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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 1 avril 2025, n° 22/00596

CAEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barthe-Nari

Conseillers :

Mme Delaubier, Mme Gauci Scotte

Avocats :

Me Valery, Me Rieffel, Me Pajeot

TJ Coutances, du 27 janv. 2022, n° 19/01…

27 janvier 2022

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 11 mars 2008, M. [Z] [E] et Mme [L] [P] épouse [E] ont signé avec M. [X] et Mme [F] un compromis de vente d'un immeuble pour un prix de 750 000 euros, devant être régularisé le 28 juin 2008.

Considérant la surface de la maison inférieure à celle mentionnée dans la fiche technique remise par le notaire, les époux [E] ont proposé de régulariser à un prix inférieur.

Les vendeurs ont refusé et fait assigner à jour fixe les époux [E] aux fins de réitérer l'acte de vente.

Par jugement du 19 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Rennes a :

dit que le jugement vaut propriété pour les époux [E],

condamné les époux [E] au paiement du prix de vente de 750 000 euros, outre frais de vente et de négociation,

dit que la somme de 37 500 euros versée à titre de dépôt de garantie est acquise aux vendeurs en application de la clause pénale prévue au compromis,

condamné les époux [E] à 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

prononcé l'exécution provisoire.

Les époux [E] ont interjeté appel de cette décision le 19 février 2009 et pris possession de la maison le 23 février 2009.

Les époux [E] ont par ailleurs déposé plainte avec constitution de partie civile le 20 octobre 2010 qui a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu définitive selon arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 2018.

Par arrêt du 27 octobre 2011, la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement civil en toutes ses dispositions et condamné les époux [E] à payer une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel, sauf ceux exposés par Me [I].

Un pourvoi a été formé. Suivant arrêt du 10 juillet 2013, la cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Rennes et renvoyé devant la même cour autrement composée.

Par acte du 3 octobre 2013, Me [Y], conseil des époux [E] à cette date, a saisi la cour d'appel de renvoi par courrier.

Sur incident, par ordonnance du 3 décembre 2014, l'acte de saisine a été déclaré recevable.

Par arrêt du 18 juin 2015, la cour d'appel de Rennes a infirmé l'ordonnance du 3 décembre 2014 et déclaré irrecevable la saisine.

Les époux [E] ont saisi à nouveau la cour d'appel de renvoi le 9 juillet 2015 et formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt rendu le 18 juin 2015.

Par ordonnance du 4 mai 2016, la nouvelle saisine a été déclarée irrecevable.

Par arrêt du 30 juin 2016, la cour d'appel de Rennes a confirmé l'irrecevabilité.

Par arrêt du 1er décembre 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des époux [E] à l'encontre de l'arrêt du 18 juin 2015. Par arrêt du 19 octobre 2017, elle a également rejeté le pourvoi formé à l'encontre de la décision du 30 juin 2016.

Le 14 septembre 2018, les époux [E] ont vendu leur bien pour le prix de 525 000 euros.

Considérant Me [Y] responsable de leur préjudice, les époux [E] ont porté leur réclamation devant le Barreau. Le 24 juin 2019, la société de Courtage des Barreaux indiquait que les honoraires réglés à Me [Y] n'étaient pas garantis par la police collective du Barreau de Rennes et a sollicité l'intégralité des pièces et conclusions échangées devant la cour d'appel de Rennes pour traiter la réclamation des époux [E].

Par courrier du 4 juillet 2019, les époux [E] ont transmis le courrier à Me [Y] en sollicitant l'entier dossier et le remboursement des honoraires depuis la déclaration de saisine irrégulière.

N'obtenant pas les pièces attendues, les époux [E] ont écrit le 20 août 2019 à la société de Courtage des Barreaux ne pas être en possession des pièces attachées aux conclusions.

La société de Courtage des Barreaux a indiqué le 13 septembre 2019 qu'elle ne pouvait prendre position sans disposer de l'intégralité des pièces de fonds.

Sur la foi de ce courrier, les époux [E] ont saisi le tribunal de grande instance de Coutances aux fins de voir condamner Me [Y] à leur payer la somme de 721 831,55 euros outre intérêts et capitalisation.

Par ordonnance du 1er avril 2021, le juge de la mise en état a enjoint à Me [Y] de produire les pièces 3, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 20, 21, 23, 24, 25, 27 à 35, 37 et 44 produites par lui au soutien des intérêts des époux [E], dans un délai d'un mois à compter de la décision et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et débouté les époux [E] de leurs autres demandes.

Par jugement du 27 janvier 2022 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Coutances a :

déclaré Me [Y] responsable de la faute commise dans le cadre de la procédure d'appel après l'arrêt de cassation du 10 juillet 2013,

condamné Me [Y] à payer à M. et Mme [E], unis d'intérêts, la somme de 616 486,90 euros au titre de la perte de chance, outre 23 817,36 euros au titre des frais de procédure engagés depuis la saisine de la cour d'appel du 3 octobre 2013, outre intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2019,

condamné Me [Y] à payer à M. et Mme [E], unis d'intérêts, la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé par la résistance abusive,

ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis une année entière,

condamné Me [Y] à payer à M. et Mme [E], unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné Me [Y] aux dépens, qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire,

rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 7 mars 2022, Me [Y] a formé appel de ce jugement, le critiquant en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 27 août 2024, Me [Y] demande à la Cour de :

dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par lui à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022,

réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022 :

en ce qu'il l'a déclaré responsable,

en ce qu'il l'a condamné à payer à M. et Mme [E], unis d'intérêts, une somme de 616 486,90 euros au titre de la perte de chance, outre 23 817,36 euros au titre des frais de procédure engagés depuis la saisine de la Cour d'appel du 3 octobre 2013, outre intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2019,

en ce qu'il l'a déclaré responsable d'une résistance abusive et l'a condamné à payer à M. et Mme [E], unis d'intérêts, la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé à raison de cette résistance abusive,

en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis une année entière,

en ce qu'il l'a condamné à payer à M. et Mme [E] unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

en ce qu'il l'a condamné aux dépens,

en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, notamment celles présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

débouter M. et Mme [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,

débouter partant, et en tout état de cause, M. et Mme [E] de leur appel incident à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 26 janvier 2022 et de leur demande tendant à ce qu'il soit condamné à leur payer la somme de 695 149,19 euros au titre de la perte de chance par eux alléguée, outre les intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2019, ainsi qu'une somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice moral, outre une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel,

A titre subsidiaire,

débouter M. et Mme [E] de leur prétention à indemnisation d'une perte de chance à hauteur de 95 %,

réformer donc le jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 27 janvier 2022 en ce qu'il a retenu l'existence d'une perte de chance et l'a évaluée à 95 %,

réduire à de plus justes proportions le taux de la perte de chance alléguée,

débouter M. et Mme [E] de leur prétention à indemnisation au titre d'une perte de chance portant sur la clause pénale à hauteur de 37 500 euros et sur une perte de rendement,

débouter M. et Mme [E] de toutes demandes de ces chefs de préjudice,

débouter également M. et Mme [E] de leur prétention à indemnisation au titre des frais et condamnations dans le cadre de la procédure pénale, au titre des frais et condamnations en première instance et en appel, non justifiés, ainsi qu'au titre des frais d'entretien,

réduire, en tout état de cause, l'indemnisation des préjudices allégués par M. et Mme [E] à les supposer justifiés, à de plus justes proportions,

débouter M. et Mme [E] de leur demande de condamnation au paiement d'intérêts à compter du 26 avril 2019 et de leur demande de capitalisation des intérêts,

déclarer qu'en application de l'article 1231-7 du code civil, les indemnités qui seront, le cas échéant, mises à sa charge ne porteront intérêt au taux légal qu'à compter de l'arrêt à intervenir,

En tout état de cause,

condamner in solidum M. et Mme [E], au paiement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum M. et Mme [E], aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Valery,

débouter M. et Mme [E] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles et au titre des dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 12 octobre 2023, M. et Mme [E] demandent à la Cour de :

confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022, sauf en ce qu'il a limité la condamnation de Me [Y] au titre de la perte de chance à la somme de 616 486,90 euros,

En conséquence,

infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022 en ce qu'il a condamné Me [Y] à leur payer, unis d'intérêts, la somme de 616 486,90 euros au titre de la perte de chance,

Statuant à nouveau,

débouter Me [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

condamner Me [Y] à leur payer, unis d'intérêts, la somme de 695 149,19 euros au titre de leur perte de chance, outre intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2019, date de la mise en demeure,

condamner Me [Y] à leur payer, unis d'intérêts, la somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice moral,

condamner Me [Y] à leur payer, unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

le condamner aux dépens d'appel,

faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 25 septembre 2024.

Initialement fixée à l'audience collégiale du 15 octobre 2024 devant la cour autrement composée, l'affaire a été mise en délibéré au 7 janvier 2025 lequel a été prorogé au 11 février. A cette date, à la suite du départ en retraite du président de la chambre, les débats ont été rouverts par mention au dossier et l'affaire de nouveau fixée à l'audience du 13 mars 2025 tenue par le magistrat rapporteur.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'étendue de la saisine de la Cour :

Aux termes de leurs dernières conclusions, il convient de constater que les parties limitent leurs débats aux points suivants :

la responsabilité contractuelle de Me [Y],

l'existence d'une perte de chance subie par les époux [E],

les indemnisations sollicitées par M. et Mme [E].

En conséquence, les autres dispositions non critiquées de la décision, ont d'ores et déjà acquis force de chose jugée.

Sur la responsabilité de l'avocat :

Me [Y] forme appel du jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022 en ce qu'il l'a déclaré responsable d'une faute commise dans le cadre de la procédure d'appel après arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2013.

Il ne conteste pas qu'une faute puisse lui être reprochée pour avoir saisi la juridiction de renvoi après cassation sans respecter les dispositions de l'article 930-1 du Code de procédure civile.

Il entend cependant rappeler que ces dispositions réglementaires n'étaient entrées en vigueur que quelques mois auparavant et prêtaient encore à interprétation, ce qui pouvait expliquer sa faute.

Pour autant, Maître [Y] conteste que l'existence d'une faute soit suffisante pour le déclarer responsable sans que soit rapportée par ailleurs la preuve de l'existence d'un dommage certain, réel et direct en résultant.

Il soutient que pour que sa responsabilité puisse être retenue, il appartient à M. et Mme [E] de rapporter la preuve de l'existence de leur préjudice, et donc des chances de succès de leur action en justice si elle s'était poursuivie après l'arrêt de cassation.

A cette fin, Maître [Y] affirme que M. et Mme [E] sont tenus de produire aux débats l'intégralité des pièces et actes de procédure communiqués par les parties dans le cadre du procès les ayant opposés à leurs vendeurs et au notaire, afin que puisse véritablement être appréciée leur chance de succès.

Or, il relève que les époux [E] s'abstiennent de produire ces éléments, de sorte qu'il n'est pas possible à la juridiction saisie de reconstituer fictivement le débat juridique, et donc de caractériser la réalité de la perte de chance alléguée.

Maître [Y] précise qu'il a communiqué à M. et Mme [E] son entier dossier de procédure lorsque ces derniers en ont fait la demande dans le cadre d'un incident élevé devant le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Coutances.

Il considère que le Tribunal Judiciaire de Coutances a manqué à l'obligation qui était la sienne de reconstituer la discussion pour retenir sa responsabilité et conclut à l'infirmation du jugement déféré.

En outre, Maître [Y] conteste la réalité de la perte de chance alléguée par les époux [E], alors même selon lui que les termes de la promesse de vente que ces derniers avaient conclue avec M. [X] et Mme [F] n'auraient pas permis d'envisager la caducité de la vente.

A ce titre, Maître [Y] relève que la seule condition suspensive prévue à l'acte était celle de l'obtention d'un prêt par les acquéreurs, condition remplie avant l'échéance fixée, sans qu'aucune réitération de la vente par acte authentique ne soit envisagée comme condition au transfert de propriété.

De même, Maître [Y] considère que les raisons de la censure prononcée par la Cour de cassation ne peuvent conduire à estimer de façon certaine que les époux [E] auraient pu obtenir la caducité de la vente devant la juridiction de renvoi.

Il fait valoir que la promesse de vente ne prévoyait la sanction de la caducité que dans l'intérêt des vendeurs, et que donc M. et Mme [E] ne pouvaient s'en prévaloir.

Il soutient aussi que le moyen invoqué par les époux [E] selon lequel ils auraient pu se prévaloir d'un droit de rétractation est infondé, alors qu'il ressort des termes du premier jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Rennes en 2009 et de l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes de 2011, que le délai de rétractation avait déjà couru et qu'ils ne pouvaient plus s'en prévaloir.

Maître [Y] dénonce la réticence des époux [E] à produire l'ensemble des actes et pièces de la procédure communiqués par chacune des parties qui conduit à donner à la Cour une vision faussée de la situation juridique.

Dès lors, Maître [Y] estime que le jugement déféré doit être infirmé.

En réplique, M. et Mme [E] sollicitent la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité de l'avocat.

Ils font valoir que l'avocat, en tant que professionnel, est tenu d'une obligation de résultat en matière procédurale, et qu'il doit garantir l'efficacité de ses actes.

Ils soutiennent que la faute de Maître [Y] est incontestable en ce qu'il n'a pas saisi dans les règles la juridiction de renvoi après cassation.

En réponse à l'argumentation de Maître [Y], M. et Mme [E] affirment que, si leur action en responsabilité implique effectivement de reconstituer le procès qui n'a pas eu lieu compte-tenu de la faute de l'avocat, il n'est pas pour autant nécessaire que l'intégralité des pièces de procédure et de fond échangées par les parties à l'instance soient produites.

Ils estiment que les pièces essentielles, permettant d'apprécier les chances de succès des concluants, sont suffisantes à l'examen de leurs demandes.

En outre, M. et Mme [E] affirment ne jamais avoir eu en leur possession l'intégralité des pièces du dossier, resté entre les mains de Maître [Y].

Ils précisent que ce dernier, suite à leurs demandes, a prétendu en octobre 2019 leur remettre le dossier intégral mais qu'en réalité c'est un dossier incomplet qui leur a été transmis.

Ils soulignent que ce n'est qu'à la suite de l'incident qu'ils ont élevé devant le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Coutances qu'ils sont parvenus à obtenir de Maître [Y] les pièces de leur dossier qui leur manquaient, lesquelles leur ont finalement été transmises le 30 avril 2021.

Ils soutiennent en tout état de cause que la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation permet de reconstituer le débat, sans que soient produites toutes les pièces de chacune des parties.

Au surplus, M. et Mme [E] font valoir que dès lors que Maître [Y] a manqué à son obligation de résultat en matière procédurale, il a nécessairement fait perdre une chance à ses clients d'obtenir l'infirmation du jugement de première instance, de sorte que sa responsabilité peut être retenue.

Aux termes de l'article 1217 du Code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

' refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation,

' poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation,

' obtenir une réduction du prix,

' provoquer la résolution du contrat,

' demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées. Des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

L'article 1231-1 du même code rappelle que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

En application de l'article 1241 du Code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Il convient de rappeler que l'avocat est tenu d'une obligation de compétence en matière procédurale, qui implique qu'il garantisse l'efficacité de ses actes sur le plan procédural dans le cadre des actions en justice pour lesquelles il a été mandaté.

Il est constant en l'espèce que Maître [Y], qui était le conseil des époux [E] dans le litige qui les opposait à M. [X] et Mme [F], a minima depuis mars 2011, avait été mandaté par ces derniers pour saisir la Cour d'appel de renvoi désignée après l'arrêt rendu le 10 juillet 2013 par la Cour de cassation dans leur affaire.

Il résulte de l'arrêt rendu sur déféré par la Cour d'appel de Rennes le 18 juin 2015 que le conseil de M. et Mme [E] a procédé à la déclaration de saisine de la cour d'appel par courrier au greffe, auquel était annexé une copie de l'arrêt de la Cour de cassation, alors qu'en application des dispositions de l'article 930-1 du Code de procédure civile, cette saisine aurait dû être réalisée par voie électronique, à peine d'irrecevabilité.

A défaut de respect de cette forme de la saisine, la Cour d'appel de Rennes a déclaré irrecevable la saisine présentée par le conseil des époux [E], sans que ces derniers ne puissent régulariser postérieurement leur recours.

Il en découle incontestablement une faute commise par Maître [Y] au préjudice de ses clients, lesquels se sont vus privés de la possibilité de présenter devant la cour d'appel de renvoi les moyens qu'ils estimaient propres à obtenir le succès de leurs prétentions.

Cette faute est de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de ses clients.

Il incombe cependant à M. et Mme [E] de justifier du préjudice directement causé par la faute de Maître [Y], ainsi que du caractère réel de ce préjudice, et donc de démontrer qu'ils auraient été en mesure d'obtenir une décision favorable de la juridiction de renvoi si Maître [Y] n'avait pas commis de faute.

La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits, en raison des manquements de son conseil, se mesure à la seule probabilité de succès du recours qui n'a pas été exercé. Pour apprécier les chances de succès de la voie de droit envisagée, il incombe aux juges du fond de reconstituer fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer devant la juridiction par la faute de l'avocat au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats.

Néanmoins, dans l'appréciation du caractère certain de la perte de chance qui doit être menée par le juge du fond, il n'appartient pas à ce dernier d'apporter une réponse définitive aux prétentions soutenues par les parties, mais de mesurer les chances de succès de ces dernières.

Dès lors, il n'est nul besoin que le juge du fond qui apprécie la réalité de la perte de chance dispose de l'intégralité des pièces de procédure et de fond qui auraient pu être produites dans les instances antérieures, dès lors qu'il dispose de pièces suffisantes pour apprécier l'argumentation soutenue par les parties au litige et les éléments de fait aux débats.

Les objections élevées par Maître [Y] à ce titre sont donc inopérantes, les pièces produites par les parties à la présente instance étant suffisantes pour permettre à la Cour de se forger une opinion sur les chances de succès des prétentions des époux [E].

Ainsi, s'agissant de la perte de chance alléguée par les époux [E], il y a lieu de rappeler que M. et Mme [E] ont signé le 11 mars 2008, avec M. [X] et Mme [F] un compromis de vente d'un bien immobilier situé à [Localité 4], moyennant le prix de 750 000 euros.

Ce compromis de vente stipulait une condition suspensive au bénéfice des acquéreurs, tenant à l'obtention d'un crédit pour le financement de l'acquisition (d'un montant total de 800 00 euros).

Ce compromis de vente prévoyait que la signature de l'acte de vente devait intervenir au plus tard le 28 juin 2008.

Arguant de ce que le bien immobilier vendu possédait une superficie inférieure à celle mentionnée dans l'annonce de vente, les époux [E] ont refusé de régulariser la vente aux conditions initiales prévues.

Devant le Tribunal de Grande Instance de Rennes, M. et Mme [E] ont invoqué l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation à leur profit, au motif que le compromis de vente du 11 mars 2008 ne leur avait jamais été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception, et à titre subsidiaire ont invoqué un vice du consentement en raison de prétendues man'uvres dolosives commises par les consorts [X]-[F] pour les tromper sur la superficie du bien vendu.

M. [X] et Mme [F] ont contesté que la superficie du bien immobilier puisse être considérée comme une qualité substantielle du bien, alors même que cette information n'était pas même précisée au compromis de vente et qu'au contraire une clause de non recours sur la contenance du bien était insérée à l'acte.

Ils contestaient donc qu'un nouveau délai de rétractation ait pu être ouvert au bénéfice des acquéreurs.

Devant la Cour d'appel de Rennes, les époux [E] ont plaidé la reconnaissance d'un droit de rétractation au motif que ce délai n'avait jamais commencé à courir à défaut de notification du compromis de vente, et à titre subsidiaire ont invoqué la caducité du compromis de vente en application de la clause insérée au compromis prévoyant cette éventualité, et encore plus subsidiairement ont invoqué la nullité du contrat de vente pour vice du consentement.

M. [X] et Mme [F] ont de nouveau contesté que les époux [E] puissent invoquer un nouveau délai de rétractation alors que la notification du compromis de vente avait été opérée par le notaire le jour même de la signature de l'acte.

Ils se sont également opposés à la caducité du compromis de vente revendiquée par M. et Mme [E], affirmant que les acquéreurs n'avaient pas la faculté d'invoquer la caducité de la vente.

Ils ont enfin contesté le vice du consentement invoqué par les acquéreurs, alors que la différence de superficie du bien ne pouvait selon eux constituer une qualité substantielle du bien.

Pour confirmer le jugement rendu le 19 janvier 2009 par le Tribunal de Grande Instance de Rennes, qui avait dit que le jugement valait titre de propriété et condamné M. et Mme [E] à s'acquitter du paiement du prix de vente ainsi que de la clause pénale, la Cour d'appel de Rennes a retenu, dans son arrêt du 27 octobre 2011, tout d'abord que le compromis de vente avait été valablement notifié aux époux [E] le 11 mars 2008 par remise en mains propres opérée par le notaire instrumentaire, et que donc, les acquéreurs ne pouvaient se prévaloir d'un nouveau délai de rétractation.

La Cour a par ailleurs considéré que la clause prévoyant la caducité du compromis de vente devait s'interpréter par la lecture combinée des dispositions précédentes du contrat, et qu'il existait alors une obligation pour les acquéreurs de mettre en demeure les vendeurs de s'exécuter avant de pouvoir se prévaloir de la caducité de l'acte. A défaut pour les époux [E] de faire la preuve de cette mise en demeure préalable, la Cour a estimé que les acquéreurs ne pouvaient invoquer la caducité de la vente.

Enfin, la Cour a écarté la nullité de la clause de non garantie de contenance stipulée au compromis de vente et a considéré que les consorts [X]-[F] n'avaient commis aucune man'uvre dolosive pour tromper les acquéreurs sur la superficie du bien vendu, de sorte que la nullité de la vente pour vice du consentement ne pouvait être poursuivie.

L'arrêt de la Cour d'appel de Rennes a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2013, qui n'a examiné que le seul moyen tenant à la caducité du compromis de vente.

La Cour de cassation a relevé que l'arrêt de la Cour d'appel avait retenu que M. et Mme [E] ne pouvaient « se prévaloir de la clause prévoyant la caducité de la promesse de vente en cas de défaut de réalisation de la vente résultant de l'acquéreur, à défaut pour eux d'établir qu'ils ont mis en demeure les consorts [X]-[F] d'avoir à réitérer cette promesse avant la date préalablement déterminée » et a considéré « qu'en statuant ainsi, alors que la caducité s'appliquait au cas où l'acquéreur, mis en demeure par le vendeur de réitérer la vente, ne donnerait pas suite », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la promesse de vente.

Il ressort des conclusions rédigées par les époux [E] aux fins de saisine de la cour de renvoi après cassation, que ces derniers entendaient soumettre à nouveau à la Cour d'appel les moyens tirés :

du droit à rétractation qui leur était ouvert, à défaut de notification régulière du compromis de vente,

de la caducité du compromis de vente en exécution de la clause insérée à l'acte,

de la nullité de la vente pour vice du consentement (man'uvres dolosives des vendeurs).

Au regard de la motivation de l'arrêt de cassation, la Cour d'appel de renvoi était clairement invitée à apprécier différemment les conditions de mise en jeu de la clause prévoyant la caducité de la promesse de vente du fait de l'acquéreur.

Or, la promesse synallagmatique de vente conclue entre les parties le 11 mars 2008 stipulait, après avoir rappelé que l'acte authentique de vente réitérant le compromis interviendrait au plus tard le 28 juin 2008, que « cette date {n'était} pas extinctive mais constitutive du point de départ à partir duquel l'une des parties pourra obliger l'autre à s'exécuter par le biais d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire. Si dans les quinze jours de cette mise en demeure la situation n'est pas régularisée, il sera fait application des règles suivantes :

Défaut de réalisation résultant de l'acquéreur :

Si le défaut de réalisation incombe à l'acquéreur, le vendeur fera son affaire personnelle de toute demande en versement de dommages et intérêts, et la présente convention sera définitivement caduque, sans autre formalité ».

Ainsi les termes du contrat prévoyaient expressément que la caducité de la promesse de vente puisse être acquise, sans formalité particulière, dans l'hypothèse où les acquéreurs refuseraient de réitérer par acte authentique les termes de la promesse.

Il est constant que M. et Mme [E] ont refusé de réitérer la vente après l'expiration du délai fixé à l'acte pour procéder à la signature de l'acte authentique, et ce après avoir été sommés par le notaire de se présenter à cette fin le 22 juillet 2008.

Au regard des dispositions contractuelles ainsi rappelées, et de la motivation de l'arrêt de la Cour de Cassation, il apparaît donc que M. et Mme [E] avaient une réelle chance d'obtenir de la juridiction de renvoi une décision plus favorable qui leur aurait permis de voir prononcer la caducité de la promesse de vente, indépendamment des dommages et intérêts qu'auraient pu solliciter les vendeurs du fait de l'inexécution du contrat.

Par conséquent, la preuve est rapportée par M. et Mme [E] de l'existence d'une chance réelle et sérieuse de succès de leurs prétentions empêchée par la faute commise par Maître [Y], sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par les époux [E] au soutien de leur action.

Le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Coutances le 27 janvier 2022 doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré Maître [D] [Y] responsable de la faute commise dans le cadre de la procédure d'appel après l'arrêt de cassation du 10 juillet 2013.

Sur l'indemnisation de la perte de chance subie par les époux [E] :

Maître [Y] forme appel du jugement déféré en ce qu'il a retenu une perte de chance au profit des époux [E] à hauteur de 95%.

Il fait valoir que, au regard des précédents développement, la possibilité pour M. et Mme [E] d'obtenir la caducité de la promesse de vente n'était absolument pas évidente, et qu'il existait des motifs sérieux de rejet de leur demande, de sorte que leur perte de chance ne pourrait être estimée à 95%, mais devrait être réduite à de plus justes proportions.

S'agissant des indemnités sollicitées, Maître [Y] conteste qu'elles puissent être mises à sa charge, à défaut pour les époux [E] de faire la preuve d'un lien de causalité entre la faute de l'avocat et les dommages allégués.

En premier lieu, il affirme que la clause pénale réglée pour la somme de 37 500 euros par M. et Mme [E] aurait été due aux vendeurs, quelle que soit l'issue de la procédure, et même si la caducité avait été prononcée, de sorte que cette indemnité ne peut être mise à sa charge.

De même, Maître [Y] conteste que les époux [E] puissent lui réclamer une quelconque indemnité au titre d'une perte de rendement, alors même que leur volonté était manifestement d'investir dans l'achat d'un bien immobilier, et qu'ils ne justifient pas par ailleurs du calcul de cette perte de rendement et de son quantum.

Au surplus, il relève que M. et Mme [E] ne démontrent pas qu'ils disposaient véritablement des fonds à investir, alors même qu'ils ont recouru à l'emprunt pour financer l'acquisition du bien immobilier.

Il conteste également que la moins-value invoquée par les époux [E] lui soit imputable.

D'autre part, Maître [Y] s'oppose aux frais de procédure mis à sa charge, alors même que, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes a été annulé en toutes ses dispositions, en ce compris les frais de procédure de l'appel.

Il conteste en outre que les frais de procédure avant cassation puissent être mis à sa charge, alors que certains sont relatifs à une procédure pénale totalement étrangère à son action.

En revanche, Maître [Y] sollicite la confirmation du jugement déféré, qui a rejeté les demandes d'indemnisation présentées par M. et Mme [E] au titre d'une procédure pénale initiée sans son concours, ou au titre des frais d'entretien de l'immeuble alors même que ces derniers ne rapportent pas la preuve qu'ils n'auraient pas joui du bien durant 10 années.

Les époux [E] font valoir qu'ils ont subi des préjudices non soumis à la perte de chance, tenant aux frais de procédure supportés depuis la déclaration de saisine irrégulière, dont Maître [Y] leur doit indemnisation en tout état de cause.

Ils invoquent également les frais et dépens dont ils ont dû s'acquitter depuis l'instance après cassation.

S'agissant de l'évaluation de leur perte de chance, M. et Mme [E] affirment qu'elle est très élevée alors même que la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes pour dénaturation des termes clairs et précis de la promesse de vente, relativement à une clause de la promesse de vente qui prévoyait l'hypothèse de la caducité de la vente à l'initiative de l'acquéreur.

Ils estiment donc que la caducité de l'offre de vente aurait pu être obtenue devant la juridiction de renvoi après cassation, la convention ne réservant pas, selon eux, la possibilité d'invoquer la caducité aux seuls vendeurs.

Au surplus, les époux [E] rappellent qu'ils ont soutenu deux autres moyens en faveur de leur demande visant à obtenir la caducité de la vente, et notamment qu'ils ont invoqué leur droit de rétractation au motif que le compromis de vente ne leur avait jamais été notifié et que le délai attaché à ce droit n'avait pas commencé à courir.

De ce fait, ils soutiennent que la perte de chance qu'ils ont subie est très élevée au regard des deux moyens sérieux d'infirmation du jugement de première instance qu'ils avaient développés, et que l'estimation faite par les premiers juges à hauteur de 95% est pleinement justifiée.

Quant aux préjudices qu'ils ont subis, ils invoquent un préjudice financier constitué tout d'abord de la moins-value subie lors de la revente du bien immobilier, qu'ils chiffrent à 225 000 euros.

M. et Mme [E] relèvent que, dans le cas de la caducité de la vente, le prix de vente initial leur aurait été intégralement restitué, de sorte que le lien de causalité avec la perte de chance est caractérisé.

Ils font état également du paiement de la clause pénale de 37 500 euros auquel ils ont été condamnés, pénalité qu'ils n'auraient pas eu à supporter selon eux si leur faculté de rétractation avait été reconnue.

M. et Mme [E] allèguent aussi d'un préjudice lié à l'immobilisation des sommes acquittées pour le prix de la vente, et d'une perte de rendement de ces sommes qu'ils estiment à 338 526,08 euros.

Ils précisent qu'ils fournissent des estimations de rendement sur un placement sécurisé.

Ils indiquent par ailleurs qu'ils ont réglé le prix de vente sans recourir à un emprunt, à l'aide du produit de la vente d'actions de leur société réalisée en septembre 2008.

En outre, les époux [E] sollicitent l'indemnisation des intérêts postérieurs à la vente du 14 septembre 2018, calculés sur la moins-value immobilière et la clause pénale, pour un total de 35 311 euros.

M. et Mme [E] sollicitent encore l'indemnisation des frais de notaire qu'ils ont réglés lors de la vente du 14 septembre 2018, soit la somme de 7 150,20 euros, liés à la publication des différentes décisions de justice visant à établir leur droit de propriété sur le bien.

Les époux [E] présentent aussi une demande d'indemnisation au titre des frais d'entretien de l'immeuble acquis des consorts [X]-[F], pour un montant total de 46 284,59 euros.

Ils affirment qu'ils n'ont jamais occupé le bien litigieux, espérant faire échec aux demandes de leurs vendeurs, et qu'ils n'ont pas non plus mis le bien en location.

Ils déclarent ainsi avoir exposés des frais uniquement destinés à l'entretien et la conservation du bien, sans jamais en jouir.

M. et Mme [E] présentent également une demande d'indemnisation au titre des frais d'avocat et des honoraires d'expert réglés pour leur défense avant l'instance en cassation (somme de 15 915,45 euros) ainsi que des frais de première instance réglés à leurs représentants (somme de 7 526,82 euros), et des condamnations aux frais irrépétibles de première instance et d'appel (somme de 10 665,85 euros) estimant qu'ils auraient pu obtenir remboursement de ces sommes auprès de leurs vendeurs en cas d'infirmation du jugement de première instance.

Ils formulent aussi une demande d'indemnisation de 2 856 euros correspondant à des frais exposés pour la procédure pénale engagée postérieurement à l'irrecevabilité de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi, ainsi que de la somme de 5 000 euros correspondant à la condamnation prononcée à leur encontre par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans les suites de cette procédure pénale.

Il résulte de l'article 1231-2 du Code civil que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

Il est constant que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Pour accorder une indemnisation, les juges doivent rechercher quelles étaient les chances de succès.

La perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable, faute de démontrer l'absence de toute probabilité de succès de l'appel manqué par la faute de l'avocat.

Au regard des développements précédents, il apparaît que la chance des époux [E] d'obtenir de la juridiction de renvoi après cassation une décision plus favorable était importante. Elle peut être estimée à 85%, dans la mesure où l'argumentation qui aurait été développée par les consorts [X]-[F] en réponse après cassation n'est pas connue, du fait de l'incident élevé avant tout débat au fond.

Au titre de la perte de chance, les époux [E] sont fondés à solliciter l'indemnisation de l'ensemble des préjudices qui découlent directement et de manière évidente de la faute commise par Maître [Y].

A ce titre, il est constant que M. et Mme [E] ont été contraints de s'acquitter du prix de vente prévu au compromis en date du 11 mars 2008, alors même que la vente aurait pu être déclarée caduque.

Ils ont ainsi réglé une somme de 750 000 euros.

Ils justifient avoir revendu le bien immobilier litigieux le 14 septembre 2018, au prix de 525 000 euros, et produisent des estimations de valeur du bien réalisées en mars et juin 2009 qui permettent de constater qu'à cette date, le bien immobilier était déjà estimé entre 530 000 et 560 000 euros.

La moins-value réalisée lors de la revente n'est donc pas en lien avec une dépréciation du marché immobilier.

La demande d'indemnisation présentée par M. et Mme [E] au titre de la moins-value réalisée de 225 000 euros apparaît pleinement fondée dès lors qu'elle est en lien direct avec la faute commise par Maître [Y].

Il sera donc alloué de ce chef à M. et Mme [E] la somme de 191 250 euros.

De même, la demande d'indemnisation de M. et Mme [E] portant sur les frais de notaire réglés pour la revente du bien doit être accueillie puisqu'il s'agit de frais exposés directement en lien avec la faute de l'avocat.

Les époux [E] ont ainsi payé une somme de 7 150,20 euros.

Il leur sera alloué de ce chef la somme de 6 077,67 euros.

En revanche, la demande présentée par les époux [E] au titre du règlement de la clause pénale aux vendeurs, d'un montant de 37 500 euros, ne pourra être accueillie.

En effet, si les éléments de la cause permettent de considérer que la caducité de la vente aurait pu être obtenue par les acquéreurs, les stipulations de la promesse de vente instaurant la clause pénale prévoyaient que cette somme restait acquise aux vendeurs à titre de dommages et intérêts dans le cas où l'acte authentique de vente ne pourrait être dressé par la faute, le fait ou la négligence de l'acquéreur.

Il ne peut être considéré en l'espèce que M. et Mme [E] auraient pu obtenir de manière certaine le remboursement de cette clause pénale dans le cas où la caducité de la vente aurait été prononcée, et donc que le paiement de cette somme découle directement de la faute commise par Maître [Y].

Leur demande d'indemnisation de ce chef sera donc rejetée.

Les époux [E] sollicitent par ailleurs l'indemnisation de l'immobilisation des sommes acquittées en paiement de la vente, sur la base d'un taux de rendement annuel de 3,80%, pour la période allant du 19 février 2009 (date de versement effective de la somme de 750 000 euros) jusqu'au 14 septembre 2018, date de revente de l'immeuble.

Cette demande est justifiée en ce que, jusqu'à l'issue de leur procédure contre les consorts [X]-[F], les époux [E] ne pouvaient se défaire du bien immobilier, et qu'ils n'ont donc pu envisager la vente du bien qu'à compter de la dernière décision ayant mis fin à la poursuite du litige devant la cour d'appel de renvoi, soit l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2017 (ayant confirmé l'irrecevabilité de la nouvelle saisine de la cour de renvoi).

Par ailleurs, le taux de rendement qu'ils sollicitent est justifié par une attestation de leur établissement bancaire, pour un placement sans risque (contrat d'assurance vie).

Ils prouvent également avoir financé le paiement du prix de vente par la cession de parts sociales intervenue en septembre 2008, sans recourir à l'emprunt, de sorte qu'il s'agit bien de fonds propres qui ont été immobilisés durant toute la durée de la procédure judiciaire.

Ainsi, sur une durée de 115 mois, le montant de la perte de rendement due à l'immobilisation des fonds des époux [E] (avec capitalisation annuelle des intérêts) s'élève à 293 905,79 euros.

La perte de chance en résultant est donc de 249 819,92 euros.

Les époux [E] sollicitent également le paiement des intérêts postérieurs à la revente du bien immobilier sur la moins-value opérée, sur la base d'un rendement annuel de 3,80% toujours.

Cette demande est elle aussi fondée, le préjudice financier subi étant en lien avec la faute de l'avocat qui a généré pour les époux [E] une perte de fonds.

Ainsi, la perte d'intérêts peut être calculée, sur la base de la moins-value de 225 000 euros, pour la période allant du 14 septembre 2018 au 29 mars 2022 (date de l'exécution par Maître [Y] du jugement de première instance), à 30 207,15 euros.

A ce titre la somme allouée aux époux [E] au titre de la perte de chance doit donc être fixée à 25 676,08 euros.

En revanche, s'agissant des frais de procédure, des dépens et des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et supportés par M. et Mme [E] dans le cadre des instances antérieures à l'arrêt de cassation, il ne peut être considéré de manière certaine que les époux [E] auraient pu prétendre à leur recouvrement dans leur intégralité même en cas de succès de leurs prétentions devant la Cour de renvoi.

Ils ne peuvent donc être exclusivement rattachés à la faute de Maître [Y] et ne donneront pas lieu à indemnisation.

Il en est de même des frais exposés dans le cadre de la procédure pénale poursuivie par M. et Mme [E] à l'encontre de M. [X] et Mme [F], dont il n'est pas démontré le lien avec la faute de Maître [Y], et ce d'autant que cette procédure pénale a été engagée avant même l'arrêt de la Cour de Cassation.

Les demandes d'indemnisation de ce chef seront rejetées.

Enfin, s'agissant des frais d'entretien de l'immeuble, M. et Mme [E] produisent diverses pièces visant à établir qu'ils n'ont jamais occupé le bien acquis auprès de M. [X] et Mme [F], parmi lesquels des attestations de voisins ou d'entrepreneurs assurant l'entretien, des factures d'eau et d'électricité démontrant la quasi absence de consommation d'énergies, et des attestations d'assurance du bien mentionnant qu'il s'agit d'un bien non occupé.

Il y a lieu de considérer que l'ensemble de ces documents suffit à démontrer que, depuis l'acquisition du bien, les époux [E] ne l'ont jamais occupé.

Dans l'hypothèse où la caducité du compromis de vente aurait été prononcée, M. et Mme [E] auraient été recevables à solliciter l'indemnisation des frais d'entretien et de conservation exposés pour le bien immobilier.

Les sommes exposées par les époux [E] de ce chef s'élèvent à 46 284,59 euros.

Il convient donc de leur allouer au titre de la perte de chance une somme de 39 341,90 euros.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné Maître [Y] à indemniser M. et Mme [E] au titre de leur perte de chance, en revanche le quantum de la condamnation sera révisé.

Maître [Y] sera condamné à payer à M. et Mme [E] la somme totale de 512 165,57 euros au titre de la perte de chance.

De même, il est constant que les frais de procédure exposés par les époux [E] en suite de l'arrêt de cassation, ont été exposés à pure perte et du seul fait de la faute commise par Maître [Y].

Ces sommes s'élèvent au total à 14 716,59 euros, outre 9 100,77 euros de condamnations prononcées à leur préjudice sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les époux [E] sont en droit d'être indemnisés de l'intégralité de ces frais, la perte de chance étant dans ce cas totale.

La condamnation prononcée de ce chef à hauteur de 23 817,36 euros par les premiers juges doit donc être confirmée.

Il y a lieu de préciser que la condamnation prononcée au titre de la perte de chance, qui fait l'objet d'une infirmation, produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que la condamnation prononcée au titre des frais de procédure, qui fait l'objet d'une confirmation, portera intérêts au taux légal à compter de la date fixée par le jugement de première instance, et ce en application des dispositions de l'article 1231-7 du Code civil.

Par ailleurs, la capitalisation des intérêts échus pour année prononcée par les premiers juges, qui est de droit lorsqu'elle est sollicitée, sera confirmée.

Sur le préjudice moral des époux [E] :

M. et Mme [E] invoquent un préjudice moral résultant de l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés de développer leur argumentation devant la Cour d'appel de renvoi, du fait de la faute commise par Maître [Y].

Maître [Y] s'oppose à cette demande.

Il est cependant incontestable que, du fait de l'erreur commise par leur conseil, les époux [E] ont été contraints de renoncer à leurs espoirs de voir annuler la vente litigieuse et ont au surplus été conduits à engager une procédure longue en responsabilité de leur conseil, ce qui constitue pour eux un préjudice moral certain.

Toutefois, leurs demandes indemnitaires de ce chef devront être ramenées à de plus justes proportions.

Maître [Y] sera en conséquence condamné à leur payer une somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice.

Sur la résistance abusive :

Maître [Y] forme appel du jugement qui l'a condamné au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Il fait valoir qu'il n'a fait qu'user de son droit à se défendre, sans qu'aucune mauvaise foi ne puisse être retenue à son encontre, et estime donc cette condamnation totalement injustifiée.

Les époux [E] sollicitent la confirmation de la condamnation prononcée de ce chef à l'encontre de Maître [Y], au motif qu'ils ont tenté amiablement d'obtenir réparation de ce dernier, mais que celui-ci a toujours refusé de leur rembourser a minima les honoraires qu'il avait perçus, ou de reconnaître sa responsabilité pour permettre leur indemnisation par son assureur.

Pour prononcer une condamnation de ce chef, les premiers juges ont retenu que Maître [Y], en refusant d'indemniser les époux [E] des conséquences d'une faute qu'il ne contestait pas avoir commise, et alors même qu'il ne pouvait ignorer que cette faute les avait privés de la possibilité d'obtenir la caducité de la vente, a exposé M. et Mme [E] à des frais importants.

Les premiers juges ont ainsi considéré que Maître [Y] avait fait montre de mauvaise foi dans sa défense aux demandes indemnitaires qui lui étaient

présentées.

Il ressort des échanges de correspondance intervenus entre Maître [Y] et ses clients postérieurement à l'arrêt de cassation rendu que le conseil estimait alors très sérieuses les chances des époux [E] d'obtenir l'infirmation du jugement de première instance et la caducité de la vente litigieuse.

C'est donc par pure opportunité et de mauvaise foi que Maître [Y] a pu soutenir, dans le cadre de sa défense à la présente instance, que les époux [E] ne faisaient pas la preuve de la réalité de leur perte de chance.

S'il était recevable à discuter du quantum des demandes indemnitaires formées, il apparaît que Maître [Y] a fait preuve d'une résistance abusive dans la reconnaissance de sa responsabilité.

Par conséquent, la condamnation prononcée de ce chef par les premiers juges sera confirmée.

Sur les frais et dépens :

Compte tenu de la solution apportée au litige, le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

L'équité justifie en outre que Maître [D] [Y], qui succombe à l'instance, supporte les frais irrépétibles exposés par la partie adverse.

Une somme de 4 000 euros sera allouée à ce titre à M. et Mme [E] en cause d'appel.

Au surplus, Maître [Y] est condamné aux dépens de la procédure d'appel, qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement prononcé le 27 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Coutances, sauf en ses dispositions relatives au quantum des condamnations prononcées à l'encontre de Maître [Y] pour 616 486,90 euros au titre de la perte de chance,

Statuant à nouveau,

Condamne Maître [D] [Y] à payer à M. [Z] [E] et Mme [L] [P] épouse [E], unis d'intérêts, la somme de 512 165,57 euros au titre de la perte de chance, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Y ajoutant,

Condamne Maître [D] [Y] à payer à M. [Z] [E] et Mme [L] [P] épouse [E], unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral,

Déboute les parties de toutes autres demandes,

Condamne Maître [D] [Y] à payer à M. [Z] [E] et Mme [L] [P] épouse [E], unis d'intérêts, une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Maître [D] [Y] aux entiers dépens de la procédure d'appel, qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

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