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Décisions

CA Grenoble, ch. soc. A, 1 avril 2025, n° 22/04575

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

XPO Distribution France (SASU)

Défendeur :

Federation generale des transports et de l'environnement - CFDT, Federation nationale des transports et de la logistique force ouvriere, Federation UNSA transport

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delavenay

Conseillers :

M. Blanc, Mme Blondeau-Patissier

Avocats :

Me Grimaud, Me Guillouet, Me Nieuviarts, Me Soumeire

TJ Valence, du 13 déc. 2022, n° 20/01570

13 décembre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société XPO distribution France est une société du groupe XPO Logistics qui exerce une activité principale de transport de marchandises sur palettes.

Elle emploie approximativement 2 600 salariés, dont 1 130 conducteurs, et dispose de 27 sites de distribution, répartis sur l'ensemble du territoire national.

Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

L'article D.3312-45 du code des transports fixe les durées de travail hebdomadaire des personnels roulants de façon différente, selon leur appartenance à la catégorie " grands routiers " ou " longue distance " (43 heures), à la catégorie des autres personnels roulants à l'exception des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds, ou conducteurs " courte distance " (39 heures), ou à celle des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds (35 heures).

Par lettre de leur conseil datée du 4 juin 2020, la Fédération Nationale des Transports et de la Logistique Force Ouvrière - UNCP (ci-après la FNTL-UNCP), la Fédération UNSA Transport, l'Union locale CGT d'[Localité 8] et la Fédération générale des transports et de l'environnement - CFDT (ci-après la FGTE-CFDT) ont sollicité auprès du directeur général et du directeur des ressources humaines de la société XPO distribution France l'ouverture d'une négociation aux fins qu'ils ne se voient plus appliquer le statut de conducteur routier courte ou longue distance, soumis à une durée légale de 43 heures par semaine, mais celui de conducteurs de messagerie, soumis à une durée légale de travail de 35 heures par semaine.

Par courriel du 23 juin 2020, la société XPO distribution France a répondu qu'elle ne souhaitait pas ouvrir une négociation sur le sujet.

Par acte d'huissier en date du 22 juin 2020, la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA Transport, la FGTE-CFDT et l'Union locale CGT d'Evry ont fait assigner la société XPO distribution France devant le tribunal judiciaire de Valence afin de voir condamner la société XPO distribution France à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie et à régulariser toutes les conséquences de l'absence d'application du statut de conducteur de messagerie pour les années passées, et obtenir paiement de dommages et intérêts.

Par ordonnance en date du 25 mars 2021, le juge de la mise en état, saisi de conclusions d'incident déposées par la société XPO distribution France, a prononcé la nullité de l'assignation délivrée par l'Union locale CGT d'[Localité 8] pour défaut de pouvoir régulier, a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société XPO Distribution France à l'encontre des autres demandeurs et a renvoyé l'affaire en audience collégiale afin qu'il soit statué sur la fin de non-recevoir soulevée par la société XPO distribution France et le cas échéant, sur les questions de fond préalables à son règlement.

Par jugement en date du 28 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Valence, statuant sur l'incident, a jugé l'ensemble des demandes recevables, excepté celle tendant à voir régulariser la situation des salariés au titre des années passées.

Suivant jugement du 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Valence a :

- Dit que la société XPO Distribution France exerce une activité de messagerie, au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D 3312-45-3° du code des transports ;

- Dit que les conducteurs "Mission commerciale " et "Véhicule Léger", présents dans l'entreprise, remplissent les conditions fixées par l'article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

En conséquence,

- Enjoint à la société XPO Distribution France d'appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs "Mission commerciale " et "Véhicule Léger" présents dans l'entreprise, dans un délai de six mois à compter de la signification de la présente

décision et avec effet rétroactif à compter de cette signification ;

- Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

- Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA Transport et à la FGTE-CFDT la somme de 5.000,00 ' chacune à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;

- Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA TRANSPORT et la FGTE-CFDT la somme de 2.000,00 ' chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société XPO Distribution France aux entiers dépens de l'instance.

Copie exécutoire a été délivrée par le greffe le 13 décembre 2022.

Par déclaration en date du 20 décembre 2022, la société XPO distribution France a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Les fédérations FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT ont formé appel incident.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, la société XPO distribution France sollicite de la cour de :

" Vu les articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45 3° du code des transports ;

Vu les pièces versées aux débats ;

Vu la jurisprudence citée à l'appui des présentes conclusions ;

Juger la société XPO Distribution France recevable et bien fondée en son appel ;

Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Valence le 13 décembre 2022 en ce qu'il a dit que la société exerce une activité de messagerie au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45-3° du code des transports et que les conducteurs " Mission commerciale " et " Véhicule Léger ", présents dans l'entreprise, remplissent les conditions fixées par l'article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Enjoint à la société XPO Distribution France d'appliquer la règlementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs " Mission commerciale " et " Véhicule Léger " présents dans l'entreprise, dans un délai de six mois à compter de la signification de la décision et avec effet rétroactif à compter de cette signification ;

- Condamné la société à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA transport et à la FGTE-CFDT la somme de 5.000 ' chacune à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;

- Condamné la société XPO Distribution France à payer à la FNTL-UNCP, à la Fédération UNSA transport et à la FGTE-CFDT la somme de 2.000 ' chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société XPO Distribution France aux entiers dépens de l'instance ;

En conséquence, statuant à nouveau :

Juger que la société XPO Distribution France n'est pas une entreprise de messagerie au sens des articles D. 3312-36 alinéa 2 et D. 3312-45 3° du code du travail ;

Juger que les conducteurs " Mission commerciale " et " Véhicule Léger " ne sont pas des conducteurs de messagerie ne remplissent pas les conditions fixées par l'article D. 3312-36 du Code des transports pour bénéficier du statut de conducteurs de messagerie ;

Débouter la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT de l'ensemble de leurs demandes ;

Condamner solidairement la FNTL-UNCP, la Fédération UNSA transport et la FGTE-CFDT à verser à la société XPO distribution France la somme de 5.000 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Les condamner aux entiers dépens. "

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT sollicitent de la cour de :

" Vu :

L'article 789 du Code de Procédure Civile,

L'article L2132-3 du Code du travail,

L'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article D 3312-36 alinéa 3 du Code des Transports ;

Vu l'article R 3312-48 du Code des Transports ;

Vu la décision de l'Autorité de la Concurrence n° 15-D-19 rendue le 15 décembre 2015 ;

Vu l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 19 juillet 2018 n°16/01270 ;

La jurisprudence précitée,

Les pièces annexées.

Il est demandé à la Cour de :

Les intimés demandent à la Cour de confirmer le jugement sur les points suivants :

- Dit que la société XPO distribution France exerce une activité de messagerie au sens des articles D 3312-36 alinéa 2 et D 3312-45-3 du code des Transports ;

- Dit que les conducteurs " Mission commerciale " et " Véhicule Léger " présents dans l'entreprise, remplissent les conditions fixées par l'article D. 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie ;

- Enjoint la société XPO distribution France d'appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à toutes les conducteurs " Mission commerciale et " Véhicule Léger " présents dans l'entreprise ;

- Condamne la société XPO distribution France à payer à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT des dommages et intérêts ;

- Condamne la société XPO distribution France à payer à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT un article 700 ;

- Condamne aux entiers dépens.

Les intimés demandent à la Cour d'infirmer le jugement en ce que :

- Il a débouté les intimés de la demande d'astreinte et demandent à la Cour de condamner la société XPO distribution à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à ses conducteurs " Mission Commerciale " et " Véhicule Léger " sous astreinte de 100.000 ' par mois de retard à compter de l'arrêt ;

- il a limité les dommages et intérêts alloués à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT à 5000 ' et demandent à la Cour de les condamner aux lieu et place à verser 15.000 ' de dommages et intérêts à la FNTL-UNCP ainsi qu'à la FGTE-CFDT ;

- il a limité le montant de l'article 700 à 2000 ' à la FNTL-UNCP et la FGTE-CFDT et demandent à la cour de les condamner aux lieu et place à verser 5.660 ' au titre de l'article 700 à la FNTL-UNCP ainsi qu'à la FGTE-CFDT. "

La Fédération UNSA transport, qui s'est vue signifier la déclaration d'appel et les premières conclusions de l'appel par acte de commissaire de justice remis à personne le 21 mars 2023, n'a pas constitué avocat.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient, au visa de l'article 455 du code de procédure civile, de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 décembre 2024.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 15 janvier 2025, a été mise en délibéré au 1er avril 2025.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1 - Sur la demande tendant à voir dire que la société XPO distribution France exerce une activité de messagerie au sens des articles D 3312-36 alinéa 2 et D 3312-45 du code des transports

L'article D 3312-36 du code des transports dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017 dispose:

" Les personnels roulants marchandises "grands routiers" ou "longue distance" sont les personnels roulants affectés, dans les transports routiers de marchandises, à des services comportant au moins six repos quotidiens par mois hors du domicile et les personnels roulants affectés, dans les entreprises de déménagement, à des services comportant au moins quarante repos quotidiens par an hors du domicile. Cette définition peut être adaptée ou modifiée par accord collectif de branche.

Les conducteurs de messagerie sont les personnels roulants affectés, à titre principal, à des services organisés de messagerie, d'enlèvement et de livraison de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant, pour une même expédition de domicile à domicile, des opérations de groupage et de dégroupage, et comportant des contraintes particulières de délais de livraison.

Les convoyeurs de fonds sont les personnels roulants affectés à des services de transport de fonds, de bijoux ou de métaux précieux "

L'article D 3312-45 du même code dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017 énonce :

" La durée de travail, dénommée temps de service, correspondant à la durée légale du travail ou réputée équivalente à celle-ci en application de l'article L. 3121-13 du code du travail, est fixée à :

1° Quarante-trois heures par semaine, soit cinq cent cinquante-neuf heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article D. 3312-41, pour les personnels roulants " grands routiers " ou " longue distance " ;

2° Trente-neuf heures par semaine, soit cinq cent sept heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article D. 3312-41, pour les autres personnels roulants, à l'exception des conducteurs de messagerie et des convoyeurs de fonds ;

3° Trente-cinq heures par semaine, soit quatre cent cinquante-cinq heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l'article D. 3312-41, pour les conducteurs de messagerie et les convoyeurs de fonds. "

Il ressort de ces dispositions que les conducteurs de messagerie sont des personnels roulants affectés, à titre principal, à des services organisés de messagerie, d'enlèvement et de livraison de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant, pour une même expédition de domicile à domicile, des opérations de groupage et de dégroupage, et comportant des contraintes spécifiques de délais de livraison et ce, indépendamment du type de véhicule utilisé, du volume et du conditionnement de la marchandise transportée (Soc., 25 mai 2022, pourvoi n° 20-18.089).

Le groupage consiste à prendre en charge des colis ou lots dans une zone géographique de chargement, puis à les grouper par grandes zones géographiques de destinations. Le dégroupage désigne la réception de marchandises ou lots d'une ou plusieurs destinations qui sont dégroupés afin d'être répartis dans des tournées de livraisons qui les achemineront vers le destinataire final.

Au contraire, le transport de marchandises consiste à acheminer des lots d'un client expéditeur à un client destinataire, sans rupture de charge.

Il appartient aux organisations syndicales qui le revendiquent de démontrer que l'activité principale de la société XPO distribution France remplit les critères de la messagerie.

Les organisations syndicales soutiennent que les deux caractéristiques à prendre en compte par application de l'article D. 3312-36 du code des transports pour distinguer la messagerie des autres branches du transport sont :

- l'organisation en réseau permettant de mettre en place des opérations de groupage et de dégroupage, impliquant une rupture de charge, contrairement aux autres branches du transport qui impliquent un transport d'un expéditeur à un destinataire sans rupture de charge,

- l'existence de contraintes en matière de livraison.

A ce titre, elles se réfèrent à un arrêt prononcé par la cour d'appel de Paris le 19 juillet 2018 (n°16/01270) qui a confirmé une décision de l'Autorité de la Concurrence n° 15-D-19 rendue le 15 décembre 2015, laquelle, à la suite de deux demandes de clémence formées par la société Deutsche Bahn et ses filiales, s'est, sur la proposition d'un rapporteur général adjoint, saisie d'office de pratiques mises en oeuvre, d'une part, dans le secteur de la messagerie classique et, d'autre part, dans celui de la messagerie expresse et, pour ce qui concerne la société XPO distribution France, a retenu qu'elle avait enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du TFUE en ce qu'elle avait participé à une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express, visant à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles, et lui a infligé une sanction pécuniaire à ce titre.

Dans sa décision dans sa décision n°15-D-19 du 15 décembre 2015 l'Autorité de la Concurrence a notamment considéré que :

" La messagerie palette est une prestation particulière de la messagerie classique et ne concerne que des colis posés sur des palettes. Il s'agit généralement de fret d'un poids plus important, d'au moins 200 kg avec un poids moyen d'une tonne. La distinction entre messagerie traditionnelle et messagerie rapide n'est toutefois pas opérante pour un grand nombre d'entreprises du secteur. En effet, les acteurs du secteur proposent généralement une prestation standard de messagerie, qui peut éventuellement être complétée par des garanties supplémentaires ou un meilleur suivi. De même, pour un grand nombre d'acteurs, la messagerie palette est incluse dans les prestations de messagerie classique. Cependant certaines entreprises se sont spécialisées dans ce type de transport. Dans la présente décision, la messagerie traditionnelle, la messagerie rapide et la messagerie palette seront donc, sauf mention contraire, intégrées dans la notion de messagerie classique. "

Dans son arrêt du 19 juillet 2018, la cour d'appel de Paris a notamment retenu :

" 288. ['] Il apparaît que le critère déterminant de la délimitation du secteur de la messagerie de colis ne consiste pas dans le mode de conditionnement des colis (présence/absence de palettes), mais bien dans le poids total des colis transportés (inférieur à 3 tonnes).

289. La cour constate, d'autre part que plusieurs éléments démontrent le caractère substituable au regard de la demande, des prestations de messagerie classique et de transport palettisé.

[']

291. La continuité entre les 2 services se vérifie, par ailleurs, par la circonstance que nombre d'entreprises de messagerie proposent également des palettes dans le cadre de leur offre de messagerie. [']

292. Il résulte de ces constatations que le transport palettisé de messagerie doit être considérées comme relevant du secteur de la messagerie classique. En conséquence, la société XPO, quoique n'offrant que des services de transport palettisé, n'en est pas moins dans une situation de concurrence avec les autres entreprises du secteur de la messagerie. ['] "

Statuant sur le pourvoi formé à l'encontre de cet arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 juillet 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé, par arrêt en date du 22 septembre 2021, que l'activité de transport par palettes de la société XPO est incluse dans le marché de la messagerie classique et express, la société XPO distribution France soutenant pour sa part que l'activité de transport palettisé était distincte du secteur de la messagerie classique et de l'express et qu'elle n'était donc pas en relation de concurrence avec les autres entreprises parties au litige :

" 26. L'arrêt constate que, si la société XPO n'offre que des services de transport par palettes, nombre d'entreprises de messagerie proposent des transports par palettes dans le cadre de leur offre de messagerie et qu'il en est ainsi des sociétés Ducros, Schenker-Joyau, Mory, comme, avant 2008, la société Dachser France.

27. Par ce seul constat de l'existence d'une pluralité d'opérateurs, exerçant la même activité que celle dans laquelle la société XPO indiquait s'être spécialisée, dont elle a déduit que cette société était en concurrence avec ceux-ci, la cour d'appel, qui ne s'est pas appuyée sur les pièces visées par la quatrième branche mais sur d'autres pièces du dossier dont elle a souverainement apprécié la portée, et qui n'avait, ni à procéder aux recherches invoquées aux première et deuxième branches, ni à se prononcer sur les éléments invoqués par la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérants, a légalement justifié sa décision. "

Quoique l'existence d'une situation de concurrence et la définition d'un marché pertinent reposent sur d'autres critères que ceux résultant de l'article D. 3312-36 du code des transports pour distinguer la messagerie des autres branches du transport, tel que le fait valoir la société XPO distribution France, il est toutefois pertinent de constater que, dans le cadre de ce litige commercial, il a notamment été jugé que :

- les entreprises de messagerie assurent un service d'acheminement, par des moyens essentiellement routiers, de colis de moins de trois tonnes, provenant de différents chargeurs et adressés à différents destinataires ; que l'activité de messagerie se distingue du transport traditionnel en raison d'opérations intermédiaires de tri, groupage et dégroupage, consistant à réunir ou à scinder les envois de marchandises, en provenance de plusieurs expéditeurs et à l'adresse de plusieurs destinataires alors qu'à l'inverse, le transport routier concerne généralement des expéditions par lot et par camion complet ;

- au sein du secteur de la messagerie, outre la distinction entre messagerie nationale et internationale, sont généralement distinguées la messagerie traditionnelle et la messagerie rapide, dite " messagerie classique ", qui s'adresse plus particulièrement à des envois lourds, groupés ou palettisés, avec des délais de livraison oscillant entre 24 et 72 heures pour la France, et la messagerie " express ", qui concerne les livraisons dans les 24 heures suivant l'heure de l'enlèvement chez le client, le poids moyen des colis étant d'environ 4 kg, et que malgré ces distinctions quant aux poids, délais ou garanties, les différents segments de l'offre de messagerie ne font pas l'objet de délimitations strictes ;

- tant la messagerie " classique " que la messagerie " express " conservent les caractéristiques fondamentales du secteur de la messagerie, soit l'organisation en réseau et le recours à des opérations de groupage et de dégroupage au travers de plate-formes de tri.

Les organisations syndicales produisent par ailleurs un rapport d'études publié en mars 2008 par le Service d'Etudes techniques des routes et autoroutes du ministère de l'Ecologie du Développement qui définit l'activité de messagerie dans les termes suivants :

" La messagerie est une modalité de transport de marchandises qui traite par des moyens essentiellement routiers, les envois de moins de trois tonnes constitués de colis par un enlèvement, un groupage-dégroupage et une distribution.

Son système d'exploitation repose sur des plateformes régionales de groupage-dégroupage rayonnant en étoiles et sur des lignes qui les relies entre elles, permettant une couverture du territoire national dans un délai compris entre 24 et 48 heures. Elle s'oppose au transport par camion de lots, de " charges complètes qui s'effectue sans arrêt d'un point à un autre, d'un fournisseur unique à un client unique, sans passage par une plateforme. La messagerie comporte différents types de marché, qui sont fonction de la taille et des délais de livraison ".

Il convient de relever que ce rapport d'études reste dénué de toute valeur normative, de même que la note d'information de l'Union fédérale des transports du 16 mai 2002 complétée le 1er juillet 2002 produite par la société XPO distribution France qui prévoit d'autres critères de l'activité de messagerie concernant notamment un périmètre d'enlèvement et de livraison limité au département, un poids moyen par envoi de 95-105kg en messagerie traditionnelle ou 25-30kg en messagerie expresse, ou l'existence d'un contrat type.

En l'espèce, d'une première part, il ressort des explications des parties et des pièces versées aux débats, et notamment d'une publication extraite du site internet de l'entreprise datée du mois d'août 2018, qui présente l'activité de transport de la société XPO distribution France et d'un rapport d'expertise privée déposé le 5 janvier 2021 par M. [M] [R] saisi par la société XPO distribution France d'une mission privée d'analyse de l'activité des chauffeurs routiers de la société, que :

- la société exerce une activité principale de "messagerie palettisée" essentiellement à destination des entreprises industrielles ou commerciales basée sur un réseau de 27 sites de distribution, répartis sur l'ensemble du territoire national en considération de l'activité industrielle et commerciale générale en France, avec des concentrations sur les régions Rhône-Alpes, Ile-de-France et Hauts de France ;

- son plan transport, décrit de façon schématisée sur son site internet, prévoit que les marchandises sont " collectées " chez les clients par les conducteurs l'après-midi , " mises à quai dans l'entrepôt de collecte le plus proche " le soir, prises en charge par le réseau inter-agences - navettes de nuit pendant la nuit pour une " mises à quai à l'entrepôt de livraison le plus proche ", puis distribuées dans le cadre de " la tournée de distribution " du matin dans le secteur de l'agence ;

- la société propose différentes options (Standard, Premium et Target) présentant des garanties et des délais de livraison différents ;

- le poids moyen d'une palette s'élève, selon l'expert, à 455 kilogrammes, pour un poids moyen de chaque envoi de 837 kilogrammes,

- la flotte de véhicules est principalement composée de semi-remorques,

- les conducteurs assurent des tournées composées en moyenne de 10 à 11 positions,

- le nombre d'envois par tournée de livraison est stable (entre 10 et 11 envois) ;

- les conducteurs se voient remettre avec la marchandise, une lettre de voiture ou récépissé de transport, ainsi qu'un bordereau de groupage correspondant à l'ensemble de la tournée à laquelle la position particulière de la lettre de voiture est affectée.

Aussi, les organisations syndicales produisent des exemples de bordereaux de groupage ainsi que les fiches de missions des conducteur " mission commerciale " et " véhicules légers " qui visent l'utilisation de tels bordereaux de groupage.

Il est donc démontré que le personnel roulant de la XPO distribution France se trouve affecté à des opérations d'enlèvement et de livraison de marchandises, nécessitant, pour une même expédition, des opérations de groupage et de dégroupage, au sens de l'article D. 3312-36 du code des transports.

D'une deuxième part, la société XPO distribution France, qui fait valoir que les conducteurs sont titulaires du permis C ou du permis super-lourd C, et tous embauchés au groupe 6 de la convention collective applicable, admet implicitement mais nécessairement qu'ils sont affectés, à titre principal, à cette activité de transport de marchandises.

D'une troisième part, les organisations syndicales démontrent que les conducteurs de la société XPO distribution France réalisent des tournées régulières au sens de l'article D 3312-36 du code des transports, même s'il ne s'agit pas de tournées rigoureusement identiques.

En effet, aux termes des missions définies pour les conducteurs " missions commerciales " :

" - Il organise sa tournée du jour selon le bordereau de groupage et le type de produits à transporter (TMD),

- Il effectue les livraisons en conformité des règles,

- Il valide l'état des livraisons en temps et en heure,

- Il établit les documents nécessaires au transport de marchandises,

- Il respecte et fait respecter les procédures de transport et d'entreposage de la marchandise en respectant la sécurité. "

Et selon les missions définies pour les conducteurs " véhicules légers " :

" - Il effectue les livraisons selon bordereau de groupage et types de produits à transporter entre parenthèse TMD) ".

Aussi, le rapport d'expertise privée produit par la société XPO distribution France mentionne :

" Chacune des agences qui constituent le réseau national dessert plusieurs départements suivant une répartition que nous rappelons ci-contre. Le conducteur qui a chargé la veille ou le matin les marchandises à distribuer sur une partie de la zone, de préférence par une tournée ou un circuit cohérent, livrera prioritairement la marchandise chargée et ramassera en retour sur un autre itinéraire les marchandises à regrouper sur quai... ".

D'une quatrième part, il est indifférent que la clientèle de la société XPO distribution France soit composée, comme elle l'indique, quasi-exclusivement d'entreprises industrielles ou commerciales et non de particuliers, dès lors que l'article D. 3312-36 du code des transports vise " des expéditions de domicile à domicile ", sans distinguer s'il s'agit de clients personnes physiques ou morales.

D'une cinquième part, la société XPO distribution France développe vainement des moyens de fait relatifs aux caractéristiques de son activité concernant le type de véhicule utilisé, le volume et le poids des marchandises, le conditionnement sur palettes, l'étendue géographique des secteurs de son réseau, dès lors que ces critères ne sont pas déterminants pour caractériser l'activité de messagerie, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les secteurs de messagerie " classique " et " express ".

D'une sixième part, les organisations syndicales caractérisent des contraintes spécifiques de délais de livraison dès lors que l'organisation des transports précédemment décrite met en exergue des horaires de livraison (entre 6 heures et 12 heures) et des horaires de collecte (entre 13 heures et 17 heures), la publication extraite du site internet de l'entreprise mentionnant des délais de livraison contractualisés.

D'une septième part, la société XPO distribution France se prévaut de l'analyse du rapport d'expertise privée en date du 5 janvier 2021 pour soutenir que l'organisation mise en 'uvre dans l'entreprise implique que les conducteurs soient capables de gérer des situations d'attente lors de la mise à disposition ou lors de la livraison, lesquelles seraient inhérentes au poids des palettes et aux contraintes économiques d'une clientèle professionnelle, et qu'ils doivent posséder les qualifications et les qualités d'un conducteur grande ou courte distance en matière d'organisation d'itinéraire, de reconnaissance de la marchandise, de tenue des documents de transport et de comptes-rendus, qui ne sont pas celles attendues d'un conducteur de messagerie.

Cependant, ces compétences particulières des conducteurs, à les supposer avérées, ne sont pas déterminantes de la qualification de l'activité de messagerie.

En effet, la convention collective applicable classifie les emplois de conducteur de véhicule poids lourd entre les groupes 4 et 7 en fonction du tonnage du véhicule et non pas de l'activité de messagerie exercée, outre le fait qu'ils doivent répondre à la définition du conducteur du groupe 3, qui prévoit les qualités invoquées.

En outre, les organisations syndicales produisent un document diffusé par le Ministère du travail concernant la qualification de conducteur de messagerie indique :

" Qui est conducteur de messagerie : Les conducteurs de messagerie sont les personnels roulants, affectés, à titre principal, à des services organisés de messagerie, d'enlèvement et de livraisons de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant pour une même expédition de domicile, des opérations de groupage et de dégroupage et comportant des contraintes spécifiques de délais de livraison.

Cette définition est indépendante du véhicule utilisé et de l'activité principale de l'entreprise ".

Enfin, il est admis par les parties que les conducteurs disposaient d'avis de passage à déposer en cas d'absence du client, de sorte qu'ils n'étaient pas soumis à la gestion de temps d'attente en cas d'absence des clients, contrairement à ce que soutient la société qui se limite à prétendre que ces avis de passage étaient très peu utilisés en pratique.

D'une huitième part, le code APE est un outil d'appréciation inopérant, s'agissant d'un code de l'INSEE pour hiérarchiser et catégoriser les activités de l'économie française.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société XPO distribution France exerce une activité de messagerie au sens des articles D. 3312-36 et D. 3312-45 du code des transports.

Le jugement déféré et donc confirmé de ce chef.

2 - Sur la demande tendant à voir enjoindre la société XPO distribution France à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à toutes les conducteurs " mission commerciale et " véhicule léger " présents dans l'entreprise

Il est établi que la société XPO distribution France emploie trois catégories de conducteur :

- des conducteurs " zone longue " ou " grands routiers " chargés du trafic direct et par lots complets, non concernés par le présent litige,

- des conducteurs " traction " ou " mission technique " chargée des transports d'agence à agences, principalement de nuit, non concernés par le présent litige,

- des conducteurs " distributions " et des conducteurs " porteurs distribution " selon le rapport d'expertise privée, correspondant aux " conducteurs mission commerciale " et " conducteurs véhicules légers " dans les fiches de mission précitées sont produites par les organisations syndicales.

Il résulte de ce qui précède que ces deux dernières catégories de conducteurs, qui accomplissent les missions de distribution et de collecte par secteur, remplissent les conditions fixées par l'article D 3312-36 du code des transports pour bénéficier du statut de conducteur de messagerie, dès lors qu'ils consacrent la majorité de leur temps de travail ou de services à la livraison de marchandises sur palettes dans le cadre de l'activité de messagerie exercée par la société XPO distribution France.

En conséquence, par confirmation du jugement déféré, il convient d'enjoindre à la société XPO distribution France d'appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie y compris l'article D 3312-45 du code des transports, à tous les conducteurs " mission commerciale " et " véhicule léger " présents dans l'entreprise.

Par infirmation, la société XPO distribution France est condamnée à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs " mission commerciale " et " véhicule léger " présents dans l'entreprise, et ce dans les 90 jours de la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte, passé ce délai, de 500 euros par jour de retard pendant six mois.

3 - Sur la demande en dommages et intérêts

Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l' intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

En l'espèce, tel que retenu par le premier juge, la mise en 'uvre irrégulière, par la société XPO distribution France à l'égard des conducteurs relevant du statut des conducteurs de messagerie, des dispositions réglementaires de l'article D 3312-36 du code des transports cause un préjudice à l'intérêt collectif de la profession représentée par les syndicats intimés.

En conséquence c'est par une juste analyse des circonstances de l'espèce que la cour adopte que le premier juge a estimé la réparation due au titre du préjudice résultant de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession pour chacun des organisations syndicales à un montant de 5 000 euros chacune.

4 - Sur les demandes accessoires

La société XPO distribution France, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens de première instance par confirmation du jugement déféré, y ajoutant les dépens d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société XPO distribution France est donc déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge des fédérations FNTL - UNCP et FGTE - CFDT l'intégralité des sommes qu'elles ont été contraintes d'exposer en justice pour la défense de leurs intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à leur verser à chacune la somme de 2 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et y ajoutant, de la condamner à leur verser une indemnité complémentaire de 1 000 ' chacune au titre des frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société XPO distribution France à appliquer la réglementation relative aux conducteurs de messagerie à tous les conducteurs " mission commerciale " et " véhicule léger " présents dans l'entreprise dans les 90 jours de la notification du présent arrêt ou de l'acquiescement éventuel, sous astreinte, passé ce délai, de 500 euros par jour de retard pendant six mois ;

CONDAMNE la société XPO distribution France à payer à la la Fédération Nationale des Transports et de la Logistique Force Ouvrière - UNCP et la Fédération générale des transports et de l'environnement - CFDT une indemnité complémentaire de 1 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE la société XPO distribution France aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

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