CA Lyon, 6e ch., 27 mars 2025, n° 23/08932
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MMA IARD (SA), MMA IARD Assurances Mutuelles (Sté), Solarwatt France (SARL)
Défendeur :
Assurances Du Crédit Mutuel IARD (SA), AXA France IARD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Allais, Mme Robin
Avocats :
Me Laffly, Me Vogeding, Me Sardin, Me Vacheron, Me Gauvin
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES
La société Evasol a consenti à M. [O] et Mme [I], en mars 2011, un contrat de vente et d'installation de seize panneaux photovoltaïques, lesquels ont été posés en intégration sur le toit de la maison située à [Localité 7].
M. [O] et Mme [I] avaient souscrit une assurance habitation auprès de la société Assurances du Crédit mutuel IARD.
La société Evasol, qui était assurée auprès de la société Axa France IARD, a fait l'objet en 2012 d'une procédure de liquidation judiciciaire.
Le 10 avril 2016, la maison de M. [O] et Mme [I] a été entièrement détruite par un incendie.
L'expert mandaté par la société Assurances du Crédit mutuel IARD a conclu que l'installation photovoltaïque était à l'origine de l'incendie.
Par ordonnance en date du 11 juillet 2016, statuant sur la demande de la société Assurances du Crédit mutuel IARD, de M. [T] [O] et de Mme [L] [Y] dirigée d'une part contre la société Axa France IARD, d'autre part contre la société Solarwatt France, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon a désigné un expert.
La société Axa France IARD a demandé que les opérations d'expertise soient étendues aux sociétés MMA IARD, assureurs de la société Solarwatt France.
L'expert a déposé son rapport le 13 juin 2018. Il conclut que le départ du feu provient de la sous-face du champ photovoltaïque.
Par actes d'huissier en date des 28 février, 2 mars et 4 mars 2022, la société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [T] [O] et Mme [L] [Y] ont fait assigner la société Axa France IARD, la société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles devant le tribunal judiciaire de Lyon pour s'entendre condamner in solidum celles-ci à leur payer respectivement les sommes de 220 784,33 euros en principal et de 3 350,17 euros.
La société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD ont soulevé des fins de non recevoir en ce qui concerne l'action engagée à leur encontre par la société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [T] [O] et Mme [L] [Y] et des fins de non recevoir en ce qui concerne l'action en garantie formée à leur encontre par la société Axa France IARD.
La société Axa France IARD a soulevé le défaut de qualité à agir de la société Assurances du crédit mutuel IARD.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2023, le juge de la mise en état a :
- rejeté les fins de non-recevoir présentées par les sociétés Solarwatt France et MMA IARD tirées de la forclusion et de la prescription de l'action engagée par la société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [T] [O] et Mme [L] [Y] à l'encontre de celles-ci, du défaut de qualité à agir en défense de la société Solarwatt France et du défaut d'intérêt à agir en demande de la société Assurances du Crédit mutuel IARD
- rejeté la fin de non recevoir présentée par la société Axa France tirée du défaut de qualité à agir en demande de la société Assurances du Crédit mutuel IARD
- rejeté les fins de non recevoir présentées par les sociétés Solarwatt France et MMA IARD tirées de la prescription et de la forclusion des demandes formées par la société Axa France IARD à leur encontre et du défaut de qualité à agir en défense de la société Solarwatt France
- réservé les dépens de l'incident et les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état.
Les sociétés Solarwatt France et MMA IARD ont interjeté appel de cette ordonnance, le 29 novembre 2023.
Elles demandent à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance en qu'elle a rejeté toutes les fins de non recevoir soulevées par elles
statuant à nouveau,
- de déclarer irrecevable l'action de la société Assurances du Crédit mutuel IARD, de M. [T] [O] et de Mme [L] [Y] à leur encontre
- de déclarer irrecevable l'action en garantie dirigée contre elles par la société Axa France IARD
- 'de prononcer leur mise hors de cause'
- de condamner in solidum la société Assurances du Crédit mutuel IARD et la société Axa France IARD à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.
La société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [O] et Mme [Y] demandent à la cour :
- de confirmer l'ordonnance
- de débouter les sociétés Solarwatt France et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles de leurs demandes
- de condamner les sociétés Solarwatt France et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles à leur payer à chacun la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident et de l'appel.
La société Axa France IARD demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande tendant à ce que l'action de la société Assurances du Crédit mutuel IARD soit déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir en demande
- de déclarer la société Assurances du Crédit mutuel IARD irrecevable en ses demandes pour défaut de qualité à agir
- de confirmer l'ordonnance pour le surplus de ses dispositions
- de débouter la société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD de leurs demandes de mise hors de cause et de leur demande tendant à la voir condamner à leur payer une indemnité de procédure
- de condamner la société Assurances du Crédit mutuel IARD et à défaut in solidum la société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD à lui payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2025.
SUR CE :
Sur l'action principale
1) la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir en défense de la société Solarwatt France
La société Solarwatt France fait valoir que sa qualité de vendeur des panneaux litigieux n'est pas démontrée, qu'en effet, les panneaux solaires litigieux étaient également commercialisés par d'autres distributeurs ou par le distributeur allemand, la société Centrosolar AG, qu'elle n'est pas producteur au sens de la législation relative à la responsabilité des produits défectueux, mais simplement distributeur, que la marque Centrosolar était détenue par la société allemande Centrosolar AG chargée de la commercialisation des panneaux et que les panneaux solaires de la marque Centrosolar sont fabriqués par la société allemande Centrosolar Sonnenstromfabrik GmbH.
La société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [O] et Mme [I] soutiennent que la société Solarwatt France est supposée être importatrice des panneaux, que c'est à elle de démontrer que tel ne serait pas le cas et que l'absence de traçabilité des produits relève de la seule responsabilité du vendeur.
****
En application de l'article 1245-5 du code civil, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante et est assimilée à un producteur pour l'application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel : 2° qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
L'expert judiciaire indique dans son rapport que les panneaux photovoltaïques étaient bien de fabrication Centrosolar ainsi qu'il résulte des devis produits et de l'attestation de conformité selon laquelle le descriptif sommaire de l'installation électrique est le suivant : 16 panneaux SP185P50 (donc de marque Centrosolar).
La société Solarwatt France produit un organigramme daté de 2012 montrant que la société Centrosolar Group AG a une filiale Centrosolar France (aux droits de laquelle se trouve désormais la société Solarwatt France) et que la société Centrosolar Sonnenstromfabrik GmbH est le 'module manfactoring'.
Il est ainsi démontré que la société Centrosolar France commercialisait en France les panneaux solaires Centrosolar fabriqués par la société Centrosolar Sonnenstromfabrik GmbH.
La société Solarwatt France admet du reste dans ses conclusions devant la cour qu'elle a eu une activité de distribution de panneaux photovoltaïques de la marque Centrosolar.
Peu importe dans ces conditions qu'elle n'ait pas été le distributeur exclusif des panneaux de la marque Centrosolar.
Au vu des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, il est établi que la société Solarwatt France a bien qualité pour défendre à l'action engagée à son encontre.
L'ordonnance qui a rejeté la fin de non-recevoir soulevée de ce chef est confirmée.
2) la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action
Aux termes de leur assignation délivrée les 28 février, 2 mars et 4 mars 2022, les demandeurs fondent leur action sur la garantie des produits défectueux.
L'argumentation de la société Solarwatt France et des MMA selon laquelle toute action sur ce fondement à leur encontre est vouée à l'échec relève du fond du droit.
Le moyen tiré de la prescription de l'action en garantie des vices cachés qui n'est pas celle dont est saisi le tribunal judiciaire est en conséquence inopérant.
La société Solarwatt France et les MMA font valoir que, sur le fondement de l'article 1245-16 du code civil ('pour les besoins du raisonnement'), l'action est également prescrite.
La société Assurances du Crédit mutuel IARD, M. [O] et Mme [I] font valoir qu'il a fallu attendre le dépôt du rapport d'expertise judiciaire pour écarter toute autre origine que les panneaux photovoltaïques, que l'assignation en référé a interrompu la prescription qui a été suspendue jusqu'au dépôt du rapport d'expertise et que le bénéficiaire de la prescription, les MMA, y a renoncé en acceptant d'engager la procédure d'escalade plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise.
****
L'article 1245-16 du code civil énonce que l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Les demandeurs n'ont pu avoir connaissance de la cause exacte et certaine du dommage qu'à la date du dépôt du rapport d'expertise judiciaire contradictoire, soit le 13 juin 2018.
Cette date constitue le point de départ du délai de prescription de trois ans.
Le délai pour agir expirait donc au 13 juin 2021.
Il ressort toutefois du courriel des sociétés MMA adressé à la société Assurances du Crédit mutuel IARD en date du 10 juin 2021 se référant à 'votre correspondance interruptive de prescription de février dernier', à savoir une lettre du 3 février 2021 ayant pour objet 'procédure d'escalade - échelon direction/droit commun' que la société Assurances du Crédit mutuel IARD a demandé aux sociétés MMA de bien vouloir procéder à l'examen du dossier qui n'avait pu être résolu à l'échelon 'chef de service' et d'honorer le recours, mentionnant expressément qu'elle sollicitait l'interruption de la prescription comme le prévoit l'article 6.1 de la convention CORAL.
Il est stipulé audit article qu'outre les causes d'interruption de droit commun, une société qui souhaite interrompre le délai de prescription peut le faire valoir expressément lors d'un échange à l'échelon 'direction' dans le cadre du strict respect de la procédure d'escalade visée à l'article 4 et que cette interruption est valable pour la demande subrogée et pour celle présentée au titre du découvert de l'assuré.
Dès lors, c'est à juste titre que le juge de la mise en état a constaté que la prescription de l'action de la société Assurances du Crédit mutuel IARD et de ses deux assurés avait été valablement interrompue conformément aux stipulations de la convention CORAL et que cette action diligentée les 28 février et 4 mars 2022 n'était pas prescrite à l'égard des sociétés MMA et de leur assurée, la société Solarwatt France.
L'ordonnance est confirmée sur ce point.
3) la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Assurances du crédit mutuel IARD
La société Solarwatt, les sociétés MMA et la société Axa France IARD soutiennent que la société Assurances du crédit mutuel IARD ne démontre pas sa subrogation valable dans les droits de ses assurés, au motif qu'elle n'établit pas que les conditions de la subrogation légale dont elle se prévaut sont réunies et que, par ailleurs, les conditions de la subrogation conventionnelle ne sont pas réunies non plus.
Or, le juge de la mise en état a exactement relevé d'une part que la société Assurances du crédit mutuel IARD rapportait la preuve de ce qu'elle avait indemnisé ses assurés au moyen des pièces versées par elle aux débats (lesquelles sont à nouveau produites en cause d'appel), d'autre part que c'était à bon droit qu'elle avait garanti le dommage subi par M. [O] et Mme [I], en exécution du contrat d'assurance habitation souscrit par ceux-ci, la garantie incendie étant applicable et l'installation photovoltaïque n'ayant pas été destinée à un usage professionnel, si bien qu'aucune exclusion de garantie ne pouvait être opposée aux assurés.
Le surplus de l'argumentation des sociétés Solarwatt et MMA relative au montant de l'indemnisation versée par la société Assurances du crédit mutuel IARD et donc à l'étendue de son recours subrogatoire est sans intérêt dans le cadre de l'incident, puisqu'elle concerne le fond du litige dont est saisi le tribunal judiciaire.
L'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Assurances du crédit mutuel IARD.
Sur l'action en garantie formée par la société Axa France IARD à l'encontre de la société Solarwatt France et des sociétés MMA
La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir en défense de la société Solarwatt France a déjà été examinée ci-dessus.
L'ordonnance dont appel expose que l'action en garantie formée par la société Axa France IARD à l'égard des sociétés Solarwatt France et MMA est fondée sur la garantie des vices cachés.
Le juge de la mise en état a ainsi fixé le point de départ de la prescription de cette action en garantie à la date de l'assignation délivrée le 2 mars 2022 par la société Assurances du Crédit mutuel IARD et ses deux assurés à la société Axa France IARD. Il a ensuite constaté que la demande en garantie formée par la société Axa France IARD avait été présentée dans les premières conclusions notifiées le 21 juillet 2022, de sorte qu'elle n'était ni forclose, ni prescrite.
La société Axa France IARD ayant été assignée en même temps que les sociétés Solarwatt France et MMA et l'action principale n'étant pas prescrite comme il a été dit ci-dessus, la demande en garantie n'est pas prescrite non plus.
L'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a rejeté les fins de non recevoir soulevées par les sociétés Solarwatt France et MMA en ce qui concerne la demande en garantie formée contre elles par la société Axa France IARD.
Le recours des sociétés Solarwatt France et MMA étant entièrement rejeté, ces sociétés sont condamnées in solidum aux dépens d'appel.
Elles sont également condamnées in solidum à payer à la société Assurances du Crédit mutuel IARD, ainsi qu'à M. [O] et Mme [I], ensemble, la somme de 3 000 euros et à la société Axa France IARD la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, leurs propres demandes en paiement d'une indemnité de procédure étant rejetées par voie de conséquence.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME l'ordonnance
CONDAMNE in solidum la société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés pour ceux qu'il a avancés par Maître Vacheron, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
CONDAMNE in solidum la société Solarwatt France et les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles à payer à la société Assurances du crédit mutuel IARD, à M. [O] et à Mme [I], ensemble, la somme de 3 000 euros, et à la société Axa France IARD la somme de 1 500 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
REJETTE la demande de la société Solarwatt France et des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.