CA Paris, Pôle 1 - ch. 8, 28 mars 2025, n° 24/15248
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 28 MARS 2025
(n° 97 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/15248 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJ7CQ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Août 2024 -Président du TJ de PARIS - RG n° 24 / 55074
APPELANTE
S.A.S. SOCIETE COLUNI, RCS de PARIS sous le n°775 688 070, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Ayant pour avocat plaidant Me Pierre-Edouard LAGRAULET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
LE SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DU [Adresse 1], représenté par son syndic, la S.A.S. MONTFORT ET BON,
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Me Laurent MEILLET de l'AARPI TALON MEILLET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Florence LAGEMI, Présidente de chambre, chargée du rapport,
Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère
Patrick BIROLLEAU, Magistrat Honoraire
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne PAMBO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Dans les années 1970, le terrain du [Adresse 3] à [Localité 7] a été divisé en deux lots : le lot numéro 1 constitué d'un immeuble, portant le numéro [Adresse 2] et se situant à l'arrière du lot numéro 2 portant les numéros 57 bis, 59, 61, 63, 65 et 67 dudit boulevard et donnant directement sur celui-ci.
Ce lot numéro 2 comportent des immeubles placés sous le statut de la copropriété et est grevé au profit du lot numéro 1, enclavé, d'une servitude de passage afin de permettre à ce dernier un accès à la voie publique.
La société Coluni est propriétaire de l'intégralité du lot numéro 1 dans lequel se trouve, notamment, une école accueillant de jeunes adultes et de lots dépendant de l'ensemble immobilier '[Adresse 9]' (lot numéro 2).
En 2004, l'assemblée générale des copropriétaires de l'ensemble immobilier du [Adresse 1] a autorisé, à la demande de la société Coluni et à son usage exclusif, l'installation de grilles de clôture afin de sécuriser les espaces collectifs.
Se plaignant de la présence de véhicules stationnant sous le porche reliant le lot numéro 1 au [Adresse 8], sur l'assiette de la servitude de passage, l'assemblée générale des copropriétaires a voté, le 9 février 2023, la réalisation de travaux de fermeture de l'emplacement sous le porche occupé par les deux roues. Une note d'information a été affichée afin d'indiquer que les travaux allaient débuter le 10 juillet 2024.
La société Coluni a engagé une action au fond visant à solliciter la nullité de cette résolution devant le tribunal judiciaire de Paris.
Le 10 juillet 2024, la zone occupée par des véhicules motorisés a été encadrée par des chaînes cadenassées reliées à des poteaux positionnés le long de la zone de stationnement contestée.
Se plaignant d'une atteinte à l'exercice de la servitude de passage et de la modification des conditions de sécurité incendie de l'immeuble situé sur le lot numéro 1, la société Coluni a assigné à heure indiquée, par acte du 17 juillet 2024, en vertu d'une ordonnance l'y ayant autorisée, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] (ci-après le syndicat des copropriétaires) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de remise en son état antérieur du porche de l'immeuble par la suppression des chaînes de clôture du passage mises en oeuvre par le syndicat des copropriétaires.
Par ordonnance du 2 août 2024, le premier juge a :
dit n'y avoir lieu à référé ;
rejeté les demandes formées par la société Coluni ;
rejeté la demande de dommages-intérêts formée par le syndicat des copropriétaires pour procédure abusive ;
condamné la société Coluni à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] à [Localité 7], dénommé [Adresse 9], représenté par son syndic en exercice, la société Montfort & Bon la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Coluni aux dépens de la présente instance avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Laurent Meillet.
Par déclaration du 19 août 2024, la société Coluni a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif, sauf celui relatif au rejet de la demande de dommages-intérêts formée par le syndicat des copropriétaires pour procédure abusive.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 janvier 2025, la société Coluni demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à référé et en ce qu'il a rejeté les demandes qu'elle a formées et l'a condamnée à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
En conséquence, statuant à nouveau,
ordonner la remise en état du porche de l'immeuble par la suppression des poteaux et chaînes de clôture du passage mise en 'uvre par le syndicat des copropriétaires, dans le délai de cinq jours à compter de la signification de la décision à intervenir et assortir cette condamnation d'une astreinte de 1.500 euros par jour de retard, à courir pendant 100 jours ;
condamner le syndicat des copropriétaires à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
débouter le syndicat des copropriétaires de l'ensemble de ses demandes ;
rappeler que, conformément à l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, le copropriétaire qui, à l'issue d'une instance judiciaire l'opposant au syndicat, voit sa prétention déclarée fondée par le juge, est dispensé de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge est répartie entre les autres copropriétaires.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 février 2025, le syndicat des copropriétaires demande à la cour de :
déclarer la société Coluni mal fondée en son appel ;
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
En tant que de besoin statuant à nouveau et y ajoutant,
rejeter la demande de la société Coluni de remise en état du passage par la suppression des chaînes encadrant la zone centrale ;
débouter la société Coluni de toutes ses demandes ;
condamner à titre incident la société Coluni au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
condamner la société Coluni à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Laurent Meillet conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 5 février 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent
Selon l'article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.
Selon l'article 701 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.
L'article 702 du même code énonce que de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier.
Il est constant qu'au regard de la situation d'enclave du lot numéro 1 de la société Coluni, celui-ci bénéficie d'une servitude de passage, 'pour piétons et véhicules avec passage double pour ces véhicules en conformité avec la réglementation des pompiers et au permis de construire'. Cette servitude s'exerce sur une bande de terrain reprise sous liseré orange dans les plans annexés à l'acte la constituant, entre le [Adresse 8] et la limite séparative des lots numéros 1 et 2. Il a été conventionnellement prévu que ce droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure par tous les propriétaires ou locataires du lot numéro 1 ou des lots qui proviendraient de la subdivision de ce lot.
Ainsi, ce droit de passage se situe entre le 57 bis et le [Adresse 5] ; sur la gauche, côté 57 bis, se trouve un passage dit 'pompier', permettant l'accès des véhicules, et, sur la droite, côté 65, se trouve le passage principalement à usage piétons mais pouvant aussi être utilisé par des véhicules, fermé à son entrée par une grille avec porte. Se trouve, entre les deux passages, une zone fermée sur trois côtés dont l'un est assorti d'une grille avec porte donnant sur le passage pompier.
Il a été constaté par le syndicat des copropriétaires que dans la zone centrale, sous le porche, ne faisant l'objet d'aucune affectation mais étant comprise dans l'assiette de la servitude de passage, des véhicules deux roues stationnaient, lui permettant ainsi de considérer que la société Coluni utilisait ce porche non pas seulement comme un droit de passage pour piétons et véhicules, mais aussi comme un espace de stationnement de véhicules motorisés.
Cette situation est établie, notamment, par le procès-verbal de constat du 16 octobre 2023, qui démontre, d'une part, le stationnement de véhicules motorisés (scooter/moto) et, d'autre part, que leurs propriétaires fréquentaient, pour la plupart, l'immeuble appartenant à la société Coluni.
Afin d'éviter ce stationnement, le syndicat des copropriétaires a donc entrepris de clore cet espace en faisant poser des poteaux verticaux métalliques, solidement fixés au sol, et en y accrochant des chaînes cadenassées. Le syndicat des copropriétaires indique, sans être contredit, avoir remis à la société Coluni les clés des cadenas.
La société Coluni soutient que la fermeture de la zone centrale du passage sous porche porte atteinte à la servitude de passage dont elle bénéficie dès lors que cette fermeture a pour effet de restreindre l'emprise de la servitude de 51 m² environ, ce qui, au surplus, entrave la communication entre la voie 'pompier' et la voie d'accès à son immeuble et a pour effet de dégrader la sécurité incendie.
A cet égard, elle indique que, sous le porche, la zone rendue inaccessible, empêche l'accès des secours à son lot, cet accès pouvant se faire tant par la voie 'pompier' que par la voie d'accès principal, ce qui met en danger les personnes fréquentant l'établissement scolaire dans la mesure les services de secours ne pourraient aisément les faire évacuer.
Elle fait aussi valoir que les conditions d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite doivent être préservées depuis le porche jusqu'à l'entrée de l'établissement, lesquelles ne le sont plus depuis la clôture de la zone litigieuse, ce qui constitue un dommage imminent résultant du risque de fermeture de celui-ci.
Elle se fonde sur une note d'analyse du bureau d'études Casso & Associés qui préconise de :
retirer les poteaux et toutes les chaînes pouvant créer un risque de blessures et restreindre l'accès à la zone par un mobilier urbain difficile à déplacer,
permettre la sortie des occupants par le dégagement accessoire 'local à vélo' en cas d'évacuation, un marquage au sol devant être réalisé pour identifier le cheminement afin de le maintenir dégagé.
Mais, les photographies jointes aux procès-verbaux de constat produits et celles versées aux débats établissent que les voies de passage 'pompier' et piétons sont parfaitement préservées, les poteaux et chaînes ayant été posés le long d'une ligne jaune délimitant la voie d'accès piétons et l'intérieur de l'espace séparant l'autre voie destinée aux véhicules. En revanche, le passage transversal entre ces deux voies est désormais fermé.
Il est rappelé que le syndicat des copropriétaires n'est débiteur envers la société Coluni que d'un droit de passage qui, au regard des éléments produits, apparaît respecté, les voies de circulation véhicules et piétons permettant au lot numéro 1 de la société Coluni d'accéder au [Adresse 8] étant parfaitement dégagées et libres d'accès.
La fermeture de la zone litigieuse, qui certes est comprise dans l'assiette de la servitude, a mis fin à son occupation qui n'était justifiée par aucun titre, la société Coluni ne disposant en effet d'aucun droit autre que le passage et ne pouvant imposer au syndicat des copropriétaires, propriétaire de l'assiette du passage, une aire de stationnement pour elle-même ou les personnes fréquentant l'établissement scolaire et les bureaux qu'elle héberge.
La société Coluni ne démontre pas le risque constitué par la fermeture de cet espace tant pour la sécurité incendie que pour l'accessibilité à son lot des personnes à mobilité réduite.
Le risque relevé par la société Casso & Associés quant à l'évacuation des occupants, par 'l'effet d'entonnoir' résultant de la nature et de la hauteur d'implantation des poteaux et par l'impossibilité d'accéder à une sortie possible par le portail de 0,93 m de large donnant sur la voie 'pompier', n'est pas suffisamment étayé pour permettre de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite causé par la fermeture litigieuse. La cour relève, en tout état de cause, que l'occupation antérieure de cet espace par des véhicules motorisés en stationnement était de nature à empêcher toute évacuation. A cet égard, les photographies annexées au procès-verbal de constat du 16 octobre 2023, en pages 16 et 17, et celle annexée au procès-verbal de constat du 24 novembre 2022 établissent la présence de motocyclettes devant le portail d'accès à l'autre voie de circulation.
Le dommage imminent invoqué quant à un éventuel risque de fermeture des établissements situés dans le lot numéro 1, pour une atteinte portée à l'accès des personnes à mobilité réduite, n'est pas davantage établi dès lors que les voies d'accès ne sont pas obstruées.
Par ailleurs, la société Coluni ne saurait sérieusement prétendre qu'il appartenait au syndicat des copropriétaires 'de faire la police du lieu' et de faire intervenir la fourrière pour enlever les véhicules stationnant sans droit ni titre, dès lors qu'elle devait respecter elle-même les conditions de la servitude de passage et les termes du règlement de copropriété, qui ne lui confèrent aucun droit d'occupation d'une partie de l'assiette de la servitude.
En tout état de cause, il est relevé que le syndicat des copropriétaires a demandé à la société Coluni, préalablement aux travaux litigieux, de faire cesser l'occupation illicite du passage, a voté, lors de l'assemblée générale du 9 février 2023, la fermeture de cet espace, a engagé une procédure en référé à son encontre afin de lui enjoindre de respecter l'interdiction de tout stationnement de véhicules sous le porche de l'immeuble, procédure dont elle s'est désistée du fait des travaux de fermeture, et a fait apposer sur les murs du passage une note rappelant aux propriétaires des véhicules de ne plus y stationner, étant encore relevé qu'il avait été également apposé sur les piliers de cette partie du porche la présence de plusieurs panneaux d'interdiction de stationner.
Ainsi, faute de justifier de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent causé par la fermeture de la zone centrale du passage alors, au surplus, qu'il n'est pas contesté que la société Coluni dispose des clés des cadenas des chaînes remises par le syndicat des copropriétaires, celle-ci ne peut être que déboutée de ses demandes.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts
Le syndicat des copropriétaires sollicite la condamnation de la société Coluni au paiement de la somme de 10.000 euros en raison du caractère dilatoire et déloyal de la procédure qu'elle a engagée alors qu'elle porte atteinte à l'usage des parties communes et aux conditions d'exercice de la servitude.
Cependant, l'action en justice, comme l'exercice du droit d'appel, ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable. Ces exigences n'étant pas satisfaites en l'espèce, le syndicat des copropriétaires sera débouté de sa demande. L'ordonnance sera donc confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés.
Succombant en ses prétentions, la société Coluni supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer au syndicat des copropriétaires, contraint d'exposer des frais irrépétibles devant la juridiction du second degré, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Condamne la société Coluni aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Coluni à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à [Localité 7] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRÊT DU 28 MARS 2025
(n° 97 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/15248 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJ7CQ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Août 2024 -Président du TJ de PARIS - RG n° 24 / 55074
APPELANTE
S.A.S. SOCIETE COLUNI, RCS de PARIS sous le n°775 688 070, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Ayant pour avocat plaidant Me Pierre-Edouard LAGRAULET, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
LE SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DU [Adresse 1], représenté par son syndic, la S.A.S. MONTFORT ET BON,
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Me Laurent MEILLET de l'AARPI TALON MEILLET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Florence LAGEMI, Présidente de chambre, chargée du rapport,
Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère
Patrick BIROLLEAU, Magistrat Honoraire
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne PAMBO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Dans les années 1970, le terrain du [Adresse 3] à [Localité 7] a été divisé en deux lots : le lot numéro 1 constitué d'un immeuble, portant le numéro [Adresse 2] et se situant à l'arrière du lot numéro 2 portant les numéros 57 bis, 59, 61, 63, 65 et 67 dudit boulevard et donnant directement sur celui-ci.
Ce lot numéro 2 comportent des immeubles placés sous le statut de la copropriété et est grevé au profit du lot numéro 1, enclavé, d'une servitude de passage afin de permettre à ce dernier un accès à la voie publique.
La société Coluni est propriétaire de l'intégralité du lot numéro 1 dans lequel se trouve, notamment, une école accueillant de jeunes adultes et de lots dépendant de l'ensemble immobilier '[Adresse 9]' (lot numéro 2).
En 2004, l'assemblée générale des copropriétaires de l'ensemble immobilier du [Adresse 1] a autorisé, à la demande de la société Coluni et à son usage exclusif, l'installation de grilles de clôture afin de sécuriser les espaces collectifs.
Se plaignant de la présence de véhicules stationnant sous le porche reliant le lot numéro 1 au [Adresse 8], sur l'assiette de la servitude de passage, l'assemblée générale des copropriétaires a voté, le 9 février 2023, la réalisation de travaux de fermeture de l'emplacement sous le porche occupé par les deux roues. Une note d'information a été affichée afin d'indiquer que les travaux allaient débuter le 10 juillet 2024.
La société Coluni a engagé une action au fond visant à solliciter la nullité de cette résolution devant le tribunal judiciaire de Paris.
Le 10 juillet 2024, la zone occupée par des véhicules motorisés a été encadrée par des chaînes cadenassées reliées à des poteaux positionnés le long de la zone de stationnement contestée.
Se plaignant d'une atteinte à l'exercice de la servitude de passage et de la modification des conditions de sécurité incendie de l'immeuble situé sur le lot numéro 1, la société Coluni a assigné à heure indiquée, par acte du 17 juillet 2024, en vertu d'une ordonnance l'y ayant autorisée, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] (ci-après le syndicat des copropriétaires) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de remise en son état antérieur du porche de l'immeuble par la suppression des chaînes de clôture du passage mises en oeuvre par le syndicat des copropriétaires.
Par ordonnance du 2 août 2024, le premier juge a :
dit n'y avoir lieu à référé ;
rejeté les demandes formées par la société Coluni ;
rejeté la demande de dommages-intérêts formée par le syndicat des copropriétaires pour procédure abusive ;
condamné la société Coluni à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] à [Localité 7], dénommé [Adresse 9], représenté par son syndic en exercice, la société Montfort & Bon la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Coluni aux dépens de la présente instance avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Laurent Meillet.
Par déclaration du 19 août 2024, la société Coluni a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif, sauf celui relatif au rejet de la demande de dommages-intérêts formée par le syndicat des copropriétaires pour procédure abusive.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 janvier 2025, la société Coluni demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à référé et en ce qu'il a rejeté les demandes qu'elle a formées et l'a condamnée à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
En conséquence, statuant à nouveau,
ordonner la remise en état du porche de l'immeuble par la suppression des poteaux et chaînes de clôture du passage mise en 'uvre par le syndicat des copropriétaires, dans le délai de cinq jours à compter de la signification de la décision à intervenir et assortir cette condamnation d'une astreinte de 1.500 euros par jour de retard, à courir pendant 100 jours ;
condamner le syndicat des copropriétaires à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
débouter le syndicat des copropriétaires de l'ensemble de ses demandes ;
rappeler que, conformément à l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, le copropriétaire qui, à l'issue d'une instance judiciaire l'opposant au syndicat, voit sa prétention déclarée fondée par le juge, est dispensé de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge est répartie entre les autres copropriétaires.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 février 2025, le syndicat des copropriétaires demande à la cour de :
déclarer la société Coluni mal fondée en son appel ;
confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
En tant que de besoin statuant à nouveau et y ajoutant,
rejeter la demande de la société Coluni de remise en état du passage par la suppression des chaînes encadrant la zone centrale ;
débouter la société Coluni de toutes ses demandes ;
condamner à titre incident la société Coluni au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
condamner la société Coluni à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Laurent Meillet conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 5 février 2025.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent
Selon l'article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit et le dommage imminent s'entend de celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée perdure.
Selon l'article 701 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à la rendre plus incommode. Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.
L'article 702 du même code énonce que de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire ni dans le fonds qui doit la servitude ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier.
Il est constant qu'au regard de la situation d'enclave du lot numéro 1 de la société Coluni, celui-ci bénéficie d'une servitude de passage, 'pour piétons et véhicules avec passage double pour ces véhicules en conformité avec la réglementation des pompiers et au permis de construire'. Cette servitude s'exerce sur une bande de terrain reprise sous liseré orange dans les plans annexés à l'acte la constituant, entre le [Adresse 8] et la limite séparative des lots numéros 1 et 2. Il a été conventionnellement prévu que ce droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure par tous les propriétaires ou locataires du lot numéro 1 ou des lots qui proviendraient de la subdivision de ce lot.
Ainsi, ce droit de passage se situe entre le 57 bis et le [Adresse 5] ; sur la gauche, côté 57 bis, se trouve un passage dit 'pompier', permettant l'accès des véhicules, et, sur la droite, côté 65, se trouve le passage principalement à usage piétons mais pouvant aussi être utilisé par des véhicules, fermé à son entrée par une grille avec porte. Se trouve, entre les deux passages, une zone fermée sur trois côtés dont l'un est assorti d'une grille avec porte donnant sur le passage pompier.
Il a été constaté par le syndicat des copropriétaires que dans la zone centrale, sous le porche, ne faisant l'objet d'aucune affectation mais étant comprise dans l'assiette de la servitude de passage, des véhicules deux roues stationnaient, lui permettant ainsi de considérer que la société Coluni utilisait ce porche non pas seulement comme un droit de passage pour piétons et véhicules, mais aussi comme un espace de stationnement de véhicules motorisés.
Cette situation est établie, notamment, par le procès-verbal de constat du 16 octobre 2023, qui démontre, d'une part, le stationnement de véhicules motorisés (scooter/moto) et, d'autre part, que leurs propriétaires fréquentaient, pour la plupart, l'immeuble appartenant à la société Coluni.
Afin d'éviter ce stationnement, le syndicat des copropriétaires a donc entrepris de clore cet espace en faisant poser des poteaux verticaux métalliques, solidement fixés au sol, et en y accrochant des chaînes cadenassées. Le syndicat des copropriétaires indique, sans être contredit, avoir remis à la société Coluni les clés des cadenas.
La société Coluni soutient que la fermeture de la zone centrale du passage sous porche porte atteinte à la servitude de passage dont elle bénéficie dès lors que cette fermeture a pour effet de restreindre l'emprise de la servitude de 51 m² environ, ce qui, au surplus, entrave la communication entre la voie 'pompier' et la voie d'accès à son immeuble et a pour effet de dégrader la sécurité incendie.
A cet égard, elle indique que, sous le porche, la zone rendue inaccessible, empêche l'accès des secours à son lot, cet accès pouvant se faire tant par la voie 'pompier' que par la voie d'accès principal, ce qui met en danger les personnes fréquentant l'établissement scolaire dans la mesure les services de secours ne pourraient aisément les faire évacuer.
Elle fait aussi valoir que les conditions d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite doivent être préservées depuis le porche jusqu'à l'entrée de l'établissement, lesquelles ne le sont plus depuis la clôture de la zone litigieuse, ce qui constitue un dommage imminent résultant du risque de fermeture de celui-ci.
Elle se fonde sur une note d'analyse du bureau d'études Casso & Associés qui préconise de :
retirer les poteaux et toutes les chaînes pouvant créer un risque de blessures et restreindre l'accès à la zone par un mobilier urbain difficile à déplacer,
permettre la sortie des occupants par le dégagement accessoire 'local à vélo' en cas d'évacuation, un marquage au sol devant être réalisé pour identifier le cheminement afin de le maintenir dégagé.
Mais, les photographies jointes aux procès-verbaux de constat produits et celles versées aux débats établissent que les voies de passage 'pompier' et piétons sont parfaitement préservées, les poteaux et chaînes ayant été posés le long d'une ligne jaune délimitant la voie d'accès piétons et l'intérieur de l'espace séparant l'autre voie destinée aux véhicules. En revanche, le passage transversal entre ces deux voies est désormais fermé.
Il est rappelé que le syndicat des copropriétaires n'est débiteur envers la société Coluni que d'un droit de passage qui, au regard des éléments produits, apparaît respecté, les voies de circulation véhicules et piétons permettant au lot numéro 1 de la société Coluni d'accéder au [Adresse 8] étant parfaitement dégagées et libres d'accès.
La fermeture de la zone litigieuse, qui certes est comprise dans l'assiette de la servitude, a mis fin à son occupation qui n'était justifiée par aucun titre, la société Coluni ne disposant en effet d'aucun droit autre que le passage et ne pouvant imposer au syndicat des copropriétaires, propriétaire de l'assiette du passage, une aire de stationnement pour elle-même ou les personnes fréquentant l'établissement scolaire et les bureaux qu'elle héberge.
La société Coluni ne démontre pas le risque constitué par la fermeture de cet espace tant pour la sécurité incendie que pour l'accessibilité à son lot des personnes à mobilité réduite.
Le risque relevé par la société Casso & Associés quant à l'évacuation des occupants, par 'l'effet d'entonnoir' résultant de la nature et de la hauteur d'implantation des poteaux et par l'impossibilité d'accéder à une sortie possible par le portail de 0,93 m de large donnant sur la voie 'pompier', n'est pas suffisamment étayé pour permettre de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite causé par la fermeture litigieuse. La cour relève, en tout état de cause, que l'occupation antérieure de cet espace par des véhicules motorisés en stationnement était de nature à empêcher toute évacuation. A cet égard, les photographies annexées au procès-verbal de constat du 16 octobre 2023, en pages 16 et 17, et celle annexée au procès-verbal de constat du 24 novembre 2022 établissent la présence de motocyclettes devant le portail d'accès à l'autre voie de circulation.
Le dommage imminent invoqué quant à un éventuel risque de fermeture des établissements situés dans le lot numéro 1, pour une atteinte portée à l'accès des personnes à mobilité réduite, n'est pas davantage établi dès lors que les voies d'accès ne sont pas obstruées.
Par ailleurs, la société Coluni ne saurait sérieusement prétendre qu'il appartenait au syndicat des copropriétaires 'de faire la police du lieu' et de faire intervenir la fourrière pour enlever les véhicules stationnant sans droit ni titre, dès lors qu'elle devait respecter elle-même les conditions de la servitude de passage et les termes du règlement de copropriété, qui ne lui confèrent aucun droit d'occupation d'une partie de l'assiette de la servitude.
En tout état de cause, il est relevé que le syndicat des copropriétaires a demandé à la société Coluni, préalablement aux travaux litigieux, de faire cesser l'occupation illicite du passage, a voté, lors de l'assemblée générale du 9 février 2023, la fermeture de cet espace, a engagé une procédure en référé à son encontre afin de lui enjoindre de respecter l'interdiction de tout stationnement de véhicules sous le porche de l'immeuble, procédure dont elle s'est désistée du fait des travaux de fermeture, et a fait apposer sur les murs du passage une note rappelant aux propriétaires des véhicules de ne plus y stationner, étant encore relevé qu'il avait été également apposé sur les piliers de cette partie du porche la présence de plusieurs panneaux d'interdiction de stationner.
Ainsi, faute de justifier de l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent causé par la fermeture de la zone centrale du passage alors, au surplus, qu'il n'est pas contesté que la société Coluni dispose des clés des cadenas des chaînes remises par le syndicat des copropriétaires, celle-ci ne peut être que déboutée de ses demandes.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts
Le syndicat des copropriétaires sollicite la condamnation de la société Coluni au paiement de la somme de 10.000 euros en raison du caractère dilatoire et déloyal de la procédure qu'elle a engagée alors qu'elle porte atteinte à l'usage des parties communes et aux conditions d'exercice de la servitude.
Cependant, l'action en justice, comme l'exercice du droit d'appel, ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol ou encore de légèreté blâmable. Ces exigences n'étant pas satisfaites en l'espèce, le syndicat des copropriétaires sera débouté de sa demande. L'ordonnance sera donc confirmée de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés.
Succombant en ses prétentions, la société Coluni supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer au syndicat des copropriétaires, contraint d'exposer des frais irrépétibles devant la juridiction du second degré, la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Condamne la société Coluni aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Coluni à payer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 1] à [Localité 7] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT