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Décisions

CA Colmar, ch. 2 a, 27 mars 2025, n° 22/01508

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 22/01508

27 mars 2025

MINUTE N° 133/2025

Copie exécutoire

aux avocats

Le 27 mars 2025

La greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 27 MARS 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01508 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-H2DB

Décision déférée à la cour : 24 Février 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg

APPELANTS sous le numéro RG 22/01508 :

Monsieur [L] [O]

demeurant [Adresse 2]

La société de droit turc [5] prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 11]

[Localité 8] / [Localité 12] (TURQUIE)

représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour

plaidant : Me WEYGAND, avocat au barreau de Strasbourg

APPELANT sous le numéro RG 22/02160 :

Monsieur [S] [V]

demeurant [Adresse 6] (TURQUIE)

représenté par Me Eulalie LEPINAY, avocat à la cour

INTIMÉS :

Monsieur [N] [A]

demeurant [Adresse 3]

L'E.U.R.L. [10] prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 3]

représentés par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour

plaidant : Me Didier BOLLECKER, avocat au barreau de Strasbourg

La compagnie d'assurance [14] prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 1]

représentée par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocats à la cour

plaidant : Me ROY-THEREMS, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère

Madame Sophie GINDENSPERGER, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

M. [N] [A] et M. [L] [O] sont entrés en relation afin de mettre en place une opération de financement destinée à la transformation en hôtel d'un immeuble situé à Istanbul. Dan ce cadre, M. [A] s'est rapproché de M. [S] [V], avocat inscrit aux barreaux d'Istanbul et de [Localité 13].

Une première convention, qualifiée « d'association », non datée, mais dont les parties conviennent cependant qu'elle a été signée en mai 2009, a été conclue entre l'EURL [10], gérée par M. [A], et la société de droit turc [5] (ci-après la société [5]) dont M. [O] était l'un des cinq associés.

Cette convention stipulait que la société [10] investirait dans la société [5] une somme de 450 000 euros en contrepartie de la prise d'une participation dans l'actionnariat de la société [5] à hauteur de 99,975 % se traduisant par l'attribution de 12 995 actions, les cinq actions restantes étant détenues par les actionnaires dits « historiques » de la société [5].

Cette association devait prendre fin à l'issue d'une durée minimale de 3 ans, soit le 22 mai 2012, au moyen d'une rétrocession des actions détenues par l'EURL [10] aux « actionnaires historiques » pour un prix de 500 000 euros. Si la cession avait lieu un an plus tard, soit le 22 mai 2013, le prix de cession passait à 550 000 euros.

Une seconde convention de « conseil juridique » était conclue, le 22 mai 2009, entre les sociétés [10] et [5], pour une durée de trois ans, par laquelle la première s'engageait à donner conseil à la seconde « au sujet des activités de tourisme et d'hôtellerie à l'étranger » ainsi que relativement à « l'établissement de relations 'commerciales' de la société avec les agences de voyage en France » moyennant une rémunération mensuelle de la part de la société [5] de 5 000 euros.

Dans un courrier du 25 mai 2009, Maître [V] indiquait notamment à la société [10] que toutes les parties avaient signé la convention de participation de sorte qu'elle pouvait procéder à deux virements au titre de l'augmentation du capital qu'elle avait souscrite. Les virements étaient réalisés le 26 mai 2009.

En mai 2010, un accord était conclu entre la société [5], représentée par M. [O], et M. [G] [B], en vue d'une cession du contrat de crédit-bail immobilier dont bénéficiait la société [5] auprès de la société [7], moyennant le paiement de la somme de 1 050 000 euros au moyen d'un billet à ordre tiré par M. [G] [B].

La cession du contrat et de l'hôtel intervenait au profit d'une société [9] le 1er juin 2010.

Par assignation en date du 30 août 2012, la société [10] et son actionnaire principal, M. [A], assignaient Maître [V] et M. [O] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, reprochant au premier des manquements à son devoir de conseil et à son obligation de veiller à l'efficacité des conventions, et au second le détournement des fonds qui avaient été investis dans la société [5].

La cour d'appel de Colmar, dans un arrêt du 12 mars 2014, confirmait la décision du juge de la mise en état qui avait rejeté les exceptions de litispendance et d'incompétence et retenu la compétence du tribunal de grande instance de Strasbourg pour connaître de la procédure. Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi en cassation rejeté par un arrêt du 8 juillet 2015.

Le 17 mai 2016, Maître [V] appelait en garantie la compagnie d'assurance du barreau de Paris, la société [14]. Les deux procédures étaient jointes.

La société [5] est intervenue volontairement à l'instance.

Par un jugement contradictoire du 24 février 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par M. [N] [A] pour défaut d'intérêt à agir ;

- déclaré recevables les actions menées par l'EURL [10] en ce qu'elles ne sont pas couvertes par l'autorité de la chose jugée,

- fixé le préjudice matériel de l'EURL [10] à la somme de 571 400 euros ;

- fixé le préjudice moral de l'EURL [10] à la somme de 10 000 euros ;

- condamné in solidum M. [L] [O] et Maître [S] [V] à payer à l'EURL [10] la somme de 290 700 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- condamné M. [L] [O] à payer à l'EURL [10] la somme de 290 700 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- déclaré irrecevable l'appel en garantie formé par Maître [S] [V] contre la société [14],

- déclaré M. [L] [O] irrecevable en sa demande reconventionnelle portant sur la condamnation de l'EURL [10] au versement d'une somme de 450 000 euros,

- débouté la société [5] de ses demandes,

- condamné Maître [S] [V] et M. [L] [O] aux dépens,

- condamné in solidum M. [L] [O] et Maître [S] [V] à verser à la société [10] une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [5] à verser à la société [10] une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a constaté que, suite à la transaction conclue dans le cadre du litige ayant opposé en Turquie la société [10] et la société [5], le mandataire de la société [10] avait renoncé à poursuivre l'action engagée par cette société contre la société [5] devant le tribunal de commerce d'Istanbul qui en avait pris acte le '5" novembre 2013 en décidant n'y avoir plus lieu à statuer sur la demande ; que cet accord était régulier et engageait l'EURL [10], motif pris de ce que 'M. [O]' produisait une copie du mandat que lui avait donné la société [10], enregistré devant un notaire turc conformément à la législation applicable, et que la société [10] avait un intérêt à participer aux négociations et à signer l'accord de désistement.

Relevant que Maître [V] n'était pas partie prenante au protocole d'accord et que la procédure initiée en Turquie ne visait pas à obtenir la reconnaissance de la responsabilité de Maître [V] et de M. [O], mais visait simplement à obtenir la concrétisation des obligations synallagmatiques prévues dans les deux conventions, et plus particulièrement la reconnaissance du statut d'associé majoritaire de l'EURL [10] dans la société [5], le tribunal a considéré que l'objet de cette procédure n'était pas identique à celui de la procédure dont il était saisi et a donc considéré, qu'en l'absence d'autorité de chose jugée, l'action de la société [10] était recevable.

Pour retenir la responsabilité de M. [O], le tribunal a retenu que les conventions précisaient explicitement et de manière très claire que le droit turc serait applicable, et qu'il convenait donc de faire application des principes régissant le régime turc de la responsabilité délictuelle posés par les articles 49 et 50 du code civil turc, dont le mécanisme était sensiblement le même qu'en droit français.

Les premiers juges ont ainsi relevé qu'il ressortait de la chronologie des faits, que M. [L] [O] n'avait respecté ni les textes des conventions passées entre les sociétés [5] et [10], en n'ayant pas veillé à enregistrer l'entrée en capital de [10] ni le paiement régulier des honoraires dus au titre de la convention de conseil, ni l'esprit de ces conventions, à savoir le remboursement du prêt de 450 000 euros augmentés des intérêts alloués sous la qualification de rétribution de « conseils ».

Ils ont relevé plusieurs fautes commises par M. [O], consistant à :

- avoir failli dans la publication de la prise de participation majoritaire de [10] dans le capital d'[I] alors que cela lui incombait au regard de l'article 91.b du pacte d'actionnaires qui mettait à la charge de la société [5] l'obligation de payer les frais de timbre et les dépens.

- avoir, en qualité de gérant et d'associé de la société [5], mis fin au contrat de crédit-bail et avoir revendu l'immeuble à la société [9] au mépris des dispositions de l'article 6.3b ii du pacte prohibant une telle cession,

- avoir cédé les parts de la société [5] sans faire état de la qualité d'actionnaire majoritaire de [10], qui n'avait été ni associée, ni représentée à l'acte, la transaction n'ayant été réalisée qu'au bénéfice de la société [5] et de ses cinq associés historiques qui voyaient leur garantie personnelle effacée à l'égard de l'établissement financier ayant donné l'immeuble en crédit-bail, cette faute ressortant des termes du protocole passé entre les sociétés [10] et [5].

Le tribunal a considéré que M. [O] ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en soutenant ne pas être responsable du non-paiement du billet à ordre émis par M. [B], alors qu'il s'était fait remettre directement le prix de cette transaction, et avait conclu une transaction amiable avec la société [10], de sorte qu'il devait être condamné à indemniser la société [10] de la perte totale de son investissement en application des articles 49 et 50 du code civil turc.

Après avoir analysé les éléments du dossier, le tribunal a considéré que Maître [V] était intervenu en sa seule qualité d'avocat relevant du barreau d'Istanbul, et que les articles 49 et 50 de la loi turque, ainsi que l'article 34 de la loi réglementant la profession d'avocat étaient donc applicables. Il a retenu plusieurs faute à la charge de Maître [V] ayant consisté :

- dans le cadre de la rédaction des deux conventions initiales, à ne pas avoir informé l'EURL [10] de la limite que représentait une unique mention ni expliquée, ni développée dans la convention, de l'existence d'un contrat de crédit-bail immobilier contracté en 2007, sans attirer son l'attention sur ce point essentiel qui aggravait considérablement son risque, de sorte que les conseils donnés n'étaient pas pertinents au sens de l'article 34 de la loi réglementant la profession d'avocat,

- dans le fait de ne pas avoir fait procéder aux formalités de publicité sur les registres turcs pour rendre opposable aux tiers les actes de cession, Maître [V], en sa qualité de professionnel du droit, qui était censé protéger les intérêts de son client non turc qui ne connaissait pas les pratiques légales en cours en Turquie, aurait dû veiller à ne pas délivrer la demande de virement des fonds sans avoir vérifié et constaté que la publicité de la prise de participation était réalisée, sauf à s'en charger personnellement.

Le tribunal n'a en revanche pas retenu de faute de Maître [V] en relation avec la décision de poursuivre la société [5] devant la justice commerciale turque et la rédaction du protocole d'accord, en considérant que ces actions procédaient d'une logique commerciale visant à régulariser les relations d'affaires entre les deux sociétés et que de surcroît, compte tenu des règles d'établissement des mandats confiés aux avocats turcs, il n'était pas démontré que Maître [V] avait signé la convention sans autorisation de la société [10], celle-ci n'étant, en tout état de cause, pas privée du recours actuel.

Sur l'indemnisation du préjudice, le tribunal a retenu que :

- selon l'article 50 du code civil turc, dans le cas où le montant des dommages intérêts ne peut être entièrement établi, le juge peut en déterminer leur montant en tenant compte des circonstances et des mesures prises par la victime,

- les sommes attendues par la société [10] en retour de son investissement paraissaient élevées,

- le préjudice subi et indemnisable devait être fixé à 500 000 euros pour la convention de participation, et 50 000 euros pour la convention de conseil, outre la somme de 21 400 euros au titre des frais d'avocat engagés,

- l'EURL [10] avait subi un préjudice moral résultant du fait d'avoir vu l'opération envisagée déboucher sur un échec, et d'avoir fait l'objet de man'uvres de la part de M. [O] visant à ne pas lui reconnaître son droit à être actionnaire, sans avoir pu préserver ses droits suite aux manquements de son avocat

Il a considéré que les fautes de Maître [V] avaient conduit à une perte de chance pour l'EURL [10] de ne pas contracter, évaluée à 50 % en relevant qu'il était possible que, même bien conseillée, l'EURL aurait maintenu sa décision d'investir et réaliser les virements en question.

Le tribunal a par ailleurs déclaré l'appel en garantie de Maître [V] contre la compagnie d'assurance [14] irrecevable car prescrit, après avoir constaté qu'il avait été assigné le 30 août 2012, et disposait d'un délai s'achevant le 30 août 2014 'pour déclarer valablement le sinistre', alors que son assignation appelant dans la cause sa compagnie d'assurance datait du 16 juin 2015.

Il a également souligné que les actes qui étaient reprochés à Maître [V] s'inscrivaient dans son activité d'avocat inscrit au barreau d'Istanbul, et qu'ils ne relevaient donc pas de la garantie mobilisable aux termes de l'article 3 de la police.

Sur les demandes reconventionnelles de M. [L] [O] et de la société [5] au titre des sommes à percevoir de la part de M. [B] pour le suivi du billet à ordre, le tribunal a déclaré la demande de M. [O] irrecevable, motif pris de ce qu'il ne disposait pas de la qualité d'actionnaire majoritaire de la société [5], et a rejeté la demande de la société [5] en constatant que n'était pas rapportée la preuve de ce que les fonds auraient été remis suite à l'endossement du billet à ordre par la société [10].

* Selon déclaration transmise par voie électronique le 30 mai 2022, Maître [V] a interjeté appel du jugement, en intimant M. [A], la société [10] et la société [14] son appel tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré recevable les actions menées par l'EURL [10], fixé le préjudice matériel de l'EURL [10] à la somme de 571 400 euros et le préjudice moral à hauteur de 10 000 euros, l'a condamné solidairement avec M. [L] [O] à payer à l'EURL [10] la somme de 290 700 euros avec intérêts légaux à compter du jour du jugement, déclaré irrecevable son appel en garantie formé par Me [S] [V] contre la société [14], l'a condamné aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 25 janvier 2023, la présidente de chambre déléguée de la première présidente a arrêté l'exécution provisoire du jugement à l'égard de M. [V].

Par ordonnance du 17 mai 2023, statuant sur requête de la société [10] et de M. [A], le magistrat chargé de la mise en état a déclaré l'appel de Maître [V] recevable, mais caduc en tant que dirigé contre M. [A].

* Selon déclaration transmises par voie électronique le 13 avril 2022, M. [L] [O] et la société [5] ont interjeté appel du jugement, intimant M. [V], l'EURL [10], leur appel tendant à l'infirmation ou la réformation du jugement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la société [10] en ce qu'elles ne sont pas couvertes par l'autorité de la chose jugée, fixé le préjudice matériel de la société [10] à 571 400 euros et son préjudice moral à 10 000 euros, prononcé des condamnations contre eux, déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de M. [O], débouté la société [5] de ses demandes, et en ce qu'il a odonné l'exécution provisoire.

La société [14] a été assignée sur appel provoqué par M. [V].

La jonction des procédures a été ordonnée le 5 septembre 2023.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 3 septembre 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 janvier 2023, M. [O] et la société [5] demandent à la cour de dire bien fondé leur appel, y faisant droit, infirmer le jugement entrepris des chefs visés dans leur déclaration d'appel et statuant à nouveau, de

- dire irrecevable l'action introduite par la société [10] et M. [N] [A] devant le tribunal de grande Instance de Strasbourg en faisant droit aux fins de non-recevoir résultant :

- de l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de commerce d'Istanbul du 4 novembre 2013 ;

- du défaut de droit d'agir de la société [10] en vertu de la convention du 1er juin 2011 ;

- du défaut d'intérêt à agir de la société [10] en raison de l'identité du tiré du billet à ordre ,

Subsidiairement,

- débouter comme non fondés les intimés en leurs prétentions de voir M. [L] [O] et la société [5] déclarés responsables des fautes alléguées à leur encontre, à savoir :

- le non-respect des conventions d'association et de conseil juridique conclues en mai 2009,

- le non-paiement des honoraires dus au titre de la convention de conseil,

- la cession du contrat de crédit-bail,

- la cession des actions d'[I],

- le soi-disant détournement de fonds,

- le non-paiement du billet à ordre,

Très subsidiairement,

- débouter la société [10] de toute prétention à se voir indemniser d'un prétendu préjudice, en tout cas d'un préjudice qui soit dit imputable à M. [L] [O] et/ou à la société [5],

En tout état de cause,

- condamner la société [10] à payer à M. [O] et à la société [5] la somme de 450 000 euros en application de la convention du 1er juin 2011,

- condamner in solidum la société [10] et M. [S] [V] à payer à M. [O] et à la société [5] la somme de 50 000 euros en réparation de leur préjudice moral,

- condamner la société [10] à payer à M. [O] et à la société [5] la somme de 50 000 euros pour procédure abusive,

- débouter la société [10] de l'ensemble de ses moyens, fins, demandes et prétentions à l'égard de M. [O] et de la société [5],

- débouter Me [V] de l'ensemble de ses moyens, fins, demandes et prétentions à l'égard de M. [O] et de la société [5],

Subsidiairement, en cas de confirmation de tout ou partie des condamnations prononcées par le tribunal :

- dire qu'en l'absence d'appel incident de Me [V] et en l'absence d'appel principal dirigé par lui contre M. [O] et la société [5], les condamnations qui pourraient être maintenues par la cour le seront à l'égard de Me [V] seul,

- condamner in solidum la société [10] et M. [S] [V] à payer à M. [O] et à la société [5] la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils font valoir en substance, à titre principal, que la demande de l'EURL [10] est irrecevable pour :

- autorité de chose jugée du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Istanbul le 11 novembre 2013, dans la mesure où l'action engagée par la société [10], représentée par Maître [V], devant le tribunal de commerce d'Istanbul, selon assignation délivrée le 22 février 2011, visait à rechercher la responsabilité de la société [5] ainsi que la responsabilité personnelle de ses cinq associés en raison de l'inexécution de la convention d'association ; que les deux actions concernent la même inexécution, sont dirigées contre les mêmes personnes, et ont la même finalité et les mêmes fondements ;

- défaut de droit d'agir de l'EURL [10] puisque par acte du 1er juin 2011, les sociétés [5] et [10] sont convenues de mettre un terme à leurs différends nés de l'exécution des conventions d'association et de conseil juridique, et qu'aux termes de ce protocole, la société [5] reconnaissait devoir la somme de 600 000 euros majorée de celle de 5 000 euros par mois à la société [10] qui s'engageait à ne plus poursuivre, ni introduire de nouvelles actions contre M. [O] et/ou la société [5] jusqu'au paiement du billet à ordre de 1 050 000 euros établi par M. [B] au profit de M. [O], endossé par la société [10], la négociation de ce protocole ayant motivé la renonciation à l'action introduite devant le tribunal de commerce d'Istanbul ;

- défaut d'intérêt à agir du fait de l'identité du tireur du billet à ordre, car aux termes de la convention du 1er juin 2011, les parties ont déclaré et accepté que le billet à ordre de 1 050 000 euros établi par M. [B], en sa qualité de débiteur, au profit de M. [O], en sa qualité de bénéficiaire, soit remis et endossé par [10] ; les parties se sont engagées à mettre en 'uvre tous les moyens légaux nécessaires afin que le billet à ordre puisse être recouvré, ce qui a notamment été fait par la société [10] qui a engagé plusieurs actions en recouvrement contre M. [B] ; M. [O] conteste avoir encaissé le billet à ordre, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal qui s'est contredit sur ce point.

A titre subsidiaire, M. [O] conteste sa responsabilité et chacune des fautes qui lui sont reprochées, ainsi que le caractère indemnisable du préjudice, respectivement le lien de causalité avec les fautes alléguées.

Sur leurs demandes reconventionnelles à l'encontre de la société [10] et de Me [V], les appelants font valoir que la convention du 1er juin 2011 prévoyait d'une part qu'en échange de la remise du billet à ordre à la société [10], la dette de 600 000 euros due par la société [5] serait apurée et que la somme de 450 000 euros restante lui serait restituée et, d'autre part, que la société [10] n'engagerait aucune action contre [5] ou M. [O] avant la transformation du billet à ordre. Or, compte tenu de l'action en justice menée par la société [10], il y a lieu de considérer que les actions en recouvrement qu'elle a entreprises contre M. [B] ont abouti, et que le billet à ordre a été transformé, de sorte qu'elle est donc débitrice de la somme de 450 000 euros à l'égard de la société [5].

Ils sollicitent en outre la condamnation de la société [10] au paiement de la somme de 50 000 euros en indemnisation du préjudice subi du fait des procédures abusives menées depuis plus de dix ans, arguant de la remise d'un billet à ordre d'une valeur supérieure à la somme réclamée par la société [10], du non-respect de la convention du 1er juin 2011 et de la proposition d'un prêt usuraire. Ils soutiennent également subir un important préjudice moral du fait des agissements de la société [10] et de son conseil, Maître [V].

* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 juin 2024, Maître [V] demande à la cour de :

Sur l'appel principal et provoqué de Maître [V],

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit, infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- débouter l'EURL [10] de l'intégralité de sa demande,

- condamner la société [10] aux entiers dépens de la procédure ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros au profit de Maître [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur la demande reconventionnelle de M. [O] et de la société [5] :

- déclarer M. [O] et la société [5] irrecevables en leur demande dirigée à l'encontre de Maître [V] ;

- les en débouter

- condamner solidairement M. [O] et la société [5] aux dépens de la demande reconventionnelle ainsi qu'au paiement, au profit de Maître [V] de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur l'appel en garantie,

- déclarer Maître [V] recevable et bien fondé en son appel en garantie dirigé à l'encontre de la compagnie d'assurance [14],

- réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau sur ce point,

- condamner la Compagnie d'assurances [14] à le garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre au profit de l'EURL [10] et le cas échéant de M. [O] et de la société [5],

- condamner la Compagnie d'assurances [14] aux dépens de l'appel en garantie.

Il fait valoir en substance, à titre principal, que les demandes présentées par la société [10] sont irrecevables, se référant aux conclusions déposées par M. [O] et la société [5] sur l'autorité de chose jugée à Istanbul, estimant que le tribunal judiciaire de Strasbourg était incompétent pour intervenir dans le cadre du litige opposant les parties, et invoquant le défaut d'intérêt à agir de la société [10] compte tenu de l'identité du tireur du billet à ordre qui est à l'origine de la procédure, et pour défaut de préjudice car elle poursuit toujours le recouvrement du billet à ordre dans le cadre d'une procédure d'exécution forcée en Turquie contre M. [B].

Au fond, il soutient que les textes relatifs à la responsabilité délictuelle et l'article 34 de la loi réglementant la profession d'avocat ne sont pas applicables, car la relation qui les lie est régie par la convention d'honoraires caractérisant un mandat ; que lorsque la mission de l'avocat est limitée à une simple assistance pour la rédaction d'un pacte d'actionnaires, seul un lien purement contractuel est créé par la convention d'honoraires qui fait la loi des parties ; que seul est applicable l'article 506 du code des obligations turc relatif au mandat qui impose à l'avocat une 'bonne et fidèle exécution du mandat' ; que pour apprécier cette obligation de moyens, il convient de se référer à la pratique d'un « mandant diligent » dans un cadre similaire, et selon la méthodologie imposée par l'article 506-3 du code des obligations turque, la désignation d'un expert spécialisé afin de vérifier si les diligences accomplies correspondent à la pratique d'un « mandant diligent » s'imposait.

Au demeurant, il indique que le tribunal s'est basé sur une traduction erronée de l'article 34 qui ne contient pas d'obligation de délivrer des conseils pertinents, et conteste avoir commis une faute, considérant qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir informé M. [A] du fait que la société [5] n'était pas propriétaire de l'immeuble et d'avoir manqué à son obligation de conseil car la convention mentionnait bien l'existence d'un contrat de crédit-bail immobilier contracté en 2007 et n'évoquait aucun titre de propriété, outre le fait qu'une annexe à ladite convention concernait le contrat de crédit-bail qui était la raison d'être du rapprochement entre la société [5] et la société [10], des échanges ayant eu lieu à ce sujet avant même son intervention.

A titre subsidiaire, il fait état de la qualité de professionnelle de la société [10] dans le domaine de la finance et soutient qu'elle s'est engagée en toute connaissance de cause, à la suite de négociations menées avant de lui avoir donné mandat, et aux termes desquelles elle espérait percevoir une plus-value qui pourrait faire l'objet d'une optimisation fiscale. Il rappelle avoir, dès le 29 mai 2009, attiré l'attention de la société [10] sur les risques encourus et le manque de professionnalisme des conseils de la société [5].

Il soutient par ailleurs qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait procéder aux formalités de publicité sur les registres turcs de la convention et d'avoir demandé le transfert des fonds de façon prématurée alors qu'il n'a jamais indiqué que l'opération était sécurisée, ayant au contraire rappelé le risque que pouvait représenter les agissements de M. [O] en l'absence de conseil compétent, et souligné que la situation pouvant s'avérer désastreuse, et qu'il avait suggéré à la société [10] d'attendre l'enregistrement des livres avant de payer la part la plus importante de son engagement,

A titre subsidiaire, il conteste le lien de causalité entre l'absence de publicité et le préjudice invoqué, et soutient qu'en application de l'article 50 du droit turc, l'attitude de la société [10] et son acceptation du risque financier doivent être prises en compte pour déterminer le montant des dommages et intérêts et que le droit turc impose la consultation d'un expert judiciaire pour allouer une indemnisation, la notion de perte de chance n'existant pas. Enfin, il indique que, malgré le comportement fautif qui lui est reproché en 2009, la société [10] lui a donné mandat pour obtenir réparation du préjudice subi par les agissements de la société [5] et M. [O].

Il forme un appel en garantie à l'encontre de la compagnie d'assurances [14], dans la mesure où si la compétence des juridictions françaises était confirmée, l'action en responsabilité menée à son encontre serait justifiée par son appartenance à un barreau français, de sorte qu'il est fondé à appeler en garantie son assureur de responsabilité civile professionnelle, précisant être à jour de ses cotisations.

Maître [V] considère enfin que la demande de dommages et intérêts de M. [O] et de la société [5] en réparation d'un préjudice moral constitue une demande nouvelle formulée pour la première fois à hauteur de cour et est donc irrecevable.

* Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 juin 2024, l'EURL [10] et M. [N] [A] demandent à la cour de :

- déclarer l'appel de M. [O] mal fondé,

- déclarer l'appel provoqué de Me [V] irrecevable pour défaut de prétentions à l'égard de M. [N] [A],

- condamner Maître [V] aux frais et dépens de cet appel provoqué,

- condamner Maître [V] à payer à M. [N] [A] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter Maître [V] de son appel incident,

- rejeter les exceptions d'irrecevabilité, de défaut d'intérêt à agir et de fin de non-recevoir soulevée par les appelants,

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs fins et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner les appelants aux frais et dépens, ainsi qu'au remboursement des frais de traduction des documents produits,

- condamner les appelants à verser à [10] la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que la responsabilité de M. [L] [O] est engagée en tant que gérant, et à titre personnel, pour ne pas avoir concouru aux formalités de publicité de la participation majoritaire de la société [10] dans le capital de la société [5], nuisant ainsi à ses intérêts et l'ayant empêchée d'exercer ses droits d'administrateur et d'associé en assemblée générale ; pour ne pas avoir payé les frais de timbre et dépens résultant des opérations envisagées au mépris des dispositions de l'article 91.b du pacte d'actionnaires ; pour avoir pris des décisions contraires aux conventions qu'il avait signées en tant que gérant et actionnaire et ainsi ne pas d'être assuré de la bonne fin des opérations de cession d'actions et d'augmentation du capital d'[I] au mépris des dispositions de l'article 6.1 du pacte ; pour avoir mis fin au contrat de crédit-bail et revendu l'immeuble à une société fantomatique au mépris des dispositions de l'article 6.3.b ii du pacte d'actionnaires prohibant une telle cession.

Ils reprochent encore à M. [O] de s'être fait remettre le prix de la cession de l'immeuble au moyen d'un billet à ordre libellé à son nom, détournant les sommes devant revenir à la société [5] ; de l'avoir endossé au profit de la société [10] à la demande de Maître [V], au mépris des règles cambiaires ; d'avoir vendu à M. [B] 500 actions de la société [5] alors que la famille [O] n'en possédait plus que 5.

Ils estiment que le préjudice subi correspond à la perte totale de l'investissement, la transaction à laquelle ils n'ont pas concouru, Maître [V] ayant agi sans mandat de la société [10], étant demeurée sans effet puisque M. [B] est insolvable.

Ils reprochent à Maître [V] de ne pas avoir suffisamment attiré leur attention sur des points essentiels, et notamment sur les droits de la société [5] sur l'hôtel, qui était uniquement bénéficiaire d'un crédit-bail et non propriétaire, aggravant ainsi son risque ; de ne pas avoir assuré la sécurité juridique de la transaction en affirmant à la société [10] qu'elle pouvait procéder au virement des fonds sur le compte de la société [5] alors que les formalités pour qu'elle devienne actionnaire n'avaient pas été réalisées, ce qui a permis que ses fonds soient détournés, et l'a privée du contrôle effectif de la société [5], l'actionnaire majoritaire ayant le pouvoir de désigner les dirigeants de la société.

Ils lui reprochent également le défaut de pertinence du montage juridique proposé qui, d'une part, intégrait une prime à l'investisseur pour ses conseils sous la forme du 'contrat de conseil' alors qu'il n'avait aucune compétence pour procéder à l'aménagement d'un hôtel et qui, d'autre part, prévoyait une sortie de l'opération par le rachat des actions de la société [5] détenues par la société [10] par la famille [O], alors que sa solvabilité n'était pas évidente, ainsi que de l'avoir incitée à mener des procédures destinées à faire reconnaître les droits d'actionnaire de la société [10] et lui avoir fait signer une nouvelle convention d'honoraires alors que la société [5] n'avait déjà plus de substance suite aux opérations réalisées, et d'avoir ratifié, sans pouvoir ni mandat et sans lui en avoir préalablement adressé un projet, 'une convention de dette et accord pour le recouvrement de billet à ordre avec [5]' qui ne lui est donc pas opposable

Concernant le droit applicable, ils relèvent que le droit turc, tout comme le droit français, consacrent l'obligation de l'avocat de répondre des conséquences d'une faute professionnelle. Ils fondent leur demande sur les articles 49, et 50 du code civil turque et 34 de la loi turque réglementant la profession d'avocat.

Sur les fins de non-recevoir soulevées, ils opposent que la procédure menée en Turquie était uniquement dirigée contre la société [5] et avait pour objectif de faire saisir à titre conservatoire ses actions, et subsidiairement de faire inscrire les droits d'actionnaires de [10] dans les livres sociaux de la société ; qu'il ne s'agissait pas d'une action en responsabilité ; que la procédure a fait l'objet d'une radiation puis d'un désistement d'instance définitif car elle n'avait plus d'intérêt, au regard de la perte de substance de la société [5], mais que cela n'emportait pas renonciation à leur droit d'agir en responsabilité contre M. [O] et Maître [V], ni une renonciation à saisir les juridictions françaises ; que la décision du tribunal d'Istanbul a constaté une renonciation à l'instance mais pas à l'action ; que les dispositions des articles 307 et 311 du code de procédure civile turque invoquées, dont la teneur n'est pas justifiée, n'ont pas vocation à s'appliquer en France et ne peuvent priver un ressortissant français du droit d'exercer une action en France.

Sur la demande reconventionnelle de M. [O] et de la société [5], ils font valoir que M. [O] n'est pas créancier de la société [10] ou de M. [A] au titre de la convention contestée du 1er juin 2011. Ils soulèvent la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de M. [O] et [I].

Sur le fond, le recouvrement du billet à ordre s'étant avéré illusoire, la demande de la société [5] doit être rejetée. Ils rappellent que M. [O], bénéficiaire du billet à ordre, demeure cambiairement responsable de son paiement en tant qu'endosseur de l'effet.

Il n'existe aucune preuve que la société [10] aurait recouvré la somme due par M. [B] étant précisé que seule une hypothèque conservatoire en 21ème rang a été inscrite sur un bien immobilier du souscripteur du billet

* Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 janvier 2023, dans chacun des deux dossiers, la compagnie [14] demande à la cour de :

sur l'appel provoqué en garantie formé par Me [V] :

- déclarer l'appel formé par M. [V] irrecevable, et à tout le moins, mal fondé, le rejeter,

En conséquence :

A titre principal, confirmer le jugement en ce que :

- l'appel en garantie dirigée formé par M. [S] [V] contre la compagnie [14] a été déclaré irrecevable pour ne pas avoir été délivré dans le délai biennal ;

- l'action de Me [S] [V] a été déclarée prescrite ;

- l'action et toute demande dirigée à l'encontre de la compagnie [14] ont été déclarées irrecevables ;

En conséquence,

- débouter les demandeurs [10] et [A] et Me [V] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;

Subsidiairement,

- déclarer la police [14] non mobilisable

- déclarer que la compagnie [14] n'est pas tenue à garantie.

En conséquence,

- débouter Me [V], et toutes autres parties, de leurs demandes dirigées à l'encontre de la compagnie [14] ;

- déclarer que la compagnie [14] n'est pas tenue à garantie.

En conséquence,

- débouter Me [V], et toutes autres parties, de leurs demandes dirigées à l'encontre de la compagnie [14], ;

- déclarer que les agissements de Me [V] caractérisent la faute dolosive exclusive de toute garantie ;

- déclarer que la compagnie [14] n'est pas tenue à garantie.

En conséquence,

- débouter Me [S] [V], et toutes autres parties, de leurs demandes dirigées à l'encontre de la compagnie [14] ;

- débouter la société [10] et M. [A] et toutes autres parties de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire,

- déclarer que la compagnie [14] n'est pas tenue à garantie ;

- débouter les demandeurs [10] et [A] et Me [V] de leurs demandes fins et conclusions ;

En tout état de cause :

- condamner Maître [V], ou tout succombant, à payer à la Compagnie [14] 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de la SELARL [4], conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que la demande en garantie de Maître [V] dirigée à son encontre est irrecevable car prescrite, et subsidiairement que sa garantie n'est pas due puisque Maître [V] est intervenu en sa seule qualité d'avocat turc inscrit au barreau d'Istanbul. Elle relève en outre qu'il ne justifie pas d'un mandat spécial et écrit comme le prescrit l'article 8 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat ; que les agissements de Maître [V], qu'il soit intervenu en qualité d'avocat ou d'agent d'affaires, ne relèvent pas de l'exercice normal de la profession et sont donc exclus de la garantie de l'assureur en application de l'article 6-3 de la police, et que le montage financier proposé par Maître [V] ou auquel il a prêté son concours s'analyse en un acte de prêt d'argent usuraire constitutif d'un délit pénal, ce qui caractérise une faute dolosive exclusive de toute garantie selon l'article L.113-1 du code des assurances.

A titre infiniment subsidiaire, elle conclut à l'absence de préjudice subi par la société [10] et M. [A].

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

À titre liminaire, la compagnie [14] conclut à l'irrecevabilité de l'appel de Maître [V], sans toutefois soulever aucun moyen précis. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.

La demande de M. [A] tendant à ce que l'appel provoqué de Maître [V] soit déclaré irrecevable pour défaut de prétentions à son égard est sans objet, Maître [V] n'ayant pas formé d'appel provoqué à son encontre.

Il convient par ailleurs de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières écritures des parties et n'a pas à répondre à des demandes tendant à voir 'dire et juger' ou 'constater' qui correspondent seulement à la reprise de moyens développés dans les motifs des conclusions et sont dépourvues d'effets juridiques.

1- Sur la recevabilité des demandes formées par la société [10] contre M. [O] et la société [5]

1-1 sur l'autorité de chose jugée du jugement du tribunal de commerce d'Istanbul du 4 novembre 2013

Selon jugement prononcé le 4 novembre 2013, le tribunal de commerce d'Istanbul qui était saisi d'une demande formée par la société [10] dirigée contre la société [5] et ses associés, dont M. [K] [L] [O], aux fins de voir ordonner une saisie conservatoire sur les titres en litige, a dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande en raison de l'acte de renonciation du mandataire du demandeur.

Le litige soumis à cette juridiction portant sur une mesure conservatoire n'ayant pas le même objet que l'action en responsabilité engagée par la société [10] devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, nonobstant le fait que les deux procédures trouvent leur origine dans l'exécution de la même convention, le jugement entrepris sera donc approuvé en tant qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée du jugement tribunal de commerce d'Istanbul.

1-2 sur l'intérêt à agir de la société [10]

L'acte du 1er juin 2011, intitulé 'reconnaissance de dette et accord pour recouvrement de billet à ordre', aux termes duquel la société [10], représentée par Maître [V], et la société [5] ont mis un terme à leurs différends nés de l'exécution de la convention d'association, stipule que :

- la société [5] reconnaît devoir la somme de 600 000 euros, majorée de 5 000 euros par mois, à la société [10], et s'engage de manière irrévocable à la rembourser,

- les parties déclarent accepter que le billet à ordre de 1 050 000 euros établi le 1er juin 2010 par M. [G] [B], en sa qualité de débiteur, au profit de M. [K] [L] [O], en sa qualité de bénéficiaire, soit remis et endossé par [10],

- les parties acceptent de manière irrévocable et s'engagent à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires par voie légale afin que le billet à ordre puisse être recouvré, les frais et dépenses y afférents étant avancés par la société [10] et devant être remboursés pour moitié par la société [5] ou M. [K] [L] [O], au plus tard le 10 juillet 2011,

- les sommes à percevoir de M. [B] pour le suivi du billet à ordre seront déduites de la dette due à [10],

- 'à compter de ce jour, [10] déclare, accepter de manière irrévocable et s'engager à ne pas finaliser tous les procès en cours et actions pénales et à ne pas engager de nouvelle procédure d'exécution contre [K] [L] [O] et/ou contre [I] jusqu'à ce que le billet à ordre soit transformé'.

Il résulte de la pièce n°22 produite par Maître [V], qu'il était investi par M. [A], en sa qualité de dirigeant de la société [10], d'un pouvoir général de représentation de cette société, tant en demande, qu'en défense, dans toute procédure portée devant les juridictions turques, selon procuration générale du 20 décembre 2010, signée en présence d'un notaire, et qu'il était notamment investi du pouvoir de 'négocier, accepter ou opposer aux décisions des négociations' et de 'renoncer le procès et l'appel' ainsi que de 'accepter ou refuser le renoncement, la défense et la transmission du procès de la contrepartie', ce dont il résulte qu'il était investi du pouvoir de transiger.

Maître [V] avait donc pouvoir pour signer, en qualité de représentant de la société [10], le protocole d'accord susvisé, lequel est opposable à cette société.

Bien que M. [O] ne soit pas partie à titre personnel à ce protocole d'accord mais en tant que représentant de la société [5], il peut néanmoins s'en prévaloir dès lors qu'il comporte l'engagement exprès et non équivoque de la société [10] de ne pas engager de nouvelle procédure contre lui jusqu'à ce que le billet à ordre soit transformé.

Par voie de conséquence, et en l'absence de toute justification de ce que la société [10] n'aurait pas été remboursée de sa créance dans le cadre de la mise à exécution du billet à ordre, aucun élément suffisamment probant n'étant versé aux débats concernant l'issue des procédures engagées contre M. [B], la société [10] est dès lors dépourvue d'intérêt à agir contre M. [O], et sa demande sera donc déclarée irrecevable, le jugement étant infirmé en tant qu'il a fait droit à la demande au fond.

2- Sur les demandes de la société [10] dirigées contre Maître [V]

C'est vainement que Maître [V] conteste la compétence du tribunal judiciaire de Strasbourg pour connaître de la demande, puisqu'ainsi que cela a été exposé plus avant, il a été définitivement statué sur ce point.

Il convient en outre de relever que si Maître [V] soulève différentes fins de non-recevoir dans les motifs de ses conclusions, il ne formule toutefois, dans leur dispositif, aucune prétention tendant à l'irrecevabilité des demandes dirigées contre lui mais demande seulement le débouté de la société [10].

Il est acquis aux débats que Maître [V] est le rédacteur des conventions d'association et de conseil juridique dont l'exécution est en cause, et que la société [10] lui a confié un mandat à cet effet. Il est par ailleurs établi, ainsi que cela a été relevé précédemment, que Maître [V] était investi d'un mandat de représentation de cette société devant les juridictions turques s'agissant des procédures engagées pour l'exécution desdites conventions, une convention d'honoraires ayant en outre été établie.

S'agissant du droit applicable, Maître [V] soutient que seul le droit turc est applicable. La société [10] demande la confirmation du jugement, sans critiquer le fait que le tribunal ait appliqué le droit turc, se contentant de souligner que la responsabilité de Maître [V] est engagée tant au regard du droit turc, que du droit français de la responsabilité. Elle soutient que si l'on considère que le droit truc doit s'appliquer, alors la responsabilité de Maître [V] découle des articles 49 et 50 de la loi turque sur les obligations et de l'article 34 de la loi turque réglementant la profession d'avocats.

En l'espèce, comme l'a retenu le tribunal, c'est bien en qualité d'avocat inscrit au barreau d'Istanbul que Maître [V] a été mandaté par la société [10], sa mission consistant d'une part à établir des conventions rédigées en langue turque, conclues en Turquie, destinées à produire des effets et à être exécutées dans ce pays, d'autre part à engager et poursuivre, devant les juridictions turques, les procédures nécessaires à l'exécution desdites conventions.

Maître [V] relève que les articles 49 et 50 de la loi sur les obligations régissent la responsabilité délictuelle et non la responsabilité contractuelle qui peut seule être recherchée.

Selon le premier de ces textes dont la traduction proposée par la société [10] n'est pas discutée : 'Toute personne qui porte préjudice à une autre par un acte fautif ou illicite doit l'indemniser de son préjudice. Même s'il n'existe aucune règle prohibant l'acte portant préjudice, la personne qui a délibérément causé un dommage à autrui par un acte immoral, doit réparation.', et selon le second : 'La personne victime doit prouver son préjudice et la faute de celui qui a causé le dommage. Si le montant des dommages et intérêts ne peut être entièrement établi, le juge détermine leur montant en tenant compte des circonstances et des mesures prises par la victime'.

Maître [V] produit des certificats de coutume établissant que ces dispositions qui concernent la responsabilité délictuelle ne sont pas applicables, s'agissant de la responsabilité de l'avocat qui en l'espèce est de nature contractuelle.

Pour rechercher la responsabilité de Maître [V], la société [10] invoque également l'article 34 de la loi réglementant la profession d'avocat, qui selon la traduction produite l'appelant, qui n'est pas contestée, dispose : 'les avocats sont tenus d'exercer les fonctions qui leur sont confiées avec soin, honnêteté et dignité, de manière à respecter le caractère sacré de cette profession et à se comporter conformément à la respectabilité et à la manière que requiert le titre d'avocat, et de se conformer aux règles professionnelles déterminées par l'Union des Barreaux de Turquie'.

Ce texte qui pose des règles et principes déontologiques ne peut fonder une action en responsabilité fondée sur des manquements commis par l'avocat dans l'exercice de son mandat, et ne permet pas de retenir la responsabilité de Maître [V] pour avoir fourni des conseils non pertinents comme l'a admis le tribunal.

La demande de la société [10], en tant que fondée sur ces dispositions ne peut donc prospérer. Celle-ci ne se prévalant pas expressément des dispositions applicables en droit turc en matière de responsabilité contractuelle du mandataire, et ne caractérisant pas un manquement de Maître [V] au regard de ces dispositions et dans les conditions prévues par le droit turc, sa demande doit être rejetée au fond.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en tant qu'il a accueilli la demande de la société [10] en réparation d'un préjudice moral et matériel dirigée contre Maître [V].

3- Sur la demande reconventionnelle de la société [5] et de M. [O] dirigée contre la société [10]

Pour demander l'infirmation du jugement qui a déclaré irrecevable sa demande en paiement de la somme de 450 000 euros, M. [O] invoque les dispositions des articles 1302 du code civil et 1341-3 du code civil.

Si le billet à ordre a bien été émis à son nom, il ressort de la convention du 1er juin 2011, qu'il a expressément consenti à ce que le billet à ordre soit endossé par la société [10], afin de lui permettre d'obtenir le remboursement de la créance qu'elle détient sur la société [5], et d'autre part que le solde des sommes versées par M. [B] en exécution du billet à ordre, après imputation de la créance de la société [10], devait revenir à la société [5], à laquelle les fonds étaient en réalité destinés.

Par voie de conséquence, M. [O], qui ne démontre pas être créancier de la société [5] comme il le prétend, cette qualité ne pouvant résulter du fait qu'il était bénéficiaire du billet à ordre, n'établit pas avoir qualité à agir contre la société [10], que ce soit sur le fondement de l'action en répétition de l'indu, ou d'une action directe.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a déclaré sa demande irrecevable, pour défaut de qualité à agir en paiement contre la société [10], la convention précitée ne lui conférant par ailleurs aucun droit.

Le jugement sera également confirmé en tant qu'il a rejeté la demande de la société [5] en paiement de la somme de 450 000 euros, en l'absence de preuve de ce que la société [10] a obtenu le paiement intégral de la somme de 1 050 000 euros faisant l'objet du billet à ordre.

4- Sur les demandes de M. [O] et de la société [5] en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice moral

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, de légèreté blâmable, ou d'erreur grossière équipollente au dol.

Les appelants ne rapportant pas la preuve de la malice ou de la mauvaise foi de la société [10] dont la demande avait été accueillie en première instance, le jugement sera confirmé en tant qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il en sera de même de la demande en indemnisation d'un préjudice moral dirigée contre cette société.

La demande tendant aux mêmes fins présentée en appel contre Maître [V] sera déclarée irrecevable, comme nouvelle en application de l'article 564 du code de procédure civile, étant souligné que ce dernier n'a pas agi ni formulé de prétention, autre que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, contre la société [5] et M. [O].

5 - Sur l'appel en garantie de Maître [V] dirigé contre la société [14]

Bien que demandant l'infirmation du jugement qui a déclaré sa demande irrecevable comme prescrite, pour avoir été engagée après expiration du délai de deux ans de l'article L.114-1 du code des assurances, Maître [V] ne développe au moyen d'appel. Le jugement ne peut donc qu'être confirmé.

6- Sur les dépens et les frais exclus des dépens

En considération de la solution du litige, le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens.

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société [10] qui sera condamnée à payer à la société [5] et à M. [O], conjointement, la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à Maître [V] la somme de 5 000 euros et à la société [14] la somme de 2 500 euros.

Les autres demandes, et notamment celles de la société [10] et de M. [A] sur ce fondement seront rejetées.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la distraction des dépens, les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile n'étant pas applicables dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DÉCLARE recevable l'appel de M. [S] [V] dirigé contre la société [14] ;

CONSTATE l'absence d'appel provoqué de M. [S] [V] contre M. [N] [A] ;

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 24 février 2022, en ce qu'il a :

- fixé le préjudice matériel de l'EURL [10] à la somme de 571 400 euros ;

- fixé le préjudice moral de l'EURL [10] à la somme de 10 000 euros ;

- condamné in solidum M. [L] [O] et Maître [S] [V] à payer à l'EURL [10] la somme de 290 700 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- condamné M. [L] [O] à payer à l'EURL [10] la somme de 290 700 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens ;

CONFIRME le jugement entrepris, pour le surplus, en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant au jugement,

DÉCLARE irrecevable pour défaut d'intérêt à agir les demandes de l'EURL [10] en réparation d'un préjudice matériel et moral dirigées contre M. [K] [L] [O] ;

REJETTE les demandes de l'EURL [10] en réparation d'un préjudice matériel et moral dirigées contre M. [S] [V] ;

DÉCLARE irrecevables la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral formée par M. [K] [L] [O] et la société de droit turc [5] contre M. [S] [V] ;

REJETTE la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral formée par M. [K] [L] [O] et la société de droit turc [5] contre l'EURL [10] ;

CONDAMNE l'EURL [10] aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer les sommes suivantes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :

- 15 000 euros (quinze mille euros) à M. [K] [L] [O] et la société de droit turc [5], conjointement ;

- 5 000 euros (cinq mille euros) à M. [S] [V] ;

- 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) à la société [14] ;

REJETTE les demandes de L'EURL [10] et de M. [N] [A] et les autres demandes sur ce fondement ;

DIT n'y avoir lieu à distraction des dépens.

La greffière, La présidente,

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