CA Amiens, 1re ch. civ., 1 avril 2025, n° 23/04533
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AIG Europe (SA), Generali IARD (SA), Mutuelle Assurance des Travailleurs Mutualistes (SAMCV), Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dôme, CPAM de l'Oise, Sifas (SARL), Mutuelle Accidents Corporels
Défendeur :
AIG Europe (SA), Generali IARD (SA), Mutuelle Assurance des Travailleurs Mutualistes (SAMCV), Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dôme, CPAM de l'Oise, Sifas (SARL), Mutuelle Accidents Corporels
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fallenot
Vice-président :
Mme Hauduin
Conseiller :
Mme Beauvais
Avoués :
Me Canal, Me Mandonnet, Me Poilly, Me David, Me Boudoux d'Hautefeuille, Me Perdu
Avocats :
Me Archippe, Me Deliry, Me Bellaiche, Me Niel, Cabinet Beaumont, SCP Delarue Varela Marras, SELARL LX Amiens-Douai, AARPI DDA & Associés
DECISION :
Le 8 mai 2008, M. [M] [U] et son épouse, Mme [H] [X], ont acquis un barbecue à gaz auprès de la société Kowalczyk et fils, produit fabriqué par la société Grand Hall Holding Limited, assurée par la société AIG Europe, et importé en France par la société Sifas, assurée par la société Generali.
Le 19 juillet 2009, ce barbecue a pris feu après son utilisation puis a explosé, blessant M. et Mme [U] [X]. Mme [X] a subi de graves lésions ayant justifié son hospitalisation pendant une longue période.
L'habitation des époux [U] [X] a également subi des dommages matériels et une indemnisation leur a été versée par leur assureur habitation, la société Matmut.
Une plainte a été déposée, mais la procédure été classée sans suite le 17 juin 2010, l'expertise incendie ayant conclu à une explosion d'origine accidentelle, sans pouvoir en déterminer précisément les causes.
Sur saisine des époux [U] [X] par acte du 8 novembre 2016, le juge des référés a ordonné une expertise médicale de Mme [X] par ordonnance du 7 février 2017.
L'expert a déposé son rapport le 7 janvier 2019.
Par jugement du 4 juin 2019, le tribunal de commerce de Cannes a placé la société Sifas en redressement judiciaire, Me [N] [D] étant nommé en qualité d'administrateur judiciaire.
Par jugement du 22 juin 2021, cette juridiction a adopté le plan de redressement proposé et nommé la SELARL [N] [D] commissaire à l'exécution du plan.
Par actes du 14 octobre 2021, M. et Mme [U] [X] ont saisi le tribunal judiciaire de Senlis aux fins d'être indemnisés de leurs préjudices.
Par ordonnance rendue le 28 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis a :
Reçu la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme en son intervention volontaire ;
Dit que l'action de M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] est prescrite sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
Dit que l'action subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme est prescrite ;
Dit n'y avoir lieu à procéder à une substitution de fondement juridique ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes relatives à la garantie sollicitée par la société Generali IARD ;
Constaté l'extinction de l'instance ;
Condamné solidairement M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] aux entiers dépens de l'instance et de l'incident ;
Débouté l'ensemble des parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 6 novembre 2023, M. et Mme [U] [X] ont relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 28 mai 2024, M. et Mme [U] [X] demandent à la cour de :
Infirmer l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis en ce qu'il a :
- dit que leur action était prescrite sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- dit que l'action subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme était prescrite ;
- dit n'y avoir lieu à procéder à une substitution de fondement juridique ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes relatives à la garantie sollicitée par la société Generali IARD ;
- constaté l'extinction de l'instance ;
- les a condamnés solidairement aux entiers dépens de l'instance et de l'incident ;
Et, statuant à nouveau :
Les déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes ;
Déclarer faire usage de sa faculté d'évocation pour donner à l'affaire une solution définitive ;
Débouter la société AIG Europe SA, la société Generali IARD, la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (Matmut), la société Sifas et la société [N] [D] et associés de leurs demandes ;
Déclarer les sociétés Grand Hall Limited et Sifas responsables solidairement de l'ensemble des préjudices qu'ils ont subis à la suite de l'explosion du barbecue défectueux ;
Déclarer les sociétés AIG Europe et Generali IARD, en qualité d'assureurs des sociétés Grand Hall Limited et Sifas, responsables solidairement de garantir les préjudices qu'ils ont subis ;
Condamner solidairement les sociétés Grand Hall Limited, Sifas, AIG Europe et Generali IARD à verser à Mme [H] [X] épouse [U] les sommes suivantes :
- 51 761, 93 euros au titre de l'arrêt de son activité professionnelle du 19 juillet 2009 au 28 avril 2012 ;
- 10 527 euros au titre de son incapacité temporaire totale ;
- 9 825, 75 euros au titre de son incapacité temporaire partielle ;
- 51 500 euros au titre de l'atteinte à l'intégrité permanente ;
- 70 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- 60 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
- 35 000 euros au titre du préjudice esthétique définitif ;
- 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- 40 000 euros au titre de son préjudice sexuel ;
Condamner solidairement les sociétés Grand Hall Limited, Sifas, AIG Europe et Generali IARD à verser à M. [M] [U] la somme de 20 000 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices ;
Condamner solidairement les sociétés Grand Hall Limited, Sifas, AIG Europe et Generali IARD à leur verser la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner solidairement les sociétés Grand Hall Limited, Sifas, AIG Europe et Generali IARD aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 29 janvier 2024, la CPAM du Puy de Dôme demande à la cour de :
Infirmer l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis en ce qu'il a :
- dit que l'action de M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] est prescrite sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- dit que l'action subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy de Dôme est prescrite ;
- dit n'y avoir lieu à procéder à une substitution de fondement juridique ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes relatives à la garantie sollicitée par la société Generali IARD ;
- constaté l'extinction de l'instance ;
- condamné solidairement M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] aux entiers dépens de l'instance et de l'incident ;
Et, statuant à nouveau :
La recevoir en son intervention volontaire et la déclarant bien fondée ;
Juger son action subrogatoire de non prescrite comme celles des époux [U] et juger l'instance non éteinte ;
Et si évocation,
Juger responsables les sociétés Sifas et Granhall Limited ;
Condamner in solidum les société Sifas, Generali IARD et AIG Europe SA à lui payer :
- la somme de 245 672,96 euros en remboursement des prestations en nature constitutives de dépenses de santé actuelles (DSA) prises en charge avant consolidation, avec intérêts de droit à compter de sa première demande en justice, le 16 février 2022 sur la somme de 212 576, 40 euros, et du 30 septembre 2022 pour le surplus ;
- la somme de 40 470,08 euros au titre du poste de dépenses pertes de revenus temporaires (PGPA) versés avant consolidation, avec intérêts de droit à compter de sa première demande en justice sur cette demande, le 30 septembre 2022 ;
- la somme de 21 816,86 euros au titre du poste de dépenses de santé futurs (DSF) versées après consolidation, avec intérêts de droit à compter de sa première demande en justice sur cette demande, le 30 septembre 2022 ;
- la somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;
Le cas échéant, fixer au passif de la société Sifas les mêmes sommes ;
Dire que les intérêts échus pour une année entière à compter de la décision produiront eux-mêmes intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil tel qu'issu de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Dire et juger qu'elle exerce son recours :
- en ce qui concerne les prestations en nature prises en charge avant consolidation, sur le poste dépenses de santé actuelles (DSA) qui sera fixé à la somme de 245 672,96 euros ;
- en ce qui concerne les indemnités journalières versées avant consolidation, sur le poste de dépenses pertes de revenus temporaires (PGPA) qui sera fixé à la somme de 92 232,01 euros ;
- en ce qui concerne les soins post-consolidation et les frais futurs viagers, sur le poste des dépenses de santé futures (DSF) qui sera fixé à la somme de 21 816,86 euros ;
Condamner in solidum les sociétés Sifas, Generali IARD et AIG Europe SA à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.
Condamner in solidum les sociétés Sifas, Generali IARD et AIG Europe SA aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Antoine Canal, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 29 janvier 2024, la société AIG Europe demande à la cour de :
Déclarer que la saisine de la cour est limitée à la seule question de la recevabilité de l'action ;
Déclarer le surplus des demandes irrecevable,
Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état en date du 28 septembre 2023 ;
Déclarer que l'action en responsabilité engagée par les époux [U] est irrecevable comme étant prescrite ;
Débouter les époux [U] de toutes demandes ;
Débouter en tant que de besoin toutes autres parties ;
Rejeter toutes demandes plus amples et contraires
Condamner les époux [U] à verser à la société AIG la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 29 janvier 2024, la société Sifas et la société [D], ès qualités, demandent à la cour de :
Déclarer recevable et bien fondé leur appel incident ;
A titre principal,
Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis du 28 septembre 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevable car prescrite l'action des époux [U] et de la CPAM à leur encontre ;
A titre subsidiaire, si la cour évoquait :
Constater l'absence de demandes au fond à l'encontre de la SELARL [N] [D] et associés,
Déclarer inopposables à la SARL Sifas pendant toute la durée de son plan de continuation les éventuelles condamnations qui seraient mises à sa charge,
Condamner la société Generali à relever et garantir la société Sifas de toute condamnation qui pourrait être mise à la charge de cette dernière,
En tout état de cause,
Réformer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis du 28 septembre 2023 en ce qu'elle les a déboutées de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
Condamner in solidum M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] à leur verser la somme de 2 000 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,
Y ajoutant,
Condamner in solidum M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] à leur verser la somme de 2 500 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamner in solidum M. [M] [U] et Mme [H] [X] épouse [U] aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées le 29 février 2024, la société Generali demande à la cour de :
- Juger irrecevable l'action des époux [U] a' l'encontre de la société Sifas et de la société Generali, et partant, celle de la CPAM en qualité de subrogée,
- Juger que la saisine de la cour d'appel est limitée aux chefs de jugement de l'ordonnance attaquée,
A titre subsidiaire,
- Rejeter l'ensemble des demandes formées a' l'encontre de la société Sifas et partant, de son assureur, la société Generali,
A titre plus subsidiaire,
- Rejeter les demandes formées au titre de :
o Perte de gains professionnels actuels et futurs : PGPA et PGPF,
Et subsidiairement y imputer la créance de la CPAM au titre des indemnités journalières versées :
o Préjudice d'agrément de Mme [U],
o Préjudice sexuel de Mme [U],
o Préjudice non identifié de M. [U],
- Ramener les autres postes à de plus justes proportions,
o Incapacité temporaire totale qui ne pourra être supérieure a' 7 975 euros,
o Incapacité temporaire partielle qui ne pourra être supérieure a' 7 443,75 euros,
o Déficit fonctionnel permanent,
o Souffrances endurées,
- Faire application des limites du contrat d'assurance et notamment de la franchise de 10% des dommages, avec un minimum de 3 200 euros et un maximum de 8 000 euros,
En toutes hypothèses,
- Condamner la société AIG à relever et garantir la société Generali de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre,
- Rejeter les demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens,
- Rejeter la demande d'exécution provisoire.
Par conclusions notifiées le 26 janvier 2024, la société Matmut demande à la cour de :
- condamner Mme [H] [X] épouse [U] et M. [M] [U] aux entiers dépens et à lui payer une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
S'étant vue signifier la déclaration d'appel à personne morale par acte du 13 décembre 2023, la CPAM de l'Oise n'a pas constitué avocat devant la cour.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 octobre 2024.
Par message adressé par le RPVA le 21 janvier 2025, confirmant faite à l'occasion de l'audience, il a été demandé aux parties de présenter à la cour, par une seule note en délibéré chacune à lui adresser avant le 4 février 2025 à 14h00, leurs observations sur l'identité des parties « Matmut » et « Mutuelle accidents corporels », et à défaut d'identité, sur les conséquences procédurales du défaut de signification de la déclaration d'appel à la partie « Mutuelle accidents corporels ».
Par message adressé par le RPVA le 21 janvier 2025, la Matmut a exposé que l'organisme « mutuelle accidents corporels » n'existait pas, l'huissier ayant rectifié manuscritement l'acte, en réalité destiné à la Matmut, laquelle s'était constituée en première instance en soulignant l'erreur commise.
Par message adressé par le RPVA le 22 janvier 2025, la société AIG Europe a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler.
Par message adressé par le RPVA le 23 janvier 2025, la société Sifas et la société [D] et associés, ès qualités, ont indiqué ne pas avoir d'observations à formuler et s'en rapporter à la sagesse de la cour.
Par message adressé par le RPVA le 4 février 2025 à 10h40, M. et Mme [U] [X] ont indiqué ne formuler aucune demande à l'encontre de la partie « mutuelles d'assurance des travailleurs mutualistes ' mutuelles accidents corporels », dont la mise en cause devant la cour n'était par conséquent pas nécessaire.
Par message adressé par le RPVA le 18 février 2025, il a été demandé à M. et Mme [U] [X] de produire aux débats les assignations en référé expertise qu'ils ont faites délivrer le 8 novembre 2016, avant le 25 février 2025 à 14h00.
Par message en réponse du 24 février 2025, ils ont adressé l'assignation délivrée à la société Generali, précisant qu'il s'agissait de l'acte en leur possession.
MOTIFS
En premier lieu, il sera pris acte, à titre préliminaire, de l'inexistence juridique de la partie « Mutuelle accidents corporelles », pourtant intimée par M. et Mme [U] [X].
En second lieu, en application de l'article 562 du code de procédure civile, le chef de la décision querellée ayant reçu l'intervention volontaire de la CPAM du Puy de Dôme n'ayant été dévolu à la cour par aucune des parties, il est devenu définitif. Il ne sera donc pas répondu à la prétention présentée par cette dernière de voir recevoir son intervention volontaire.
Sur la recevabilité de l'action
M. et Mme [U] [X] font valoir qu'ils agissent sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Ils expliquent que le barbecue qu'ils ont acquis aurait fait l'objet d'une facturation par la société Grand Hall Limited à la société Sifas le 31 décembre 2007, date de la mise en circulation du produit par dessaisissement volontaire du producteur. La société Sifas a ensuite facturé le barbecue le 8 février 2008 à la société Kowalczyk. L'explosion du barbecue a eu lieu le 19 juillet 2009. Une enquête a été ouverte puis classée sans suite le 17 juin 2010, au motif de l'absence d'infraction pénale. Dans le cadre de cette enquête, l'expertise réalisée par le laboratoire Lavoue a conclu à une explosion d'origine accidentelle, dont les causes n'ont pu être précisément déterminées du fait du manque de vestiges à analyser, tout en écartant les hypothèses de défaillances humaines et de défaut de la bouteille de gaz.
M. et Mme [U] [X] reprochent au premier juge d'avoir fixé le point de départ du délai de prescription de l'action au 17 juin 2010. S'il apparaît effectivement qu'à la date du classement sans suite, ils avaient connaissance du défaut de sécurité du barbecue, de l'identité du producteur et du fournisseur, il en va tout autrement de la connaissance du dommage. A cet égard, la Cour de cassation a précisé qu'en cas de dommage corporel, la date de connaissance du dommage doit s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage. Or l'expert judiciaire a fixé la date de consolidation définitive de Mme [X] au 28 avril 2012, mais cette dernière n'a pu avoir connaissance du dommage que le 7 janvier 2019, date du dépôt du rapport. Le point de départ de la prescription triennale de l'action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux se situe donc à cette date.
M. et Mme [U] [X] ajoutent que les experts ayant réalisé les expertises amiables n'avaient aucunement pour mission de fixer la date de consolidation des blessures de Mme [X], et l'expert judiciaire n'a pas retenu la même date de consolidation que ceux-ci.
Ils exposent encore que dans l'assignation qu'ils ont fait délivrer le 14 octobre 2021, ils ont demandé au tribunal judiciaire de Senlis qu'il déclare les sociétés Generali et AIG Europe responsables in solidum, tenues de garantir les dommages qu'ils ont subis, et leur alloue en conséquence diverses sommes. Ces demandes constituent des prétentions ayant pour effet de saisir la juridiction et, partant, d'interrompre la prescription de l'action.
Enfin, le délai de forclusion de dix ans, qui court à compter de la mise en circulation du produit, n'était quant à lui pas non plus acquis. En effet, si la date de mise en circulation du barbecue semble être fixée au 31 décembre 2007, le délai a été interrompu par l'assignation en référé expertise du 8 novembre 2016, conformément aux articles 2231, 2241 et 2242 du code civil.
La CPAM du Puy de Dôme soutient que la date de consolidation définitive de Mme [X] n'a été connue qu'a l'occasion du rapport du 7 janvier 2019, et que par ailleurs, son assignation en référé a interrompu le délai de forclusion de 10 ans et fait repartir un nouveau délai de même durée. Elle en conclut que l'action, non prescrite, est recevable.
La société AIG Europe répond que la date de connaissance d'un dommage corporel est la date de consolidation, et non la date du rapport d'expertise qui fixe cette date de consolidation. La jurisprudence considère ainsi que le report de la date de connaissance du dommage corporel à la date de dépôt du rapport d'expertise contrevient aux règles de la sécurité juridique et ne peut en aucun cas être admis, dans la mesure où la date du rapport dépend des diligences de la victime et est, par conséquent, un point de départ glissant, contrairement à la date de consolidation, qui est une date fixe et certaine établie par un expert. Le rapport d'expertise a fixé la date de consolidation définitive au 28 avril 2012, et c'est à compter de cette date que le délai de prescription triennal a commencé à courir. Les époux [U] [X] avaient donc jusqu'au 28 avril 2015 pour l'assigner.
Elle ajoute qu'ils ont connu la date exacte de consolidation bien avant le dépôt du rapport d'expertise judiciaire, dans le cadre des expertises amiables. Dès 19 juillet 2009, ils avaient connaissance du dommage, du défaut allégué, ainsi que de l'identité du producteur. Par conséquent, dès le 28 avril 2012, toutes les conditions étaient réunies pour agir en responsabilité du fait des produits défectueux dans le délai de trois ans.
Quant au délai de forclusion de dix ans issu des dispositions l'article 1245-15 du code civil, il court à compter de la mise en circulation du produit. En l'espèce, ce produit a été mis en circulation en février 2007 et non en février 2008. Ainsi, les époux [U] auraient dû l'assigner au plus tard en février 2017 pour que leur action soit recevable. Or, aucun acte, ni aucune demande de condamnation n'a été formée à son égard avant le 14 octobre 2021.
La société Sifas et la société [D], ès qualités, soutiennent que l'accident s'est produit le 19 juillet 2009 et que c'est à cette date que les époux [U] [X] ont eu connaissance du défaut de l'appareil et des dommages causés. Elles ajoutent que l'identité du producteur a été révélée dans le cadre de la procédure pénale, diligentée dès le lendemain de l'explosion du barbecue, par l'audition de la société Kowalczyk, qui a remis aux services enquêteurs le bon de livraison des barbecues de marque Grand Hall. En conséquence, lors de la saisine du tribunal judiciaire de Senlis en référé, l'action était déjà prescrite. Elles arguent par ailleurs que le délai prescrit par l'article 1245-15 du code civil est un délai extinctif, et non un délai de prescription. Par conséquent, les demandes des époux [U] [X] sont irrecevables, tout comme celles de la CPAM, tiers subrogé.
La société Generali plaide que l'accident est survenu le 19 juillet 2009 et qu'à cette date, les époux [U] [X] avaient nécessairement connaissance des éléments requis par les textes. Elle ajoute que la date de connaissance du dommage s'entend de la date de la consolidation, et non de la date de dépôt du rapport d'expertise. Or la consolidation de Mme [X] a été fixée au 28 avril 2012. Elle disposait donc d'un délai courant jusqu'au 28 avril 2015 pour agir.
Le rapport de l'expert judiciaire a été déposé le 7 janvier 2019. Or les époux [U] [X] ont attendu le 15 juin 2022 pour former une demande de condamnation a' l'encontre de la société Sifas et de son assureur. En effet, leur assignation ne comportait aucune demande a' leur égard. Le dispositif consistait uniquement a' ce que le tribunal « dise, constate, entérine, déclare, alloue ». Seule une demande de condamnation in solidum des sociétés Sifas, Generali et AIG Europe au titre des frais irrépétibles était formée. Or les chefs de demande visant à déclarer, ou allouer, ne saisissent pas la juridiction, et ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 31 du code de procédure civile.
Elle conclut que le délai de l'article 1245-15 du code civil constitue un délai de péremption, et non un délai de prescription, qui ne peut être dépassé.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1245-5 du code civil, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
Est assimilée à un producteur pour l'application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel :
1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;
2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent chapitre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1.
Aux termes de l'article 1245-15 du code civil, sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice.
Aux termes de l'article 1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Il en résulte que l'action en responsabilité du fait des produits défectueux est soumise à un délai de prescription de trois ans à compter de la date à laquelle la victime a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, dans la limite d'un délai de forclusion de dix années à compter de la mise en circulation du produit.
Aux termes de l'article 2241, alinéa 1, du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
En l'espèce, les pièces versées aux débats établissent que le barbecue à l'origine de l'accident dont a été victime Mme [X] a été vendu par la société Grand Hall Holding Limited à la société Sifas le 8 février 2007, et que les époux [U] [X] ont eu connaissance du défaut l'affectant le 19 juillet 2009, date de son explosion, ainsi que de l'identité du producteur au plus tard le 17 juin 2010, date du classement sans suite de la procédure pénale diligentée, les pièces en attestant ayant été remises le 22 juillet 2009 par la société Kowalczyk aux enquêteurs.
La consolidation de l'état de Mme [X] a été fixée par l'expert judiciaire, selon rapport déposé le 7 janvier 2019, au 28 avril 2012.
Les parties débattent de la date de connaissance du dommage, les époux [U] [X] et la CPAM du Puy de Dôme soutenant qu'il convient de retenir la date de dépôt du rapport d'expertise judiciaire ayant permis à Mme [X] d'avoir connaissance de la date de consolidation, tandis que les autres parties retiennent la date de consolidation elle-même.
Or il est jugé de manière constante que la connaissance d'un dommage corporel doit s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage (voir notamment : Civ. 2e, 10 février 2021, n°20-20.243 ; Civ. 1re, 5 juillet 2023, n°22-18.914).
C'est donc à tort que M. et Mme [U] [X] et la CPAM du Puy de Dôme soutiennent que Mme [X] ne pouvait avoir connaissance du dommage avant le dépôt du rapport d'expertise judiciaire le 7 janvier 2019.
Il est en outre produit aux débats :
- un rapport établi le 30 avril 2012 par le docteur [T] [S], à la demande de Mme [X], lequel a fixé la date de consolidation au 19 avril 2012 ;
- un rapport établi le 24 mars 2015 par le docteur [B] [Z], à la demande de la société Matmut, lequel a également fixé la date de consolidation au 19 avril 2012.
Il n'est ni soutenu ni démontré que l'état séquellaire de la victime aurait évolué postérieurement.
Il doit donc être retenu que Mme [X] disposait de tous les éléments lui permettant d'avoir connaissance de la consolidation de son état au plus tard à compter 28 avril 2012, date de départ du délai de prescription prévu par l'article 1245-16 du code civil. Elle ne peut se prévaloir de sa propre négligence pour retarder la prescription de son action.
Or les époux [U] [X] ont attendu le 8 novembre 2016 pour solliciter en référé l'expertise médicale de Mme [X].
A cette date, le délai de prescription triennal de l'article 1245-16 du code civil était déjà acquis et n'a donc pas pu être interrompu, les époux [U] [X] ne pouvant invoquer, pour tenter de contourner la prescription de leur action en réparation, le délai de forclusion décennal prévu par l'article 1245-15 du même code, lequel vient uniquement préciser que l'action doit être engagée dans la limite d'un délai de forclusion de dix années à compter de la mise en circulation du produit.
Par ces motifs, substitués à ceux du premier juge, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a déclarée l'action prescrite.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, il convient de condamner solidairement M. et Mme [U] [X] aux dépens d'appel, avec recouvrement direct au profit de Me Antoine Canal, et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle les a condamnés aux dépens de première instance.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, les parties sont déboutées de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles, la décision querellée étant confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, après débats publics, par arrêt réputé contradictoire, rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Senlis ;
Y ajoutant,
Condamne solidairement M. [M] [U] et Mme [H] [X] aux dépens d'appel, avec recouvrement direct au profit de Me Antoine Canal ;
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles.