ la Société LEGAL STUDIO SRL à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 22 juillet 2021, date de réception de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation et du prononcé sur le surplus ;

* RAPPELÉ que par application de l'article R. 1454-28 du Code du travail, l'exécution provisoire est de droit pour la remise des documents et pour les indemnités énoncées à l'article R. 1454-14 dans la limite de neuf mois de salaires et fixé pour ce faire la moyenne des trois derniers mois à la somme de 3.816,67 '

* DEBOUTÉ la Société LEGAL STUDIO SRL de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* CONDAMNÉ la Société LEGAL STUDIO SRL aux éventuels dépens comprenant les frais d'exécution du présent jugement Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés,

À TITRE PRINCIPAL :

JUGER que le licenciement de Monsieur [U] repose sur une faute grave ;

En conséquence :

DEBOUTER Monsieur [U] de l'intégralité de ses demandes ;

ORDONNER le remboursement par Monsieur [U], à la Société de l'intégralité des sommes versées en exécution provisoire du jugement du 8 août 2022.

À TITRE SUBSIDIAIRE :

JUGER que le licenciement pour insuffisance professionnelle de Monsieur [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

LIMITER les condamnations de la Société au paiement de 11.450,01 ' bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1.145 ' bruts au titre des congés payés y afférents :

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

DEBOUTER Monsieur [U] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail, ou, dans le cas contraire, en limiter substantiellement le montant ;

DEBOUTER Monsieur [U] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur [U] à payer à la Société Legal Studio SLR la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des dépens ;

CONDAMNER Monsieur [U] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 12 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [U], intimé, demande à la cour de :

DECLARER mal fondé l'appel interjeté par LEGAL STUDIO SRL à l'encontre du jugement rendu le 8 août 2022 par le Conseil de Prud'hommes de SAINT GERMAIN EN LAYE.

Par conséquent,

l'en débouter

CONFIRMER le jugement entrepris

Y ajoutant

Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1 343-2 du Code Civil.

Condamner LEGAL STUDIO SRL aux entiers dépens y compris ceux dus au titre d'une éventuelle exécution par voie légale en application des articles 10 et 11 des décrets du 12 décembre 1996 et du 08 mars 2001 relatifs à la tarification des actes d'Huissiers de justice.

La condamner également au paiement d'une somme de 3 000 ' au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS

Sur le licenciement

- Sur la faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;

Par ailleurs, selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié . Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

1. La société reproche en premier lieu à son salarié d'avoir colporté des rumeurs infondées sur les dirigeants de la société. À ce titre, elle produit en pièce 20, un mail rédigé en anglais duquel il ressort que le salarié s'adressant à ses collègues, indique être confronté à de sérieux problèmes de santé et s'interroge de savoir si la raison qui motive son départ de la société n'est pas liée à cet état de santé. Ainsi que le soutient le salarié, et que l'a justement relevé le conseil des prud'hommes, les propos tenus dans ce message n'ont aucun caractère diffamatoire, n'ont pas de caractère déloyal que lui prêt l'employeur et ne sont pas constitutifs d'une faute de la part du salarié.

2. La société évoque en second lieu, un manquement du salarié à son obligation de loyauté en publiant sur LinkedIn des articles concernant un concurrent direct de la société, la société Easy Quorum, spécialisée dans la simplification et la dématérialisation de la gestion du secrétariat juridique. Elle estime qu'en se positionnant en qualité de directeur commercial de la société, le salarié a gravement nui à l'image de son employeur et contribué à lui faire perdre des clients. Elle produit la pièce 19 correspondant à un extrait du compte LinkedIn de M. [U]. Elle communique également les pièces 27 et 28 qui justifient que les deux sociétés étaient effectivement concurrentes sur la réalisation de vote électronique et d'organisation d'assemblée générale en ligne.

M. [U] soutient qu' à aucun moment sur les réseaux sociaux, il n'a mentionné le nom de la société employeur et conteste la concurrence entre les sociétés précisant que la pièce 28 prévoit la mise en place du projet de digitalisation d'assemblées générales à compter du quatrième trimestre 2022, soit bien postérieurement après le licenciement.

Il résulte des pièces versées aux débats que l'activité concurrente dont se prévaut l'employeur est déterminée par une brochure concernant la dématérialisation l'automatisation et la sécurisation des assemblées générales. Or, le projet est envisagé à « Q4 2022 ». En outre, le message promotionnel posté sur LinkedIn par M. [U] ne mentionne pas la société Legal studio.

Ainsi, aucun élément transmis par l'employeur ne permet de tirer de cette publication une intention déloyale de la part du salarié ou une volonté de nuire à son employeur.

3. La société soutient dans un troisième temps, que le salarié aurait illégalement utilisé la raison sociale de la société, via un compte Slack créé au nom de la société «Klealegal » alors que son contrat de travail était suspendu. Elle estime qu'aucune nécessité professionnelle n'imposait l'ouverture de ce compte.

La cour constate que les indications transmises aux débats par M. [U] ne sont pas contredites par l'employeur. Ce dernier fait valoir que le compte avait été ouvert avec son adresse mail professionnelle dont l'accès avait été désactivé par l'employeur dès la notification de la convocation à entretien préalable. Or, la confirmation de création de compte est passée par cette boîte mail professionnelle auquel il n'avait plus accès et en conséquence, aucune création de compte, ni utilisation à des fins personnelles n'a pu avoir lieu.

Ainsi le fait allégué à l'appui de la faute grave n'est pas établi.

4. La société allègue à l'appui de la faute grave un dernier grief à l'égard du salarié qui aurait indûment copié et conservé des informations confidentielles de la société. Elle transmet à ce titre un message du 30 mars 2021 qui confirme que M. [U] a conservé toutes les informations concernant les contacts de chaque prospect et copie de tous les deals ouverts.

C'est par de justes motifs que le conseil des prud'hommes a retenu l'absence de faute grave dès lors que les dispositions du contrat de travail du salarié prévoient une rémunération variable calculée sur les contrats négociés avec de nouveaux clients et les contrats avec les clients existants. Les dispositions relatives à cette rémunération variable tout comme les termes mêmes du message transmis par M. [U] ne permettent pas d'imputer au salarié la volonté de nuire ou d'exercer un chantage tel que le prétend la société.

Il résulte de ces motifs que le licenciement à caractère disciplinaire n'est pas fondé. Il appartient à la cour toutefois d'analyser si les moyens allégués au soutien de l'insuffisance professionnelle permettent de justifier le licenciement du salarié.

Sur l'insuffisance professionnelle.

La société reproche à son salarié, en qualité de Responsable Développement France une insuffisance professionnelle dans ses fonctions de communication par écrit, à des problèmes d'orthographe majeurs, de syntaxe, de conjugaison, de fautes de frappe et d'inattention.

Elle produit à ce titre un message du 1er septembre 2020, du 4 septembre 2020, le compte rendu d'une réunion du 16 novembre 2020, une correction opérée sur un mail du 2 février 2021, un message du vendredi 9 décembre 2020 au sein duquel le supérieur hiérarchique de Monsieur Muller envisage une réunion pour 'redresser la barre', un message du 26 janvier 2021 qui prouve l'impact de ces difficultés orthographiques à l'égard de la clientèle et les alertes faites au salarié sur ce point par sa hiérarchie, un message du 27 janvier 2022 qui atteste des difficultés du salarié dans l'expression de ses idées. Elle ajoute que diplômé en littérature, elle pouvait attendre du salarié une orthographe et une syntaxe irréprochables.

La société fait grief également à son salarié son manque d'autonomie et considère qu'avec une expérience professionnelle de plus de six ans, elle était en droit d'exiger que M. [U] soit totalement autonome en qualité de Responsable Développement France. Or l'employeur indique que malgré un investissement de son supérieur hiérarchique, Monsieur [Z], M. [U] plusieurs mois après sa prise de poste soumettait toujours à son supérieur hiérarchique, la validation de l'ensemble de ces travaux y compris des simples messages d'accroche de deux lignes. Elle communique à ce titre, la pièce 10 du 22 janvier 2022 de laquelle il ressort que le supérieur hiérarchique se trouve dans l'obligation de valider un message de contact, de corriger l'orthographe contenue dans ce message et d'alerter le salarié sur la nécessité de prioriser l'organisation de son travail.

Elle communique également en pièce 6, un message de décembre 2020 dans lequel le salarié reconnaît qu'il n'est 'visiblement pas encore au niveau'. La société verse également aux débats les pièces 10 et 12 qui démontrent les difficultés dans la réalisation de ses fonctions. La société produit aussi le mail du 9 mars 2021 qui atteste de l'impact de ce manque d'autonomie sur la communication adressée aux partenaires: suite à la transmission d'une présentation à destination de 14 000 personnes, l'intervention du supérieur hiérarchique de M. [U] s'avère indispensable pour régler les problèmes d'orthographe et présentation de la communication. La société verse aussi la pièce 15 dans laquelle M. [U] reconnaît ses difficultés à pouvoir écrire et parler lors de visioconférence et son impossibilité de prise de notes lors de telle réunion, prétextant que le clavier le gêne et qu'il déteste être filmé.

La société fait valoir également que le manque de connaissance du marché et du produit par le salarié a conduit à ce qu'en 8 mois ce dernier n'ait obtenu que deux contrats pour un montant de 15 000 ' et ce avec le soutien de son supérieur hiérarchique qui a dû assister à plusieurs réunions préalables et gérer la relation client. Il reproche également au salarié le manque de prospection.

M. [U] considère que l'ensemble des griefs relatifs à l'insuffisance professionnelle ne peuvent caractériser une faute et qu'en conséquence, ils ne peuvent être invoqués au soutien du licenciement disciplinaire.

Selon l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de manière satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Les faits invoqués par l'employeur doivent reposer sur des éléments objectifs, précis et matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié, afin de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il appartient à l'employeur de produire les pièces justificatives suffisantes permettant d'apprécier la réalité de ces éléments.

L'incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur. L'insuffisance professionnelle, qui ne suppose aucun comportement fautif du salarié, doit être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile, ne doit pas être liée au propre comportement de l'employeur ou à son manquement à l'obligation d'adapter ses salariés à l'évolution des emplois dans l'entreprise.

En outre, en application des dispositions de l'article L 1232 ' 6 du code du travail l'employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérent à la personne du salarié dès lors qu'il procède de faits distincts.

Contrairement à ce que soutient le salarié, les griefs invoqués au titre de l'insuffisance professionnelle peuvent à côté de la faute grave constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En l'espèce, la société souligne à bon escient l'importance du niveau hiérarchique de M. [U]: ce dernier en tant que cadre, devait assurer la direction commerciale France de la société. Dans son contrat de travail, ses fonctions sont déterminées de la manière suivante : il a la charge notamment de gérer tous les aspects du processus de vente depuis la prospection jusqu'à la conduite des réunions de vente, la rédaction des offres, la négociation et la clôture des contrats, la transition vers les équipes opérationnelles et la gestion de la relation client afin d'augmenter le volume d'affaires ; il se doit de développer le réseau en établissant des liens avec des leaders du marché et les partenaires commerciaux, participer à des forums et à des événements de networking en France ; il doit améliorer la stratégie commerciale et animer le potentiel futur réseau de vendeurs et assurer la liaison avec l'équipe marketing.

Par les pièces qu'il communique, l'employeur établit la réalité de l'insuffisance professionnelle du salarié à occuper ces fonctions.

Plusieurs échanges de mails démontrent que pour la rédaction messages simples, le salarié a besoin de la supervision de son supérieur hiérarchique, non pas pour pallier une méconnaissance technique mais plus basiquement pour pallier à des défaillances en orthographe ou dans l'expression d'une idée. Ainsi, il écrit dans un message du 27 janvier 2022 : « Hello [N], je suis un peu embêté car sur les panels que j'ai suivis, il y a un ou deux truc qui ont été dit et sur lesquelles je pense que pourrait faire un commentaire, mais d'une part je ne sais pas les formuler pour que cela soit intelligent et je m'inquiète d'autre part de réagir sur ce point qui en est faite et du bon sens. ». Dans un mail du 26 janvier 2021 le salarié indiquera : «' j'ai fait beaucoup d'efforts dernièrement, je pense que tu le vois dans mes messages. Après il y a des loupés pour le participe passé (ée) je ne connaissais pas la règle. Je viens de le lire, c'est subtile mais je m'en souviendrai' ». L' ensemble des pièces fournies par l'employeur révèle des difficultés persistantes entre 2020 et le début de 2021 concernant l'expression écrite. L'impact de ces défaillances est notable puisque sur une communication visant 14 000 personnes, le supérieur hiérarchique de Monsieur Muller a dû intervenir en urgence pour régler des problèmes d'orthographe et de formatage du document.

Les mails transmis par l'employeur démontrent aussi que le salarié était dans l'incapacité de gérer les relations partenariales ou au sein de ses équipes via le support de visioconférence et dans son mail du 8 février 2022, le salarié reconnaît lui-même ses défaillances dans ce domaine et prétendra être gêné par son clavier pour prendre des notes rendant impossible en conséquence l'établissement par le salarié de comptes-rendus de réunions.

En dehors du support de la visioconférence qu'il dit détester, dans l'exercice de ses fonctions le salarié va reconnaitre lui-même ses insuffisances. Dans un message de décembre 2020 il fera le constat qu'il n'est 'visiblement pas encore au niveau' .

L'employeur justifie, en outre, avoir pris plusieurs dispositions pour alerter et tenter de pallier les insuffisances de son salarié. Outre un correcteur d'orthographe, le supérieur hiérarchique s'est mobilisé pour tenter de faire évoluer la situation. Ainsi le 9 décembre 2020, il propose une réunion pour «déterminer un plan d'action pour redresser la barre ».

Au regard du niveau hiérarchique occupé par le salarié et des insuffisances impactant l'ensemble de la communication en interne et en externe, il apparaît que l'insuffisance professionnelle relevée par l'employeur est bien établie.

Infirmant le jugement prud'homal, la cour constate que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse.

En conséquence de ces motifs, il convient de rejeter les demandes formulées au titre de la rupture et notamment, celles relatives à l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

M. [U] fait valoir que son employeur lui a versé son solde de tout compte plusieurs mois après le licenciement, soit le 15 juillet 2021 et qu'il en est résulté pour lui un préjudice moral et financier. Il sollicite la somme de 2500 ' en réparation de ce préjudice.

À l'appui de sa demande, le salarié ne fournit aucun élément.

En conséquence, la cour constate que la société est bien fondée à soutenir que le salarié ne démontre pas le retard allégué, ni l'existence d'un préjudice.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:

INFIRME le jugement du conseil des prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye du 8 août 2022 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

DIT que le licenciement de M. [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

DÉBOUTE M. [U] de l'ensemble de ses demandes ;

DÉBOUTE la société Legal Studio de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE M. [U] aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère, pour la Présidente empêchée et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière placée, Pour la Présidente,

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