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Décisions

CA Agen, ch. civ., 2 avril 2025, n° 24/00483

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SARL 7

Défendeur :

Moby Trade (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauclair

Conseillers :

M. Benon, M. Segonnes

Avocats :

Me Vimont, Me Drigo, SELARL Lex Alliance

T. com. Agen, du 27 mars 2024, n° 202200…

27 mars 2024

FAITS :

La SARL [7] exploite un camping utilisant le lac de [Localité 6] (47).

Selon devis acceptés des 18 janvier et 5 avril 2022, de montants respectifs de 79 110 Euros TTC et 13 284 Euros TTC, soit un total de 92 394 Euros, elle a passé commande à la SARL Moby Trade de la fourniture et de l'installation, sur le lac, d'une structure aquatique gonflable d'occasion d'une dimension de 41 m x 59 m, avec ses accessoires de fixation et 150 gilets de sauvetage.

La SARL [7] a versé une somme totale de 84 895,20 Euros.

L'installation de la structure a commencé :

- 16 mai 2022 : bornage installation des chaînes et vis,

- 18 mai 2022 : fin du chaînage et du vissage,

- 19 mai 2022 : gonflage de la structure,

- 20 mai 2022 : modification du chaînage,

- 21 et 22 mai 2022 : remise en place des structures,

Dans la nuit du 22 au 23 mai, une violente tempête a retourné la structure.

Le 24 mai 2022, la SARL Camping Xtrem Village, après avoir interrompu les travaux et indiqué à son contractant qu'elle lui refusait l'accès au site, a fait constater par Me [G], huissier de justice, que les différents modules de la structure n'étaient pas solidaires entre eux, qu'ils s'étaient détachés des fixations situées au fond de l'eau, et que certains modules n'étaient pas installés.

Le gérant a indiqué à l'huissier que la structure et son montage n'étaient pas conformes aux normes de sécurité applicables.

Dans la suite de ces constatations, la SARL [7] a fait assigner la SARL Moby Trade devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Agen qui, par ordonnance du 29 juin 2022, a ordonné une expertise de la structure confiée à [Z] [U].

Par acte du 19 juillet 2022, la SARL [7] a également fait assigner la SARL Moby Trade devant le tribunal de commerce d'Agen afin d'obtenir la résolution du contrat, restitution de la somme versée, et obtention d'une somme de 100 000 Euros à titre d'indemnisation d'une perte d'exploitation.

Par acte du 26 juillet 2022, la SARL [7] a fait procéder à une saisie conservatoire d'une somme de 87 985,20 Euros sur un compte bancaire de la SARL Moby Trade.

M. [U] a établi son rapport le 12 mai 2023, au vu duquel l'instance au fond s'est poursuivie.

Par jugement rendu le 27 mars 2024, le tribunal de commerce d'Agen a :

- débouté la société Moby Trade de sa demande de rejet des débats du rapport d'expertise judiciaire,

- débouté la société [7] de sa demande de résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Moby Trade,

- condamné la société [7] à reprendre l'installation de la base de jeu gonflable par ses soins,

- condamné la société Moby Trade à procéder à la finalisation et la mise en service des équipements,

- débouté la société [7] de sa demande de remboursement des acomptes versés,

- dit que le matériel livré par la société Moby Trade reste la propriété de la société [7],

- débouté la société Camping Xtrem Village de sa demande de règlement de la somme de 30 000 Euros au titre de la perte d'exploitation,

- débouté la société [7] de sa demande de règlement des frais de démontage de la structure,

- débouté la société Moby Trade de sa demande de règlement du solde de ses factures s'élevant à 9 298,80 Euros,

- attribué aucune indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux parties et laissé les dépens à la charge de chacune d'elles,

- débouté les parties de toutes autres demandes et conclusions,

- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,

- liquidé les dépens dont frais de greffe pour le jugement à la somme de 69,59 Euros.

Le tribunal a estimé que lors de la tempête, cause principale du sinistre, les installations n'étaient réalisées que dans une proportion de 3/4 ; qu'ensuite, la SARL Moby Trade s'est vue refuser l'accès au site pour terminer l'installation de la structure ; que des certificats de conformité ont été présentés à l'expert ; qu'en l'absence de résolution du contrat, il n'y avait pas lieu à restitution des prestations réciproques ; qu'il n'y avait lieu ni à dommages et intérêts au profit de la SARL [7], ni à paiement du solde de la facture.

Par acte du 18 avril 2024, la SARL Camping Xtrem Village a déclaré former appel du jugement en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

- débouté la société [7] de sa demande de résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Moby Trade,

- condamné la société [7] à reprendre l'installation de la base de jeu gonflable par ses soins,

- débouté la société Xtrem Village de sa demande de remboursement des acomptes versés,

- débouté la société [7] de sa demande de règlement de la somme de 30 000 Euros au titre de la perte d'exploitation,

- débouté la société Camping Xtrem Village de sa demande de règlement des frais de démontage de la structure,

- débouté la société [7] de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile aux parties et laissé les dépens à la charge de chacune d'elles,

- débouté la société Xtrem Village de toutes autres demandes et conclusions,

- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires qu'elle présentait.

La clôture a été prononcée le 8 janvier 2025 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 12 février 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 15 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SARL [7] présente l'argumentation suivante :

- Selon l'expertise, la structure est impropre à son usage :

* l'expert a mis en cause l'absence de marquage, d'étiquetage, des éléments de l'installation, sa mauvaise implantation, l'insuffisance d'une valve par module, l'absence de conformité des gilets de sauvetage.

* la différence entre l'installation posée et une installation conforme aux normes applicables est criante.

* les certificats produits, émanant du constructeur chinois, ne peuvent, selon l'expert, être reliés à l'installation, ne correspondent pas à ses constatations, et ne sont finalement produits que sur insistance de la SARL Moby Trade.

* ces défauts caractérisent un manquement à l'obligation de délivrance d'une chose en qualité, compte tenu de l'obligation générale de sécurité à laquelle l'exploitant d'une base de loisirs est tenu.

* elle est en droit d'obtenir restitution des sommes versées, avec condamnation de la SARL Moby Trade à reprendre la structure, et à lui payer les frais de son démontage, outre 30 000 Euros en indemnisation de la perte d'exploitation faute de pouvoir exploiter la structure alors qu'elle avait organisé une campagne publicitaire mentionnant ce loisir à destination de sa clientèle.

- Subsidiairement, la structure est atteinte de vices cachés : les vices identifiés par l'expert la rendent impropre à son usage.

- Très subsidiairement, la SARL Moby Trade a manqué à son obligation pré-contractuelle d'information.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs de la SAS Moby Trade,

- ordonner la restitution des acomptes versés de 84 895,20 Euros avec intérêts à compter du 19 juillet 2022,

- condamner cette société, sous astreinte, à procéder à l'enlèvement du matériel après paiement complet des sommes dues,

- l'autoriser à procéder à la destruction du matériel aux frais avancés de la SAS Moby Trade dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'arrêt,

- subsidiairement,

- constater l'engagement de la garantie des vices cachés,

- ordonner la restitution des acomptes versés de 84 895,20 Euros avec intérêts à compter du 19 juillet 2022,

- condamner cette société, sous astreinte, à procéder à l'enlèvement du matériel après paiement complet des sommes dues,

- l'autoriser à procéder à la destruction du matériel au frais avancés de la SAS Moby Trade dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'arrêt,

- très subsidiairement :

- dire que la SAS Moby Trade a engagé sa responsabilité,

- la condamner à lui verser 84 895,20 Euros avec intérêts à compter du 19 juillet 2022,

- en tout état de cause :

- débouter la SAS Moby Trade de ses demandes,

- la condamner à lui payer :

* 2 013,60 Euros au titre des frais de démontage de la structure,

* 30 000 Euros au titre du préjudice financier,

* 5 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mettre les dépens à sa charge, incluant les frais d'expertise judiciaire.

*

* *

Par conclusions d'intimée notifiées le 23 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SAS Moby Trade présente l'argumentation suivante :

- Le rapport d'expertise est critiquable :

* le tribunal de commerce ne l'a pas retenu.

* l'expert ne pouvait conclure à une impropriété alors que le ceinturage définitif n'a pas été contrôlé du fait que l'installation n'a pas été finalisée.

* l'expert n'a fait référence à aucune fiche technique permettant d'asseoir ses constatations.

* ainsi :

- la profondeur requise est suffisante.

- elle fournit les certificats de conformité des gilets de sauvetage, ce qui ne peut être confondu avec l'absence de marquage sur les gilets eux-mêmes, ce qui n'est pas imposé par la réglementation.

* aucun test ne pouvait être réalisé sur une installation non terminée.

* il n'existe pas de réglementation spécifique à la matière.

- La résolution du contrat ne peut être prononcée :

* la SARL [7] se limite à produire une photographie d'un gilet de sauvetage et d'un seul module.

* l'installation n'a pas été finalisée du fait de l'interdiction d'accès au site qui lui a été notifiée.

* rien ne démontre que l'installation serait de nature à porter atteinte à l'intégrité physique des utilisateurs.

- Les demandes subsidiaires sont nouvelles : devant le tribunal, la SARL Camping Xtrem Village n'a pas invoqué l'existence de vices cachés ni la responsabilité contractuelle.

- Il lui reste dû le solde du prix de sa prestation : 9 298,80 Euros.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée à procéder à la finalisation et la mise en service des équipements, rejeté ses demandes de règlement du solde et d'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL [7] à lui payer :

* 9 298,80 Euros au titre du solde de ses factures avec intérêts à compter du 24 mai 2022,

* 3 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de 1ère instance,

- mettre les dépens de 1ère instance à sa charge, incluant les frais d'expertise,

- déclarer irrecevables les demandes formées au visa de la garantie des vices cachés et de la responsabilité contractuelle,

- la condamner à lui payer la somme de 3 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

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MOTIFS :

1) Sur les demandes présentées par la SARL Camping Xtrem Village ;

L'expert judiciaire a pris connaissance de l'état de la structure au vu des photographies prises par l'huissier de justice le 24 mai 2022, c'est à dire peu de temps après qu'elle a été endommagée par la violente tempête.

Il a noté qu'il restait alors encore un quart des installations à réaliser et que certains éléments étaient stockés en bordure du lac.

Il a relevé les éléments suivants :

1) Modules non fonctionnels : les éléments de structure ne sont pas solidaires :

L'expert a expliqué que 'lors de l'installation, les derniers modules n'ont pu être mis en place du fait d'un coup de vent durant la dernière nuit. L'ensemble des modules n'étant pas tous installés, il n'était pas possible à la Sté Moby Trade de procéder à l'ancrage définitif et au ceinturage de l'ensemble.'

Il est également constant qu'après la tempête, la SARL [7] a refusé à la SARL Moby Trade l'accès au site pour réparer les dégâts causés par la tempête et terminer l'installation.

Par conséquent, aucune faute ou non-conformité ne peut être imputée à la SARL Moby Trade quant à l'état de la structure lors des opérations d'expertise et au fait qu'elle n'est pas fonctionnelle.

2) Absence d'étiquetage de conformité sur les modules :

L'expert a demandé à la SARL Moby Trade de 'transmettre les fiches techniques relatives à ces éléments, ainsi que le certificat d'homologation de l'ensemble ludique.'

Des certificats de conformité des modules marqués ISO (établis par l'Organisation internationale de normalisation, chargée, notamment, d'attester de la sécurité des produits) et CE (= conformité européenne) fournis par le constructeur de la structure ont été produits par la SARL Moby Trade.

L'expert a indiqué 'rien ne permet d'identifier les modules mis en place', mais il n'a identifié aucune obligation réglementaire de marquage individuel de chaque module et a indiqué 'à ce jour, l'attestation de conformité produite n'est pas remise en cause.'

L'intimée affirme sans être contredite qu'il n'existe aucune obligation de marquage sur les modules eux-mêmes.

En outre, l'expert a constaté que sur les modules figurent des pictogrammes représentant les mesures de sécurité à respecter par les utilisateurs (comme par exemple un pictogramme proscrivant de plonger depuis la structure).

Le nom Moby Trade figure également sur les modules.

Ce manquement n'est pas caractérisé.

3) Absence de filets de sécurité sur les toboggans :

L'expert a noté qu'il ne s'agissait-là que d'une indication de la SARL [7].

Il est difficile de déterminer si ces filets auraient été installés lors de la finalisation de l'installation.

En tout état de cause, rien n'indique le caractère obligatoire de tels filets.

Ce manquement n'est pas caractérisé.

4) Valve unique de sécurité par module :

L'expert a noté 'une seule valve est présente par module, ce qui ne semble pas être conforme en cas de dégonflage du module pouvant entraîner qu'un utilisateur reste coincé à l'intérieur'.

Cette affirmation est hypothétique et ne repose sur aucun manquement démontré à la réglementation ni à un danger avéré.

Ce manquement n'est pas caractérisé.

5) Non-conformité des gilets de sauvetage :

L'expert a relevé qu'aucun étiquetage de conformité CE n'est présent sur ces gilets de sauvetage fournis par la SARL Moby Trade en accessoires de la structure gonflable.

Toutefois, il n'est aucunement justifié que la réglementation impose le marquage de chaque gilet.

La SARL Moby Trade a déposé à l'expert des certificats de conformité qui lui ont été remis par le fabriquant.

Enfin et surtout, l'expertise n'a pas établi que les gilets seraient défaillants à assurer la sécurité de la personne qui le porte où qu'ils ne seraient pas conformes aux normes européennes.

Ce manquement n'est pas caractérisé.

Ensuite, l'expert devait également répondre à la question suivante, s'agissant des modules, : 'préciser s'ils rendent l'installation impropre à sa destination, s'ils en réduisent l'usage et s'ils menacent la santé ou la sécurité des utilisateurs.'

Il a indiqué que la structure a été installée 'sur une zone dont la profondeur n'est pas conforme avec ce type d'activité' du fait que la profondeur est de 1,50 m et qu'en cas de période de sécheresse le niveau du lac baisse de sorte que 'de ce fait, il y a un fort risque de lésions en cas de chute ou plongeon des utilisateurs pouvant entraîner un risque d'atteinte traumatique'.

Toutefois, l'installation n'ayant pas été finalisée, son ceinturage et son ancrage au sol n'étaient pas définitif.

En outre, l'intimée indique sans être contredite que selon la norme 25649, ce genre de plate-forme peut être installé selon la formule suivante : hauteur de la plate-forme + 1/2 hauteur d'homme, soit en l'espèce une hauteur de 1,10 m, respectée.

L'expertise n'a pas démontré que la structure, que ce soit les matériaux ou l'installation effectivement réalisée par la SARL Moby Trade, présenterait un danger pour ses utilisateurs.

Enfin, l'appelante n'invoque aucune réglementation spécifique.

Par conséquent, il n'existe aucune démonstration que la structure acquise par la SARL [7] était impropre à son usage, indépendamment de la tempête qui l'a endommagée, qu'elle soit atteinte de vices cachés ou que la SARL Moby Trade a manqué à une obligation d'information.

Le jugement qui a rejeté les demandes présentées par la SARL [7] doit être confirmé.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

2) Sur les demandes reconventionnelles :

En premier lieu, compte tenu que la SARL Camping Xtrem Village a refusé l'accès au site à sa co-contractante, cette dernière ne peut être astreinte à procéder à la finalisation et la mise en service de l'installation.

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a ordonné cette finalisation.

En deuxième lieu, dès lors que les travaux ont été interrompus, la SARL Moby Trade ne peut prétendre au paiement de prestations qu'elle n'a pas réalisées, étant précisé qu'elle ne démontre pas que le solde qu'elle réclame correspondrait à des prestations réalisées.

Le jugement qui a rejeté sa demande doit être confirmé.

En troisième lieu, la mention dans le dispositif du jugement selon laquelle la société [7] est condamnée à reprendre l'installation de la base de jeu gonflable par ses soins est inutile, cette société étant libre de l'usage, ou non, de la structure dont elle est propriétaire.

Elle sera retirée du dispositif du jugement.

Enfin, l'équité permet d'allouer à la SARL Moby Trade, en cause d'appel, la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

- La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

- CONFIRME le jugement SAUF en ce qu'il a :

- condamné la société [7] à reprendre l'installation de la base de jeu gonflable par ses soins,

- condamné la société Moby Trade à procéder à la finalisation et la mise en service des équipements,

- laissé les dépens à la charge de chacune des parties,

- DIT n'y avoir lieu à statuer sur les deux premiers points ;

- CONDAMNE la SARL [7] à payer, en cause d'appel, à la SARL Moby Trade, la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la SARL [7] aux dépens de 1ère instance et d'appel, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.

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