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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-3, 31 mars 2025, n° 22/02251

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/02251

31 mars 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-3

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MARS 2025

N° RG 22/02251

N° Portalis DBV3-V-B7G-VKG6

AFFAIRE :

[Y] [W]

C/

S.A.S. COMPAGNIE FIDUCIAIRE DE NEUILLY

Compagnie Fiduciaire de Neuilly CFN AUDIT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 juin 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F 19/01158

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Alexandre BARBOTIN

Me Maud THOMAS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE

Madame [Y] [W]

née le 18 octobre 1978 à [Localité 5] (FRANCE)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Alexandre BARBOTIN de la SELEURL ISEE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0083

Substitué par Me Estelle DENOUAL de la SELEURL ISEE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0083

****************

INTIMÉE

S.A.S. COMPAGNIE FIDUCIAIRE DE NEUILLY

Compagnie Fiduciaire de Neuilly CFN AUDIT

N° SIRET : 722 020 906

Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Maud THOMAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0753

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Présidente,

Madame Anne THIVELLIER, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

Greffier placé lors du prononcé : Madame Solène ESPINAT,

FAITS ET PROCÉDURE

La société Compagnie Fiduciaire de Neuilly (ci-après CFN) est une société par actions simplifiée (SAS) exerçant en matière d'expertise-comptable, elle emploie moins de 11 salariés.

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 20 janvier 2007, Mme [W] a été engagée par la société CFN, en qualité de collaborateur non-cadre, coefficient 200, à temps plein, à compter du 25 janvier 2007.

Au dernier état de la relation de travail, Mme [W] disposait du statut cadre, coefficient 345.

La relation contractuelle était régie par les dispositions de la convention collective nationale des cabinets d'experts comptables.

Par requête introductive reçue au greffe en date du 30 avril 2019, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande tendant à ce que la résiliation judiciaire de son contrat de travail soit prononcée aux torts de l'employeur.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 23 juin 2020, la société CFN a convoqué Mme [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, assortie d'une mise à pied conservatoire.

Le 29 juin 2020, Mme [W] a été placé en arrêt de travail pour cause de maladie.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 24 juillet 2020, la société CFN a notifié à Mme [W] son licenciement pour faute lourde, libellée en ces termes :

« (') En effet les manquements graves à vos obligations professionnelles et une intention de nuire caractérisée rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail et justifient tant votre mise à pied conservatoire que votre licenciement pour faute lourde à effet immédiat, sans préavis ni indemnités.

(') Nous avons découvert, en traitant la messagerie professionnelle de l'ordinateur portable qui vous avait été confié et que vous avez restitué par l'intermédiaire de votre compagnon le 7 mai 2020 que vous n'aviez ni traité ni relayé au cabinet au fur et à mesure les demandes des clients (par exemple, demande et relances de Madame [P] pour la SCM Ortho Cormeilles des 23 mars, 20 et 29 avril 2020 ; relance de Me [V] du 2 mai 2020 '), alors que nous n'avions pas accès à votre messagerie professionnelle ni aux dossiers que vous aviez transférés sur l'ordinateur portable et que vous étiez censée traiter pendant cette période de confinement en temps partiel, sans aucun compte-rendu écrit ou oral d'activité de votre part et en ignorant nos demandes à ce titre et en refusant de communiquer les codes d'accès des comptes professionnels des clients.

Cette situation a bien évidemment été préjudiciable aux clients du cabinet dont les demandes ont été traitées avec retard. Elle a par ailleurs gravement porté atteinte à l'image du cabinet.

Ce n'est pas la première fois que les clients se plaignent de retards de votre part dans le traitement de leurs dossiers et j'ai eu moi-même à plusieurs reprises l'occasion de vous rappeler à l'ordre à ce sujet (par exemple formalités juridiques SARL RAYINES ou CEDR'OPTIC).

Le listing des procès-verbaux des assemblées générales non rédigés et/ou non déposés, y compris au titre de périodes anciennes est édifiant et engage, de votre fait, la responsabilité du cabinet.

Vous ne faites pas le travail demandé, quand vous le faites c'est avec du retard, après de multiples relances de ma part, après avoir trouvé mille excuses ou mille questions pour complexifier à souhait les dossiers ou la situation et c'est la plupart du temps avec de multiples erreurs révélatrices de votre manque de rigueur, de conscience professionnelle et votre mauvaise volonté.

C'est tellement vrai que nous avons découvert que vous n'aviez pas hésité, pour couvrir votre absence de travail ou vos erreurs, à vous approprier le travail des autres collaborateurs du cabinet dans notre logiciel comptable en modifiant à notre insu les écritures comptables. C'est non seulement déloyal mais parfaitement illégal.

En dépit de mes nombreuses demandes et en violation de vos obligations contractuelles, vous n'avez jamais, sauf à de rares périodes, remis ni soumis pour analyse contradictoire, vos états mensuels des travaux effectués, permettant le suivi de votre activité et les éventuels dépassements de forfait ou écarts de facturation alors que vous preniez le temps de les tenir manuscritement et de les conserver « au cas où » '.

De la même manière et toujours pour gonfler artificiellement votre charge de travail, mais également pour preuve de votre insubordination, vous avez persisté, en dépit de mes instructions contraires, à vouloir rédiger des rapports de gestion, lesquels ne sont plus obligatoires dans certaines sociétés depuis plusieurs années ! Quelle absence de conscience professionnelle, quelle rigidité, quelle obstination à avoir raison en toutes circonstances, même quand vous aviez manifestement

tort '.

De façon tout aussi condamnable, pour vous exonérer de toute responsabilité dans les fautes commises, vous n'avez pas hésité à dénigrer ouvertement vos collègues de travail, critiquant leurs compétences, leur travail, vous moquant de leur loyauté à leur employeur, tout en vous déchargeant sur eux de nombreuses tâches.

Vos agissements et propos ont gravement détérioré l'ambiance de travail au sein du cabinet et conduit à une situation de blocage qui ne peut perdurer. A titre d'exemple de vos débordements verbaux, les menaces de mort proférées à l'encontre de Madame [G] ' avec qui vous avez provoqué plusieurs altercations, en ayant le toupet de vous plaindre que les autres salariés vous évitent !

Vos collègues se sont également plaints d'être épiés par vous en permanence, alors que vous étiez à l'affût de la moindre information les concernant, tant à titre professionnel que personnel et que vous passiez visiblement beaucoup de temps à scanner des documents que vous avez regroupés sur le serveur du cabinet dans un fichier personnel intitulé « [Y] personnel au cas où » '.. Non seulement cette attitude de défiance permanente ne relève pas d'une conception normale de la relation de travail. Mais en outre, elle démontre que vous avez ainsi passé un temps considérable sur votre temps de travail professionnel et avec le matériel mis à votre disposition par le cabinet pour l'exercice de votre mission, à des fins purement personnelles, au détriment de votre travail et du cabinet.

Votre état d'esprit négatif et vindicatif sont pesants au quotidien et nuisent au bon fonctionnement du cabinet. Vous n'avez eu de cesse de vous poser en victime, de créer et d'alimenter des différends qui n'existaient pas.

Toujours dans le but de nuire au cabinet, vous n'avez pas hésité, de façon parfaitement déloyale et en violation de vos obligations professionnelles, à prendre les clients du cabinet en otage de votre histoire. Il est inadmissible qu'aux fins d'alimenter votre dossier contentieux et de nuire au cabinet, vous évoquiez vos prétendues mauvaises conditions de travail et que vous passiez votre temps à me dénigrer professionnellement. Dès que vous en avez eu l'opportunité, vous vous êtes plainte auprès des clients, en prenant bien soin de ne pas me mettre en copie, souvent pour expliquer que vous n'aviez pas fait le travail ou que vous étiez en retard (encore récemment par exemple votre courriel à Monsieur [Z] « (') je me suis trompée désolée je ne vais pas très bien comme vous le savez depuis des mois

compte tenu de mes conditions de travail (') » !

A ce titre, vous vous êtes également « victimisée » en signant de façon puérile vos courriels d'un «Responsable du Service juridique et ses dossiers BNC du cabinet » barré. Personne ne sera dupe de vos man'uvres '.

Vous n'avez eu de cesse également de me dénigrer professionnellement tant auprès des clients que du reste de l'équipe. Vos écrits vont bien au-delà de la simple critique, constructive et acceptable de la part d'un collaborateur bien intentionné, ce qui n'est pas votre cas. Ils sont constitutifs d'une insubordination caractérisée à laquelle se sont ajoutés irrespect, mépris et sarcasmes.

Vos courriels sont éloquents : « pas capable de faire des démarches juridiques un peu plus compliquées avec de multiples modifications en même temps » ou encore « la qualification de vos services se dégrade sans cesse » ou à propos de mes prétendues absences « comme souvent ». Votre insolence et votre défiance quotidiennes ont rendu impossible de travailler avec vous sans que cela ne dégénère en altercation ou en courriel vindicatif et agressif de votre part, la réalité étant systématiquement déformée ou tronquée pour les besoins de votre cause.

Tout comme vos collègues de travail, je n'ai pas réagi à vos provocations ce qui a généré un harcèlement épistolaire particulièrement agressif de votre part rendant encore plus difficile la communication au quotidien, orale jusque-là, ce qui est normal dans une petite structure comme la nôtre, caractérisé par des menaces, chantage à ceci ou cela et ultimatum divers et variés.

Pour preuve récente, votre ultimatum de récupérer le matériel propriété du cabinet sur le parking de la société où travaille votre compagnon ! Le ton que vous vous permettez d'employer à mon encontre est là encore éloquent.

Tout en nous reprochant tout et son contraire dans le seul but d'alimenter un dossier contentieux, vous vous êtes donc progressivement affranchie de toute obligation professionnelle à l'égard du cabinet : peu de travail, peu d'investissement, peu de facturation, pas de saisie de vos temps dans le logiciel comptable, des retards, des erreurs, de la rétention d'information, de l'obstruction au bon déroulement des dossiers ou à la relation client, de la déloyauté, pas ou peu de comptes-rendus d'activité sauf à charge à mon encontre ou à l'encontre de vos collègues, des horaires fantaisistes et décalés vous permettant de traiter vos affaires personnelles en toute tranquillité, des absences, des congés non posés etc '..

Vos agissements déloyaux et vos manquements graves à vos obligations professionnelles ont perturbé le bon fonctionnement du service, généré d'importantes tensions avec le reste de l'équipe et nui à notre image vis-à-vis de nos clients.

Ils sont inadmissibles, a fortiori à votre niveau de responsabilités et dans une petite structure comme la nôtre où doivent présider solidarité, respect, confiance, loyauté et professionnalisme.

Mais il y a davantage. J'ai tout récemment découvert, notamment concernant la société [V] Conseils et Contentieux, que le « social » de ce client n'était pas traité par CFN AUDIT mais par ODG CONSULTING. Or ODG Consulting est une société concurrente récemment constituée par Monsieur [U] [O], associé de CFN AUDIT et sa fille, [F], ce que vous n'ignorez pas. Je considère que vous vous êtes rendue complice d'un détournement de clientèle, de façon, encore une fois, parfaitement déloyale et avec l'intention de nuire à votre employeur. La faute lourde est de ce simple fait, amplement caractérisée.

Nous regrettons sincèrement la tournure qu'a pris notre relation contractuelle, de votre fait.

Vous ne nous avez laissé aucun choix, malgré notre patience et notre bienveillance à votre endroit. (')»

Postérieurement à sa requête, et suite à son licenciement, Mme [W] a demandé, à titre subsidiaire, à ce que son licenciement soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse et sollicité le versement de dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 1er juin 2022, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- Dit les demandes nouvelles recevables,

- Condamné la société Compagnie fiduciaire de Neuilly à verser à Mme [W] les sommes de :

. 11 040,69 euros à titre de préavis,

. 1 104,70 euros au titre des congés payés afférents,

. 3 459,44 euros à titre de complément de congés payés,

. 13 494,17 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date du bureau de conciliation pour les salaires, la date du jugement pour les dommages et intérêts,

- Rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire sur les créances salariales dans la limite de 6 mois de salaire ceci conformément à l'article R 1454-28 du Code de travail,

- Fixé à 3 680,23 euros brut la moyenne mensuelle prévue à l'article R 1454-28 du Code de travail,

- Débouté la partie demanderesse du surplus de ses demandes,

- Débouté la partie défenderesse de sa demande reconventionnelle la condamne aux éventuels dépens de l'affaire.

Par déclaration d'appel reçue au greffe le 16 juillet 2022, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 janvier 2025.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 6 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [W], appelante et intimée à titre incident, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nanterre le 1er juin 2022 en ce qu'il a débouté Mme [W] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly produisant les effets d'un licenciement nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nanterre le 1er juin 2022 en ce qu'il a débouté Mme [W] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, à titre principal, et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nanterre le 1er juin 2022 en ce qu'il a débouté pour le surplus Mme [W] de ses demandes à titre de rappel d'heures supplémentaires sur la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2019 et congés payés afférents, d'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos en application de l'article D. 3121-14 du code du travail et pour la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2019 et de congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité pour violation de la législation relative au temps de travail, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, en application de l'article L. 1222-1 du code du travail, de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail, d'indemnité pour harcèlement moral, en application de l'article L. 1152-1 du code du travail, d'abondement, sous astreinte, de son compte PEI, d'abondement, sous astreinte, de son compte PERCOI, de remise, sous astreinte, des documents sociaux (bulletins de paie, certificat de travail, attestation Pôle Emploi et relevés de PEI et PERCOI) conformes à la décision à intervenir,

Et statuant à nouveau de ces chefs, il est demandé à la Cour d'appel de Versailles de :

- Juger recevables les demandes formées par Mme [W],

- A titre principal, résilier le contrat de travail de Mme [W] aux torts exclusifs de la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly à effet du 24 juillet 2020, date de son licenciement,

- A titre subsidiaire, juger le licenciement de Mme [W] nul ou, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly à payer à Mme [W] :

. 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, à titre principal, ou 42 322,64 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire,

. 17 085,44 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires sur la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2019, outre 1 708,54 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 889,20 euros à titre d'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos en application de l'article D. 3121-14 du code du travail et pour la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2019, outre 588,92 euros au titre des congés payés afférents,

. 22 081,38 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

. 15 000 euros à titre d'indemnité pour violation de la législation relative au temps de travail,

. 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, en application de l'article L. 1222-1 du code du travail,

. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail,

. 20 000 euros à titre d'indemnité pour harcèlement moral, en application de l'article L. 1152-1 du code du travail,

- Ordonner à la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly d'abonder le compte PEI de Mme [W] à hauteur de 2 441,92 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l'astreinte,

- Ordonner à la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly d'abonder le compte PERCOI de Mme [W] à hauteur de 500 euros sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l'astreinte,

- Condamner la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly à payer à Mme [W] 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

- Condamner la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly à remettre à Mme [W] des documents sociaux (bulletins de paie, certificat de travail, attestation Pôle Emploi et relevés de PEI et PERCOI) conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard à compter du délibéré, la Cour se réservant le contentieux de la liquidation de l'astreinte,

- Condamner la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly aux entiers dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution forcée de l'arrêt à intervenir,

- Condamner la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly aux entiers dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution forcée de l'arrêt à intervenir,

- Débouter la société Compagnie Fiduciaire de Neuilly de l'ensemble de ses demandes.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 23 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société CFN, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* Débouté Mme [W] de sa demande de résiliation judiciaire,

* Débouté de ses demandes afférentes à la prétendue violation de la législation sur la durée du travail et au titre du prétendu harcèlement moral :

. Rappel d'heures supplémentaires : 17 085,44 euros,

. Congés payés afférents : 1 708,54 euros,

. Repos compensateur : 9 279,85 euros,

. Congés payés afférents : 927,99 euros,

. Indemnité pour travail dissimulé : 22 081,38 euros,

. Indemnité pour violation de la législation sur la durée du travail : 15 000 euros,

. Indemnité pour harcèlement moral : 20 000 euros,

. Dommages et intérêts pour déloyauté : 10 000 euros,

. Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de protection : 15 000 euros,

* Jugé que le licenciement du 24 juillet 2020 était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

* Débouté Mme [W] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul à titre principal ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse 42 322,64 euros,

* Débouté Mme [W] de ses demandes nouvelles au titre de l'abondement du PEI et du PERCOI,

- De l'infirmer en ce qu'il a :

* Jugé recevables les demandes nouvelles de la salariée afférentes au licenciement du 24 juillet 2020,

* Retenu ni la faute lourde ni la faute grave et a condamné la société à lui verser, à titre de solde de tout compte :

. Indemnité compensatrice de préavis : 11 040,69 euros,

. Congés payés afférents : 1 104,70 euros,

. Indemnité de licenciement : 13 494,17 euros,

* Fait droit à la demande de complément de 23,5 jours de congés payés-en ce qu'il a par erreur fixé le montant dudit complément à la somme de 3 459,44 euros au lieu de 2 430,41 euros,

* Condamné la société à verser 1 200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* Débouté la société de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts au titre de la déloyauté de la salariée à hauteur de 1 000 euros,

* Débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 3 000 euros,

Statuant à nouveau, la Cour

- Déboutera Mme [W] de toutes ses demandes,

- Ordonnera le remboursement de la somme de 21 649,44 euros versée en exécution du jugement du 1er juin 2022 avec intérêts de retard au taux légal à compter du 21 juillet 2022,

- Ordonnera le remboursement de la somme de 1 029,03 euros saisie à tort par voie d'huissier le 20 septembre 2022 à titre de complément de congés payés et résultant d'une erreur matérielle du Conseil de Prud'hommes outre les frais d'huissier d'un montant de 179,50 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 22 septembre 2022,

- Ordonnera le remboursement de la somme de 2 767,51 euros saisie par voie d'huissier au titre des intérêts de retard, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 22 septembre 2022,

Subsidiairement,

- Dira que les intérêts de retard doivent être calculés sur la base du net et à compter du 25 février 2020 en application du jugement et ordonnera le remboursement du différentiel avec intérêts de retard au taux légal à compter du 22 septembre 2022,

- Condamnera Mme [W] à verser 5.000 euros à CFN au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de résiliation judiciaire

En application des articles 1224 et 1227 du code civil, un salarié peut prendre l'initiative de saisir la juridiction prud'homale aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail lorsqu'il estime que l'employeur a manqué aux obligations en découlant.

Il incombe aux juges d'examiner l'ensemble des manquements invoqués par le salarié pour se prononcer sur le bien-fondé de sa demande, la charge de la preuve incombant au salarié.

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La salariée invoque à ce titre avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur et lui reproche de ne pas avoir respecté ses obligations relatives aux temps de travail.

Sur le harcèlement moral

Mme [W] sollicite la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi de la part de son employeur.

L'employeur considère qu'il s'agit d'une demande nouvelle dont il sollicite le rejet et sur le fond en conteste le bien-fondé.

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité, la cour relève que les premiers juges avaient été saisis d'une demande d'« indemnités pour harcèlement moral » et juge que la demande de dommages et intérêts présentée devant la cour est une demande additionnelle qui se rattache avec un lien suffisant aux prétentions originaires qui avaient pour objet la résiliation judiciaire du contrat de travail en raison des manquements que la salariée estimait subir de la part de son employeur.

Sur le fond, l'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il revient au salarié d'établir la matérialité des faits, à charge pour le juge d'apprécier si ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans la négative, le harcèlement moral ne peut être reconnu. Dans l'affirmative, il revient à l'employeur de prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, à l'appui du harcèlement moral, Mme [W] indique que le directeur de la société CFN n'a pas hésité à la menacer de licenciement alors que son professionnalisme était salué par les clients du cabinet. Elle ajoute qu'elle a été contrainte d'assurer seule la gestion des dossiers en travaillant parfois des nuits entières, mais également pendant ses congés et les jours fériés. Elle estime avoir subi les brimades de certains de ses collègues, lesquels lui hurlaient dessus pendant plus de 20 minutes et d'avoir été destinataire de lettres d'insultes déposées sur son bureau. Elle souligne avoir alerté son employeur au sujet des propos misogynes et harcelants de ces mêmes collègues. Elle lui reproche également de ne pas avoir pris les mesures suffisantes pour préserver sa sécurité notamment en raison de ce que la fenêtre de son bureau ne fermait pas correctement, que des fils électriques pendaient dans son bureau. Elle considère que son employeur aurait dû diligenter une enquête. Elle soutient que le conseil de prud'hommes a ajouté une condition à la définition juridique du harcèlement qui n'impose pas de démontrer la volonté manifeste de harceler. Elle invoque une dégradation de son état de santé.

Mme [W] justifie de ses allégations par la production aux débats de très nombreux et longs mails qui sont tous rédigés par elle.

Concernant les mails adressés en dehors des heures de travail ou lors de jours fériés (comme par exemple les mails du 1er mai 2016 à 23h28, du lundi 2 mai 2016 à 3h06 du matin ou encore du jeudi 22 décembre 2016 à 21h18), la cour relève que le fait allégué n'est pas établi dès lors que la salariée ne prouve pas par les pièces qu'elle verse aux débats que son employeur ait exigé d'elle qu'elle travaille en dehors des horaires de l'établissement mentionnés à son contrat de travail. Ce d'autant que le contenu des mails ne renseigne pas sur un quelconque niveau d'urgence justifiant un tel investissement.

Concernant la menace d'un licenciement, Mme [W], même si elle a été licenciée postérieurement, ne justifie pas davantage que son employeur ait pu la menacer en ce sens.

Quant à la placardisation, aux brimades et insultes dont la salariée aurait été victime de la part des autres collaborateurs de la société, les pièces versées aux débats par l'appelante ne démontrent pas l'existence d'agissements répétés qui ont eu pour objet ou pour effet de dégrader ses conditions de travail, de porter atteinte à sa dignité ou d'altérer sa santé. Ces pièces établissent par contre l'existence d'une tension entre Mme [W] et M. [M] (par exemple le 23 juin 2015 mail de M. [M] à Mme [W] : « j'espère que tu n'as pas comme d'habitude remis en cause le cabinet », ce à quoi Mme [W] lui répondait « j'ai raison de faire dorénavant ces mails puisque tu ne t'en souvient pas », ou encore dans un mail adressé le 26 septembre 2016 à M. [R] dans lequel la salariée indiquait, en évoquant des erreurs sur la liasse fiscale envoyée par M. [M] : «je ne comprends pas comment un cadre chef de bureau avec beaucoup plus d'ancienneté que moi dans ce cabinet n'a pas été capable de traiter ce dossier (') est-il un vrai chef de bureau '» ). La cour observe sur ce point qu'une autre collègue de travail de Mme [W], Mme [G], a été contrainte de déposer une main courante le 10 juillet 2019 pour des faits de menaces de mort proférées à son encontre par l'appelante en ces termes « regardez là en train de rigoler, elle m'énerve, je vais la tuer ».

Concernant le fait que la salariée se serait « fait hurler dessus pendant 20 minutes » par ce même

M. [M], ce fait n'est établi que par un mail de la salariée du 4 janvier 2018 à 22h33 dans lequel elle le relate.

Ces mêmes pièces démontrent également que Mme [W] invectivait le directeur de la société CFN (par exemple le 13 mai 2015 en ces termes : « qui est à licencier vous ou moi ' » ou encore le 21 février 2017 : « après une journée passée en clientèle chez Miki dont je rentre seulement, je pensais vous voir ce soir mais non il n'y a personne au cabinet comme d'habitude »).

Enfin quant à la dégradation de l'état de santé de la salariée, la pièce 89 versée aux débats, constituée d'un certi cat médical du médecin du travail en date du 25 février 2019 évoque le fait que la salariée soit toujours « véhémente à l'encontre de son employeur, se plaint du manque d'organisation, pas de prime, heures supplémentaires impayées », cet élément à lui seul ne saurait établir l'existence d'une dégradation des conditions de travail de Mme [W] susceptible d'altérer sa santé physique ou mentale.

Il s'en déduit que les faits allégués par Mme [W] ne laissent donc pas présumer l'existence d'un harcèlement moral.

En conséquence, le harcèlement moral n'étant pas établi, il convient de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts afférents, par voie de confirmation du jugement entrepris.

Sur le paiement des heures supplémentaires, la violation des dispositions relatives au temps de travail et le travail dissimulé

La salariée soutient avoir effectué des heures supplémentaires non rémunérées sur la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2019 et sollicite la condamnation de son employeur au paiement d'une somme de 17 085,44 euros, outre les congés payés afférents.

L'employeur conteste la réalité des heures supplémentaires alléguées et fait valoir que la salariée n'apporte aucun élément de preuve objectif.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le contrat de travail de Mme [W] mentionne une durée du travail de 39 heures selon un horaire collectif de 9 heures à 18 heures du lundi au jeudi et de 9 heures à 17 heures le vendredi.

Au soutien de ses allégations au titre des heures supplémentaires, la salariée produit :

des tableaux d'heures supplémentaires intitulés « journal des temps détaillés » pour les années 2007 à 2014 dans lesquels apparaissent, pour chaque jour de la semaine, le nom du client, la nature de la mission et le nombre d'heures revendiquées ;

un « journal des temps » pour les années 2016 à 2019 ;

un tableau de synthèse pour les années 2016 à 2019 (pièces n° 29, 30 et 31 à 36).

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures que la salariée prétend avoir réalisées pour permettre l'instauration d'un débat contradictoire et à l'employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Pour sa part, l'employeur, qui produit aux débats le panneau d'affichage des horaires collectifs dans l'entreprise, le listing des dossiers en retard de Mme [W], des mails de la salariée, des SMS échangés avec celle-ci ainsi que des attestations d'autres collaborateurs du cabinet, indique n'avoir jamais été saisi de demande à ce titre et conteste la crédibilité de la position de la salariée.

Il souligne l'exagération et l'incohérence des demandes de Mme [W] précisant que la plupart des clients du cabinet d'expertise comptable étaient au forfait et ajoutant que la réalisation de ces heures supplémentaires est inexplicable. Il précise qu'il n'était jamais en copie des mails adressés par Mme [W] aux clients, de sorte qu'il ignorait à quelle heure la salariée travaillait et considère que celle-ci envoyait à dessein ces mails en dehors de ses heures de travail. Il conclut que les courriels adressés en fin de semaine ou tard le soir par Mme [W] ne démontrent pas le travail produit par elle le soir ou le week-end.

La cour relève que le « journal des temps détaillés » produit par la salariée, dont il n'est pas contesté qu'il est issu du logiciel de gestion du cabinet d'expertise comptable, ne concerne en réalité que les années 2007 à 2014 alors que la salariée formule des demandes uniquement sur les années 2016 à 2019.

Quant au « journal des temps », élaboré par la salariée, pour les années 2016 à 2019, l'employeur allègue à juste titre que celui-ci ne mentionne que les jours de la semaine, puis un nombre d'heures indiquées comme réalisées de 35 heures à 39 heures, au-delà du contingent de 220 heures annuelles, pour déterminer le nombre d'heures supplémentaires qui sont ensuite ventilées entre celles qui doivent être payées à 50%, celles qui doivent l'être à 25% et les dimanches et 1er mai à 200%.

Concernant le tableau de synthèse présenté par la salariée pour la période qu'elle sollicite. La société énonce valablement que celui-ci ne permet pas d'apprécier l'amplitude horaire de Mme [W], ni la nature de la tâche qu'elle a pu effectuer, ni même le client concerné. En effet, ce tableau est présenté comme une compilation de mails d'une ligne, affichés les uns à la suite des autres et qui ne précisent que leur objet, leur date et leur heure d'envoi mais ne sauraient permettre d'expliquer les jours et heures d'envoi de ces courriels en dehors des heures de travail prévues au contrat. A titre d'exemple, et comme relevé à juste titre par l'employeur, la semaine du 15 janvier 2018, exposée dans le « journal des temps » et pour laquelle Mme [W] indique avoir travaillé 43,75 heures, ne figure pas sur ce tableau récapitulatif de mails envoyés.

De plus, la salariée attribue dans ce tableau un nombre d'heures supplémentaires à chaque jour de la semaine sans prendre en compte ses absences ou retards, comme ceux relatés par Mme [K] dans son attestation, ou encore ceux issus de la lecture des SMS envoyés par la salariée le 6 février 2019 où elle indique « comme hier donc je serai pas là avant 14h », ou encore celui du 27 janvier 2020 où elle informe son employeur « je ne viendrai pas aujourd'hui, problème personnel ».

La cour en déduit, au vu des pièces versées aux débats par l'une et l'autre des parties, l'existence de nombreuses incohérences sur toute la période revendiquée.

Il convient donc de débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes au titre des heures supplémentaires, de l'indemnité au titre de la contrepartie en repos subséquente, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour violation de la législation relative au temps de travail, par confirmation du jugement entrepris.

Concernant la condamnation sollicitée au titre du travail dissimulé, la cour, rappelant que la preuve des éléments matériels et intentionnels de la dissimulation d'emploi incombe au salarié, relève que Mme [W] ne prouve ni la dissimulation de son activité ou d'une partie de son activité, ni que l'employeur ait agi de manière intentionnelle, c'est à dire de mauvaise foi ou par intention frauduleuse.

Il convient donc de débouter Mme [W] de ses demandes à ce titre, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la violation de l'obligation de sécurité

Mme [W] reproche à son employeur de ne pas avoir pris les mesures suffisantes de nature à préserver sa sécurité au travail. Elle cite à ce titre le fait que la fenêtre de son bureau ne fermait pas correctement et que ses affaires étaient mouillées dès lors qu'il pleuvait, ou encore le fait que des fils électriques pendaient du plafond de son bureau, et enfin le fait d'être équipé d'un ordinateur trop lent.

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure et postérieure à l'ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017 et de l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure et postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, est distincte de la prohibition du harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

En l'espèce, la cour rappelle d'abord que le harcèlement moral allégué par la salariée n'a pas été retenu. Ensuite, la violation de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur ne saurait être établie par un seul mail du 4 mars 2019 dans lequel la salariée évoque le fait que la fenêtre de son bureau soit restée ouverte pendant un weekend et son attente quant à la pose d'une seconde applique dans son espace de travail. Quant aux conditions de travail, le fait de disposer d'un ordinateur lent ou qui n'aurait pas une mémoire suffisante, à supposer qu'il constitue une violation par l'employeur de son obligation de sécurité, n'est pas davantage établi. Ces faits sont d'autant moins établis que l'employeur justifie par un mail du 9 avril 2019 avoir remédié aux divers problèmes tant informatiques qu'électriques évoqués par Mme [W].

Les manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité ne sont dès lors pas établis.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris et de débouter Mme [W] de ses demandes à ce titre.

***

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour en déduit que ni le harcèlement moral, ni la violation des dispositions relatives au temps de travail, ni les heures supplémentaires, ni le travail dissimulé, ni la violation de l'obligation de sécurité, ne sont établis.

Par suite, les manquements invoqués par la salariée au soutien de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail n'étant donc pas établis, il convient, par confirmation du jugement entrepris, de rejeter la demande de résiliation judiciaire.

Il convient donc d'examiner le bien-fondé du licenciement de Mme [W].

Sur le licenciement

Sur l'irrecevabilité des demandes formulées postérieurement à la requête initiale devant le conseil de prud'hommes

L'employeur soulève in limine litis l'irrecevabilité de la demande ayant trait à l'examen du licenciement. Il relève que dans sa requête du 29 avril 2019 saisissant le conseil de prud'hommes, la salariée ne sollicitait que l'indemnisation des conséquences financières de la résiliation judiciaire et que ce n'est que le 28 septembre 2021 que par de nouvelles conclusions, la salariée a présenté aux juges de première instance des demandes nouvelles relatives aux conséquences financières tenant à la contestation de son licenciement intervenu le 24 juillet 2020. Il sollicite l'infirmation du jugement sur ce point.

La salariée lui oppose qu'elle a été licenciée après avoir saisi le conseil de prud'hommes. Elle considère que sa demande est recevable d'une part parce qu'elle sollicitait à titre principal la résiliation judiciaire de son contrat de travail et subsidiairement, une fois licenciée, que son licenciement soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse. Elle estime qu'il s'agit d'une demande additionnelle qui se rattache par un lien suffisant à ses prétentions originaires.

Sur ce,

Selon les articles R. 1452-1 et R. 1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n°2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.

Aux termes de l'article R. 1453-3 du code du travail, la procédure prud'homale est orale.

L'article R.1453-5 du même code précise que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues de les récapituler sous forme de dispositif et elles doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

Aux termes de l'article 70, alinéa 1er, du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Il en résulte qu'en matière prud'homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat.

Dans la mesure où dans sa requête initiale du 29 avril 2019, la salariée a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'elle reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier l'a licenciée ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Dès lors, la cour considère que la demande en contestation du licenciement formée dans les conclusions du 28 septembre 2021, après que le licenciement soit intervenu le 21 octobre 2020, se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires qui étaient relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail, par confirmation du jugement entrepris.

Sur le fond

Le harcèlement moral n'ayant pas été retenu par la cour, la demande formée au titre de la nullité du licenciement sera donc rejetée.

Il convient dès lors d'examiner la demande subsidiaire de la salariée concernant le bien-fondé de son licenciement.

La preuve des faits constitutifs de faute lourde incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, s'ils sont imputables au salarié, s'ils relèvent d'une gravité suffisante empêchant le maintien du salarié dans l'entreprise et s'ils procèdent d'une intention de nuire.

L'intention de nuire à l'employeur implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

La salariée reproche aux premiers juges d'avoir considéré que le licenciement pour faute lourde n'était pas justifié et d'avoir retenu une insuffisance professionnelle alors que d'une part celle-ci ne peut être fautive et qu'à aucun moment de la lettre de licenciement la société CFN n'évoque l'existence d'une insuffisance professionnelle. Elle conteste tout détournement de clientèle et considère que ce grief a été relevé une fois qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire.

La société CFN indique que la faute grave et la déloyauté de la salariée sont établis par le fait que l'employeur a découvert que Mme [W] avait encouragé la clientèle du cabinet à s'adresser en matière sociale à la société ODG Consulting, société créée par l'un des autres salariés du cabinet, M. [O] et dirigée par sa fille.

En l'espèce,

Les premiers juges ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l'espèce la qualification de faute lourde mais retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ils ont souligné à juste titre que le licenciement pour faute lourde est intervenu le 24 juillet 2020, après que la salariée ait saisi le 30 avril 2019 le conseil de prud'hommes en résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Il convient de rappeler que la lettre de licenciement fait état des griefs suivants :

- d'agissements déloyaux (rétention d'informations) qui nuisent au bon fonctionnement de l'entreprise,

- de manquements aux obligations professionnelles qui nuisent à l'image du cabinet d'expertise comptable,

- d'un détournement de clientèle (complicité).

Les deux premiers de ces griefs, comme justement relevé par le conseil de prud'hommes, caractérisaient une insubordination dont il n'est pas démontré qu'elle ait été animée par une intention de nuire. Mais que, si elle ne permet pas de qualifier une faute lourde ou grave, constitue néanmoins une faute suffisamment sérieuse dès lors qu'il résulte des pièces versées aux débats que la salariée ne réalisait plus correctement son travail en laissant des demandes de clients sans réponse, en ne traitant pas les urgences ou encore en étant confrontée à d'importantes difficultés relationnelles avec son ex-compagnon, collègue de travail.

Concernant la complicité de détournement de clientèle, l'employeur verse aux débats ses pièces 13 à 15, constituées de l'extrait KBis et de la fiche Infogreffe de la SAS ODG Consulting, dans laquelle Mme [W] n'a aucun rôle, d'un extrait de procès-verbal d'une assemblée générale de cette société et d'un devis de la société ODG à l'égard du client « [V] Conseils et Contentieux » que la société CFN attribue à sa propre clientèle et estime s'être vue ainsi détourner. Elle produit également ses pièces 64 et 66 constituées de factures de la société ODG à la société Manga Multimédia et l'attestation de Mme [K] qui est l'une des six salariés de la société CFN en charge de la partie dite sociale de l'activité d'expertise comptable et notamment de la paie.

La cour en déduit qu'aucune de ces pièces ne permet d'établir, ni ne démontre, que Mme [W] se soit rendue complice du détournement de clientèle invoqué par son employeur, ni de ce que ce fait soit d'une gravité suffisante empêchant le maintien de la salariée dans l'entreprise durant le préavis, ni même que ces faits procèdent d'une intention de nuire de la part de Mme [W].

Au vu des éléments versés aux débats, il apparaît que, les premiers juges, à la faveur d'une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d'appel, ont donc à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l'espèce la qualification de faute lourde et de faute grave, mais retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement sera donc confirmé en ses dispositions relatives au bien-fondé de la rupture sur le fondement de la cause réelle et sérieuse et à la condamnation de l'employeur au paiement des indemnité comparatrice de préavis et des congés payés afférents et au titre de l'indemnité de licenciement.

L'employeur sollicite par ailleurs l'infirmation du jugement en ce qu'il a été accordé à la salariée la somme de 3 459,44 euros à titre de complément de congés payés et considère que le montant alloué par les premiers juges est erroné. Il ajoute qu'il était saisi des demandes de congés de manière intempestive et par SMS de la salariée, d'où une difficulté à en assurer le décompte.

La cour observe que, licenciée le 24 juillet 2020, la salariée n'a pas reçu au titre de son solde de tout compte ce qui lui était dû à ce titre, ce que l'examen du bulletin de paie de juin 2020 vient confirmer. Par la suite, Mme [W] a été indemnisée à hauteur de 32 jours de congés payés avec le paiement de la somme de 4 710,69 euros. Elle justifie avoir droit à 55,5 jours de congés et que par conséquent 23,5 jours de congés payés ne lui ont pas été versés. La cour, constatant que ce sujet n'est pas utilement discuté en appel par l'employeur, confirmera donc le jugement sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

La salariée, qui sollicite à ce titre la somme de 10 000 euros, sera déboutée de cette demande qui se fonde sur la violation de l'obligation de sécurité et le harcèlement moral qui n'ont pas été retenus par la cour.

La société, qui formule une demande reconventionnelle et sollicite à ce titre la condamnation de Mme [W] au paiement d'une somme de 1 000 euros, sera également déboutée puisque le licenciement pour faute lourde n'a pas été retenu par la cour.

Sur l'absence d'abondement de l'employeur au titre du PEI et du PERCOI

L'employeur considère que cette demande, formulée en première instance « pour mémoire » est nouvelle en appel et n'en critique pas expressément le bien-fondé. Il conclut au débouté en indiquant qu'il s'agit d'une demande nouvelle.

La salariée lui oppose que cette demande était formulée en première instance comme étant au titre des « salaires, primes et avantages jusqu'à la résiliation du contrat de travail ».

Elle chiffre ses demandes à ce titre à la somme de 2 441,92 euros pour le plan d'épargne interentreprise et à hauteur de 500 euros au titre du plan d'épargne pour la retraite interentreprises. Elle soutient que son bulletin de paie de décembre 2019 n'a mentionné que 800 euros pour le PEI (au lieu de 3 241,92 euros) et 500 euros pour le second plan d'épargne collectif (au lieu des 1 000 euros prévus jusqu'alors).

Sur ce,

Les plans d'épargne retraite d'entreprise collectif sont régis par les dispositions des articles L.224-13 et suivantes du code monétaire et financier, il s'agit d'un système d'épargne collectif ouvrant droit aux salariés de l'entreprise à la faculté de participer avec l'aide de celle-ci et afin de constituer un portefeuille de valeurs mobilières.

L'ensemble des conditions de mise en place et les versements résultent de la loi et des articles L. 3332-2 et suivants du code du travail et non de l'exécution du contrat de travail.

Il s'en suit que cette prétention, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été formellement sollicitée en première instance, et ne se rattache pas par un lien suffisant aux prétentions originaires qui étaient relatives au seul contrat de travail. Il s'en déduit que cette demande est irrecevable.

Sur les intérêts de retard et les conséquences de l'exécution provisoire

L'employeur demande que les intérêts de retard soient calculés sur la base des sommes nettes et à compter du 25 février 2020.

La cour confirmant le jugement entrepris, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande.

Quant à la demande de l'employeur consistant à obtenir le remboursement des sommes qui auraient été versées à tort, cette demande est également sans objet eu égard au fait que le jugement est confirmé sur le quantum des condamnations prononcées.

Sur les documents sociaux conformes

Il y a lieu d'ordonner la remise des documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformes dans le mois de la notification de la décision. Aucun élément en l'état ne justifie qu'une astreinte soit prononcée.

Sur l'article 700 et les dépens

L'employeur qui succombe partiellement doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, de sorte qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges.

Il est inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens, qu'il convient de fixer à la somme totale de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 1er juin 2022 ;

Y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande nouvelle formulée au titre du PEI et du PERCOI ;

REJETTE le moyen tiré de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

DÉBOUTE la salariée de sa demande à ce titre ;

ORDONNE la remise des documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformes dans le mois de la notification de la décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

CONDAMNE la société CFN à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société CFN aux dépens en cause d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère pour la Présidente empêchée et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière placée, Pour la Présidente,

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