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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 1 avril 2025, n° 24/00509

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Odalys Residences (SAS)

Défendeur :

Odalys Residences (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

SARL Alfihar, Me Forquin, SELARL PVB Société d'Avocats

TJ Bonneville, du 28 mars 2024

28 mars 2024

Faits et procédure

Suivant contrat en date du 24 novembre 2016, M. [E] [T] a consenti à la société Odalys Résidences un bail commercial portant sur un appartement de type 4 d'une surface habitable de 33,50 m2, un parking et un casier à skis situés dans une résidence de tourisme dénommée [3], au lieudit '[Localité 4]' à [Localité 2], pour une durée de 11 ans, moyennant un loyer hors taxe annuel initial de 8.650 euros, payable par trimestre et révisable tous les trois ans en fonction de l'évolution de l'indice des locaux commerciaux publié par l'Insee.

Le contrat stipule en son article 13 une clause résolutoire et en son article 8 une clause de sauvegarde, dont le contenu est le suivant :

'dans le cas où l'indisponibilité du bien loué résulterait:

- soit du fait ou d'une faute du bailleur,

- soit de l'apparition de désordres de nature décennale, soit de la survenance de circonstances exceptionnellement graves (telles qu'incendie de l'immeuble, etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, après la date de livraison, le versement du loyer défini ci-avant sera suspendu, ledit loyer ne redevenant exigible qu'à l'issue du mois suivant la fin du trouble de jouissance mais serait couvert soit par la garantie perte de loyers souscrite par le syndic de l'immeuble dans le contrat multirisques immeuble soit par la garantie perte d'exploitation souscrite par le Preneur'.

Se prévalant notamment de cette stipulation contractuelle suite à la survenance de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19, la société Odalys Résidences a sollicité de ses bailleurs l'application d'une franchise de loyers concernant les périodes de fermeture administrative de la résidence, du 14 mars au 1er juin 2020, du 31 octobre au 14 décembre 2020, puis du 3 avril au 3 mai 2021.

Refusant l'application d'une telle franchise de loyers, M. [T] a fait délivrer à sa locataire, le 19 mai 2023, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un arriéré locatif de 6 609, 50 euros, puis l'a faite assigner en référé-expulsion par exploit en date du 17 août 2023.

Par ordonnance du 21 décembre 2023, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à se prononcer sur l'instauration d'une mesure de médiation judiciaire. Cette mesure a cependant été refusée par M. [T], qui a maintenu sa demande d'expulsion.

Suivant ordonnance de référé du 28 mars 2024, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a:

- Rejeté les demandes formées par M. [T],

- Rejeté les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Laissé les dépens à la charge de M. [T].

Aux motifs que le litige qui oppose les parties porte sur l'interprétation des articles 13 et 8 du contrat de bail, ainsi que sur l'appréciation de leur bonne foi contractuelle, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés au regard de la persistance de contestations sérieuses.

Par déclaration au greffe en date du 10 avril 2024, M. [T] a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de ses dernières écritures du 6 décembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [T] demande à la cour, au visa des articles 1101 et 1343-5 et suivants du code civil, L. 145-41 du code de commerce, 4, 834 et 835 du code de procédure civile, d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- Constater que la société Odalys Résidences n'a pas réglé les causes du commandement de payer délivré suivant exploit d'huissier en date du 19 mai 2023,

- Constater l'acquisition de la clause résolutoire contenue au bail commercial en date du 24 novembre 2016 à la date du 20 juin 2023,

- Constater l'inapplicabilité de l'article 8 du bail commercial à la situation de crise sanitaire,

- Constater la parfaite bonne foi de M. [T] et la parfaite mauvaise foi de la société Odalys Résidences,

- Constater que la société Odalys Résidences ne justifie nullement d'un péril sur la pérennité de son activité au 8 novembre 2023,

- Constater l'absence de contestation sérieuse,

En conséquence,

- Constater la résiliation de plein droit dudit bail à compter du 20 juin 2023,

- Ordonner l'expulsion de la société Odalys Résidences ainsi que celle de tout occupant de son chef, et ce avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu,

- Dire que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 du Code des procédures civiles d'exécution,

- Condamner la société Odalys Résidences sous une astreinte qui ne saurait être inférieure à 100 euros par jour de retard à compter de la délivrance de la présente assignation,

- Se réserver la liquidation des astreintes,

- Rejeter les demandes qui pourraient être formulées par la société Odalys Résidences et en particulier les demandes reconventionnelles de la société Odalys Résidences tendant à la suspension des effets de la clause résolutoire,

- Condamner la société Odalys Résidences aux dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer ainsi qu'au paiement de la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [T] fait notamment valoir que :

' la mise en oeuvre de la clause résolutoire est un mécanisme contractuel qui s'impose au juge, qui ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation sur la gravité des manquements imputés au locataire ;

' l'article 8 du contrat de bail ne peut trouver application à la crise sanitaire, qui n'a pas affecté le bien objet du bail, lequel était en parfait état pour être exploité et qui ne peut être considérée comme étant une circonstance exceptionnellement grave justifiant la suspension du loyer, comme l'a notamment jugé la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 18 avril 2024 dans une affaire opposant 21 bailleurs de la même résidence à la société Odalys ;

' le non-paiement des loyers ne se limite pas à la seule période de fermeture administrative de la résidence, de 160 jours, mais porte sur une période de 731 jours ;

' selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les mesures de confinement et de restriction de circulation prises pendant la crise sanitaire ne sont susceptibles de caractériser ni un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, ni un cas de force majeure, ni une perte partielle ou totale de la chose louée.

Dans ses dernières conclusions du 27 juin 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Odalys Résidences demande de son côté à la présente juridiction, au visa des articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile, 1104 et 1223 du code civil, L 145-41, alinéa 2, du code de commerce et 1343-5 du code civil, de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le Juge des référés près du Tribunal Judiciaire de Bonneville en date du 28 mars 2024 et, en conséquence, de :

- Juger qu'il existe des contestations sérieuses quant à l'existence de l'obligation de la société Odalys Résidences de payer à Monsieur [T] les arriérés de loyers afférents aux périodes de fermetures administratives de la Résidence en raison de la pandémie du COVID 19 tenant l'article 8 du bail, la bonne foi et la possibilité de réduire le prix en cas d'exécution imparfaite du contrat,

- Juger que la demande de Monsieur [T] en acquisition de la clause résolutoire fondée sur le commandement de payer est sérieusement contestable et, en tout état de cause, ni fondée, ni justifiée,

- Juger que l'arriéré locatif litigieux (d'un montant de 4.652,88 euros et correspondant strictement aux franchises COVID) ne constitue pas une faute grave justifiant la résiliation du bail commercial liant les parties,

- Juger que le quantum de l'arriéré locatif revendiqué par Monsieur [T], tant dans le commandement de payer que dans son assignation, n'est pas justifié,

- juger que le bailleur de mauvaise foi ne peut invoquer l'acquisition d'une clause résolutoire,

En conséquence,

A titre principal,

- Dire n'y avoir lieu à référé sur les demandes de Monsieur [T],

- Renvoyer Monsieur [T] à mieux se pourvoir au fond,

A titre subsidiaire,

- Lui accorder des délais de paiement pour s'acquitter de la dette locative,

- Prendre acte de ce qu'elle s'engage à apurer la dette locative résultant de l'application des franchises « COVID » dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- Suspendre les effets de la clause résolutoire du bail liant les parties,

En tout état de cause,

- Débouter Monsieur [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- Dire n'y avoir lieu à prononcer d'une astreinte,

- Condamner Monsieur [T] aux dépens de l'instance et à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, elle fait notamment valoir que :

' compte tenu des deux régularisations auxquelles elle a procédé, elle s'est contentée d'appliquer une franchise de 30 % sur les loyers dûs, lors de la troisième période de fermeture administrative, du 3 avril au 3 mai 2021, lissée de manière égale sur les quatre derniers trimestres 2021 ;

' elle était fondée à appliquer une telle franchise sur le fondement de l'article 8 du contrat de bail, dont l'interprétation excède en tout état des cause les pouvoirs du juge des référés ;

' elle s'est trouvée dans l'impossibilité totale d'exploiter la résidence du 14 mars au 1er juin 2020, du 31 octobre au 14 décembre 2020, puis du 3 avril au 3 mai 2021, et a été lourdement impactée également par la 'saison blanche' de l'hiver 2020-2021, consécutive à la fermeture des remontées mécaniques ;

' compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, c'est de bonne foi qu'elle a proposé à son contractant une adaptation du contrat;

' elle est également fondée à se prévaloir du mécanisme de réduction unilatérale du prix prévu à l'article 1223 du code civil;

' la clause résolutoire a été mise en oeuvre de mauvaise foi par le bailleur ;

' elle est en mesure d'apurer sa dette locative dans un délai d'un mois, justifiant l'octroi de délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire.

Une ordonnance en date du 16 décembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 28 janvier 2025.

Motifs de la décision

I- Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Les articles 834 et 835 du code de procédure civile permettent au président du tribunal judiciaire :

- d'ordonner en référé, dans tous les cas d'urgence, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend;

- de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, même en présence d'une contestation sérieuse, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite;

- d'accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Selon une jurisprudence constante, il entre dans les pouvoirs du juge des référés de constater l'application d'une clause résolutoire de plein droit (Cour de cassation, Civ 3ème, 19 décembre 1983, n°82-11. 205 P).

Par ailleurs, une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait être prise le cas échéant par le juge du fond.

L'article L. 145-41 alinéa 1er du code de commerce dispose quant à lui que 'toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai'.

En l'espèce, l'article 13 du contrat de bail commercial conclu entre les parties le 24 novembre 2016 contient une clause résolutoire qui est ainsi libellée :

' Il est expressément convenu qu'en cas de non-exécution par le Preneur de l'un quelconque de ces engagements et qu'en cas de non-paiement des loyers à l'une de ses échéances ou de non respect de ses obligations, le Bailleur aura la faculté de résilier de plein droit le présent contrat. Cette résiliation interviendra de plein droit, sans qu'il soit besoin de recourir en justice, un mois après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception ou une sommation par huissier de justice, restée infructueuse'.

Il n'est fait état par les parties, en cause d'appel, d'aucune ambiguïté dans la rédaction de cette clause, qui apparaît claire et précise et s'analyse comme une clause résolutoire classique contenue dans les contrats de bail commercial. Une telle stipulation contractuelle ne peut ainsi donner lieu à la moindre interprétation qui excèderait les pouvoirs du juge des référés.

Par ailleurs, comme le fait observer l'appelant, il est de jurisprudence constante que le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation sur la gravité du manquement contractuel constitué par l'absence de paiement des loyers et ne peut ainsi que constater l'acquisition de la clause résolutoire lorsque l'infraction perdure au-delà d'un mois suivant la délivrance du commandement de payer (voir notamment sur ce point: Cour de cassation, Civ 3ème, 3 novembre 2005, n°04-18.156 et Civ 3ème, 11 mars 2021, n°20-13.639).

En l'espèce, si des désaccords persistent entre les parties quant au montant précis du solde de loyers demeuré impayé, et qu'aucune demande de provision n'est formulée de ce chef par le bailleur, la société Odalys Résidences ne conteste nullement qu'elle a appliqué une franchise de loyers pendant la période de la crise sanitaire et qu'en intégrant deux régularisations dont elle fait état, elle reste redevable d'un arriéré locatif de 4.652, 88 euros.

Il est constant, en tout état de cause, que les causes du commandement de payer délivré par M. [T] à sa locataire le 19 mai 2023 n'ont pas été apurées dans le délai d'un mois qui lui était imparti.

Il convient d'observer que selon une jurisprudence constante, fixée par trois arrêts de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 30 juin 2022 (pourvois n°21-19.889, 21-20.127 et 21-20.190), les mesures de confinement et de restriction de circulation prises au cours de la crise sanitaire ne sont, en matière de baux commerciaux, susceptibles de caractériser :

- ni un manquement du bailleur à son obligation de délivrance prévue à l'article 1719 du code civil, permettant de se prévaloir d'une exception d'inexécution ;

- ni un cas de force majeure permettant au débiteur d'obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation de paiement des loyers ;

- ni une perte partielle ou totale la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil, permettant de revendiquer une diminution du loyer.

Prenant acte de cette jurisprudence, l'intimée se prévaut, pour faire obstacle au constat d'acquisition de la clause résolutoire, de contestations sérieuses qui tiendraient à :

1) l'applicabilité de la clause de sauvegarde stipulée à l'article 8 du contrat de bail, dont l'interprétation excèderait les pouvoirs du juge des référés ;

2) l'exigence de bonne foi contractuelle, qui imposerait aux parties, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si les modalités d'exécution de leurs obligations respectives ne doivent pas être adaptées ;

3) la possibilité de révision du contrat prévue à l'article 1223 du code civil.

1) Comme il a été précédemment exposé, l'article 8 prévoit que 'dans le cas où l'indisponibilité du bien loué résulterait:

- soit du fait ou d'une faute du bailleur,

- soit de l'apparition de désordres de nature décennale, soit de la survenance de circonstances exceptionnellement graves (telles qu'incendie de l'immeuble, etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, après la date de livraison, le versement du loyer défini ci-avant sera suspendu, ledit loyer ne redevenant exigible qu'à l'issue du mois suivant la fin du trouble de jouissance mais serait couvert soit par la garantie perte de loyers souscrite par le syndic de l'immeuble dans le contrat multirisques immeuble soit par la garantie perte d'exploitation souscrite par le Preneur'.

La société Odalys Résidences soutient que les mesures qui ont été prises par le gouvernement au cours de la période de crise sanitaire en vue de lutter contre la propagation du virus de la Covid-19 pourraient constituer des 'circonstances exceptionnellement graves (telles qu'incendie de l'immeuble, etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, après la date de livraison' au sens de l'article 8 du contrat, qui lui permettraient d'appliquer une franchise sur le montant des loyers dûs au cours de cette période et qu'à tout le moins, le débat sur l'application de cette clause relèverait du juge du fond.

Force est de constater, cependant, que l'article 8 de la convention liant les parties constitue une clause claire et précise, ne nécessitant aucune interprétation, en ce qu'elle vise soit des manquements personnels du bailleur soit des circonstances exceptionnelles affectant le bien en lui-même.

Cette stipulation contractuelle ne peut ainsi, de toute évidence, trouver à s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, l'exploitation de biens parfaitement conformes aux clauses figurant au contrat de location, afférentes à 'la désignation', 'la description des biens loués' et/ou leur 'destination contractuelle', est entravée par des mesures gouvernementales de confinement ou restriction de mobilité destinées à juguler une pandémie, mesures extrinsèques au bien et indépendantes de la volonté ou du comportement des bailleurs.

L'argumentation soulevée de ce chef par l'intimée ne peut ainsi être accueillie.

2) Aux termes de l'article 1104 du code civil, 'les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi', ce qui impose notamment aux parties de rechercher si une adaptation des modalités d'exécution de leurs obligations respectives est nécessaire en cas de circonstances particulières.

En l'espèce, au regard des circonstances exceptionnelles liées à la survenue de la crise sanitaire et à l'impact que celle-ci a pu avoir sur son activité, il peut effectivement être considéré que la société Odalys Résidences était légitime à solliciter, en toute bonne foi, auprès de ses bailleurs de la résidence [3], dont fait partie M. [T], l'application d'une franchise partielle sur les loyers en cours.

Aucune disposition légale ou contractuelle ne pouvait par contre lui permettre de se dispenser de manière unilatérale de son obligation de paiement. En effet, le fait de demander à son cocontractant une modification de ses obligations contractuelles ne dispense pas la partie qui en a pris l'initiative de les exécuter, tant que la négociation du contrat n'a pas abouti, et, en particulier pour un preneur, de continuer à régler ses loyers. Or, en appliquant des franchises de loyers de 34,13 % en 2020 et 35 % en 2021, la société Odalys Résidences a, de toute évidence, entendu modifier unilatéralement les stipulations contractuelles.

Au demeurant, les courriers qu'elle a envoyés à ses bailleurs les 12 juin 2020 et 28 juin 2021 ne laissaient guère le choix à ces derniers puisqu'il leur était expressément signifié, dans le premier, qu'en cas de non accord formel de (leur) part, (elle se réservait) le droit d'adapter le loyer ... en fonction du chiffre d'affaire réalisé et constaté ... alors que, dans le second, elle les informait qu'elle avait décidé de ne (leur) payer que 65 % de (leurs) loyers pour l'année 2021 de façon ferme et définitive (en gras dans le texte).

Dans ces conditions, alors qu'elle a imposé de manière unilatérale à M. [T] la suspension du paiement de ses loyers, sans autorisation préalable du juge, la société Odalys Résidences ne peut sérieusement opposer à l'appelant un quelconque manquement à son obligation d'exécuter les contrats de bonne foi, ce d'autant que sa propre bonne foi peut elle-même être questionnée au regard des aides étatiques dont elle a bénéficié au cours de la crise sanitaire, et surtout de la persistance de son refus de payer son arriéré locatif pendant plus de trois ans après la dernière fermeture administrative qui lui a été imposée.

D'une manière plus générale, il ne peut être sérieusement reproché à M. [T] de se prévaloir de mauvaise foi de la clause résolutoire stipulée au bail, alors qu'il attendu le 19 mai 2023, soit plus de trois ans après les premiers impayés locatifs, pour délivrer à sa locataire un commandement de payer.

Le moyen tiré d'un manquement à la bonne foi contractuelle ne constitue donc pas une contestation sérieuse.

3) L'article 1223 du code civil prévoit : 'en cas d'exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s'il n'a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d'en réduire de manière proportionnelle le prix. L'acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. Si le créancier a déjà payé, à défaut d'accord entre les parties, il peut demanderau juge la réduction de prix'.

La société Odalys Résidences rappelle que son bailleur avait l'obligation de délivrer des locaux permettant l'exploitation de l'activité prévue au bail et donc une jouissance paisible des lieux, qui n'a pu être le cas suite aux arrêtés des 14 et 15'mars 2020 et le décret du 28 octobre 2020, qui ont rendu impossible l'exploitation des biens donnés à bail conformément à leur destination commerciale en sorte que ces fermetures administratives ont engendré un manquement ou une exécution imparfaite de l'obligation de délivrance des bailleurs justifiant la mise en oeuvre de franchises de loyers.

Il ne peut qu'être constaté, cependant, que l'effet des mesures générales et temporaires concernant la fermeture au public de certains établissements qui ont été prises par les autorités publiques, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peuvent en aucun cas être imputables à M. [T], de sorte qu'il ne saurait être reproché à ce dernier une quelconque 'exécution imparfaite de la prestation' au sens de l'article 1223 du code civil.

En effet, pendant la crise sanitaire, l'appelant a continué à laisser les locaux loués à la disposition de sa locataire, satisfaisant ainsi à son obligation de délivrance et de jouissance paisible de la chose louée. La société Odalys Résidences n'était donc pas fondée à lui notifier une réduction du prix, entendu ici comme le loyer.

Le moyen tiré des dispositions de l'article 1223 du code civil ne peut ainsi constituer une contestation sérieuse.

Dès lors que l'intimée échoue à caractériser l'existence de la moindre contestation sérieuse, il convient, en définitive, de constater que les conditions d'application de la clause résolutoire se trouvent réunies à la date 20 juin 2023.

II- Sur les délais de paiement

L'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce prévoit que 'les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge'.

L'article 1343-5 du code civil permet au juge de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues 'compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier'.

En l'espèce, il convient d'observer que les arriérés locatifs dont se prévaut M. [T] ont été constitués lors de la crise sanitaire, laquelle a eu des impacts importants pour la société Odalys Résidences, et qu'il est constant que le preneur s'était auparavant acquitté sans difficultés ni retards, depuis 2016, de l'intégralité des loyers mis à sa charge.

Par ailleurs, s'il semble avoir été aujourd'hui tranché de manière définitive dans la quasi totalité de ses composantes, un débat juridique s'est instauré, de manière légitime, sur la possibilité pour les locataires, dans le cadre d'un bail commercial, d'être dispensés du paiement de leurs loyers en raison des mesures instaurées par le gouvernement, à compter du mois de mars 2020, dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19. Ce qui est de nature à avoi pu laisser penser à l'intimée qu'elle pouvait appliquer une franchise aux loyers dont elle était redevable au cours de cette période particulière.

Enfin, il n'est pas contesté que l'intimée est parfaitement en mesure, dans un délai d'un mois, de s'acquitter de son arriéré locatif, dont le montant apparaît relativement minime au regard de son chiffre d'affaires.

Ces considérations doivent conduire la présente juridiction à accorder à la société Odalys Résidences des délais de paiement, selon des modalités qui seront précisées au dispositif, et à suspendre l'application de la clause résolutoire stipulée au bail. En l'absence de demande de provision formée par M. [T] au titre de sa créance de loyers, il convient de considérer que l'intimée aura respecté les délais de paiement qui lui sont accordés suite au paiement de la somme de 4 652, 88 euros, montant non contesté de son arriéré locatif.

Il sera dit, en outre, que si la société Odalys Résidences se libère dans le délai et selon les modalités fixées par la présente décision, la clause de résiliation de plein droit sera réputée n'avoir jamais joué. Dans le cas contraire, elle reprendra son plein et entier effet. L'intégralité de la dette sera alors immédiatement exigible et le bail se trouvera résilié automatiquement à la date d'expiration des délais accordés. L'expulsion du preneur, devenu alors occupant sans droit ni titre, sera le cas échéant ordonnée dans une telle hypothèse, avec le concours éventuel de la force publique.

Par contre, compte tenu du recours possible à la force publique, aucune astreinte ne sera ordonnée. Il sera dit enfin que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 du Code des procédures civiles d'exécution.

III- Sur les mesures accessoires

En tant que partie perdante, la société Odalys Résidences sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, incluant le coût du commandement de payer du 19 mai 2023, ainsi qu'à payer à M. [T] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La demande formée à ce titre par l'intimée sera par contre rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 28 mars 2024 par le président du tribunal judiciaire de Bonneville,

Et statuant à nouveau,

Constate que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial conclu le 24 novembre 2016 entre M. [E] [T] et la société Odalys Résidences, portant sur un appartement de type 4 d'une surface habitable de 33, 50 m2, un parking et un casier à skis situés dans une résidence de tourisme dénommée [3], au lieudit '[Localité 4]' à [Localité 2], sont réunies à la date du 20 juin 2023,

Accorde à la société Odalys Résidences des délais de paiement pour s'acquitter de la somme de 4.652, 88 euros, montant non contesté de son arriéré locatif,

Autorise la société Odalys Résidences à s'acquitter de cette somme, en une seule échéance, payable dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision,

Suspend les effets de la clause résolutoire pendant l'exécution des délais accordés,

Dit que si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais été acquise,

Dit qu'à défaut de paiement de la somme due à son terme, la clause résolutoire reprendra de plein droit son plein effet, le bail se trouvera alors résilié de plein droit et l'expulsion de la société Odalys Résidences pourra être poursuivie dans les formes légales, ainsi que celle de tout occupant de son chef,

Ordonne, dans une telle hypothèse, l'expulsion de la société Odalys Résidences, avec le concours de la force publique si nécessaire,

Rejette la demande tendant au prononcé d'une astreinte,

Dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L.433-1 et R.433-1 du Code des procédures civiles d'exécution,

Y ajoutant,

Condamne la société Odalys Résidences aux dépens de première instance et d'appel, incluant le coût du commandement de payer du 19 mai 2023,

Condamne la société Odalys Résidences à payer à M. [E] [T] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel,

Rejette la demande formée à ce titre par la société Odalys Résidences.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

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