CA Colmar, ch. 2 a, 27 mars 2025, n° 22/03544
COLMAR
Arrêt
Autre
MINUTE N° 128/2025
Copie exécutoire
aux avocats
Le 27 mars 2025
La greffière
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 27 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03544 -
N° Portalis DBVW-V-B7G-H5QN
Décision déférée à la cour : 22 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Saverne
APPELANT :
Monsieur [Z] [V]
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Eulalie LEPINAY, avocat à la cour
INTIMÉE :
Madame [P] [B] épouse [F]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre
Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère
Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [P] [B], épouse [F], est propriétaire d'une parcelle agricole située sur la commune de [Localité 6], cadastrée section [Cadastre 1] lieudit [Localité 4].
Après avoir, par lettre du 20 janvier 2015, mis en demeure M. [Z] [V] de cesser l'exploitation de cette parcelle, Mme [B] l'a fait assigner, par acte du 3 mars 2016, devant le tribunal de grande instance de Saverne.
Par ordonnance du 23 février 2018, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise en écriture. L'expert a déposé son rapport le 12 décembre 2018.
Par jugement du 22 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Saverne a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- constaté que M. [V] occupe sans droit ni titre ladite parcelle,
- dit qu'il devra libérer les lieux dans le délai de huit jours à compter de la signification du jugement, et, dans le même délai, enlever tous les matériaux et toutes les installations se trouvant sur la parcelle et que, faute de l'avoir fait dans le délai imparti, il pourra être expulsé ainsi que tous occupants de son chef, et sera redevable d'une astreinte dont le montant sera provisoirement fixé à 100 euros par jour de retard, pendant un délai maximum de trois mois,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire,
- condamné M. [V] aux dépens et à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, il a retenu que M. [V], qui soutenait qu'un bail rural avait été conclu par sa mère, Mme [D] [V], lorsque la SCEA Schwabenhof avait cessé d'exploiter la parcelle en 2010, ne démontrait pas que 'l'attestation de bail verbal' avait été signée par Mme [B], et ne démontrait pas non plus que celle-ci aurait signé un bulletin de transfert de terres au profit de sa mère.
Il a aussi retenu que, s'il produisait la copie d'un chèque de 300 euros établi par sa mère à l'ordre de Mme [B], daté du 19 novembre 2011, il n'était pas lui-même à l'origine du chèque et ne produisait aucun élément permettant de démontrer que le paiement avait pour objet le fermage portant sur la parcelle litigieuse.
Il a conclu à l'absence de preuve d'un bail rural entre Mme [B] et sa soeur et qui aurait été transmis à M. [Z] [V] lorsqu'il s'était installé comme agriculteur en 2013.
Il a ajouté que Mme [B] avait, dans un courrier du 28 avril 2014 qu'il ne contestait pas avoir reçu, contesté avoir signé 'l'attestation de bail verbal' qu'il lui avait présentée le 29 janvier 2014, ce qui permettait d'écarter toute intention de sa part d'accepter au moins tacitement la conclusion d'un bail rural avec son neveu, et que les virements effectués par M. [V] après l'introduction de la présente procédure ne pouvaient démontrer l'existence d'un bail verbal, puisqu'ils avaient été refusés par Mme [B].
Par déclaration d'appel transmise le 15 septembre 2022 par voie électronique, M. [V] a demandé l'annulation ou l'infirmation du jugement ayant constaté qu'il occupe la parcelle sans droit ni titre, dit qu'il devra la libérer sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et l'ayant condamné aux entiers dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties ont été invitées à se présenter à une réunion d'information sur une mesure de médiation et le cas échéant à recueillir leur accord à une telle mesure.
Par ordonnance du 7 mai 2024, la clôture de la procédure a été ordonnée.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 avril 2024, M. [V] demande à la cour de :
- le recevoir et le déclarer bien fondé en son appel,
- infirmer la décision en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [B] de toutes ses demandes, car il est régulièrement bénéficiaire d'un bail rural depuis l'année 2014 par suite de la cession qui lui a été faite par sa mère, Mme [D] [V], et qui s'est renouvelé à compter du 1er septembre 2019 pour le bail en cours se poursuivant jusqu'au 1er septembre 2028, et portant sur la parcelle située sur la commune de [Localité 6], cadastrée section [Cadastre 1] lieudit [Localité 4] d'une surface cadastrale de 7 ha 79 a 75 ca,
- faire, en conséquence, interdiction à Mme [B] de troubler de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, sa libre jouissance de la parcelle,
- déclarer Mme [B] irrecevable en ses demandes nouvelles au titre d'un préjudice moral et d'une indemnité d'occupation,
Subsidiairement,
- la déclarer mal fondée en ses demandes et l'en débouter,
- la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En soutenant, en substance, que :
- selon l'article L.411-1 du code rural, la preuve de l'existence d'un bail rural peut être apportée par tout moyen,
- la parcelle était exploitée jusqu'à la fin de l'année culturale 2009-2010 par le GAEC, devenu SCEA Schwabenhof,
- puis, Mme [B] a consenti à sa soeur, Mme [D] [V], un bail rural à compter de l'année culturale 2010-2011, ce qu'il établit en invoquant :
- le fait que celle-ci était déclarée auprès de la MSA en qualité de chef d'exploitation à compter du 1er septembre 2010 ;
- que les parties ont procédé à la mutation de transfert de terres auprès de la MSA au profit de cette dernière, comme il ressort du relevé d'exploitation au 1er janvier 2011 et au 1er janvier 2012 ;
- que Mme [V] a payé le fermage par chèque de 300 euros le 19 novembre 2011, date correspondant à celle du paiement des fermages, après la [Localité 5], soit le 11 novembre 2011 selon les usages applicables en la matière en Alsace, étant souligné que Mme [B] ne fournit pas d'autre explication sur la cause du paiement,
- les attestations de MM. [W] et [X] [G], associés du SCEA Schwabenhof,
- le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er septembre 2010 de cette SCEA qui corrobore ce premier témoignage,
- il n'est ainsi pas nécessaire d'apprécier la régularité de 'l'attestation de bail verbal', étant souligné que le sérieux de l'expert peut être interrogé compte tenu de ses constatations erronées,
- Mme [V] lui a cédé le bail conformément aux dispositions de l'article L.411-35 du code rural, à compter de l'année culturale 2013-2014, qui s'est renouvelé depuis le 1er septembre 2019, et ce avec l'accord de Mme [B], puisque :
- l'agrément du bailleur peut être tacite, ce qui a été le cas, compte tenu des liens de confiance qui existaient alors et des liens familiaux,
- les parcelles ont donné lieu à des déclarations PAC successives à son nom depuis l'année 2014, étant devenu exploitant à compter du 15 décembre 2013,
- dans son attestation, Mme [V] confirme ces circonstances,
- Mme [B] s'est manifestée pour contester l'existence du bail rural à son profit, après qu'une créance de salaire différée ait été demandée par Mme [V] dans le cadre du règlement de la succession de leur mère et payée le 24 février 2015,
- après avoir payé les fermages en espèces jusqu'en 2016, il lui a adressé en 2017 et 2018 des règlements par virements en tenant compte des dégrèvements sur la taxe foncière au titre des propriétés non bâties en application de l'article 1647/00 bis du code général des impôts et de l'article 109 de la loi du 30 décembre 1991, puis les fermages sans dégrèvement de 2019 à 2021, outre un règlement prorata temporis en 2022 compte tenu de l'obligation qui lui a été faite de libérer la parcelle le 25 août 2022,
- Mme [B] n'a jamais fait juger l'absence de bail entre elle-même et sa soeur, ni demandé la nullité du bail entre sa mère et lui-même, ni la résiliation judiciaire du bail pour cession prohibée,
- les demandes nouvelles sont irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile, et infondées en raison du bail, du paiement des fermages et de l'absence de preuve de préjudice, étant souligné qu'il s'est trouvé, par suite du caractère exécutoire du jugement, dans l'obligation de libérer la parcelle le 25 août 2022.
Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 avril 2024, Mme [B] demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
y ajoutant :
- condamner M. [V] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de préjudice moral et celle de 5 000 euros à titre d'indemnité d'occupation du bien au titre des cinq dernières années,
- rejeter les fins de non-recevoir développées par M. [V],
- les déclarer recevables et bien fondées,
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses fins et conclusions,
- le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux frais et dépens de l'instance d'appel,
en soutenant, en substance que :
- elle n'a jamais autorisé M. [V] à exploiter la parcelle, mais lui a demandé, en 2012, de la libérer, demande qu'elle a réitérée, notamment par lettres des 20 janvier et 21 décembre 2015,
- 'l'attestation de bail' verbal du 5 mai 2011 est un faux,
- elle n'a pas consenti de bail à sa soeur et fait valoir que :
- un relevé MSA ne vaut pas bail ;
- elle conteste que le chèque de 300 euros consiste en un chèque de fermage, celui-ci étant d'un montant bien plus élevé pour une telle parcelle et l'objet du paiement ne pouvant être déduit de la date du chèque ;
- les témoins n'apportent aucune preuve de l'existence du bail et elle conteste leurs affirmations ; M. [W] [G] était associé non exploitant de la SCEA et ne pouvait donc jouer aucun rôle dans 'l'attestation de bail verbal' ou la prétendue transmission d'exploitation de la SCEA à Mme [D] [V]; l'attestation de cette dernière n'est pas probante, celle-ci étant la mère du défendeur et directement impliquée dans les faits qui intéressent la procédure,
- même si Mme [V] avait été titulaire d'un bail rural, M. [V] ne pourrait pas revendiquer un bail à son nom, car le bail rural est incessible et ne peut être cédé à un descendant qu'avec l'accord préalable du propriétaire, ce qu'elle n'a jamais autorisé,
- le simple fait qu'il a exploité en s'imposant ne vaut pas preuve de bail, ni de cession de bail ; dès 2013, elle s'est opposée à son exploitation et le lui a rappelé par lettres des 28 avril 2014, 20 janvier et 21 décembre 2015,
- la déclaration PAC est unilatérale et si aucun autre exploitant n'a déclaré ces parcelles, c'est parce que M. [V] s'y était installé et s'y maintenait,
- elle n'allait pas demander la nullité d'une cession et la résiliation d'un bail dont elle conteste l'existence, mais a, au contraire, demandé son expulsion devant le tribunal judiciaire,
- M. [V] ne démontre pas l'existence d'un bail rural à son profit, car :
- il ne démontre pas un paiement, ni un encaissement du fermage,
- les seuls dégrèvements dont elle a bénéficié en 2015 et 2016 sont relatifs à la sécheresse et aux inondations ; les dégrèvements figurant sur les avis d'impôts 2014 à 2016 résultent du seul fait de M. [V], qu'elle n'a pas déclaré comme exploitant, outre que l'article 1647-00 alinéa 4 du code général des impôts ne fait référence qu'à l'exploitation par un jeune agriculteur, ce qui ne permet pas de prouver un bail, et il n'y avait pas lieu à dégrèvement puisqu'elle a payé les taxes foncières,
- les virements effectués après l'assignation ne permettent pas de prouver le bail et elle a en refusé un ;
- la résistance de M. [V], son comportement et la durée des procédures particulièrement longues lui causent un préjudice moral,
- elle subit en outre un préjudice matériel correspondant à l'occupation de son bien,
- ses demandes accessoires et conséquentes à l'occupation illicite de la parcelle sont recevables en application de l'article 566 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
L'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que « toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L.411-2. Cette disposition est d'ordre public », et que « la preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens ».
Ainsi, la preuve d'un bail rural suppose, à la charge de celui qui en sollicite la reconnaissance en justice, d'établir que le propriétaire d'un bien foncier agricole a accepté de le mettre à sa disposition à titre onéreux aux fins d'exploitation.
Selon l'article L.411-35 du code précité, alinéa 1er, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit (...) descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
En l'espèce, M. [V] soutient, d'abord, l'existence d'un bail rural entre sa mère, Mme [D] [V], et Mme [B], portant sur la parcelle en litige, puis, que ce bail lui a été transféré avec l'accord de Mme [B].
A supposer qu'il rapporte la preuve qu'un bail rural verbal a existé entre sa mère et Mme [B], il appartient à M. [V] de démontrer que cette dernière avait agréé la cession du bail à son propre bénéfice.
Mme [B] ne conteste pas qu'il exploite ladite parcelle et ce, depuis décembre 2013, comme il résulte d'ailleurs de sa déclaration de création d'une entreprise agricole.
Pour autant, M. [V] ne démontre pas l'existence d'un accord tacite de Mme [B] pour lui transférer le bail rural.
En effet, l'attestation de sa mère, Mme [V], a une faible valeur probante compte tenu du conflit opposant son fils à sa soeur, Mme [B], épouse [F], et n'est pas corroborée par d'autres éléments pris isolément ou en leur ensemble.
Les déclarations PAC effectuées depuis 2014 par M. [V], ainsi que sa déclaration de création d'une entreprise agricole, reprenant celle de Mme [V], sont insuffisantes, s'agissant de déclarations unilatérales, à démontrer un quelconque accord du propriétaire de la parcelle sur l'existence d'un bail au profit de ce dernier.
Le fait que M. [V] exploitait la parcelle depuis décembre 2013 est insuffisant à démontrer un tel agrément, en dépit de l'existence de relations familiales, étant relevé que Mme [B] justifie avoir contesté l'existence d'un bail la liant à M. [V], par lettre du 28 avril 2014, puis lui avoir adressé, par l'intermédiaire de son conseil, une mise en demeure en janvier 2015, réitérée le 21 décembre 2015, de cesser d'exploiter la parcelle qu'il exploite sans droit ni titre.
L'existence de dissensions familiales, invoquées par M. [V] dans le cadre du règlement de la succession de la mère de Mmes [B] et [V] est également insuffisante, à les supposer déjà existantes en avril 2014, pour considérer que Mme [B] avait agréé, dans un premier temps, le transfert de bail à son bénéfice avant de s'y opposer en raison de ces dissensions.
Il n'est d'ailleurs pas établi qu'il existait un accord des parties sur un paiement d'un fermage par M. [V] ou que Mme [B] ait accepté que les sommes qu'il lui a versées constituaient un fermage.
Avant que Mme [B] conteste par écrit l'existence d'un bail, M. [V] ne produit aucun élément montrant qu'il lui avait versé une quelconque somme.
Ce n'est que postérieurement à l'introduction de l'instance par Mme [B], que celui-ci justifie lui avoir versé des fonds. D'une part, il ne produit aucun élément permettant de considérer qu'il lui ait versé un fermage en espèces. D'autre part, il lui a fait signifier par huissier de justice, le 9 mars 2017, deux chèques de 673 euros au titre des fermages 2015 et 2016 de 800 euros déduction faite de dégrèvement de 127 euros pour 'jeune agriculteur', en précisant qu'il agissait ainsi car il n'entendait plus régler en espèces 'comme cela a été le cas en 2014 et 2013 à votre demande, suite au retour de son chèque qu'il vous avait adressé en règlement du fermage de 2013".
Or, une telle remise de chèques par huissier de justice ne suffit pas à démontrer un accord dénué d'équivoque de la part de M me [B] sur le paiement d'un fermage, et par suite de l'existence d'un bail la liant à M. [V], ce d'autant plus que M. [V] ne justifie pas que Mme [B] a bénéficié d'un dégrèvement de taxes foncières pour jeune agriculteur et si celle-ci a effectivement bénéficié en 2016 d'un dégrèvement de taxes foncières pour 2015 et 2016, elle justifie qu'il l'avait été pour pertes de récoltes, sécheresse et inondation et pour un autre montant que celui énoncé par M. [V].
Enfin, si Mme [B] ne conteste pas avoir reçu les virements invoqués par M. [V], sous les intitulés 'VIR F' suivi de l'année ou 'virement fermage' ou 'solde fermage' qu'il avait lui-même fait mentionner lors de la réalisation des opérations de virement, ces paiements ont été effectués à partir de l'année 2019, soit postérieurement à l'introduction de la présente instance et à la contestation de l'existence du bail par Mme [B], de sorte qu'ils ne permettent pas non plus de démontrer qu'ils correspondaient au paiement d'un fermage.
De surcroît, Mme [B] justifie avoir refusé le virement de 800 euros effectué le 13 novembre 2020 et l'avoir renvoyé en janvier 2021, lequel virement a été rejeté, le conseil de M. [V] indiquant à celui de Mme [B] qu'elle devait procéder par chèque si elle avait des fonds à lui remettre.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que M. [V] occupe la parcelle sans droit ni titre, et a ordonné son expulsion, et ce sous astreinte avec les modalités qu'il a fixées.
Par voie de conséquence, la demande de M. [V] tendant à faire interdiction à Mme [B] de troubler sa jouissance paisible sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
2. Sur les demandes en paiement formées par Mme [B] :
Les demandes en réparation du préjudice moral, ainsi que du préjudice résultant de l'occupation sans droit ni titre de la parcelle constituent des accessoires à la demande initiale tendant à l'expulsion de ladite parcelle.
Elles sont donc recevables.
Compte tenu de la nécessité pour Mme [B] d'engager une procédure du fait du maintien de M. [V] dans les lieux sans droit ni titre, et du stress qui en résulte, elle a subi, du fait fautif de ce dernier, un préjudice moral qui sera évalué à la somme de 500 euros, que celui-ci sera condamné à lui payer.
En outre, ayant occupé les lieux sans droit ni titre, il sera tenu au paiement d'une indemnité d'occupation, qui sera, compte tenu des caractéristiques de la parcelle, fixée à un montant de 800 euros par an.
M. [V] sera ainsi condamné au paiement de cette indemnité pour les cinq dernières années de son occupation, soit la somme totale de 4 000 euros.
3. Sur les frais et dépens :
Succombant, M. [V] sera condamné à supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d'appel.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a statué sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. A hauteur d'appel, M. [V] sera condamné, à ce titre, à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros et sa propre demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Saverne du 22 juillet 2022 ;
Y ajoutant :
Déclare recevables les demandes de Mme [P] [B] épouse [F] en réparation de son préjudice moral et en paiement d'une indemnité d'occupation ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F] la somme de 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F], la somme de 4 000 euros (quatre mille euros), à titre d'indemnité d'occupation de ladite parcelle, pour les cinq dernières années de son occupation ;
Condamne M. [Z] [V] à supporter les dépens d'appel ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F] la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de M. [Z] [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
Copie exécutoire
aux avocats
Le 27 mars 2025
La greffière
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 27 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03544 -
N° Portalis DBVW-V-B7G-H5QN
Décision déférée à la cour : 22 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Saverne
APPELANT :
Monsieur [Z] [V]
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Eulalie LEPINAY, avocat à la cour
INTIMÉE :
Madame [P] [B] épouse [F]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre
Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère
Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [P] [B], épouse [F], est propriétaire d'une parcelle agricole située sur la commune de [Localité 6], cadastrée section [Cadastre 1] lieudit [Localité 4].
Après avoir, par lettre du 20 janvier 2015, mis en demeure M. [Z] [V] de cesser l'exploitation de cette parcelle, Mme [B] l'a fait assigner, par acte du 3 mars 2016, devant le tribunal de grande instance de Saverne.
Par ordonnance du 23 février 2018, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise en écriture. L'expert a déposé son rapport le 12 décembre 2018.
Par jugement du 22 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Saverne a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- constaté que M. [V] occupe sans droit ni titre ladite parcelle,
- dit qu'il devra libérer les lieux dans le délai de huit jours à compter de la signification du jugement, et, dans le même délai, enlever tous les matériaux et toutes les installations se trouvant sur la parcelle et que, faute de l'avoir fait dans le délai imparti, il pourra être expulsé ainsi que tous occupants de son chef, et sera redevable d'une astreinte dont le montant sera provisoirement fixé à 100 euros par jour de retard, pendant un délai maximum de trois mois,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire,
- condamné M. [V] aux dépens et à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, il a retenu que M. [V], qui soutenait qu'un bail rural avait été conclu par sa mère, Mme [D] [V], lorsque la SCEA Schwabenhof avait cessé d'exploiter la parcelle en 2010, ne démontrait pas que 'l'attestation de bail verbal' avait été signée par Mme [B], et ne démontrait pas non plus que celle-ci aurait signé un bulletin de transfert de terres au profit de sa mère.
Il a aussi retenu que, s'il produisait la copie d'un chèque de 300 euros établi par sa mère à l'ordre de Mme [B], daté du 19 novembre 2011, il n'était pas lui-même à l'origine du chèque et ne produisait aucun élément permettant de démontrer que le paiement avait pour objet le fermage portant sur la parcelle litigieuse.
Il a conclu à l'absence de preuve d'un bail rural entre Mme [B] et sa soeur et qui aurait été transmis à M. [Z] [V] lorsqu'il s'était installé comme agriculteur en 2013.
Il a ajouté que Mme [B] avait, dans un courrier du 28 avril 2014 qu'il ne contestait pas avoir reçu, contesté avoir signé 'l'attestation de bail verbal' qu'il lui avait présentée le 29 janvier 2014, ce qui permettait d'écarter toute intention de sa part d'accepter au moins tacitement la conclusion d'un bail rural avec son neveu, et que les virements effectués par M. [V] après l'introduction de la présente procédure ne pouvaient démontrer l'existence d'un bail verbal, puisqu'ils avaient été refusés par Mme [B].
Par déclaration d'appel transmise le 15 septembre 2022 par voie électronique, M. [V] a demandé l'annulation ou l'infirmation du jugement ayant constaté qu'il occupe la parcelle sans droit ni titre, dit qu'il devra la libérer sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard et l'ayant condamné aux entiers dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties ont été invitées à se présenter à une réunion d'information sur une mesure de médiation et le cas échéant à recueillir leur accord à une telle mesure.
Par ordonnance du 7 mai 2024, la clôture de la procédure a été ordonnée.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 avril 2024, M. [V] demande à la cour de :
- le recevoir et le déclarer bien fondé en son appel,
- infirmer la décision en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [B] de toutes ses demandes, car il est régulièrement bénéficiaire d'un bail rural depuis l'année 2014 par suite de la cession qui lui a été faite par sa mère, Mme [D] [V], et qui s'est renouvelé à compter du 1er septembre 2019 pour le bail en cours se poursuivant jusqu'au 1er septembre 2028, et portant sur la parcelle située sur la commune de [Localité 6], cadastrée section [Cadastre 1] lieudit [Localité 4] d'une surface cadastrale de 7 ha 79 a 75 ca,
- faire, en conséquence, interdiction à Mme [B] de troubler de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, sa libre jouissance de la parcelle,
- déclarer Mme [B] irrecevable en ses demandes nouvelles au titre d'un préjudice moral et d'une indemnité d'occupation,
Subsidiairement,
- la déclarer mal fondée en ses demandes et l'en débouter,
- la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En soutenant, en substance, que :
- selon l'article L.411-1 du code rural, la preuve de l'existence d'un bail rural peut être apportée par tout moyen,
- la parcelle était exploitée jusqu'à la fin de l'année culturale 2009-2010 par le GAEC, devenu SCEA Schwabenhof,
- puis, Mme [B] a consenti à sa soeur, Mme [D] [V], un bail rural à compter de l'année culturale 2010-2011, ce qu'il établit en invoquant :
- le fait que celle-ci était déclarée auprès de la MSA en qualité de chef d'exploitation à compter du 1er septembre 2010 ;
- que les parties ont procédé à la mutation de transfert de terres auprès de la MSA au profit de cette dernière, comme il ressort du relevé d'exploitation au 1er janvier 2011 et au 1er janvier 2012 ;
- que Mme [V] a payé le fermage par chèque de 300 euros le 19 novembre 2011, date correspondant à celle du paiement des fermages, après la [Localité 5], soit le 11 novembre 2011 selon les usages applicables en la matière en Alsace, étant souligné que Mme [B] ne fournit pas d'autre explication sur la cause du paiement,
- les attestations de MM. [W] et [X] [G], associés du SCEA Schwabenhof,
- le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er septembre 2010 de cette SCEA qui corrobore ce premier témoignage,
- il n'est ainsi pas nécessaire d'apprécier la régularité de 'l'attestation de bail verbal', étant souligné que le sérieux de l'expert peut être interrogé compte tenu de ses constatations erronées,
- Mme [V] lui a cédé le bail conformément aux dispositions de l'article L.411-35 du code rural, à compter de l'année culturale 2013-2014, qui s'est renouvelé depuis le 1er septembre 2019, et ce avec l'accord de Mme [B], puisque :
- l'agrément du bailleur peut être tacite, ce qui a été le cas, compte tenu des liens de confiance qui existaient alors et des liens familiaux,
- les parcelles ont donné lieu à des déclarations PAC successives à son nom depuis l'année 2014, étant devenu exploitant à compter du 15 décembre 2013,
- dans son attestation, Mme [V] confirme ces circonstances,
- Mme [B] s'est manifestée pour contester l'existence du bail rural à son profit, après qu'une créance de salaire différée ait été demandée par Mme [V] dans le cadre du règlement de la succession de leur mère et payée le 24 février 2015,
- après avoir payé les fermages en espèces jusqu'en 2016, il lui a adressé en 2017 et 2018 des règlements par virements en tenant compte des dégrèvements sur la taxe foncière au titre des propriétés non bâties en application de l'article 1647/00 bis du code général des impôts et de l'article 109 de la loi du 30 décembre 1991, puis les fermages sans dégrèvement de 2019 à 2021, outre un règlement prorata temporis en 2022 compte tenu de l'obligation qui lui a été faite de libérer la parcelle le 25 août 2022,
- Mme [B] n'a jamais fait juger l'absence de bail entre elle-même et sa soeur, ni demandé la nullité du bail entre sa mère et lui-même, ni la résiliation judiciaire du bail pour cession prohibée,
- les demandes nouvelles sont irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile, et infondées en raison du bail, du paiement des fermages et de l'absence de preuve de préjudice, étant souligné qu'il s'est trouvé, par suite du caractère exécutoire du jugement, dans l'obligation de libérer la parcelle le 25 août 2022.
Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 avril 2024, Mme [B] demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
y ajoutant :
- condamner M. [V] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de préjudice moral et celle de 5 000 euros à titre d'indemnité d'occupation du bien au titre des cinq dernières années,
- rejeter les fins de non-recevoir développées par M. [V],
- les déclarer recevables et bien fondées,
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses fins et conclusions,
- le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux frais et dépens de l'instance d'appel,
en soutenant, en substance que :
- elle n'a jamais autorisé M. [V] à exploiter la parcelle, mais lui a demandé, en 2012, de la libérer, demande qu'elle a réitérée, notamment par lettres des 20 janvier et 21 décembre 2015,
- 'l'attestation de bail' verbal du 5 mai 2011 est un faux,
- elle n'a pas consenti de bail à sa soeur et fait valoir que :
- un relevé MSA ne vaut pas bail ;
- elle conteste que le chèque de 300 euros consiste en un chèque de fermage, celui-ci étant d'un montant bien plus élevé pour une telle parcelle et l'objet du paiement ne pouvant être déduit de la date du chèque ;
- les témoins n'apportent aucune preuve de l'existence du bail et elle conteste leurs affirmations ; M. [W] [G] était associé non exploitant de la SCEA et ne pouvait donc jouer aucun rôle dans 'l'attestation de bail verbal' ou la prétendue transmission d'exploitation de la SCEA à Mme [D] [V]; l'attestation de cette dernière n'est pas probante, celle-ci étant la mère du défendeur et directement impliquée dans les faits qui intéressent la procédure,
- même si Mme [V] avait été titulaire d'un bail rural, M. [V] ne pourrait pas revendiquer un bail à son nom, car le bail rural est incessible et ne peut être cédé à un descendant qu'avec l'accord préalable du propriétaire, ce qu'elle n'a jamais autorisé,
- le simple fait qu'il a exploité en s'imposant ne vaut pas preuve de bail, ni de cession de bail ; dès 2013, elle s'est opposée à son exploitation et le lui a rappelé par lettres des 28 avril 2014, 20 janvier et 21 décembre 2015,
- la déclaration PAC est unilatérale et si aucun autre exploitant n'a déclaré ces parcelles, c'est parce que M. [V] s'y était installé et s'y maintenait,
- elle n'allait pas demander la nullité d'une cession et la résiliation d'un bail dont elle conteste l'existence, mais a, au contraire, demandé son expulsion devant le tribunal judiciaire,
- M. [V] ne démontre pas l'existence d'un bail rural à son profit, car :
- il ne démontre pas un paiement, ni un encaissement du fermage,
- les seuls dégrèvements dont elle a bénéficié en 2015 et 2016 sont relatifs à la sécheresse et aux inondations ; les dégrèvements figurant sur les avis d'impôts 2014 à 2016 résultent du seul fait de M. [V], qu'elle n'a pas déclaré comme exploitant, outre que l'article 1647-00 alinéa 4 du code général des impôts ne fait référence qu'à l'exploitation par un jeune agriculteur, ce qui ne permet pas de prouver un bail, et il n'y avait pas lieu à dégrèvement puisqu'elle a payé les taxes foncières,
- les virements effectués après l'assignation ne permettent pas de prouver le bail et elle a en refusé un ;
- la résistance de M. [V], son comportement et la durée des procédures particulièrement longues lui causent un préjudice moral,
- elle subit en outre un préjudice matériel correspondant à l'occupation de son bien,
- ses demandes accessoires et conséquentes à l'occupation illicite de la parcelle sont recevables en application de l'article 566 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
L'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que « toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L.411-2. Cette disposition est d'ordre public », et que « la preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens ».
Ainsi, la preuve d'un bail rural suppose, à la charge de celui qui en sollicite la reconnaissance en justice, d'établir que le propriétaire d'un bien foncier agricole a accepté de le mettre à sa disposition à titre onéreux aux fins d'exploitation.
Selon l'article L.411-35 du code précité, alinéa 1er, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit (...) descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
En l'espèce, M. [V] soutient, d'abord, l'existence d'un bail rural entre sa mère, Mme [D] [V], et Mme [B], portant sur la parcelle en litige, puis, que ce bail lui a été transféré avec l'accord de Mme [B].
A supposer qu'il rapporte la preuve qu'un bail rural verbal a existé entre sa mère et Mme [B], il appartient à M. [V] de démontrer que cette dernière avait agréé la cession du bail à son propre bénéfice.
Mme [B] ne conteste pas qu'il exploite ladite parcelle et ce, depuis décembre 2013, comme il résulte d'ailleurs de sa déclaration de création d'une entreprise agricole.
Pour autant, M. [V] ne démontre pas l'existence d'un accord tacite de Mme [B] pour lui transférer le bail rural.
En effet, l'attestation de sa mère, Mme [V], a une faible valeur probante compte tenu du conflit opposant son fils à sa soeur, Mme [B], épouse [F], et n'est pas corroborée par d'autres éléments pris isolément ou en leur ensemble.
Les déclarations PAC effectuées depuis 2014 par M. [V], ainsi que sa déclaration de création d'une entreprise agricole, reprenant celle de Mme [V], sont insuffisantes, s'agissant de déclarations unilatérales, à démontrer un quelconque accord du propriétaire de la parcelle sur l'existence d'un bail au profit de ce dernier.
Le fait que M. [V] exploitait la parcelle depuis décembre 2013 est insuffisant à démontrer un tel agrément, en dépit de l'existence de relations familiales, étant relevé que Mme [B] justifie avoir contesté l'existence d'un bail la liant à M. [V], par lettre du 28 avril 2014, puis lui avoir adressé, par l'intermédiaire de son conseil, une mise en demeure en janvier 2015, réitérée le 21 décembre 2015, de cesser d'exploiter la parcelle qu'il exploite sans droit ni titre.
L'existence de dissensions familiales, invoquées par M. [V] dans le cadre du règlement de la succession de la mère de Mmes [B] et [V] est également insuffisante, à les supposer déjà existantes en avril 2014, pour considérer que Mme [B] avait agréé, dans un premier temps, le transfert de bail à son bénéfice avant de s'y opposer en raison de ces dissensions.
Il n'est d'ailleurs pas établi qu'il existait un accord des parties sur un paiement d'un fermage par M. [V] ou que Mme [B] ait accepté que les sommes qu'il lui a versées constituaient un fermage.
Avant que Mme [B] conteste par écrit l'existence d'un bail, M. [V] ne produit aucun élément montrant qu'il lui avait versé une quelconque somme.
Ce n'est que postérieurement à l'introduction de l'instance par Mme [B], que celui-ci justifie lui avoir versé des fonds. D'une part, il ne produit aucun élément permettant de considérer qu'il lui ait versé un fermage en espèces. D'autre part, il lui a fait signifier par huissier de justice, le 9 mars 2017, deux chèques de 673 euros au titre des fermages 2015 et 2016 de 800 euros déduction faite de dégrèvement de 127 euros pour 'jeune agriculteur', en précisant qu'il agissait ainsi car il n'entendait plus régler en espèces 'comme cela a été le cas en 2014 et 2013 à votre demande, suite au retour de son chèque qu'il vous avait adressé en règlement du fermage de 2013".
Or, une telle remise de chèques par huissier de justice ne suffit pas à démontrer un accord dénué d'équivoque de la part de M me [B] sur le paiement d'un fermage, et par suite de l'existence d'un bail la liant à M. [V], ce d'autant plus que M. [V] ne justifie pas que Mme [B] a bénéficié d'un dégrèvement de taxes foncières pour jeune agriculteur et si celle-ci a effectivement bénéficié en 2016 d'un dégrèvement de taxes foncières pour 2015 et 2016, elle justifie qu'il l'avait été pour pertes de récoltes, sécheresse et inondation et pour un autre montant que celui énoncé par M. [V].
Enfin, si Mme [B] ne conteste pas avoir reçu les virements invoqués par M. [V], sous les intitulés 'VIR F' suivi de l'année ou 'virement fermage' ou 'solde fermage' qu'il avait lui-même fait mentionner lors de la réalisation des opérations de virement, ces paiements ont été effectués à partir de l'année 2019, soit postérieurement à l'introduction de la présente instance et à la contestation de l'existence du bail par Mme [B], de sorte qu'ils ne permettent pas non plus de démontrer qu'ils correspondaient au paiement d'un fermage.
De surcroît, Mme [B] justifie avoir refusé le virement de 800 euros effectué le 13 novembre 2020 et l'avoir renvoyé en janvier 2021, lequel virement a été rejeté, le conseil de M. [V] indiquant à celui de Mme [B] qu'elle devait procéder par chèque si elle avait des fonds à lui remettre.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que M. [V] occupe la parcelle sans droit ni titre, et a ordonné son expulsion, et ce sous astreinte avec les modalités qu'il a fixées.
Par voie de conséquence, la demande de M. [V] tendant à faire interdiction à Mme [B] de troubler sa jouissance paisible sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
2. Sur les demandes en paiement formées par Mme [B] :
Les demandes en réparation du préjudice moral, ainsi que du préjudice résultant de l'occupation sans droit ni titre de la parcelle constituent des accessoires à la demande initiale tendant à l'expulsion de ladite parcelle.
Elles sont donc recevables.
Compte tenu de la nécessité pour Mme [B] d'engager une procédure du fait du maintien de M. [V] dans les lieux sans droit ni titre, et du stress qui en résulte, elle a subi, du fait fautif de ce dernier, un préjudice moral qui sera évalué à la somme de 500 euros, que celui-ci sera condamné à lui payer.
En outre, ayant occupé les lieux sans droit ni titre, il sera tenu au paiement d'une indemnité d'occupation, qui sera, compte tenu des caractéristiques de la parcelle, fixée à un montant de 800 euros par an.
M. [V] sera ainsi condamné au paiement de cette indemnité pour les cinq dernières années de son occupation, soit la somme totale de 4 000 euros.
3. Sur les frais et dépens :
Succombant, M. [V] sera condamné à supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d'appel.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a statué sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. A hauteur d'appel, M. [V] sera condamné, à ce titre, à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros et sa propre demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Saverne du 22 juillet 2022 ;
Y ajoutant :
Déclare recevables les demandes de Mme [P] [B] épouse [F] en réparation de son préjudice moral et en paiement d'une indemnité d'occupation ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F] la somme de 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F], la somme de 4 000 euros (quatre mille euros), à titre d'indemnité d'occupation de ladite parcelle, pour les cinq dernières années de son occupation ;
Condamne M. [Z] [V] à supporter les dépens d'appel ;
Condamne M. [Z] [V] à payer à Mme [P] [B] épouse [F] la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de M. [Z] [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,