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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 28 mars 2025, n° 24/07974

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sylopido (SARL)

Défendeur :

Sylopido (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Salord, M. Buffet

Avocats :

Me Bellichach, Me Abella, Möbius Avocats, Me Scetbon

TJ Paris, du 22 mars 2024, n° 23/56985

22 mars 2024

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l'ordonnance de référé rendue le 22 mars 2024 par le président du tribunal judiciaire de Paris,

Vu l'appel interjeté par la société [D] et Cie par déclaration du 20 avril 2024,

Vu les dernières conclusions notifiées par la société [D] et Cie le 16 décembre 2024,

Vu les dernières conclusions notifiées par la société Sylopido le 16 décembre 2024,

Vu l'ordonnance de clôture du 19 décembre 2024.

SUR CE, LA COUR,

La société Sylopido a comme activité l'exploitation d'un dispositif anti-limaces par la conclusion d'accords de licence avec des distributeurs. Elle est notamment titulaire d'un brevet EP 311 6310 délivré le 2 mai 2018.

La société [D] et Cie appartient au groupe [D], spécialisé dans la commercialisation de divers objets de mobiliers intérieurs et extérieurs par le biais de distributeurs.

Le 20 septembre 2019, la société Sylopido a conclu avec la société [D] et Cie un contrat de licence exclusive sur le brevet EP 3116310 afin de lui permettre de développer, fabriquer et commercialiser des carrés potagers incorporant l'invention pour lutter contre les limaces et autres gastéropodes, en France, en Allemagne, en Espagne, en Grande Bretagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Pologne.

Le 30 janvier 2023, la société Sylopido a adressé à la société [D] et Cie une facture d'un montant de 40 000 euros HT (48 000 euros TTC) intitulée « minimum annuel de redevances HT garanti pour l'année 2022 ».

La société [D] et Cie a versé à la société Sylopido la somme de 1 854 euros le 17 mars 2023 correspondant à l'état réel de vente pour l'année 2022.

Par courriers des 22 et 31 mars 2023, la société Sylopido l'a mise en demeure de lui régler l'intégralité de la somme réclamée.

Par exploit de commissaire de justice du 18 septembre 2023, la société Sylopido a fait assigner la société [D] et Cie devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir sa condamnation à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 46 146 euros à valoir sur le minimum garanti dû au titre des redevances de l'année 2022, avec intérêts au taux légal et 4 614 euros, soit 10% de la somme réclamée en principal, au titre de la résistance abusive.

Par ordonnance du 22 mars 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- condamné la société [D] et Cie à payer à la société Sylopido la somme provisionnelle de 46 146 euros TTC à valoir sur les redevances dues au titre de l'année 2022 en application du contrat de licence exclusive, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- débouté la société Sylopido de sa demande de provision à valoir sur une indemnité due pour résistance abusive et sur le surplus de sa demande,

- condamné la société [D] et Cie aux dépens de l'instance,

- condamné la société [D] et Cie à payer à la société Sylopido la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 avril 2024, la société [D] et Cie a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 décembre 2024, la société [D] et Cie demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 22 mars 2024 en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute la société Sylopido de sa demande de provision à valoir sur une indemnité due pour résistance abusive et sur le surplus de sa demande,

- juger que la demande provisionnelle de la société Sylopido se heurte à l'existence de contestations sérieuses,

En conséquence :

- juger n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle de la société Sylopido et la renvoyer à mieux se pourvoir,

- condamner la société Sylopido à lui rembourser la somme provisionnelle de 51 650,60 euros indument versée au titre de l'exécution provisoire de l'ordonnance du 22 mars 2024,

- condamner la société Sylopido à lui verser la somme de 8 000 euros en raison du préjudice subi par elle du fait de l'attitude téméraire de la société Sylopido dans l'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2024,

- condamner la société Sylopido à lui verser à titre provisionnel la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Sylopido aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par Me Julien Abella, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 décembre 2024, la société Sylopido demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

- rejeter toute demande plus ample et contraire de la société [D] et Cie,

- condamner la société [D] et Cie à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [D] et Cie aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 décembre 2024.

Sur la demande de dommages-intérêts formée contre la société Sylopido du fait de son attitude téméraire dans l'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2024 :

La cour ne statue que dans le cadre de l'appel de l'ordonnance déférée et ne peut connaître des conséquences dommageables de l'exécution provisoire de cette décision, de sorte que cette demande sera rejetée.

Sur la demande en paiement de la société Sylopido :

La société [D] et Cie fait valoir que la demande en paiement formée par la société Sylopido au titre du minimum garanti pour l'année 2012 se heurte à plusieurs contestations sérieuses, dès lors que :

- cette demande est formée sur le fondement de l'article 6.3 du contrat de licence exclusive du 20 septembre 2019 mettant à la charge des parties des droits et obligations dont la nature est ambigüe ; cet article doit s'interpréter en corrélation avec les stipulations de l'article 11.3 dudit contrat ; il prévoit la possibilité pour le licencié de ne pas atteindre les seuils fixés et donc de ne pas payer les redevances correspondantes, le donneur de licence ayant la possibilité de sanctionner le défaut de performance du licencié caractérisé par le défaut d'atteinte des seuils fixés par le retrait de l'exclusivité consentie ou la résiliation du contrat ; l'article 4.2 du contrat prévoit que l'obligation d'exploiter le produit est une obligation de moyen imposant au débiteur de mettre en 'uvre tous les efforts raisonnables pour atteindre un résultat, sans garantir qu'il sera atteint, de sorte que des redevances annuelles garanties ne peuvent être exigées ; dès les négociations précontractuelles, la société [D] et Cie a toujours considéré les seuils prévus par l'article 6.3 comme des objectifs de vente ; si durant les deux premières années d'exploitation, la société [D] et Cie a réglé les montants prévus à l'article 6.3 du contrat, ces paiements ne valaient pas reconnaissance de leur caractère obligatoire, cette dernière n'ayant voulu que conserver l'exclusivité garantie et éviter la résiliation du contrat ; en toute hypothèse, à retenir l'interprétation de l'article 6.3 faite par la société Sylopido comme imposant un minimum dû, cette clause pourrait être considérée comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties ; enfin, les problématiques soulevées génèrent un doute sur le sens à donner au contrat ;

- le contrat est nul, le consentement de la société [D] et Cie ayant été vicié du fait du dol commis par la société Sylopido en raison des éléments mensongers remis lors de la signature du contrat ; le document « Potentiel Economique Européen », établi par la société Sylopido, dépourvu de véracité, suggérait un potentiel de vente des produits couverts par le brevet qui était irréaliste ;

- le contrat est nul pour défaut d'objet du fait de la nullité du brevet qui souffre d'une insuffisance de description, d'un défaut de nouveauté et d'activité inventive ; l'article 8 du contrat est muet sur les conséquences de sa nullité ; la nullité d'un contrat est rétroactive et impose de remettre les parties dans l'état où elles étaient avant la signature du contrat et donc un remboursement des sommes versées.

La société Sylopido réplique que l'article 6.3 du contrat est clair en ce qu'il met à la charge de la société [D] et Cie le paiement d'un minimum de redevances chaque année en contrepartie de l'exclusivité consentie par la société Sylopido ; que cet article prévoit seulement que les minima garantis de redevances ne sont pas dus dans le cas où le donneur de licence lève l'exclusivité de la licence accordée selon les modalités de l'article 4 ; que la société [D] et Cie ne peut invoquer les dispositions de l'article L.442-1 du code de commerce au motif que la clause contestée créerait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties dès lors qu'il s'agit d'un texte spécifique au droit de la concurrence qui n'entre pas dans le champ de la présente procédure ; que la clause incriminée a été négociée par les parties en 2019 ; que les possibilités offertes à la société Sylopido de résilier le contrat ou de lever l'exclusivité consentie au licencié, prévues par les articles 11.3 et 6.3 du contrat, ne privent pas le breveté de la possibilité d'invoquer l'exécution forcée de l'article 6.3 sur le fondement des articles 1103 et 1221 du code civil ; que la société [D] et Cie ne peut se prévaloir d'une attitude dolosive de la société Sylopido lors de la conclusion du contrat, ayant été transparente dans les analyses du marché présentées à son cocontractant ; que le potentiel technique et commercial du produit couvert par le contrat a été étayé par son obtention du Trophée d'Or 2020, décerné par les professionnels du secteur tandis qu'avec près de 100 000 carrés potagers vendus en 2018, la société [D] et Cie était à l'évidence au fait du marché des carrés potagers en bois et des attentes de leurs utilisateurs ; qu'enfin, le brevet est présumé valide en l'absence de décision d'annulation ; que l'article 8 du contrat de licence prévoit que, même en cas d'annulation du brevet, elle n'aurait pas d'effet rétroactif sur le contrat et que les redevances resteraient dues ; que la société [D] et Cie n'oppose donc aucune contestation sérieuse à la demande de provision.

Réponse de la cour :

En vertu de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'article 6.2 « Paiement des redevances » du contrat de licence exclusive de brevets du 20 septembre 2019 stipule qu'au-delà de l'avance sur redevances pour l'année 2020 prévue à l'article 6.1, la société [D] et Cie devra verser à la société Sylopido une redevance égale à 5% du chiffre d'affaires hors taxes relatif aux produits vendus.

L'article 6.3 « Minima annuels garantis de redevances » prévoit :

« [D] garantit à SYLOPIDO un minimum annuel de redevance de :

- 18 000 EUR HT pour l'année 2020, étant entendu que 13 500 EUR HT de ce montant auront déjà été versés, à titre d'avance sur redevances, lors de la signature du contrat (Cf. Article 6.1). Au-delà, un état semestriel de la facturation sera communiqué à Sylopido et réglé dans les 45 jours suivants,

- 30 000 EUR HT pour l'année 2021,

- 40 000 EUR HT pour l'année 2022, et

- 50 000 EUR HT les années suivantes.

Si ces minima garantis ne sont pas atteints, SYLOPIDO pourra lever l'exclusivité de la licence accordée à [D] selon les modalités visées à l'article 4. Dans ce cas, les minima garantis ne seront pas dus à SYLOPIDO. »

L'article 4 « Exploitation » stipule que la société [D] et Cie s'engage, dans le cadre d'une obligation de moyens, à réaliser une commercialisation des produits de façon diligente, sérieuse et effective. Dans le cas où la société Sylopido pourrait de bonne foi apporter la preuve de ce que la société [D] et Cie n'a pas mis en 'uvre les moyens nécessaires à la réalisation de cette obligation de moyens, la société Sylopido pourra lui retirer le bénéfice de l'exclusivité qui lui a été consentie, sans préjudice pour la société Sylopido de son droit de résilier le contrat en application de l'article 11.

L'article 4 précise, en outre, que la perte d'exclusivité lèvera l'obligation pour la société [D] et Cie de verser à la société Sylopido les minima garantis prévus à l'article 6.3.

Enfin, l'article 11.3 « Résiliation du contrat » prévoit que la société Sylopido pourra résilier le contrat si la société [D] et Cie n'a pas réalisé de ventes significatives des produits qui s'entendent de ventes générant des redevances annuelles supérieures au minimum annuel garanti de redevances selon l'article 6.3 pour l'année considérée.

Il résulte des termes clairs et précis du contrat que, bien que la société [D] et Cie soit tenue à une obligation de moyens concernant la commercialisation des produits (article 4), elle s'est engagée à payer un minimum annuel garanti de redevances de 40 000 euros hors taxe pour l'année 2022 ; cette somme n'était pas due que dans le cas où la société Sylopido lèverait l'exclusivité de la licence, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

L'article 6.3 prévoyant l'obligation au paiement des minimas garantis est dépourvu de toute ambigüité.

Aussi, la contestation de la société [D] et Cie n'est pas sérieuse quant à l'interprétation du contrat et l'intention des parties qui avaient bien convenu de minimas annuels garantis et non de simples objectifs de vente tandis que la société [D] et Cie ne peut sérieusement invoquer le déséquilibre significatif des droits et obligations des parties à son détriment tel que prévu par l'article L.442-1 du code de commerce, dès lors qu'il n'est pas contesté que le contrat a été librement négocié et qu'aucune soumission ou tentative de soumission par la société Sylopido n'est alléguée, ni a fortiori démontrée.

Enfin, il est rappelé que la société [D] et Cie a payé les minimas garantis des années 2020 et 2021, ne pouvant ainsi se méprendre sur la portée de l'article 6-3 du contrat.

Aux termes de l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Si la société [D] et Cie fait valoir que, lors des discussions qui ont précédé la conclusion du contrat de licence, la société Sylopido s'est livrée à des man'uvres en donnant des informations mensongères qui ont conditionné son consentement, elle ne justifie cependant d'aucun élément de nature à établir que le document « Potentiel économique européen » produit par la société Sylopido dans le cadre des négociations est manifestement dolosif.

Enfin, un brevet européen, qui a été régulièrement délivré, bénéficie d'une présomption de validité en l'absence de décision d'annulation.

Par ailleurs, ainsi que le relève à juste titre le premier juge, la nullité du brevet, à la supposer prononcée, n'aurait pas pour effet de priver le donneur de licence de toute rémunération prévue par le contrat dès lors que le licencié a bénéficié d'une exclusivité avant la date d'annulation du brevet portant sur l'acquisition d'un savoir-faire indépendant du brevet.

Aussi, la société [D] et Cie n'oppose aucune contestation sérieuse à son obligation au paiement du minimum garanti pour l'année 2022 dû aux termes du contrat qui ne présente aucune difficulté d'interprétation.

L'ordonnance dont appel sera donc confirmée en toutes ses dispositions.

La demande de remboursement formulée par la société [D] et Cie est, dans ces conditions, sans objet.

Partie succombante, la société [D] et Cie sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Sylopido une indemnité de procédure au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance dont appel,

Y AJOUTANT

DEBOUTE la société [D] et Cie de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution forcée de l'ordonnance du 22 mars 2024 du président du Tribunal Judiciaire de Paris,

CONDAMNE la société [D] et Cie aux dépens d'appel,

EN APPLICATION de l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE la société [D] et Cie à payer à la société Sylopido la somme de 5 000 euros et REJETTE la demande formée par la société [D] et Cie,

REJETTE le surplus des demandes.

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