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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 1 avril 2025, n° 23/05744

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Champagne G.H. Martel et Cie (SAS)

Défendeur :

Les Grands Chais De France (SAS), Lacheteau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Vice-président :

Mme Clement

Conseiller :

Mme Ramin

Avocats :

Me Lhermitte, Me Chapoullie, Me Martini-Berthon, Me Prima-Dugast

TJ Rennes, du 28 janv. 2025, n° 21/06228

28 janvier 2025

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Champagne G.H. Martel et Cie (la société Champagne Martel) exerce une activité de champagnisation et de négoce de vins de champagne.

Le 22 avril 2008, la société Champagne Martel a déposé la marque complexe française n° 3 571 360 :

Cette marque désigne les produits suivants en classe 33 :

Classe 33 : « Vins bénéficiant de l'appellation d'origine Champagne ».

Elle a été renouvelée le 30 avril 2018.

Le 4 juin 2009, la société Champagne Martel a déposé la marque verbale française CHAMPAGNE VICTOIRE n° 3 654 853 pour désigner les produits suivants en classe 33 :

Classe 33 : « Vins bénéficiant de l'appellation d'origine Champagne ».

Elle a été renouvelée le 4 juin 2019.

La société Champagne Martel a déposé d'autres marques pour renforcer ses droits, les deux marques précitées étant celles dont la société revendique les droits.

La société Champagne Martel utilise ces marques pour désigner et commercialiser différentes gammes de champagne.

La société Les Grands Chais de France (la société Les Grands Chais) exerce une activité de vente d'eau de vie d'appellation dont notamment le cognac, la vente par correspondance, la distillation d'eau de vie, de vins naturels, la production, la transformation et l'embouteillage de spiritueux, en particulier le cognac et le négoce de vins.

La société Lacheteau exerce une activité de vinification, c'est une filiale de la société Les Grands Chais.

La société Lacheteau a déposé une marque pour désigner des vins en classe 33 :

- la marque verbale française LA VICTORIE n° 3 250 497 le 10 octobre 2003,

La société Les Grands Chais a déposé plusieurs marques pour désigner des vins en classe 33 :

- la marque verbale de l'Union européenne VICTORIE n° 018 115 572 le 27 août 2019,

- la marque verbale de l'Union européenne VICTORIE L'AUDACIEUSE n° 018 232 632 le 30 avril 2020,

- la marque verbale anglaise VICTORIE L'AUDACIEUSE n° 00003533190 le 14 septembre 2020.

En 2020, les marques LA VICTORIE n° 3 250 497 et VICTORIE n° 018 115 572 ont toutes les deux fait l'objet d'un retrait suite à des procédures engagées par la société Champagne Martel.

En 2022 et 2023, l'EUIPO et l'office anglais des marques ont fait droit aux oppositions formées par la société Champagne Martel à l'encontre des marques VICTORIE L'AUDACIEUSE n° 018 232 632 et n° 00003533190.

Depuis 2020, les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais commercialisent des bouteilles de vin rosé sous les dénominations VICTORIE et VICTORIE L'audacieuse dans différents réseaux de distribution et sur plusieurs sites internet.

Les 10 et 21 septembre 2021, la société Champagne Martel a assigné les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais afin de voir juger que la commercialisation des bouteilles de vin rosé sous la dénomination VICTORIE et/ou VICTORIE L'audacieuse constituait des actes de contrefaçon à l'égard de ses marques françaises antérieures précitées.

Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Rennes a :

- Rejeté l'ensemble des demandes de la société Champagne Martel fondées sur la contrefaçon,

- Condamné la société Champagne Martel aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit du conseil des sociétés Lacheteau et Les Grands Chais selon les conditions posées à l'article 699 du code de procédure civile,

- Condamné la société Champagne Martel à verser une indemnité de 5.000 euros aux sociétés Lacheteau et Les Grands Chais en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit.

La société Champagne Martel a interjeté appel le 6 octobre 2023.

Sur la révocation de la clôture :

Le 28 janvier 2025 les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais ont adressé au conseiller de la mise en état une demande révocation de l'ordonnance de clôture en se prévalant d'une erreur matérielle au sein du dispositif de leurs conclusions.

Elles ont, le même jour, déposé de nouvelles conclusions au fond corrigées.

Le conseiller de la mise en état n'a pas statué sur cette demande de révocation de l'ordonnance de clôture. Il appartient à la cour de l'examiner.

Les conclusions des sociétés Lecheteau et Les Grands Chais en date du 14 janvier 2025 comportent cependant une erreur matérielle dans le dispositif de leurs conclusions, les termes 'REFORMER le jugement en ce qu'il a :' étant manifestement maintenu à tort et allant à l'encontre de ce qui précède et suit.

Cette erreur matérielle ne constitue pas une cause grave révélée après que l'ordonnance de clôture a été rendue. Il y a lieu de rejeter la demande de révocation.

Les conclusions rectificatives des sociétés Lacheteau et Les Grands Chais en date du 28 janvier 2025 sont donc irrecevables.

La cour tiendra compte de la nécessaire correction de cette erreur dans l'examen de ces écritures.

Les dernières conclusions de la société Champagne Martel sont ont été déposées le 12 décembre 2024. Les dernières conclusions des sociétés Lacheteau et Les Grands Chais à prendre en compte sont celles déposées le 14 janvier 2025.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

La société Champagne Martel demande à la cour de :

- Débouter les intimées de leurs demandes, fins et conclusions,

- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société Champagne Martel fondées sur la contrefaçon de ses marques et l'a condamné à payer aux sociétés Lacheteau et Les Grands Chais la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux dépens,

Statuant de nouveau :

- Juger qu'en commercialisant des bouteilles de vin rosé sous les dénominations VICTORIE et VICTORIE L'AUDACIEUSE, les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais ont commis des actes de contrefaçon par imitation de :

- la marque verbale française CHAMPAGNE VICTOIRE N°09 3 654 853,

- la marque figurative française CHAMPAGNE VICTOIRE N°08 3 571 360,

En conséquence :

- Ordonner aux sociétés Les Grands Chais et Lacheteau de communiquer dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, une attestation établie par un commissaire aux comptes justifiant :

- pour la période du 10 septembre 2016 jusqu'à l'arrêt à intervenir,

- du nombre de bouteilles revêtues des signes VICTORIE et/ou VICTORIE L'audacieuse commercialisées en France, tous canaux confondus,

- du chiffre d'affaires réalisé en France, tous canaux confondus, pour la vente de bouteilles revêtues des signes VICTORIE et/ou VICTORIE L'audacieuse,

- de la marge nette correspondante unitaire et totale réalisée en France par la vente des bouteilles revêtues des signes VICTORIE et/ou VICTORIE L'audacieuse, tous canaux confondus,

- Condamner solidairement les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais à payer à titre provisionnel à la société Champagne Martel la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice matériel résultant des actes de contrefaçon de ses marques,

- Condamner solidairement les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais à payer à titre provisionnel à la société Champagne Martel la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant des actes de contrefaçon de ses marques,

En tout état de cause :

- Condamner solidairement les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais à payer à la société Champagne Martel la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction.

Les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais demandent à la cour de :

- Recevoir les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais dans leurs conclusions et les considérer bien fondée en leurs demandes et prétentions,

Y faisant droit, de :

- Réformer le jugement en ce qu'il a :

- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- Confirmer que l'exposition, l'offre en vente, la mise sur le marché, la détention et la commercialisation de produits par les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais sous le nom « VICTORIE L'AUDACIEUSE » et selon l'étiquette contestée, ne portent pas atteinte aux droits de la société Champagne Martel sur ses marques françaises n° 08 3 571 360 et n° 09 3 654 853,

- Confirmer que l'utilisation des éléments verbaux « VICTORIE L'AUDACIEUSE » ne constitue pas la contrefaçon des marques françaises n° 08 3 571 360 et n° 09 3 654 853,

- Confirmer qu'aucun préjudice n'a été valablement subi par la société Champagne Martel,

- Rejeter la demande de droit à l'information formée par la société Champagne Martel pour incompétence matérielle,

En conséquence de quoi :

- Rejeter les demandes formées par la société Champagne Martel au titre de la contrefaçon,

- Rejeter les demandes d'indemnisation formées par la société Champagne Martel en réparation de son préjudice au titre des actes de contrefaçon de ses marques, de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- Débouter la société Champagne Martel de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire :

- Accorder aux sociétés Lacheteau et Les Grands Chais un délai de 6 mois à compter de la signification à partie de la décision à venir pour se conformer aux dispositions dudit jugement,

En tout état de cause :

- Condamner la société Champagne Martel à payer aux sociétés Lacheteau et Les Grands Chais la somme de 35.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Champagne Martel aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la contrefaçon des marques :

La société Champagne Martel fait valoir que les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais ont porté atteinte à ses droits de marques en fabricant, offrant et commercialisant des produits sous le nom VICTORIE et/ou VICTORIE L'audacieuse.

L'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur depuis le 15 décembre 2019 et applicable en l'espèce, dispose :

Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque.

La contrefaçon par imitation implique l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, lequel s'apprécie globalement, en considération de l'impression d'ensemble produite par les signes.

Pour apprécier le risque de confusion, il convient de considérer les signes litigieux dans leur ensemble, tels qu'ils ressortent de leur enregistrement et sans tenir compte des conditions d'exploitation des marques.

Le risque de confusion prend en compte le public pertinent, c'est-à-dire la perception du signe par le consommateur d'attention moyenne du ou des territoires visés par la marque.

Au sens de l'article L.716-4 du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2019 et applicable en l'espèce :

L'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4.

Sur la similarité des produits :

La similitude entre les produits et les services s'apprécie en tenant compte de tous les facteurs pertinents. Ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (CJCE, 29 septembre 1998, Canon, C-39/97). D'autres facteurs peuvent être pris en compte, tels que les canaux de distribution des produits concernés.

Le risque de confusion doit s'apprécier globalement, par référence au contenu des enregistrements des marques, vis-à-vis du consommateur des produits tels que désignés par ces enregistrements et sans tenir compte des conditions d'exploitation des marques ou des conditions de commercialisation des produits.

En l'espèce, les produits à comparer sont des « Vins bénéficiant de l'appellation d'origine Champagne » en classe 33 visés par la société Champagne Martel et des vins rosés du Lubéron commercialisés par les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais.

Le prix de commercialisation, la forme des bouteilles, leur habillage, leur étiquette ou encore leur présentation dans les magasins concernent les conditions de commercialisation des produits et ne sont donc pas des critères pertinents à prendre en compte.

Ces produits font partie de la même catégorie générale, à savoir celle des boissons alcoolisées relevant de la classe 33. Leur nature diffère en ce que le champagne est un vin efferverscent tandis que le vin rosé est un vin tranquille.

Ces produits se consomment en apéritif ou au moment des repas. Ils sont destinés à être consommés lors d'évènements festifs et conviviaux. Le vin de champagne est particulièrement destiné aux célébrations contrairement au vin rosé qui est souvent consommé de manière plus décontractée.

Le marché du vin est varié et très spécialisé avec des différences importantes entre les produits. Le consommateur de champagne et de vin rosé est un consommateur raisonnablement avisé et attentif qui est conscient des caractéristiques des deux produits. Les deux produits se distinguent en raison de la réglementation particulière liée à l'appelation d'origine Champagne (EUIPO, 24 mai 2012, Solera Victoria Regina c/ Champagne Victoire, R 685/2011-1).

Pour autant, les canaux de distribution sont similaires. Ces produits se retrouvent dans les mêmes magasins, chez les cavistes ou la grande distribution même s'ils ne se trouvent pas nécessairement sur les mêmes rayonnages. Ils sont également vendus directement aux particuliers par les producteurs.

La clientèle de ces produits est celle des consommateurs de boissons alcoolisées. Des consommateurs d'âge varié sont amenés à boire du champagne ou du vin rosé lors de repas ou d'évènements.

Ces produits se trouvent en concurrence, ils sont susceptibles d'être consommés lors de mêmes évènements par les mêmes consommateurs qui peuvent choisir entre l'un ou l'autre selon leurs goûts.

En prenant en compte tous les facteurs pertinents, il y a lieu de considérer que les produits en cause présentent une certaine similarité.

Sur la similarité des signes :

L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des signes en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par les marques, en tenant compte, notamment, des éléments distinctifs et dominants de celles-ci (CJCE, 11 novembre 1997, Sabel, C-251/95).

Lorsque le signe litigieux n'est pas une marque enregistrée, la comparaison doit s'opérer avec le signe tel qu'il est utilisé. Le signe contesté n'a pas été déposé à titre de marque, il est exploité pour la commercialisation d'un seul produit, à savoir du vin rosé du Lubéron.

Le consommateur prête généralement une plus grande attention au début d'une marque qu'à sa fin, la partie initiale d'une marque ayant normalement, tant sur le plan visuel que sur le plan phonétique, un impact plus fort que la partie finale de celle-ci (CJUE, 28 février 2019, Léa Nature c/ EUIPO, C-505/17).

Il y a lieu de tenir compte du fait que dans le cas d'une marque composée d'éléments verbaux et figuratifs, l'élément verbal est en principe plus distinctif que l'élément figuratif (CJUE, 16 janvier 2019, République de Pologne c/ Stock Polska, C-162/17 P).

La seule présence d'un élément figuratif commun à deux marques ne permet pas de retenir un risque d'association dès lors que le signe second ne reprend ni la présentation ou la disposition de l'élément figuratif, ni la structure et la calligraphie de son élément verbal (CJUE, Puma SE, 1er décembre 2021, C-462/21 P).

Sur les éléments distinctifs et dominants :

Des marques CHAMPAGNE VICTOIRE n° 3 571 360 et n° 09 3 654 853 :

Les marques sont composées d'éléments verbaux et/ou d'éléments figuratifs :

- Concernant les éléments verbaux :

- CHAMPAGNE en capitales en élément d'attaque sur le rang supérieur dans une forme courbe. Cet élément fait référence à une appellation d'origine garantissant la nature, la qualité et la provenance géographique du produit. Il est descriptif pour désigner des vins de champagne.

- VICTOIRE en capitales au centre de la marque en plus gros caractères. Cet élément peut faire référence au succès ou à un prénom féminin. Il apparaît distinctif et dominant au sein du signe en raison de son caractère abstrait par rapport aux produits visés et de sa position au sein du signe.

- G. H. MARTEL & C° en capitales sur le rang inférieur de la marque en petits caractères dans une forme courbe. Cet élément désigne la société Champagne Martel qui a déposé la marque. Il ne sera pas considéré comme étant dominant ou distinctif pour désigner les produits visés. Cet élément ne se trouve qu'au sein de la marque complexe.

- Concernant les éléments figuratifs de la marque complexe :

- Une forme ronde représentant une capsule de champagne ou une plaque de muselet. Cet élément constitue la base sur laquelle repose les éléments verbaux et les autres éléments figuratifs. Il sera seulement assimilé au support sur lequel la marque est apposée et n'apparaît pas particulièrement distinctif ou dominant.

- Une figure féminine sur le rang supérieur, des rameaux de lauriers sur le rang inférieur ainsi que des raies de lumière qui s'étendent de la figure féminine aux bords de la marque. Ces éléments apparaissent comme étant essentiellement décoratifs. De par leurs positions et leur taille au sein de la marque, ils n'apparaissent pas comme étant distinctifs ou dominants.

Au sein de ces marques précitées, l'élément VICTOIRE est distinctif et dominant. Pour autant, les éléments CHAMPAGNE VICTOIRE sont plus faciles à retenir que l'élément VICTOIRE seul donc la marque devra être considérée comme un tout. Le caractère distinctif de la marque naît de la combinaison de ces éléments.

Du signe VICTORIE L'audacieuse :

Le signe est composé de plusieurs éléments :

- Concernant les éléments verbaux :

- VICTORIE en capitales en élément d'attaque sur le rang supérieur. Cet élément peut faire référence à un prénom féminin. Il peut aussi faire penser au terme ' victory en anglais qui signifie victoire.

- L'audacieuse en minuscules au centre de la marque en caractères plus fins. Cet élément renvoie à quelqu'un de courageux, qui ose. Il vient qualifier le terme VICTORIE et forme un tout.

- LUBERON FRANCE en capitales sur le rang inférieur de la marque d'une couleur rosé

clair. Cet élément renvoie à l'appelation d'origine contrôlée du Lubéron qui est descriptive pour désigner des vins de cette provenance.

- Concernant les éléments figuratifs :

- Une couronne de fleurs colorées, vertes, bleues et roses qui entourent les éléments verbaux. Ces éléments apparaissent comme étant essentiellement décoratifs. De tels motifs sont assez courants dans le domaine des vins. De par leurs positions au sein de la marque en arrière-plan, ils n'apparaissent pas comme étant distinctifs ou dominants.

Au sein de ce signe, les éléments VICTORIE L'audacieuse sont distinctifs et dominants.

La société Champagne Martel fait valoir que l'élément VICTORIE est utilisée comme marque ombrelle.

Une marque ombrelle est une marque servant à désigner un ensemble de produits, les sous-marques servant à individualiser les différents types de produits proposés à la vente (EUIPO, 31 janvier 2024, Hermoo, NL C 54/946). Il n'est pas nécessaire que le public concerné ait une connaissance particulière de la marque ombrelle, il suffit qu'elle soit perçue comme telle.

Le signe VICTORIE L'audacieuse est toujours utilisé avec la combinaison des deux éléments verbaux. Le public percevra les éléments VICTORIE L'audacieuse placés sur le devant de la bouteille et non pas seulement l'élément VICTORIE au dos de la bouteille. De plus, la société Champagne Martel ne rapporte pas la preuve que les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais commercialisent d'autres produits en utilisant le signe VICTORIE. Le fait que des revendeurs référencent le vin rosé du Lubéron sous le seul élément VICTORIE ne suffit pas à démontrer que l'élément L'audacieuse constitue le simple nom du produit.

Le signe VICTORIE ne constitue pas une marque ombrelle, les éléments VICTORIE L'audacieuse devant être considérés dans leur ensemble.

Sur la comparaison des signes :

Avec la marque verbale CHAMPAGNE VICTOIRE n° 09 3 654 853 :

Visuellement, les marques revendiquées sont composées du mot VICTOIRE qui est très proche du mot VICTORIE utilisé dans le signe contesté. Seules les lettres I et R sont interverties au sein des signes qui sont composés de 8 lettres chacun dont 5 lettres VICTO placées dans le même ordre et la lettre finale E. Ces deux termes sont dominants au sein des signes, en lettres capitales et en plus grands caractères que les autres éléments verbaux. Le terme CHAMPAGNE apparaît en élément d'attaque mais n'est pas dominant au sein de la marque en raison de son caractère descriptif. Le terme L'audacieuse apparaît à la fin du signe et retiendra l'attention du consommateur associé à l'élément VICTORIE le précédant.

Phonétiquement, les termes VICTOIRE et VICTORIE sont éloignés contrairement à ce qu'affirme le tribunal. L'élément VICTOIRE est composé de 2 syllabes tandis que l'élément VICTORIE est composé de 3. Ils partagent 1 syllabe en commun VIC. Les sonorités OIRE et ORIE sont distinctes. La présence des termes CHAMPAGNE et L'audacieuse permet d'accentuer les différences phonétiques entre les signes en cause, les deux ne partageant que la voyelle A en commun au sein de la 2ème syllabe. L'élément d'attaque VICTORIE va retenir l'attention du public contrairement au terme CHAMPAGNE qui est descriptif.

Conceptuellement, les termes VICTOIRE et VICTORIE peuvent tous les deux être assimilés à un prénom féminin. Le terme VICTOIRE est associé au succès, au triomphe. Le terme VICTORIE est proche du terme ' victory en anglais qui signifie victoire. L'association du terme VICTORIE à L'audacieuse renvoie à l'image d'une femme courageuse mais non pas à la victoire. Le terme VICTOIRE associé à celui de CHAMPAGNE fait penser au succès, à la fête et à la célébration (EUIPO, 24 mai 2012, Solera Victoria Regina c/ Champagne Victoire, R 685/2011-1).

Avec la marque semi-figurative CHAMPAGNE VICTOIRE n° 3 571 360 :

Il y a lieu de reprendre les développements précédents concernant les éléments verbaux.

Les signes en cause se rapprochent en ce qu'ils sont constitués d'éléments végétaux, des rames de laurier pour la société Champagne Martel et des fleurs pour les sociétés Lacheteau et Les Grands Chais.

Pour autant, la seule présence d'un élément figuratif commun à deux marques ne permet pas de retenir un risque d'association dès lors que le signe contesté ne reprend ni la présentation, ni la disposition de l'élément figuratif, ni la calligraphie de son élément verbal. De plus, les signes en cause n'ont pas les mêmes couleurs ni la même police. Les autres éléments graphiques de la marque complexe sont différents de ceux du signe contesté.

Visuellement, l'impression d'ensemble des signes produite est différente.

Les signes en cause présentent un faible degré de similarité.

Sur le public pertinent :

En l'espèce, le public pertinent à prendre en considération pour la comparaison des signes et des produits est le consommateur français puisque les deux marques invoquées par la société Champagne Martel sont françaises.

Les décisions de l'EUIPO dont la société Champagne Martel se prévaut ne sont pas transposables puisqu'elles sont fondées sur une comparaison des signes par des consommateurs slovaques et tchèques.

Pour autant, en raison des caractéristiques, du prix ou encore de l'appelation champagne, il convient de considérer que le public français est un public un peu plus attentif que la moyenne. Le public français portera une attention particulière à la différence entre un vin de champagne et un vin rosé tranquille.

Sur le risque de confusion :

L'appréciation globale du risque de confusion implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte et notamment la similitude des signes et celle des produits ou des services désignés. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits et services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les signes, et inversement.

Les produits en cause présentent une certaine similarité. Cependant, il faut retenir que le public concerné est le public français qui a l'habitude de distinguer des vins de champagne d'autres vins.

Les signes en cause présentent un faible degré de similarité. Il existe des divergences entre les signes en raison notamment des différences visuelles et conceptuelles.

La société Champagne Martel revendique un caractère distinctif fort et une connaissance sur le marché de ses marques antérieures. Les marques sont anciennes et plutôt connues en raison des différents prix remportés. Le chiffre d'affaires des bouteilles CHAMPAGNE VICTOIRE est conséquent, ce qui démontre la connaissance de la marque sur le marché. Le fait que ne soient pas produits de sondages, classements, pages internet ou encore publicités ne permet pas d'affirmer que les marques ne sont pas connues.

Il n'existe pas de risque d'association pour le public qui ne sera pas amené à considérer que les parties sont liées économiquement ou que les produits proviennent de la même entreprise. En effet, il n'existe pas de déclinaisons des marques CHAMPAGNE VICTOIRE. Les marques référencent seulement différentes versions de champagne selon la catégorie de vins de champagne. L'ajout de mentions descriptives relatives à l'indication du produit telles que Brut, Premier cru, Blanc de Blanc, Demi-sec, Rosé, etc ne permet pas de considérer que les marques font l'objet de déclinaisons.

Le seul fait que les signes soient mal référencés sur certains sites internet ne permet pas de considérer qu'il existe un risque de confusion. Sur de nombreux autres sites internet le signe est référencé sous l'appelation VICTORIE L'audacieuse. L'élément L'audacieuse permet de différencier les signes, de même que la nature du produit qui est du rosé et non du champagne. Les éléments figuratifs du signe VICTORIE L'audacieuse permettent aussi au consommateur d'identifier l'origine du produit.

Il apparaît ainsi qu'il n'est pas établi que l'impression d'ensemble produite par les signes en cause a pu générer un risque de confusion dans l'esprit du public. Il y a lieu de rejeter les demandes formées par la société Champagne Martel au titre de la contrefaçon alléguée de ses marques.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes :

Les autres demandes des parties seront rejetées dès lors que la cour retient que la société Champagne Martel ne peut pas se prévaloir d'actes de contrefaçon à l'encontre de ses marques.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la société Champagne Martel, partie succombante, aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

- Déclare irrecevables les conclusions des sociétés Lacheteau et Les Grands chais en date du 28 janvier 2025,

- Confirme le jugement,

Y ajoutant :

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne la société Champagne G.H. Martel et Cie aux dépens d'appel.

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