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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 1 avril 2025, n° 22/05203

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 22/05203

1 avril 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 01 AVRIL 2025

N° RG 22/05203 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M7E7

[Z] [K]

c/

[J] [M] [L]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 25 octobre 2022 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 21/00176) suivant déclaration d'appel du 15 novembre 2022

APPELANT :

[Z] [K]

né le [Date naissance 1] 1965 à

de nationalité Française

demeurant [Adresse 6]

Représenté par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Flore HARDY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[J] [M] [L]

née le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 10]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 7]

Représentée par Me Thierry WICKERS de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Pascale MAYSOUNABE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 18 février 2025 en audience publique, devant la cour composée de :

Paule POIREL, Présidente

Emmanuel BREARD, Conseiller

Bénédicte LAMARQUE,

Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

1 - M. [C] [G] et Mme [J] [M] [L] se sont mariés le [Date mariage 5] 1990.

Le 13 août 2001, M. [C] [G] et Mme [J] [M] [L] ont constitué avec Mme [R] [I], une société civile immobilière dénommée [12], aux fins d'acquisition de leur domicile conjugal sis [Adresse 3] à [Localité 9], cadastré section AA n° [Cadastre 2].

Ils étaient également associés dans deux autres SCI, dénommées [11] et [8].

Le couple s'est séparé le 4 avril 2014.

Mme [J] [M] [L] a confié la défense de ses intérêts à Maître [Z] [K] aux termes de deux conventions d'objectifs signées le 20 mars 2014.

2 - Une ordonnance de non conciliation a été-rendue le 11 décembre 2014 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bayonne, attribuant la jouissance du domicile conjugal et des meubles le meublant à M. [C] [G]. Le juge s'est estimé incompétent pour statuer sur la demande de Mme [J] [M] [L] tendant à voir fixer une indemnité au titre de l'occupation du domicile conjugal à hauteur de 3.000 euros par mois, au motif que celle-ci ne pouvait être sollicitée que par la SCI elle-même, seule propriétaire du bien occupé, à l'exclusion des époux. Un expert a été désigné par le juge aux affaires familiales en la personne de M. [U] [F] aux fins d'évaluer la valeur des différents biens dépendant des patrimoines des époux, mariés sous le régime de la séparation de biens.

3 - Mme [J] [M] [L] a saisi le tribunal de grande instance de Bayonne en référé le 22 avril 2015, d'une demande de désignation d'un administrateur ad hoc des trois sociétés dans lesquelles elle était associée avec M. [C] [G], ainsi que d'une demande d'indemnité au titre de l'occupation par son époux du logement conjugal.

4 - Les parties se sont rapprochées et ont signé un protocole d'accord le 15 juillet 2015 aux termes duquel ils se sont mis d'accord pour mettre un terme partiel à leurs différends concernant deux des SCI [11] et [8] ainsi que sur une dette à payer par M. [G]. S'agissant de la SCI [12], 'en contrepartie du désistement de M. [G] et au regard de la mesure confiée à M. [F] dans l'ordonnance de non conciliation relative notamment à l'indemnité d'occupation de la maison de [Localité 9]', Mme [M] [L] s'est désisté de l'instance en référé, 'renonçant à ses demandes pour les trois SCI'.

5 - Le 15 mai 2017, Maître [Z] [K] a déposé des conclusions devant le juge aux affaires familiales sollicitant à nouveau l'allocation d'une indemnité d'occupation.

6 - Suivant acte sous seing privé du 3 juillet 2017, réitéré par acte authentique du 6 octobre 2017, M. [C] [G] et Mme [J] [M] [L] ont cédé l'intégralité de leurs parts de SCI pour un montant de 1 900 000 euros au profit de M. [W] [X] [E] et de Mme [N] [A].

7 - Par courriel du 13 mars 2018, Mme [J] [M] [L] a déchargé Maître [Z] [K] et pris Maître Maider Hennebutte comme avocat, lequel a pris des conclusions devant le juge aux affaires familiales le 17 avril 2018.

8 - Au terme du jugement de divorce rendu le 18 octobre 2018, la demande d'indemnité d'occupation de Mme [J] [M] [L] a de nouveau été rejetée.

9 - Estimant que Maître [Z] [K] a manqué à son devoir de conseil et lui a fait perdre une chance d'obtenir une indemnité d'occupation, Mme [J] [M] [L] l'a fait citer, par exploit d'huissier du 4 janvier 2021, devant le tribunal judiciaire de Bordeaux.

10 - Par jugement du 25 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- condamné Maître [Z] [K], à verser à Mme [J] [M] [L] la somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la perte d'une chance,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes,

- condamné Maître [Z] [K], à verser à Mme [J] [M] [L] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Maître [Z] [K] de ses demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Maître [Z] [K] aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

11 - Me [Z] [K] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 15 novembre 2022, portant sur l'ensemble des chefs du dispositif.

12 - Par ordonnance du 4 janvier 2023, les parties ont été enjointes de rencontrer un médiateur.

Par courrier du 31 janvier 2023, le médiateur a informé le greffe de l'échec de la mesure.

13 - Par dernières conclusions déposées le 17 mai 2023, Me [K] demande à la cour de :

- rejetant toutes conclusions contraires ;

- accueillir l'appel de Maître [K], comme régulier en la forme et bien fondé ;

- réformer le jugement du 25 octobre 2022 en toutes ses dispositions ;

- débouter, en conséquence, Mme [M] [L] de ses injustifiées prétentions ;

- la débouter, en outre, des fins de son injustifié appel incident ;

- la condamner à payer à Maître [K] une indemnité d'un montant de 5.000 ', en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure Civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

14 - Par dernières conclusions déposées le 9 juin 2023, Mme [M] [L] demande à la cour de :

- confirmer la décision en ce qu'elle a reconnu la responsabilité professionnelle de Me [K] et en ce qu'elle l'a condamné à réparer le préjudice subi.

- réformer la décision en ce qu'elle a chiffré le préjudice réparable au titre de la perte de chance à 45 000 ' et demande que son indemnisation soit portée à 90 000 '.

- condamner Me [K] à 90 000 ' de dommages et intérêts.

- réformer le jugement et attribuer à Mme [M] [L] une indemnité de 7 500 ' au titre de la procédure devant le tribunal,

- condamner Me [K] au paiement de 7 500 ' sur le fondement de l'article 700 au titre de la procédure devant la cour d'appel et aux entiers dépens.

15 - L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 février 2025.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 18 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la responsabilité de Me [K]

16 - L'appelant sollicite l'infirmation du jugement déféré qui a retenu sa responsabilité en ce qu'il a manqué à son obligation de conseil en laissant sa cliente signer des actes omettant de mentionner l'indemnité d'occupation qu'elle avait sollicitée depuis le début de la procédure en divorce, sans l'informer des conséquences de ces actes de cession de ses parts dans la SCI ayant constitué le logement familial sur ses possibilités d'action.

17 - Il soutient en premier lieu qu'en faisant signifier l'ordonnance de non conciliation sans lui donner instruction d'en faire appel, sa cliente avait parfaitement connaissance de l'impossibilité d'obtenir une indemnité d'occupation devant le juge aux affaires familiales, qui en avait clairement motivé l'impossibilité.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a fait assigner en référé son époux pour voir désigner un administrateur provisoire aux fins de déterminer l'indemnité d'occupation dans l'ancien logement familial.

18 - Il considère en second lieu avoir reçu mandat de sa cliente pour abandonner la demande d'indemnité d'occupation :

- par la rédaction du protocole d'accord du 15 juillet 2015 qui mentionne en son article 4 l'abandon de la totalité des demandes pour les trois SCI, la désignation d'un mandataire aurait conduit à apurement des comptes entre les co-associés qui aurait défavorable à Mme [M] [L],

- par les différents échanges entre octobre 2014 et le 8 juin 2017 entre conseils, ayant abouti à la rédaction du compromis de cession des parts sociales le 3 juillet 2017 sur le bien immobilier ayant constitué le logement familial, qui ne fait état ni des créances demandées par l'époux, ni de l'indemnité d'occupation par l'épouse. Ainsi, en signant l'acte de cession définitif le 6 octobre 2017, et en acceptant une répartition du prix de vente à hauteur de leurs parts respectives dans les sociétés, Mme [M] [L] avait renoncé à établir les comptes entre les époux et de fait à recevoir le montant de l'indemnité d'occupation due à la SCI.

19 - Il fait également valoir la connaissance par Mme [M] [L] de ce que la cession des parts de la SCI ayant constitué le logement familial ne permettrait plus de demander d'indemnité d'occupation, ayant ainsi abandonné cette demande, après l'avoir interrogé à ce propos par courriel le 23 mars 2017 et n'ayant pas fait mentionner la question de l'indemnité d'occupation lors de l'assemblée générale extraordinaire du 15 septembre 2017.

Il verse ainsi un courriel entre les époux précédent la signature du compromis de cession des parts faisant allusion à un protocole signé entre les seuls époux avant, dans lequel ils renonçaient chacun à leurs créances respectives.

20 - Il soutient enfin que par son intervention, il a au contraire permis à Mme [M] [L] de sortir dans les meilleurs délais et conditions de la SCI [12], en la faisant bénéficier d'un prix de cession raisonnable, la créance de l'époux étant bien supérieure aux sommes qu'elle aurait pu réclamer, le mari seul ayant avancé le paiement des parts sociales de l'épouse, ayant seul réglé les travaux de la SCI et le prêt. Sa stratégie mise en place ayant consisté à négocier avec son confrère faisant planer la menace d'une indemnité d'occupation pour éviter que l'époux ne fasse valoir ses créances sur la SCI pendant que Mme [M] [L] négociait directement avec son époux. Son intervention a ainsi permis que la cession des parts se fasse sans garantie de passif, permettant paiement des 33% du prix de vente sans que son époux ne réclame sa créance sur les travaux après la vente.

21 - Il soutient ainsi avoir agi dans le cadre de son mandat qui était d'accompagner sa cliente dans son retrait de chacune de ces trois sociétés et d'y défendre ses intérêts, sa mission s'entendant de l'assistance hors contentieux.

S'il reconnaît ne pas justifier avoir écrit, informé Mme [M] des conséquences de la signature de ces actes, il soulève toutefois son absence de demande à ce titre et alors qu'elle était assistée d'un notaire.

22 - L'intimé reproche à Maître [K] d'avoir manqué à son obligation de conseil, en n'ayant formulé aucune demande au titre de l'indemnité d'occupation dans le cadre du processus de cession des parts sociales de la SCI [12], propriétaire de l'ancien logement familial.

Elle soutient ainsi ne jamais avoir donné mandat à son conseil de transiger pour son compte, abandonnant l'indemnité d'occupation qu'elle sollicitait à hauteur de 92.000 euros en échange de la renonciation par son époux au remboursement des sommes engagées pour le compte de la SCI [12]. Elle relève à cet effet que le protocole du 15 juillet 2015 n'évoque pas la question de l'indemnité d'occupation et que le projet de protocole daté du 26 juin 2017 ne lui avait pas été soumis. Elle soutient que le courrier du 8 octobre 2014 évoqué devant la cour pour la première fois ne peut valoir transaction de renoncer à l'indemnité d'occupation et qu'elle a toujours maintenu sa demande entre 2014 et 2017.

24 - Elle n'a ainsi jamais manifesté sa volonté d'abandonner sa prétention à l'indemnité d'occupation, rappelle que son conseil a formulé à plusieurs reprises la demande d'indemnité d'occupation à son époux demeuré dans l'ancien logement familial devant le juge aux affaires familiales, alors qu'il n'était pas compétent pour en connaître, ne permettant pas de laisser de doute sur sa volonté d'obtenir cette indemnité et soutient que la seule priorité de son conseil était de percevoir la part du prix de cession qui lui revenait par application de la convention d'honoraire, seul le maintien de la prétention à l'indemnité d'occupation y faisant obstacle.

25 - Elle reproche également à Me [K] au titre de son devoir de conseil d'avoir laissé perdre ses droits à l'indemnité d'occupation à l'occasion de la cession des parts sociales sans jamais avoir attiré son attention sur le fait que la signature de l'acte de cession allait lui faire perdre tout droit à l'indemnité d'occupation. Elle indique ne pas avoir été informée ni n'avoir compris sans explication de sa part le lien entre la qualité d'associée et la possibilité d'agir ni que la cession des parts de la SCI lui faisait perdre la qualité d'associé qui lui aurait seule permis au sein de la SCI de formuler des demandes pour qu'une indemnité d'occupation soit fixée à son profit.

Sur ce :

26 - Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, 'le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.'

27 - L'obligation d'information de l'avocat repose sur l'article 1134 du code civil, c'est-à-dire l'exigence de bonne foi contractuelle, de loyauté, voire de collaboration contractuelle renforcées par la relation de confiance entre le client et son avocat, dont la finalité est de l'éclairer sur ses droits et obligations, ses possibilités d'action, les risques encourus, les chances de succès... soit tous éléments qui permettront de prendre les meilleures décisions dans son intérêt, en même temps qu'elles conditionnent l'exercice du devoir de conseil de l'avocat.

28 - Le devoir de conseil quant à lui, indissociable de l'obligation d'information, impose des diligences plus étendues et consiste à orienter la décision du client sur ses différentes demandes, sur les voies et moyens utilisables, à évaluer les options envisageables, à apprécier les chances de succès, à mettre en garde sur les risques d'échec, sur les incertitudes du droit positif et en particulier de la jurisprudence

30 - L'avocat a ainsi une obligation de moyen et doit effectuer toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client. Il lui appartient de prouver l'exécution de ses obligations. L'avocat ne peut être tenu responsable d'une décision qui appartient en définitive à son client.

31 - L'étendue des pouvoirs reconnus ainsi à l'avocat en qualité de mandataire, peut entraîner sa responsabilité notamment en cas de dépassement de pouvoir. Le mandat prend naissance avec l'acceptation de l'avocat et se termine avec l'instance. Durant ce temps l'avocat doit pouvoir justifier d'un mandat écrit de son client. Si l'inexistence du mandat est établie, la responsabilité de l'avocat est engagée.

32 - L'avocat doit respecter strictement l'objet du mandat ' c'est-à-dire uniquement ce qui est nécessaire à l'instance et/ou ce qui est convenu ' et doit veiller à obtenir du mandant l'extension de ses pouvoirs si les circonstances l'exigent, étant précisé que certains actes particulièrement graves nécessitent en toute hypothèse un pouvoir spécial : faire ou accepter un désistement, acquiescer.

33 - Selon l'article 8 du décret du 12 juillet 2005, " l'avocat doit justifier d'un mandat écrit sauf dans les cas où la loi ou le règlement en présume l'existence. (...) L'avocat ne peut, sans y avoir été autorisé spécialement et par écrit par le mandant, transiger en son nom et pour son compte ou l'engager irrévocablement par une proposition ou une offre de contracter."

34 - L'article 6.2 du règlement intérieur national précise que "dans les autres cas, l'avocat doit justifier d'un mandat écrit sauf dans les cas où la loi ou le règlement en présume l'existence. Le mandat écrit, ou la lettre de mission, doit déterminer la nature, l'étendue, la durée, les conditions et les modes d'exécution de la fin de la mission de l'avocat. "

35 - En l'espèce, l'appelant est intervenu en qualité de conseil de Mme [M] [L] au terme de 2 protocoles distincts signés le 20 mars 2014, le premier pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre d'une procédure de divorce, introduite devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bayonne et le second pour l'accompagner dans son retrait des trois sociétés dans lesquelles elle était associée de son époux. d'une procédure de liquidation des 3 SCI constituées entre époux. Cette convention précisait que la mission de l'avocat s'entendait de l'assistance hors contentieux. Dans l'hypothèse où la défense des intérêts de la cliente nécessiterait d'introduire une action en justice, une nouvelle convention d'honoraire serait régularisée.

36 - L'objectif de Mme [M] [L] était donc d'une part d'obtenir une prestation compensatoire ainsi qu'une indemnité d'occupation pour la jouissance du logement laissé à l'époux dans le cadre de la procédure de divorce et d'autre part d'assurer sa sortie des SCI en préservant ses droits étant précisé que la convention d'honoraire précisait qu'existait une certaine opacité financière et comptable de ces sociétés.

37 - L'appelant reconnaît ne pas avoir reçu de mandant express de Mme [M] [L] pour transiger, qui aurait consisté dans l'abandon de l'indemnité d'occupation en échange de la renonciation par M. [G] au remboursement des sommes engagées pour le compte de la SCI [12].

38 - En l'absence de mandat, il ne peut- être soutenu que la lettre du 8 octobre 2014 signée avec la mention 'bon pour accord' s'agissant d'une correspondance entre avocats, aurait valu mandat de renoncer à demander l'indemnité d'occupation alors que dans cette lettre était en discussion la distribution de la valeur des 33% des parts à Mme [M] [L] contre l'abandon par l'époux de toute créance éventuelle du fait des travaux prétendument réalisés durant les années de vie commune, à défaut, l'épouse solliciterait 43,44% de la valeur de la maison. Ce courrier n'évoque que le partage de la valeur du logement familial dans le cadre des opérations de cessions de parts.

39 - De même, le protocole d'accord du 15 juillet 2015 par lequel l'épouse se désiste de sa demande en référé de voir désigner un administrateur ad hoc pour faire le compte entre les associés permet la renonciation au chiffrage de l'indemnité d'occupation parce que l'expert a déjà été nommé par le juge aux affaires familiales dans l'ordonnance de non conciliation sans qu'il soit fait mention d'un renoncement à la demande d'une indemnité d'occupation, l'époux, gérant des SCI n'ayant alors aucun moyen de justifier en justice son absence de tenue de comptes des sociétés.

40- Par ailleurs, le projet de protocole d'accord produit par Me [K], daté du 26 juin 2017 résulte des échanges entre les conseils des deux parties par courriels entre le 15 juin et le 19 juin 2017. Selon ce projet, l'époux détiendrait une créance de 44.083 euros en contrepartie de laquelle Mme [M] [L] renoncerait à demander le versement de l'indemnité d'occupation chiffré par l'expert à 80.000 euros par an et M. [G] renoncerait à demander le paiement des travaux d'embellissement d'un montant de 159.843 euros.

41 - Toutefois, ces échanges entre avocats ne permettent pas d'établir l'existence d'un mandat de Mme [M] [L] dès lors qu'il n'est pas justifié que le projet de protocole dans lequel elle abandonnerait le versement de l'indemnité d'occupation lui a été soumis pour avis ou accord et qu'il n'est pas signé.

42 - Enfin, par les suites de l'acte de cession portées à la connaissance du juge aux affaires familiales par l'avocat de M. [G] dans son courrier du 7 septembre 2017, confirmant que 'sur la base des droits leur revenant au vu de leurs parts sociales dans la SCI, M. [G] renonce à réclamer les créances de travaux qu'il pensait demander à sa femme et celle-ci renonce à sa demande d'indemnité d'occupation et à ses revendications sur les biens meubles' ne saurait engager la parole de Mme [M] [L], l'avocat de son époux n'ayant pas mandat pour transmettre une position au juge, ce courrier ne permettant pas non plus d'établir le mandat donné à Me [K] à ce propos.

43 - Il s'évince des ces éléments que Me [K] ne disposait d'aucun mandat de sa cliente pour renoncer à une indemnité d'occupation en contrepartie de l'abandon de la créance des travaux réalisés par l'époux dans le logement familial du temps de la vie commune et qu'il n'a fait signer aucun protocole d'abandon réciproque des ex-époux associés à leur créance d'une part et indemnité d'occupation d'autre part.

44 - Il est par ailleurs établi que Mme [M] [L] a maintenu sa demande de versement d'indemnité d'occupation tout d'abord devant le juge aux affaires familiales. Suite à l'ordonnance de non conciliation ayant du 11 décembre 2014 dans laquelle ce magistrat s'est déclaré incompétent pour statuer sur la jouissance gratuite ou non du logement familial laissé à l'époux pendant la procédure en divorce et Me [K] lui a confirmé par courrier du 29 septembre 2015 que cette demande devant le JAF était légitime en plus d'un partage par moitié de la valeur du logement familial entre les deux époux et qu'il fallait la maintenir, en lui communiquant la jurisprudence permettant de retenir la compétence du juge aux affaires familiales.

45 - L'intimée s'est inquiétée du sort de sa demande d'indemnité une fois la disparition de la SCI par cession des parts dans un courriel du 23 mars 2017 en interrogeant son conseil rappelant que son époux avait une dette envers la SCI sur l'indemnité d'occupation : 'pourquoi cette dette ne peut pas être tenue en compte dans le moment de la liquidation de la SCI'', craignant encore à cette date que son époux sollicite le remboursement d'une partie des travaux de la maison et de la piscine. Il n'est pas produit le courrier de réponse de son conseil permettant d'établir l'information claire de ce que la cession des parts valait renoncement à l'indemnité d'occupation, démontrant ainsi que Mme [M] [L] n'était pas courant des concessions réciproques faites entre avocats. Par ailleurs, dans la suite du courriel, elle demandait s'il fallait agir en référé pour obtenir cette somme.

46 - Deux mois plus tard, après cession des parts, Mme [M] [L] a continué à demander le paiement de l'indemnité d'occupation, Me [K] déposant des premières conclusions en ce sens le 8 juin 2017 devant le juge aux affaires familiales dans lesquelles il formulait une demande chiffrée sur la base du rapport de l'expert, puis de manière négociée par l'intermédiaire de son nouveau conseil le 6 novembre 2018.

47 - De par l'absence de mandat express obtenu de Mme [M] [L] et de sa volonté réitérée depuis 2014 d'obtenir une indemnité d'occupation que ce soit devant le juge aux affaires familiales ou dans le cadre du partage des parts de la SCI, Me [K] ne justifie pas avoir averti sa cliente des risques qu'entraînait la disparition de la SCI sans obtention d'indemnité. La signature du compromis sans cet avertissement préalable ne saurait donc valoir acceptation de l'intimée au renoncement de sa demande d'indemnité d'occupation.

48 - Ainsi, sans avoir été avertie, des conséquences de la disparition de la SCI et de sa qualité d'associée, il ne peut être reproché à Mme [M] [L] de ne pas avoir fait inscrire la question de l'indemnité d'occupation à l'ordre du jour de l'assemblée générale le 15 septembre 2017, qui n'avait pour sujet que la démission du gérant et son remplacement dans le cadre de la cession des parts, dont le compromis avait été signé quelques jours auparavant. Il n'appartenait pas à Mme [M] [L] de se rapprocher de son mari et co-associé pour réitérer une demande d'indemnité d'occupation dont elle avait chargé son conseil et alors qu'elle était en conflit et en procédure judiciaire avec son époux.

49 - L'échange de SMS entre les époux la veille de la signature de l'acte authentique en cession des parts de la SCI [12] dans lequel M. [G] fait référence à un protocole ne permet pas d'établir que la participation des époux eux-mêmes à un accord conclu en dehors de leurs avocats, permettant à tout le moins de confirmer la connaissance par la partie adverse des négociations entre avocats.

50 - De même, Me [K] ne saurait renvoyer sa responsabilité sur celle du notaire rédacteur d'acte alors que par les échanges de courriels du 8 juin 2017, Mme [M] [L] lui demandait expressément d'intervenir en son nom pour vérifier le compromis de cession de parts. Dans le courrier adressé au notaire chargé de la rédaction de l'acte de cession des parts de la SCI [12], Me [K] s'inquiètait de savoir si M. [G] a demandé le remboursement des travaux, ce qui serait venu diminuer la part restant due à sa cliente, mais n'a pas posé pas la question de l'indemnité d'occupation à calculer.

51 - Le choix stratégique de Me [K] ne résultait dès lors d'aucun document écrit dans lequel il aurait informé sa cliente de l'absence de chance d'obtenir une indemnité d'occupation devant le juge aux affaires familiales mais de maintenir cette demande pour faire pression sur l'époux afin qu'il renonce au remboursement des travaux réalisés dans la maison ayant constitué le logement familial et obtenir une cession sans passif, dans l'intérêt de protégée au mieux les intérêts de sa cliente.

52 - Me [K] n'a ainsi délivré aucun conseil au sujet des droits de sa cliente au sein de la SCI pour obtenir une indemnité d'occupation qui ne pouvait être qu'une indemnité au titre de ses droits à dividendes, à proportion de sa participation au capital, des sommes dues à la société par le co-associé, ni qu'en cédant ses parts, elle perdait son statut d'associé qui lui permettrait seul de solliciter cette indemnité et alors qu'il a au surplus continué à lui faire penser que cette indemnité était recevable devant le juge aux affaires familiales alors qu'il savait qu'il n'en était rien.

53 - Il convient dans ces conditions, de confirmer le jugement qui a déclarer fautif le comportement de Me [K] qui a laissé sa cliente signer les actes de cession de parts de la SCI ayant constitué le logement familial en omettant de mentionner l'indemnité d'occupation et sans l'informer préalablement des conséquences de la signature de l'acte de cession sur son impossibliité d'action définitive à percevoir cette indemnité.

II - Sur le préjudice

54 - L'appelant rappelant la jurisprudence de la cour de cassation qui subordonne la reconnaissance d'un préjudice réparable par l'avocat au caractère raisonnable de la chance perdue, soutient que Mme [M] [L] n'aurait pu obtenir le versement d'une indemnité dans le cadre de la procédure de divorce pas plus qu'elle n'aurait pu en imposer une à la SCI alors qu'elle ne détenait que 33% des parts, son époux détenant le reste. En tout état de cause, ne pouvant agir que dans le cadre de ses rapports avec son co-associé il aurait également été statué sur les créances réclamées par l'époux.

55 - Il relève ainsi que son nouveau conseil n'a engagé aucune action devant le tribunal judiciaire pour obtenir le paiement de l'indemnité d'occupation en maintenant sa demande devant le juge aux affaires familiales qu'il savait incompétent et n'a pour autant pas conseillé différemment que lui ne l'a fait Mme [M] [L].

56 - L'intimée forme appel incident sur le montant de l'indemnisation allouée par le premier juge, sollicitant une réparation intégrale de 90.000 euros et non une perte de chance de 50% de sa demande.

57 - Elle rappelle que partant de la valeur locative annuelle de 80.000 euros telle que fixée par l'expert judiciaire, la durée d'occupation ayant été de 41 mois, l'indemnité d'occupation aurait dû être chiffrée à 273.333 euros, somme rapportée à 91.000 euros au regard de ses droits dans la SCI.

58 - Elle soutient ainsi que la perte de chance ne doit être évaluée qu'en mesurant uniquement le chances de succès de son action en fixation de l'indemnité d'occupation. En dehors de l'aléa judiciaire, elle fait valoir l'absence de doute sur la reconnaissance de ses droits à une indemnité d'occupation. Alors que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les prétentions de M. [G] n'avaient pas les mêmes chances d'aboutir, ne pouvant plus assigner la SCI et contestant l'estimation faite par Me [K] d'une compensation entre les créances à 50.000 euros en faveur de M. [G].

59 - Subsidiairement, elle relève que contrairement à l'indemnité d'occupation dont le montant et la durée sont parfaitement établis, les droits de M. [G] à se faire rembourser des dépenses qu'il aurait supportées reste hypothétique. Elle note ainsi que son conseil a négocié l'abandon de l'indemnité d'occupation contre le retrait de la demande de prise en charge des travaux, sans pour autant vérifier si les prétentions avancées pour le compte de M. [G] par son client étaient étayées par des pièces justificatives, étant rappelé qu'il ne détenait pas d 'autorisation de la SCI de faire réaliser les travaux ni leur caractère utile.

Sur ce :

60 - L'engagement de la responsabilité d'un avocat par l'un de ses clients déçus suppose que ce dernier justifie d'un préjudice direct et certain résultant de la perte de chance raisonnable de succès de ses prétentions (Civ. 1re, 25 nov. 2015, no 14-25.109). La perte de chance devient certaine lorsqu'on ne peut plus remédier à la survenance de l'évènement défavorable.

61 - Il appartient à Mme [M] [L] d'établir qu'existait une chance réelle et sérieuse d'obtenir 91.000 euros d'indemnité d'occupation dont la chance a été perdue par le comportement fautif de son conseil.

62 - La réparation totale suppose en effet la certitude du préjudice, en particulier lorsqu'il est établi que le client a indiscutablement et irrémédiablement perdu toute chance de recouvrer sa créance, occurrence d'autant plus facilement admise que l'existence et le montant de la perte sont aisément chiffrables. Elle suppose également que le préjudice n'ait été affecté d'aucun aléa.

63 - Or, en l'espèce, il s'agit d'une perte de chance d'avoir pu solliciter au cours de la cession des parts de la SCI une indemnité d'occupation et s'agissant d'un partage des comptes entre co-associés d'une SCI, amiable ou judiciaire, il y a lieu d'apprécier la probabilité de succès de la demande d'indemnité d'occupation qui aurait pu être entreprise, en reconstituant fictivement la discussion qui aurait pu s'instaurer afin d'évaluer le préjudice.

64 - Il ressort des échanges de courriels entre les avocats et des discussions ayant abouti à la rédaction de l'acte de cession des parts sociales, que M. [G] avait mis la question du remboursement des travaux financés seuls pour le compte de la SCI, détenant alors une créance de 57.447 euros après compensation entre le montant de l'indemnité d'occupation sollicitée et les travaux effectués par l'époux.

65 - Toutefois, l'expert judiciaire désigné par le juge aux affaires famililales dans son rapport du 23 septembre 2016 relève que les associés n'ont jamais établi de bilan pour la SCI [12] alors que les statuts prévoyaient la tenue d'écritures comptables, qu'aucune assemblée générale ne s'est tenue et que M. [G] a été dans l'impossibilité de fournir une liste des dépenses. Me [K] verse le courrier de son conseil au moment du divorce et de la cession des parts des SCI dans lequel il fait état d'une somme de 172.073,61 eros à laquelle esst annexée une facture de 2011 pour une pompe à chaeur pour une piscine de 11.386,85 euris et d'une facture de 2015 d'u montant de 1.329,76 euros pour un volet de couverture de piscine, ainsi qu'un extrait de taxe foncière pour l'année 2016.

66 - De sorte qu'en l'état des éléments connus, le risque de voir la demande d'indemnité d'occuaption de Mme [M] [L] se compenser avec la créance de son ex-époux qui n'est pas établie par Me [K], lequel indique toutefois en avoir apprécié le risque pour transiger au nom de sa cliente apparaît faible.

67 - Dans tous les cas, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. La perte de chance de Mme [M] [L] peut ainsi être arrêtée à 90%.

68 - S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, évaluée par l'expert judiciaire à 80.000 euros par an, soit 273.333 euros pour la période d'occupation du 4 avril 2014 au 6 octobre 2017, elle s'établie à 63.063 euros, déduction faite de l'indemnité de précarité à hauteur de 30%, et ramenée au nombre de parts détenues par Mme [M] [L] dans la SCI.

69 - Le préjudice de Mme [M] [L] fixé à hauteur de 90% de l'indemnité d'occupation à laquelle elle aurait pu prétendre, doit ainsi être évalué à 56.756,70 euros.

70 - Me [K] ne produit donc ni analyse juridique, ni mandat écrit de sa cliente, ni protocole signé par elle et ne justifie pas avoir attiré son attention sur les risques de la cession de ses parts dans la SCI qui ne lui permettra plus de solliciter une indemnité d'occupation de la part de son mari, co-associé, resté dans le logement familial. Il ne jusitifie pas plus avoir été mandaté par sa cliente de façon claire et explicite d'obtenir un compromis entre l'abandon de sa demande d'indemnité d'occupation contre le renoncement de son co-associé de faire les comptes au moment de la cession des parts de la SCI et que lors du dépôt des premières conclusions déposées dans le cadre de la procédure en divorce, ne contenait pas davantage de mise en garde sur le risque d'irrecevabilité de la demande d'indemnité d'occupation, de sorte que le manquement fautif à son devoir d'information et de conseil est à l'origine du préjudice subi qui a consisté à ne pouvoir obtenir le paiement de cette indemnité, malgré le changement de conseil intervenu postérieurement.

71 - Le lien de causalité entre la faute de l'avocat et le dommage réparé justifie sa condamnation au paiement à Mme [M] [L] de la somme de 56.756,70 euros en réparation de son manquement à son obligation d'information et de conseil.

72 - Le jugement sera infirmé sur le quantum retenu au titre du préjudice de perte de chance.

III - Sur les dépens et les frais irrépétibles

73- Me [K] succombant en son recours sera condamné aux dépens ainsi qu'au versement à Mme [M] [L] de la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré sauf sur le quantum retenu au titre des dommages et intérêts résultant de la perte de chance,

Statuant à nouveau du chef du jugement déféré,

Condamne Me [K] à verser à Mme [M] [L] les sommes de :

- 56.756,70 euros au titre des dommages et intérêts résultant de la perte de chance,

- 3.000 euros complémentaires au titre des frais irrépétibles,

Condamne Me [K] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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