CA Amiens, ch. économique, 27 mars 2025, n° 24/00057
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Com.sports (SARL)
Défendeur :
Vert Marine (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grevin
Vice-président :
Mme Mathieu
Conseiller :
Mme Peraire
Avocats :
Me Camier, Me Le Roy, Me Brault, Me Thomas, Me Guyot, Me Havelette
DECISION
La SAS Vert Marine a pour objet l'exploitation de piscines et espaces ludiques, à travers la conclusion de contrats attribués à la suite d'une procédure de mise en concurrence soumise au droit public réalisée par les collectivités territoriales concernées sous la forme de concessions de service public, par affermage ou délégation.
La SARL Com.Sports exerce une activité similaire à celle de la SAS Vert Marine et directement ou à travers ses filiales, elle a été attributaire de concessions de service public.
Le 17 novembre 2010, la communauté de communes du Val de Somme a attribué une concession de service public à la SARL Com. Sports, sous forme d'un contrat d'affermage, pour assurer l'exploitation du centre aquatique communal sis à [Localité 5], pour une durée de 5 ans à effet au 1er janvier 2011.
Le 17 décembre 2015, la communauté de communes du Val de Somme a attribué une nouvelle concession de service public à la SARL Com. Sports pour l'exploitation du même centre aquatique pour une durée de 6 ans à effet au 1er janvier 2016.
La SAS Vert Marine contestant les conditions dans lesquelles la SARL Com. Sports a pu établir son offre et lui reprochant d'appliquer la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels du 5 janvier 1994 (ci-après « CCN ELAC ») alors que serait applicable la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005 (ci-après « CCNS »), pour un coût supérieur, ce qui entraînerait des distorsions de concurrence, a, par acte d'huissier en date du 23 juin 2021, fait assigner, la SARL Com. Sports devant le tribunal de commerce d'Amiens aux fins de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- ordonner qu'il soit fait interdiction à la SARL Com. Sports directement ou indirectement 30 jours après la signification du jugement à venir, de soumettre ou maintenir auprès d'une collectivité territoriale, une quelconque offre relative à l'exploitation d'équipements sportifs, activités récréatives et ludiques, dont le personnel d'exploitation serait soumis à la convention collective nationale ELAC, et ce, sous astreinte définitive de 250.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- ordonner à la SARL Com. Sports, sous un délai de 30 jours après la signification du jugement à venir, de cesser d'appliquer la convention collective nationale ELAC et de soumettre les salariés du centre aquatique Calypso sis à [Localité 5] à la convention nationale du sport, et ce, sous astreinte définitive de 30.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- condamner la SARL Com. Sports au paiement des sommes suivantes :
- 546.655 euros au titre du préjudice subi du fait des économies réalisées et des gains indus à la suite de l'attribution de la concession de 2011 à 2015,
- 433.500 euros au titre du préjudice subi du fait des économies réalisées et des gains indus à la suite de l'attribution de la concession de 2016 à 2021,
- 200.000 euros au titre du préjudice commercial, d'image, d'investissement subi,
- ordonner la publication de la décision à venir dans 5 journaux professionnels dans la limite de 1000 euros par journal,
- condamner la SARL Com. Sports à lui payer la somme de 25.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par un jugement rendu le 17 novembre 2023, le tribunal de commerce d'Amiens a :
- déclaré la SAS Vert Marine recevable en ses demandes,
- condamné la SARL Com.Sports à payer à la SAS Société Vert Marine la somme de 90.000 euros au titre de son préjudice,
- débouté la SAS Société Vert Marine de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice commercial, d'image et d'investissement,
- débouté la SAS Société Vert Marine de sa demande de publication de la décision dans 5 journaux,
- débouté la SAS Société Vert Marine de sa demande d'ordonner qu'il soit fait interdiction à la SARL Com.Sports directement ou indirectement, 30 jours après la signification du jugement à intervenir, de soumettre ou maintenir auprès d'une collectivité territoriale, une quelconque offre relative à l'exploitation d'équipements sportifs, activités récréatives et ludiques, dont le personnel d'exploitation serait soumis à la CCN ELAC, et ce sous astreinte définitive de 250.000 euros par jours de retard, passé le délai de 30 jours,
- débouté la SAS Société Vert Marine de sa demande d'ordonner qu'il soit fait interdiction à la SARL Com.Sports directement ou indirectement, 30 jours après la signification du jugement à intervenir, de cesser d'appliquer la CCN ELAC et de soumettre les salariés du centre aquatique Calypso situé à [Localité 5] à la CCNS, et ce sous astreinte de 30.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- condamné la SARL Com.Sports à payer à la SAS Société Vert Marine la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,
-écarté l'exécution provisoire.
Par un acte en date du 11 décembre 2023, la SARL Com.Sports a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 27 novembre 2024, la SARL Com.Sports conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :
- déclarer la SAS Vert Marine irrecevable en ses demandes pour défaut d'intérêt et qualité à agir et pour cause de prescription,
- subsidiairement, débouter la SAS Vert Marine de toutes ses demandes en paiement et réparatoires,
- en tout état de cause, condamner la SAS Vert Marine à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 4 décembre 2024, la SAS Vert Marine conclut à l'infirmation partielle du jugement déféré et demande à la cour :
- d'ordonner qu'il soit fait interdiction à la SARL Com. Sports directement ou indirectement 30 jours après la signification du jugement à venir, de soumettre ou maintenir auprès d'une collectivité territoriale, une quelconque offre relative à l'exploitation d'équipements sportifs, activités récréatives et ludiques, dont le personnel d'exploitation serait soumis à la convention collective nationale ELAC, et ce, sous astreinte définitive de 250.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- d'ordonner à la SARL Com. Sports, sous un délai de 30 jours après la signification du jugement à venir, de cesser d'appliquer la convention collective nationale ELAC et de soumettre les salariés du centre aquatique Calypso sis à [Localité 5] à la convention nationale du sport, et ce, sous astreinte définitive de 30.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- de condamner la SARL Com. Sports au paiement des sommes suivantes :
- 546.655 euros au titre du préjudice subi du fait des économies réalisées et des gains indus à la suite de l'attribution de la concession de 2011 à 2015,
- 433.500 euros au titre du préjudice subi du fait des économies réalisées et des gains indus à la suite de l'attribution de la concession de 2016 à 2021,
- 200.000 euros au titre du préjudice commercial, d'image, d'investissement subi,
- d'ordonner la publication de la décision à venir dans 5 journaux professionnels dans la limite de 1000 euros par journal,
- de condamner la SARL Com. Sports à lui payer la somme de 25.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité des demandes de la SAS Vert Marine
Sur la qualité et l'intérêt à agir
La SARL Com.Sports réfute la qualité/l'intérêt à agir de la SAS Vert Marine et fait valoir que l'action en concurrence déloyale est une action « dite subsidiaire » ouverte uniquement à la victime qui ne dispose pas de droit privatif.
Elle estime qu'un candidat évincé d'un marché public comme tel est le cas de la SAS Vert Marine dispose d'une action spécifique devant le juge administratif pour contester l'attribution qu'il juge irrégulière ou infondée ; qu'au surplus, dans l'hypothèse d'une éventuelle erreur dans l'application d'une convention collective, il appartient, le cas échéant, alors aux salariés concernés de saisir le Conseil de Prud'hommes compétent.
Elle fait valoir que la SAS Société Vert Marine qui n'a jamais intenté d'action en justice ou contesté l'attribution du marché critiqué, ne saurait des années plus tard être considérée comme ayant un intérêt légitime à contester de manière indirecte de telles attributions de concessions de service public qui sont aujourd'hui définitives, exécutoires et ne sont absolument plus contestables.
La SAS Vert Marine expose que son action est diligentée à l'égard de la SARL Com. Sports, société commerciale, sur le fondement délictuel et tend à obtenir l'indemnisation d'un préjudice subi du fait d'un comportement illicite de cette dernière, comme toute action de concurrence déloyale entre deux sociétés commerçantes.
Elle soutient que l'existence de son droit d'agir en justice, en concurrence déloyale, n'est pas une condition de recevabilité de son action, mais de son succès.
Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Il ressort des écritures des parties que la SAS Vert Marine agit à titre principal sur le fondement de l'action en concurrence déloyale et que la faute reprochée n'est pas celle de la collectivité publique qui aurait fait le choix d'une offre irrégulière, mais celle d'une société commerciale ( la SARL Com. Sports) qui, si elle n'a pas respecté la réglementation en vigueur (application de la CCN ELAC au lieu de la CCNS), pourrait avoir perturbé le marché en se plaçant dans une situation anormalement plus favorable par rapport à ses concurrents tant pour obtenir un marché que dans le cadre de l'exécution de celui-ci. Ainsi l'action en responsabilité exercée par la SAS Vert Marine (société commerciale) à l'encontre de la SARL Com. Sports (autre société commerciale) vise à rétablir une situation concurrentielle et obtenir l'indemnisation de préjudices particuliers privés.
Dans ces conditions, la cour estime que la SAS Vert Marine justifie d'une qualité et d'un intérêt à agir à l'encontre de la SARL Com. Sports.
Sur la prescription
La SARL Com. Sports soulève la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui commence à courir à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Elle soutient que s'agissant d'une action en concurrence déloyale formée dans le cadre de l'attribution d'un marché public par une collectivité publique, le point de départ du délai de prescription de l'action en concurrence déloyale ouverte à un requérant correspond à la date de la décision d'attribution du marché public, de sorte que la SAS Vert Marine est prescrite en son action.
La SAS Vert Marine réplique que chaque acte de concurrence déloyale ou chaque période de concurrence, constitue un fait distinct susceptible de donner lieu à une action. Elle soutient que les actes de concurrence déloyale n'ont pas cessé dans la mesure où il faudrait que la SARL Com. Sports justifie de l'application de la convention collective du sport CCNS, ce que cette dernière ne fait pas.
Elle ajoute que la date de signature des contrats, auxquels elle n'est pas partie ne saurait constituer un point de départ de prescription délictuelle.
Il convient de rappeler que l'action en concurrence déloyale se prescrit par cinq ans et ce à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer et qu'en présence d'actes continus de déloyauté il convient de procéder à une application distributive de la règle de la prescription.
La Cour de cassation énonce que chaque fait distinct de concurrence déloyale constitue un point de départ de prescription. En l'espèce, la SAS Vert Marine reprochant à la SARL Com. Sports de ne pas appliquer la convention collective du sport CCNS, ce que cette dernière ne conteste pas, force est de constater au vu de la date d'exécution du dernier contrat de concession de service public (jusqu'en janvier 2022) que des faits dénoncés sous le qualificatif de concurrence déloyale ont une origine de moins de cinq ans.
Dans ces conditions, la cour estime que la SAS Vert Marine n'est pas prescrite en son action.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la SAS Vert Marine recevable en son action formée à l'encontre de la SARL Com. Sports.
Sur l'existence de la concurrence déloyale
La SARL Com. Sports soutient n'avoir commis aucune faute susceptible d'engager le cas échéant sa responsabilité sur le terrain de la concurrence déloyale. Elle estime qu'elle n'a commis aucune faute susceptible de désorganiser un marché à quelque titre que ce soit et n'a pas davantage commis un quelconque acte de captation de clientèle.
Elle fait valoir que le contentieux de la régularité de l'offre du marché public relève de la compétence du juge administratif.
Elle affirme que la SAS Société Vert Marine ne produit aucun élément probant de nature à démontrer que dans le contexte de l'exploitation, objet du litige, le coût global pour l'employeur de la CCNS aurait été supérieur à celui de la CCN ELAC.
Elle ajoute que le prix n'est pas l'unique critère d'appréciation dans l'attribution du marché.
La SAS Vert Marine expose que la violation d'une norme obligatoire (en l'espèce la non application de la CCNS) constitue un acte de concurrence déloyal car celle-ci est susceptible de perturber le marché en plaçant la SARL Com.Sports dans une situation anormalement favorable dans la présentation d'une offre par rapport à ses concurrents, et notamment elle, qui la respectent.
Elle soutient que le caractère obligatoire de l'application de la CCNS est tiré de l'article L.2261-15 du code du travail.
Elle estime que la non-application d'une convention collective constitue bien la violation d'une norme réglementaire.
Elle précise que la CCN ELAC a un tout autre objet que la CCNS puisqu'elle a vocation à régir les relations entre employeurs et salariés des entreprises de droit privé à but lucratif exerçant leur activité principale dans le domaine des activités à vocation récréative et culturelle.
A titre liminaire, la cour relève que la question qui lui est soumise a trait à l'existence ou non d'actes de concurrence déloyale commis par la SARL Com.Sport de nature à perturber un marché et non à l'appréciation de la régularité de la procédure de passation du contrat de marché public. De plus, il y a lieu de rappeler que la détermination de la convention collective applicable à une entreprise relève de la compétence du juge judiciaire.
En vertu des articles 1240 et 1241 du code civil, l'acte de concurrence déloyale est un acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale qui s'écarte de la conduite normale du professionnel et qui faussant l'équilibre dans les relations concurrentielles rompt l'égalité des chances devant exister entre les concurrents.
Il peut résulter de la violation de normes légales ou réglementaires ou encore contractuelles ou de la transgression d'un devoir général de conduite consistant dans l'entretien d'une confusion par imitation, dans le dénigrement ou la désorganisation interne de l'entreprise rivale ou la désorganisation du marché ou encore le parasitisme.
La faute peut être constituée par le non-respect d'une réglementation, dès lors que ce dernier place les opérateurs dans des situations inégales devant la concurrence, puisque cette violation est susceptible de perturber le marché en plaçant cette société dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents qui la respectent. Ainsi, la théorie de la concurrence déloyale ne protège pas seulement les concurrents entre eux, elle vise à assurer une concurrence loyale, un bon fonctionnement du marché, de sorte que d'autres intérêts que ceux des entreprises elles-mêmes, ceux des consommateurs ou des salariés seront pris en compte. Dès lors que l'agissement critiqué apporte une distorsion dans le jeu de la concurrence, il constitue un acte de concurrence déloyale.
L'article L 2261-15 du code du travail dispose que : « Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (') peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord ».
La SAS Vert Marine produit l'arrêté du ministère du travail du 7 avril 2010 portant extension d'un avenant à la convention collective nationale du sport qui a étendu aux relations entre entreprises dont l'activité consiste dans la gestion des équipements sportifs activités récréatives et ludiques (code NAF 93117) et leurs salariés l'avenant 37 bis du 6 novembre 2009 de la CCNS, en précisant que le même jour était publié l'arrêté excluant les activités précités du champ d'application de la CNN ELAC.
Cet arrêté a été confirmé par le Conseil d'Etat et mis en 'uvre conformément à l'accord du 30 mars 2011 relatif au champ d'application de la convention nationale du sport qui a prévu en son article 6 « pour les délégataires de service public, l'application obligatoire de la convention collective nationale du sport à l'occasion de la conclusion de chaque nouveau contrat signé ou du renouvellement de chaque contrat, et au plus tard le 1er janvier 2014 ».
De plus, il y a lieu de relever que le ministère des sports a également confirmé l'extension de l'application de la CCNS aux lieu et place de la CCN ELAC dans une question écrite avec réponse n°102671 du 15 mars 2011 en indiquant :
« (') Les entreprises organisant des activités physiques récréatives ou des activités de loisirs sportifs, après avoir été régies par la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (CCN ELAC) ont intégré le champ d'application de la CCNS. L'arrêté d'extension de l'avenant 37 bis à la CCNS du 7 avril 2010 a été publié au journal officiel du 15 avril ; ce même jour était également publié l'arrêté les excluant du champ d'application de la CCN ELAC. (') En tout état de cause, aucune activité récréative ou de loisir sportif organisée par une entreprise de droit privé, quel que soit son statut, ne saurait s'affranchir de la réglementation des activités physiques ou sportives indépendamment de la convention dont elle relève ».
Au cas présent, la communauté de communes du Val de Somme a délégué par contrat d'affermage à la SARL Com.Sport l'exploitation de la piscine intercommunale Calypso formant un centre aquatique sis à [Localité 5].
Il ressort de l'analyse des textes précités et des pièces produites aux débats que lors de la soumission à l'appel d'offre de la communauté de communes du Val de Somme en 2011, la SARL Com.Sport était titulaire jusqu'à la fin 2015 de la délégation de service public et qu'à cette date le personnel travaillant au sein du centre aquatique était encore soumis à la CCN ELAC, en dépit du caractère obligatoire de la CCNS.
En 2015, lors de la procédure de renouvellement de la concession, la SARL Com.Sport dans son offre a indiqué ne pas être soumise à la CCNS et a bénéficié du renouvellement du contrat par une délibération du 17 décembre 2015 au cours de laquelle la collectivité publique a approuvé le choix de la SARL Com.Sport en qualité de fermier afin d'exploiter le centre aquatique Calypso à effet du 1er janvier 2016 pour une durée de 6 ans, soit jusqu'au 1er janvier 2022, cette dernière date étant postérieure à la délivrance de l'assignation en date du 23 juin 2021.
Il est constant que dans le cadre de l'exécution du contrat d'affermage de l'exploitation du centre aquatique, le fermier est tenu d'exploiter le service délégué en conformité avec la législation et notamment la réglementation relative aux conditions de travail des salariés de la branche concernée. En l'espèce, la branche concernée est l'exploitation des piscines publiques, de sorte que l'application de la CCNS est obligatoire.
Devant la cour, la SARL Com.Sport ne conteste plus sérieusement l'application de la CCNS et réplique qu'il n'est pas justifié du coût plus important de la CCNS à la CCN ELAC. Or, le seul fait de ne pas appliquer une norme obligatoire est par nature fautive, dans la mesure où la violation d'une norme quelle qu'elle soit a un impact sur le marché, en faussant artificiellement le cadre juridique applicable et ses répercussions sociales, économiques et financières.
Dès lors, la non application de la CCNS au centre aquatique Calypso dans les 5 ans précédent la délivrance de l'assignation en date du 23 juin 2021 caractérise un acte de concurrence déloyale à l'égard de la SAS Vert Marine qui a participé aux mêmes marchés d'offres en question et intervient sur le même marché économique, tant au stade de la proposition de l'offre que de l'exécution du contrat.
Sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité avec le non-respect des normes CCNS
La SAS Vert Marine expose qu'en matière de responsabilité pour concurrence déloyale, il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale. Elle estime que son préjudice peut être déterminé en prenant en compte les profits générés sur la durée de chaque contrat et indûment perçus par la SARL Com.Sports et les économies réalisées sur la durée de chaque contrat, ce qui amène le montant du préjudice à 546.655 euros sur le premier contrat et 433.500 euros sur le second.
Elle sollicite également une indemnisation au titre des préjudices d'ordre commercial, moral, d'image, d'investissement et de publication de la décision à venir. Elle soutient que sa crédibilité est affectée par le comportement de la SARL Com.Sports auprès des collectivités territoriales en présentant des projets plus coûteux du fait de l'application de la CCNS, ce qui porte atteinte à sa réputation et à son image.
Elle précise qu'elle a connu un frein dans son développement lié directement à ces actes de concurrence déloyale et a dû et doit encore renforcer ses équipes pour améliorer ses propositions et tenter de maintenir sa place sur le marché.
La SARL Com.Sports fait valoir que tout demandeur à une action en concurrence déloyale doit démontrer l'existence du préjudice éventuel dont il se prévaut tant dans son principe que dans son quantum ainsi qu'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute alléguée.
S'agissant plus particulièrement du candidat à l'attribution d'un contrat public qui demande réparation de son préjudice né de son éviction irrégulière dudit contrat, il doit démontrer, d'une part, que sa propre offre était parfaitement régulière, et d'autre part, qu'il avait des chances réelles de remporter le contrat public pour pouvoir envisager solliciter la moindre indemnisation. La SARL Com.sports soutient que la SAS Société Vert Marine échoue à démontrer l'existence d'un quelconque préjudice, tout comme elle échoue à démontrer l'ensemble des éléments évoqués précédemment concernant l'attribution du contrat public.
En premier lieu, il convient de relever s'agissant du marché dont s'agit que la SAS Vert Marine si elle démontre l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la SARL Com.Sports ne prouve pas que c'est la seule application de la CCN ELAC aux lieu et place de la CCNS qui a permis à la SARL Com.Sports de se voir attribuer le contrat d'exploitation du centre aquatique. En effet, les critères dans l'attribution de l'offre ne se résument pas au prix mais concernent « la valeur technique de l'offre » et « les engagements durables ». De plus les tableaux comparatifs établis par la SAS Vert Marine relatives aux coût salariaux découlant de l'application des deux conventions, constituent des éléments de preuve unilatéraux corroborés par aucun autre document technique juridique et ont uniquement pour vocation de chiffrer un préjudice qui est par nature hypothétique pour la SAS Vert Marine. En tout état de cause, les économies réalisées par la SARL Com.Sports ne constituent pas un dommage réparable au profit de la SAS Vert Marine et il n'est pas justifié de ce que les gains réalisés par la SARL Com.Sport à l'occasion de l'attribution de ce marché sont indus et auraient nécessairement été reportés au bénéfice de la SAS Vert Marine.
Dans ces conditions, il convient de débouter la SAS Vert Marine de ses demandes en paiement au titre des économies réalisées et des gains indus perçus par la SARL Com.Sports et par conséquent d'infirmer le jugement déféré de ce chef.
En revanche, s'agissant du préjudice moral commercial, d'image et d'investissement, la cour rappelle que la jurisprudence de la cour de Cassation énonce qu'il s'infère nécessairement un préjudice fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale. En effet, l'acte de concurrence déloyale, qu'il consiste en une pratique contraire à la loi ou en un procédé attentatoire aux usages du commerce, se caractérise par une rupture de l'égalité dans les moyens mis en 'uvre par les concurrents pour capter la clientèle. Cette rupture de l'équilibre dans la compétition crée nécessairement chez les concurrents au moins des turbulences, des désordres non quantifiables, constitutifs d'une forme de préjudice caractérisé par la déstabilisation du rival et la diminution de sa capacité de concurrence. Cette présomption de préjudice permet d'allouer à la victime des dommages et intérêts.
Au cas présent, la cour par une appréciation souveraine estime que, la non-application de la CCNS qui est une norme obligatoire au centre aquatique Calypso, par la SARL Com.Sports est constitutive d'un préjudice moral commercial de nature à perturber le marché en plaçant cette dernière dans une situation anormalement favorable par rapport à la SAS Vert Marine qui justifie avoir indiqué faire application la CCNS dans son offre soumise à la collectivité publique et produit de nombreuses décisions attestant de l'application de cette norme aux piscines exploitées par ses soins. Toutefois, dans la présente instance, la SAS Vert Marine ne caractérise pas un préjudice particulier d'investissement ou d'atteinte à la réputation, se contentant de procéder par affirmation péremptoire et se reportant à des décisions rendues par les juridictions administratives concernant l'attribution de marchés dans le secteur des espaces aquatiques dans des procédures opposant ces deux mêmes sociétés et ayant donné lieu à des décisions favorables respectivement à l'une ou à l'autre.
Dans ces conditions, il convient de condamner la SARL Com.Sports à payer à la SAS Vert Marine la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral commercial et par conséquent d'infirmer la décision de ce chef.
Sur les demandes sous astreinte
La SAS Vert Marine demande à la cour :
- ordonner à la SARL Com. Sports, sous un délai de 30 jours après la signification du jugement à venir, de cesser d'appliquer la convention collective nationale ELAC et de soumettre les salariés du centre aquatique Calypso sis à [Localité 5] à la convention nationale du sport, et ce, sous astreinte définitive de 30.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours,
- ordonner qu'il soit fait interdiction à la SARL Com. Sports directement ou indirectement 30 jours après la signification du jugement à venir, de soumettre ou maintenir auprès d'une collectivité territoriale, une quelconque offre relative à l'exploitation d'équipements sportifs, activités récréatives et ludiques, dont le personnel d'exploitation serait soumis à la convention collective nationale ELAC, et ce, sous astreinte définitive de 250.000 euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours.
S'agissant de la première demande, la cour relève que s'agissant d'un contentieux entre deux sociétés commerciales, la cour n'a pas à s'immiscer dans un contentieux social, la soumission de la CCNS et ses conséquences de droit étant une action appartenant par nature aux salariés de la structure concernée et relevant de la juridiction prud'homale.
S'agissant de la deuxième demande, la cour comme les premiers juges estime que s'il appartient à la présente juridiction de statuer sur l'existence d'actes de concurrence déloyale dans le cadre des principes directeurs du procès civil et notamment celui de l'immutabilité du litige et le cas échéant d'en tirer les conséquences indemnitaires, elle ne peut ordonner sous astreinte à une partie de faire application d'une convention collective donnée ou interdire l'émission d'offre soumise à la convention ELAC alors que la SAS Vert Marine ne peut raisonnablement affirmer et garantir que cette demande concernera nécessairement des situations et faits similaires à ceux soumis à la juridiction à l'occasion de la présente instance ; dès lors cette demande sera rejetée.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Vert Marine de ses demandes d'interdiction et d'application de convention collective sous astreinte.
Enfin s'agissant de la demande de publication de la décision à venir sous astreinte, la cour juge qu'au vu de l'ancienneté du litige et des nombreuses instances opposant les mêmes parties, il n'y a pas lieu d'y faire droit.
Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef.
Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SARL Com.Sports succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SARL Com.Sports à payer à la SAS Vert Marine la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles exposés en appel et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Amiens le 17 novembre 2023, en ce qu'il a :
- condamné la SARL Com.Sports à payer à la SAS Vert Marine la somme de 90.000 euros au titre de son préjudice au titre des économies réalisées et des gains indus perçus par la SARL Com.Sports,
- débouté la SARL Com.Sports de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice commercial, d'image et d'investissement.
Et statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute la SAS Vert Marine de sa demande en paiement au titre des économies réalisées et des gains indus perçus par la SARL Com.Sports.
Condamne la SARL Com.Sports à payer à la SAS Vert Marine la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral commercial.
Le confirme pour le surplus.
Y ajoutant,
Condamne la SARL Com.Sports à payer à la SAS Vert Marine la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.
Condamne la SARL Com.Sports aux dépens d'appel et fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.