CA Besançon, 1re ch., 1 avril 2025, n° 24/00725
BESANÇON
Arrêt
Autre
Le copies exécutoires et conformes délivrées à
PM/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 24/00725 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EYS6
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 01 AVRIL 2025
Décision déférée à la Cour : jugement du 19 mars 2024 - RG N°23/01142 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON
Code affaire : 36Z - Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
Philippe MAUREL et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L'affaire a été examinée en audience publique du 04 février 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, Philippe MAUREL et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [N] [Y],
demeurant [Adresse 6]
Représenté par Me Isabelle TOURNIER de la SELARL SELARL EQUILIBRES, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Marine-Laure COSTA RAMOS, avocat au barreau de DIJON, avocat plaidant
ET :
INTIMÉS
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8], de nationalité française, agriculteur,
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
Monsieur [L] [Y]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 8], de nationalité française, agriculteur,
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
[11]
Sis [Adresse 16]
Immatriculé au RCS de Besançon sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
EXPOSE DU LITIGE
Le [11] est composé de trois associés, MM [N], [S] et [L] [Y], tous les trois étant frères, et exploite des terrains agricoles en faire valoir direct ou sous le statut du fermage sur le territoire des communes de [Localité 9] (25), de [Localité 14] (39), de [Localité 10] (39) et de [Localité 15] (25). Chacun des membres est titulaire du tiers des parts sociales composant le capital divisé en 68 000 parts évaluées à 10 euros l'unité.
Depuis 2016, une mésentente oppose M. [N] [Y] à ses deux frères. Suivant courrier comminatoire en date du 16 octobre 2018, ces derniers ont fait injonction au premier, d'avoir à céder ses parts. La proposition liquidative formulée par le destinataire fut néanmoins refusée par les deux autres associés.
L'assemblée générale du Gaec, réunie le 1er juillet 2020, révoqua M. [N] [Y] de son mandat de gérant du groupement et prononça, dans le même temps, son exclusion. Par courrier en date du 31 juillet 2020, M. [N] [Y] adressa à ses deux frères une proposition de retrait avec reprise des apports.
Par acte d'huissier en date du 11 août 2020, MM [S] et [L] [Y] ont fait assigner leur frère [N] devant le président du tribunal judiciaire de Besançon aux fins de désignation d'un expert judiciaire avec mission d'évaluer les parts sociales devant être cédées. Suivant jugement en date du 20 octobre 2020, la juridiction présidentielle a fait droit à cette demande, M. [R] [W] étant finalement commis pour ce faire.
Par acte d'huissier en date du 20 mars 2021, M. [N] [Y] a saisi le tribunal judiciaire de Besançon d'une demande d'annulation du procès-verbal d'assemblée générale du Gaec prononçant son exclusion. Il a été fait droit à cette requête par jugement en date du 29 novembre 2022.
Suivant courrier en date du 1er février 2023, MM [S] et [L] [Y] firent savoir à l'expert qu'ils n'entendaient plus participer aux opérations menées sous son égide. Celui-ci déposa donc au greffe le résultat incomplet de sa mission compte tenu de l'état d'avancement de la mesure d'instruction qui lui avait été confiée.
Par acte de commissaire de justice en date du 26 juin 2023, M. [N] [Y] a fait assigner ses deux frères [S] et [L], de même que le [11] aux fins d'être autorisé à se retirer du Gaec, d'être restitué en ses droits d'apport, d'être désintéressé de la contre-valeur de ses parts détenues dans le capital social et de se voir reconnaître un droit de créance au titre des avantages statutairement dévolus aux membres du groupement.
Suivant jugement en date du 19 mars 2024, le tribunal a statué comme suit :
- Autorise le retrait de M. [N] [Y] rn sa qualité d'associé du [11].
- Rejette la demande de faire rétroagir les effets du retrait au 1er août 2021.
- Déboute M. [N] [Y] de sa demande de condamnation 'in solidum' de MM [S] et [L] [Y] ainsi que le [11] à régler les cotisations MSA 2022 et 2023 supportées par M. [N] [Y] en sa qualité d'exploitant du [11].
- Déboute M. [N] [Y] de sa demande de condamnation in solidum de MM [S] et [L] [Y] ainsi que du [11] à lui payer la rémunération non versée de 2 200,00 euros par mois depuis le 15 août 2021.
- Rejette la demande d'homologation du pré-rapport de M. [R] [W] fixant le montant des parts sociales de M. [N] [Y] à la somme de 407 678, 00 euros.
- Sur la demande d'expertise judiciaire, en application des dispositions de l'article 1843-4, se déclare incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Besançon statuant suivant la procédure accélérée au fond.
- Dit qu'une copie de la présente décision ainsi que le dossier de la procédure seront transmis au greffe du président du tribunal judiciaire de Besançon passé le délai d'appel.
- Avant dire-droit sur les conséquences du retrait ; sursoit à statuer, dans l'attente du rapport d'expertise judiciaire sur les demandes relatives à l'évaluation et la reprise du cheptel provenant de la souche de son ancienne exploitation sise à [Localité 9] et au versement du solde du prix de ses parts sociales.
- Sursoit à statuer sur les demandes accessoires.
- Dit que l'instance sera reprise par la partie la plus diligente.
Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge s'est déterminé en fonction des motifs suivants:
- Le compte-rendu déposé par l'expert n'est pas suffisamment complet pour orienter la solution du litige si bien qu'une nouvelle désignation d'expert s'impose par la seule autorité compétente en la matière, à savoir le président du tribunal judiciaire statuant dans le cadre d'une procédure accélérée au fond.
- En l'absence de preuve d'une activité agricole exercée sur le fonds exploité par le Gaec, le requérant ne peut être admis à réclamer une rémunération quelconque et le paiement de cotisations de sécurité sociale y afférentes.
- La demande de décharge des engagements de caution, qui est la conséquence de l'exercice du droit de retrait de l'associé, ne peut s'analyser en une prétention puisqu'elle n'est que la conséquence de la perte d'une qualité. Par contre son effectivité est subordonnée au remboursement intégral des parts sociales.
Suivant déclaration au greffe, formalisée par voie électronique, en date du 14 mai 2024, M. [N] [Y] a interjeté appel du jugement rendu.
Dans le dernier état de ses écritures, en date du 6 août 2024, M. [N] [Y] sollicite que la cour statue dans le sens suivant :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a autorisé le retrait de M. [J] [Y].
- Réformer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
- Autoriser le retrait de M. [N] [Y] à compter du 1er août 2021 avec toutes les conséquences de droit.
- Dire que M. [N] [Y] devra être déchargé des actes de cautionnement et de toutes garanties données en sa qualité d'associé et gérant du [11].
- Homologuer le pré-rapport de M. [R] [W] fixant le montant des parts sociales de M. [T] [Y] à la somme de 407 678,00 euros.
- Autoriser M. [N] [Y] à prendre une partie du cheptel évalué à 71 750,00 euros provenant de la souche de son ancienne exploitation sise à [Localité 9] selon les quantités et prix suivants, lesquels viendront en déduction de ses droits :
- 43 vaches laitières (49 500,00 euros)
- 8 génisses de plus de 2 ans (9600,00 euros)
- 8 génisses de 1 à 2 ans (7 600,00 euros)
- 6 génisses de 6 à 12 mois (3 900,00 euros)
- 3 génisses de 3 mois (1 200,00 euros).
- Condamner le [11] à verser à M. [T] [Y] le solde de prix de parts sociales, soit 336 428,00 euros, outre intérêts de droit et capitalisation des intérêts échus à compter de l'assignation.
- Condamner, in solidum, MM [S] et [L] [Y], de même que le [11] à régler les cotisations MSA pour les années 2022 et 2023 supportées par M. [J] [Y] en sa qualité d'associé et exploitant du Gaec.
- Condamner, in solidum, les intimés à lui payer la somme de 5000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Il fait, en substance, valoir à l'appui de ses prétentions que :
- L'expertise, bien qu'incomplète, comporte des éléments suffisants pour évaluer le montant liquidatif des parts sociales dont le groupement est redevable envers le concluant à la suite de son retrait.
- Il n'a plus perçu de rémunération depuis le 15 août 2021 alors qu'il est toujours membre du groupement.
* * *
MM [S] et [L] [Y] et le [11], dans leurs ultimes conclusions à portée récapitulative en date du 29 août 2024, invitent la cour à statuer dans le sens suivant :
Dire l'appelant (M. [N] [Y]) irrecevable pour partie, mal fondé pour le tout de ses demandes de « réformation » ;
Dès lors rejeter l'appel ou sinon débouter l'appelant (M. [N] [Y]) de l'intégralité de ses demandes, fins et moyens ;
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance (TJ Besançon : 19 mars 2024, RG 23/01142) ;
Condamner M. [N] [Y] à payer aux intimés (M. [S] [Y], M. [L] [Y] et le [11]) la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [N] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ils soutiennent, à cet égard, que :
- L'appelant a, de son propre fait, mis un terme à la mesure d'expertise qui, à ce jour demeure incomplète et ne peut servir la cause de celui qui s'en prévaut.
- M. [N] [Y] ne critique pas le jugement rendu ni sur le plan procédural ni sur le fond si bien que la décision doit être entièrement confirmée.
- Le paiement de cotisations à la MSA, tout comme l'octroi d'une rétribution, exigent qu'un travail soit exécuté en commun ce qui n'est plus le cas de l'appelant depuis le mois d'août 2021.
* * *
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 14 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le retrait de l'associé :
L'article L 323-4 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) dispose:
'Tout associé peut être autorisé par les autres associés, ou le cas échéant par le tribunal, à se retirer du groupement pour un motif grave et légitime.'
Le motif grave est caractérisé, au cas présent, par la mésentente chronique entre l'appelant et les autres membres du Gaec, laquelle compromet l' 'affectio sociétatis', c'est à dire la volonté de mise en commun, au sein d'une seule entité, des moyens de production agricole en vue d'en partager les gains. Au surplus, après une longue période d'atermoiements, les parties conviennent de la nécessité d'autoriser le retrait de M. [N] [Y] du groupement. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
En conséquence de la rupture du lien contractuel le rattachant au groupement, le retrayant est fondé à solliciter le remboursement de ses parts sociales. Le premier juge a rappelé que la date effective de la perte de la qualité d'associé était celle du remboursement complet de la valeur des titres participatifs dans le capital social. Même si l'article 1860 du code civil ne prévoit une telle solution que pour les cas de figure où l'associé évincé est soumis à une procédure collective ou une sanction d'interdiction de gérer, il est prétoriennement admis qu'elle s'étend à toute situation d'exclusion ou de retrait. Il convient, cependant de découpler le retrait de la perte de la qualité d'associé puisque les deux obéissent à des régimes juridiques distincts. Ainsi, le retrait est la condition première de la perte de la qualité d'associé mais aucune synchronie n'est forcément de mise entre les deux évènements.
Au cas présent, les statuts du groupement prévoient (article 21-5°) que, sauf convention contraire, le retrait prend effet à la fin de l'exercice social en cours. Cependant, l'intéressé conserve ses droits patrimoniaux au sein de la structure, à défaut de pouvoir exercer les fonctions attachées à son statut antérieur, puisque la perte de la qualité d'associé est , en toute hypothèse, le corrolaire du remboursement des droits sociaux. L'effectivité de l'exclusion doit uniquement être reportée à la fin de l'année culturale. Le jugement accordant l'autorisation de retrait ayant été prononcé le 19 mars 2024, celui-ci ne produit ses effets qu'à la fin de la période correspondant à l'exercice social en cours. L'article 18 de ces mêmes statuts précise que l'exercice social commence le 1er avril de l'année civile pour s'achever le 31 mars de l'année suivante. La date du retrait de l'associé doit donc être fixée au 31 mars 2024, sans préjudice du maintien de la qualité d'associé jusqu'au désintéressement complet de la valeur des parts sociales. Il s'en déduit que l'appelant ne peut être déclaré fondé, en vertu des dispositions statutaires, à exiger que le retrait rétroagisse à la date à laquelle il a cessé toute collaboration au sein du groupement.
Sur le remboursement des parts sociales :
En vertu des dispositions rapprochées des articles 1843-4 et 1869 du code civil, un expert peut être judiciairement désigné pour procéder à l'évaluation des parts devant être restituées au retrayant en cas de désaccord sur ce point entre les associés. En l'occurrence, un expert a bien été désigné par le tribunal mais celui-ci n'a pu achever sa mission pour des raisons qui ne ressortent pas avec une nette évidence des pièces de la procédure. Le compte-rendu expertal a donc été déposé en l'état au greffe de la juridiction mandante.
Ainsi que l'a fait ressortir, à bon escient, le premier juge, le document inachevé résultant des opérations ainsi interrompues n'est qu'un diminutif de rapport et ne saurait équivaloir à un compte-rendu établi en conformité avec les règles gouvernant l'expertise judiciaire. Ainsi, aucun dire n'a pu être adressé au technicien alors qu'était posée la question de l'usage du plan comptable agricole par ce dernier. C'est donc à juste titre que le tribunal a écarté comme insuffisamment pourvu de valeur probante, l'ensemble des notes remises par l'expert commis et a refusé d'en homologuer les conclusions. Dès l'instant où la désignation d'un expert évaluateur relève de la compétence du président du tribunal judiciaire et qu'aucune prorogation de compétence n'est de mise en pareille matière, la décision de sursis à statuer sera donc confirmée.
Sur la décharge des obligations de caution :
M. [N] [Y] sollicite d'être déchargé de ses obligations de cautionnement souscrites en garantie personnelle de prêts accordés au groupement. Le premier juge, en considérant qu'il ne s'agissait pas là d'une prétention mais d'une conséquence nécessairement inhérente à la décision de retrait, en a déduit que l'effet résolutoire de l'exclusion sur les garanties souscrites était simplement différé à la date de la perte de la qualité d'associé qu'il a rendu contemporaine de celle du remboursement complet des parts sociales. La cour n'entérinera cependant pas un tel raisonnement.
En effet, la demande de constat de la caducité des engagements de caution souscrits avant le retrait, s'analyse en une prétention, au sens de l'article 4 du code de procédure civile et lie donc le contentieux tant devant la juridiction de première instance que devant la cour. Il convient donc de rechercher à quel régime juridique est soumise l'obligation de cautionnement avant d'en tirer les conséquences quant à la nature et l'étendue des droits du souscripteur.
L'acte de cautionnement, en vertu des prescriptions de l'article 2288 du code civil, formalise un engagement unilatéral de la part de la partie qui s'oblige au profit d'un tiers qui en devient créancier, en cas d'inexécution de l'obligation contractée avec le débiteur bénéficiaire de la sûreté. Sa durée, hormis le cas d'un engagement perpétuel ou de réalisation de conditions spécifiques entrant dans le champ contractuel, est indexée sur celle de l'obligation principale dont elle garantit la force exécutoire. Dès lors, et abstraction faite de stipulations expresses subordonnant la validité de la manifestation unilatérale de volonté à la qualité de la partie qui l'exprime, la perte du statut d'associé du Gaec n'a aucun effet résolutoire sur son engagement de caution. Celui-ci reste donc débiteur de garantie jusqu'à l'extinction de la créance dont la sûreté personnelle est l'accessoire. Il ne ressort pas, de ce point de vue, des pièces du dossier que les engagements litigieux, non produits aux débats, soient assortiés d'une condition résolutoire relative à la perte de qualité d'associé de la caution.
En cet état, la décision de retrait demeure sans incidence sur la faculté pour le bénéficiaire de mobiliser la garantie souscrite en cas de défaillance du débiteur principal, la portée des droits et obligations de l'associé évincé n'étant, le cas échéant, qu'un sujet de débat dans les rapports entre cofidéjusseurs. Il s'en déduit que M. [N] [Y] sera, pour ce motif, débouté de ce chef de prétention et le jugement réformé en ce qu'il a différé l'examen de ce chef de prétention à l'issue des opérations d'expertise.
Sur le paiement d'indemnités :
L'appelant sollicite le paiement par le Gaec, en solidarité avec les deux autres associés, de la quote-part de revenus dont il a été privé au cours des années 2022 et 2023.
L'article 14 des statuts, à la rubrique 'rémunération du travail', énonce que :
' Chaque associé reçoit une rémunération de son travail. Elle est fixée chaque année par décision des associés sans pouvoir excéder 6 smics par mois. Dans la limite de 1 à 6 smics, elle constitue une charge pour le groupement.'
Une exégèse littérale de cette clause fait ressortir que seul le groupement est redevable de rémunérations envers les associés. Dès lors, et malgré le principe de transparence qui gouverne le fonctionnement du Gaec, l'associé n'est aucunement redevable, à titre personnel, de la rétribution que l'un d'entre eux estime lui être due. En outre, cette disposition statutaire est conforme aux prescriptions des articles L. 323-7 et 9 et R. 323-36 du CRPM, cités dans le jugement.
Le revenu alloué à chaque associé ne s'anlyse pas en un fruit civil constitué de dividendes consubstantiels à la titularité d'une quote-part de capital social, mais se définit comme la contrepartie d'une activité productive exercée pour le compte du groupement. En conséquence, et ainsi que l'a relevé le premier juge, il incombe à l'associé qui revendique le paiement à son profit d'une rémunération d'administrer la preuve de la prestation correspondante qu'il a fournie. Cette preuve est d'autant moins rapportée pour la période litigieuse (2022 et 2023) qu'il s'évince des pièces du dossier que l'intéressé a cessé toute collaboration avec le Gaec à partir du 1er août 2021.
Toutefois, dans ses écritures, M. [N] [Y] sollicite le paiement d'une 'indemnité' et non la contrepartie d'un service rendu, plaçant ainsi la discussion sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Mais il n'est ni démontré, ni même allégué, que les intimés aient commis une faute en rapport de causalité avec la privation d'un quelconque gain au préjudice de l'associé qui en serait prétendument lésé. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le revendiquant de sa demande en ce sens.
Sur la reprise des apports :
M. [N] [Y] sollicite la restitution du cheptel vif mis à disposition du Gaec à titre d'apport en nature. A l'instar d'un quasi-usufruit, le titulaire du droit de propriété sur des biens corporels ou incorporels dont l'usage est transféré au groupement, est en droit de reprendre ceux-ci, ou ceux qui s'y sont substitués par voie de subrogation réelle. Or, au cas présent, cette demande se heurte à un double écueil : la preuve du rapport allégué, d'une part, et la valeur de l'apport, d'autre part.
Les statuts du Gaec ne font état d'apports de cheptel vif qu'émanant de deux Gaec, le Gaec du '[7]' et le Gaec de '[12]'. Aucun renseignement n'est fourni sur l'identité des membres de ces deux groupements apporteurs, seuls les intimés mentionnant dans leurs écritures l'apport d'un Gaec constitué entre M. [N] [Y] et leur mère. Toutefois, le fait qu'une mise à disposition d'animaux d'élevage ait été réalisée n'est pas contestée par les intéressés. Un procès-verbal d'assemblée générale en date du 1er mars 2008 prévoit, en son article 11, portant l'intitulé de ' Biens mis à disposition' qu'un document énumérant l'ensemble des biens consernés serait établi mais seul une recension des parcelles exploitées a été produite au dossier avec la convention de mise à disposition.
Les statuts ont également quantifié la valeur des apports en cheptel vif pour chacun des deux Gaec cédants. Cependant, aucune des valeurs figurant dans la charte collective ne correspond à celle invoquée par le retrayant.
Il sera donc recouru à une expertise, ainsi que l'a décidé le premier juge, pour déterminer le droit de propriété de l'ancien associé sur le cheptel mis à disposition au profit du Gaec.
Sur le paiement des cotisations sociales :
L'appelant sollicite la condamnation des intimés au paiement à son profit des cotisations sociales à la MSA pour les années 2022 et 2023 sans que la créance prétendue ne soit liquidée. Le tribunal n'a pas fait droit à cette demande faute de preuve de toute activité productive de la part de l'associé concerné pour la période postérieure à la cessation d'activité.
Mais en application des prescriptions des articles L 722-1 et 4, L 731-14 et 19 du CRPM les cotisations d'assurances sociales agricoles sont dues par l'exploitant non-salarié à qui incombe une obligation d'affiliation personnelle (L 722-13). L'assiette liquidative de la créance de l'organisme de sécurité sociale est constituée par le bénéfice imposable au titre de l'impôt sur le revenu (article 64 du code général des impôts). Il s'en déduit que le prélèvement social est supporté par l'associé et non par le groupement auquel il appartient. S'il est fréquent que les cotisations au financement du régime de sécurité sociale agricole soient directement acquittées par la société ou le groupement, ce n'est qu'au titre d'un précompte, c'est à dire d'une avance imputée ensuite sur la rémunération de l'assuré. Dés lors, le précompte s'analyse en une délégation de créance dont le 'solvens' ne s'acquitte qu'en faveur du redevable final. En cet état, l'associé évincé ne peut réclamer au groupement, en solidarité avec les autres associés, le paiement d'une dette qui lui incombe à titre personnel. D'ailleurs, la mise en demeure d'avoir à régulariser un impayé de cotisations, datée du 13 janvier 2023 a été adressée par la MSA à M. [J] [Y] .
De surcroît, même si l'assujetti n'a perçu aucun gain servant de base taxable à la liquidation du compte de cotisations, il n'en est pas moins débiteur d'une somme minimale en sa qualité d'associé détenteur d'une quote-part du capital social. En effet, l'obligation de cotisation s'impose à l'assuré, qu'il soit ou non personnellement occupé à l'activité de l'entreprise agricole, en sa seule qualité de porteur de parts, et ce en application des dispositions de l'article L. 731-14-3° du code précité (Cass. 2° Civ 29 mai 2019 n° 18-17.813). Là encore, s'agissant d'une dette personnelle de l'associé, ni le Gaec ni ses autres membres n'ont vocation à se substituer à lui pour s'acquitter du paiement de cette contribution.
Il suit des développements qui précèdent que la créance de l'organisme social doit être payée par l'exploitant lui-même jusqu'à la perte effective de sa qualité d'associé et sans qu'il puisse exercer, de ce chef, une action récursoire contre l'entreprise et les autres associés. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Il convient de rappeler que le premier juge s'est prononcé sur le litige soumis à son examen par un jugement mixte. La cour n'a eu à trancher dans le cadre de l'appel que des questions ressortissant au principal. Le premier juge, en l'absence d'infirmation sur les questions ressortissant au fond du droit, reste saisi, après prononcé d'un sursis, de demandes sur lesquelles il ne sera statué, le cas échéant, qu'une fois connues et débattues les conclusions de l'expert éventuellement désigné. En cet état, l'équité ne commande pas de faire application au cas présent des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sorte que chaque partie conservera l'entière charge de ses frais irrépétibles. M. [N] [Y] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant :
- Fixe la date de retrait du Gaec [13] de M. [J] [Y] à la date du 31 mars 2024 et la date de perte de sa qualité d'associé à celle du remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales ;
- Déboute M. [J] [Y] de sa demande en décharge de ses engagements de caution et, plus largement, de garanties souscrites pour le compte du Gaec ;
- Dit que par les soins du greffe une expédition du présent arrêt sera adressé au secrétariat-greffe du président du tribunal judiciaire de Besançon.
- Condamne M. [N] [Y] aux dépens d'appel ;
- Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,
PM/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 24/00725 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EYS6
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 01 AVRIL 2025
Décision déférée à la Cour : jugement du 19 mars 2024 - RG N°23/01142 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON
Code affaire : 36Z - Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
Philippe MAUREL et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L'affaire a été examinée en audience publique du 04 février 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, Philippe MAUREL et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [N] [Y],
demeurant [Adresse 6]
Représenté par Me Isabelle TOURNIER de la SELARL SELARL EQUILIBRES, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Marine-Laure COSTA RAMOS, avocat au barreau de DIJON, avocat plaidant
ET :
INTIMÉS
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 3] 1970 à [Localité 8], de nationalité française, agriculteur,
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
Monsieur [L] [Y]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 8], de nationalité française, agriculteur,
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
[11]
Sis [Adresse 16]
Immatriculé au RCS de Besançon sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
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EXPOSE DU LITIGE
Le [11] est composé de trois associés, MM [N], [S] et [L] [Y], tous les trois étant frères, et exploite des terrains agricoles en faire valoir direct ou sous le statut du fermage sur le territoire des communes de [Localité 9] (25), de [Localité 14] (39), de [Localité 10] (39) et de [Localité 15] (25). Chacun des membres est titulaire du tiers des parts sociales composant le capital divisé en 68 000 parts évaluées à 10 euros l'unité.
Depuis 2016, une mésentente oppose M. [N] [Y] à ses deux frères. Suivant courrier comminatoire en date du 16 octobre 2018, ces derniers ont fait injonction au premier, d'avoir à céder ses parts. La proposition liquidative formulée par le destinataire fut néanmoins refusée par les deux autres associés.
L'assemblée générale du Gaec, réunie le 1er juillet 2020, révoqua M. [N] [Y] de son mandat de gérant du groupement et prononça, dans le même temps, son exclusion. Par courrier en date du 31 juillet 2020, M. [N] [Y] adressa à ses deux frères une proposition de retrait avec reprise des apports.
Par acte d'huissier en date du 11 août 2020, MM [S] et [L] [Y] ont fait assigner leur frère [N] devant le président du tribunal judiciaire de Besançon aux fins de désignation d'un expert judiciaire avec mission d'évaluer les parts sociales devant être cédées. Suivant jugement en date du 20 octobre 2020, la juridiction présidentielle a fait droit à cette demande, M. [R] [W] étant finalement commis pour ce faire.
Par acte d'huissier en date du 20 mars 2021, M. [N] [Y] a saisi le tribunal judiciaire de Besançon d'une demande d'annulation du procès-verbal d'assemblée générale du Gaec prononçant son exclusion. Il a été fait droit à cette requête par jugement en date du 29 novembre 2022.
Suivant courrier en date du 1er février 2023, MM [S] et [L] [Y] firent savoir à l'expert qu'ils n'entendaient plus participer aux opérations menées sous son égide. Celui-ci déposa donc au greffe le résultat incomplet de sa mission compte tenu de l'état d'avancement de la mesure d'instruction qui lui avait été confiée.
Par acte de commissaire de justice en date du 26 juin 2023, M. [N] [Y] a fait assigner ses deux frères [S] et [L], de même que le [11] aux fins d'être autorisé à se retirer du Gaec, d'être restitué en ses droits d'apport, d'être désintéressé de la contre-valeur de ses parts détenues dans le capital social et de se voir reconnaître un droit de créance au titre des avantages statutairement dévolus aux membres du groupement.
Suivant jugement en date du 19 mars 2024, le tribunal a statué comme suit :
- Autorise le retrait de M. [N] [Y] rn sa qualité d'associé du [11].
- Rejette la demande de faire rétroagir les effets du retrait au 1er août 2021.
- Déboute M. [N] [Y] de sa demande de condamnation 'in solidum' de MM [S] et [L] [Y] ainsi que le [11] à régler les cotisations MSA 2022 et 2023 supportées par M. [N] [Y] en sa qualité d'exploitant du [11].
- Déboute M. [N] [Y] de sa demande de condamnation in solidum de MM [S] et [L] [Y] ainsi que du [11] à lui payer la rémunération non versée de 2 200,00 euros par mois depuis le 15 août 2021.
- Rejette la demande d'homologation du pré-rapport de M. [R] [W] fixant le montant des parts sociales de M. [N] [Y] à la somme de 407 678, 00 euros.
- Sur la demande d'expertise judiciaire, en application des dispositions de l'article 1843-4, se déclare incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Besançon statuant suivant la procédure accélérée au fond.
- Dit qu'une copie de la présente décision ainsi que le dossier de la procédure seront transmis au greffe du président du tribunal judiciaire de Besançon passé le délai d'appel.
- Avant dire-droit sur les conséquences du retrait ; sursoit à statuer, dans l'attente du rapport d'expertise judiciaire sur les demandes relatives à l'évaluation et la reprise du cheptel provenant de la souche de son ancienne exploitation sise à [Localité 9] et au versement du solde du prix de ses parts sociales.
- Sursoit à statuer sur les demandes accessoires.
- Dit que l'instance sera reprise par la partie la plus diligente.
Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge s'est déterminé en fonction des motifs suivants:
- Le compte-rendu déposé par l'expert n'est pas suffisamment complet pour orienter la solution du litige si bien qu'une nouvelle désignation d'expert s'impose par la seule autorité compétente en la matière, à savoir le président du tribunal judiciaire statuant dans le cadre d'une procédure accélérée au fond.
- En l'absence de preuve d'une activité agricole exercée sur le fonds exploité par le Gaec, le requérant ne peut être admis à réclamer une rémunération quelconque et le paiement de cotisations de sécurité sociale y afférentes.
- La demande de décharge des engagements de caution, qui est la conséquence de l'exercice du droit de retrait de l'associé, ne peut s'analyser en une prétention puisqu'elle n'est que la conséquence de la perte d'une qualité. Par contre son effectivité est subordonnée au remboursement intégral des parts sociales.
Suivant déclaration au greffe, formalisée par voie électronique, en date du 14 mai 2024, M. [N] [Y] a interjeté appel du jugement rendu.
Dans le dernier état de ses écritures, en date du 6 août 2024, M. [N] [Y] sollicite que la cour statue dans le sens suivant :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a autorisé le retrait de M. [J] [Y].
- Réformer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
- Autoriser le retrait de M. [N] [Y] à compter du 1er août 2021 avec toutes les conséquences de droit.
- Dire que M. [N] [Y] devra être déchargé des actes de cautionnement et de toutes garanties données en sa qualité d'associé et gérant du [11].
- Homologuer le pré-rapport de M. [R] [W] fixant le montant des parts sociales de M. [T] [Y] à la somme de 407 678,00 euros.
- Autoriser M. [N] [Y] à prendre une partie du cheptel évalué à 71 750,00 euros provenant de la souche de son ancienne exploitation sise à [Localité 9] selon les quantités et prix suivants, lesquels viendront en déduction de ses droits :
- 43 vaches laitières (49 500,00 euros)
- 8 génisses de plus de 2 ans (9600,00 euros)
- 8 génisses de 1 à 2 ans (7 600,00 euros)
- 6 génisses de 6 à 12 mois (3 900,00 euros)
- 3 génisses de 3 mois (1 200,00 euros).
- Condamner le [11] à verser à M. [T] [Y] le solde de prix de parts sociales, soit 336 428,00 euros, outre intérêts de droit et capitalisation des intérêts échus à compter de l'assignation.
- Condamner, in solidum, MM [S] et [L] [Y], de même que le [11] à régler les cotisations MSA pour les années 2022 et 2023 supportées par M. [J] [Y] en sa qualité d'associé et exploitant du Gaec.
- Condamner, in solidum, les intimés à lui payer la somme de 5000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Il fait, en substance, valoir à l'appui de ses prétentions que :
- L'expertise, bien qu'incomplète, comporte des éléments suffisants pour évaluer le montant liquidatif des parts sociales dont le groupement est redevable envers le concluant à la suite de son retrait.
- Il n'a plus perçu de rémunération depuis le 15 août 2021 alors qu'il est toujours membre du groupement.
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MM [S] et [L] [Y] et le [11], dans leurs ultimes conclusions à portée récapitulative en date du 29 août 2024, invitent la cour à statuer dans le sens suivant :
Dire l'appelant (M. [N] [Y]) irrecevable pour partie, mal fondé pour le tout de ses demandes de « réformation » ;
Dès lors rejeter l'appel ou sinon débouter l'appelant (M. [N] [Y]) de l'intégralité de ses demandes, fins et moyens ;
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement de première instance (TJ Besançon : 19 mars 2024, RG 23/01142) ;
Condamner M. [N] [Y] à payer aux intimés (M. [S] [Y], M. [L] [Y] et le [11]) la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [N] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ils soutiennent, à cet égard, que :
- L'appelant a, de son propre fait, mis un terme à la mesure d'expertise qui, à ce jour demeure incomplète et ne peut servir la cause de celui qui s'en prévaut.
- M. [N] [Y] ne critique pas le jugement rendu ni sur le plan procédural ni sur le fond si bien que la décision doit être entièrement confirmée.
- Le paiement de cotisations à la MSA, tout comme l'octroi d'une rétribution, exigent qu'un travail soit exécuté en commun ce qui n'est plus le cas de l'appelant depuis le mois d'août 2021.
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La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 14 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le retrait de l'associé :
L'article L 323-4 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) dispose:
'Tout associé peut être autorisé par les autres associés, ou le cas échéant par le tribunal, à se retirer du groupement pour un motif grave et légitime.'
Le motif grave est caractérisé, au cas présent, par la mésentente chronique entre l'appelant et les autres membres du Gaec, laquelle compromet l' 'affectio sociétatis', c'est à dire la volonté de mise en commun, au sein d'une seule entité, des moyens de production agricole en vue d'en partager les gains. Au surplus, après une longue période d'atermoiements, les parties conviennent de la nécessité d'autoriser le retrait de M. [N] [Y] du groupement. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
En conséquence de la rupture du lien contractuel le rattachant au groupement, le retrayant est fondé à solliciter le remboursement de ses parts sociales. Le premier juge a rappelé que la date effective de la perte de la qualité d'associé était celle du remboursement complet de la valeur des titres participatifs dans le capital social. Même si l'article 1860 du code civil ne prévoit une telle solution que pour les cas de figure où l'associé évincé est soumis à une procédure collective ou une sanction d'interdiction de gérer, il est prétoriennement admis qu'elle s'étend à toute situation d'exclusion ou de retrait. Il convient, cependant de découpler le retrait de la perte de la qualité d'associé puisque les deux obéissent à des régimes juridiques distincts. Ainsi, le retrait est la condition première de la perte de la qualité d'associé mais aucune synchronie n'est forcément de mise entre les deux évènements.
Au cas présent, les statuts du groupement prévoient (article 21-5°) que, sauf convention contraire, le retrait prend effet à la fin de l'exercice social en cours. Cependant, l'intéressé conserve ses droits patrimoniaux au sein de la structure, à défaut de pouvoir exercer les fonctions attachées à son statut antérieur, puisque la perte de la qualité d'associé est , en toute hypothèse, le corrolaire du remboursement des droits sociaux. L'effectivité de l'exclusion doit uniquement être reportée à la fin de l'année culturale. Le jugement accordant l'autorisation de retrait ayant été prononcé le 19 mars 2024, celui-ci ne produit ses effets qu'à la fin de la période correspondant à l'exercice social en cours. L'article 18 de ces mêmes statuts précise que l'exercice social commence le 1er avril de l'année civile pour s'achever le 31 mars de l'année suivante. La date du retrait de l'associé doit donc être fixée au 31 mars 2024, sans préjudice du maintien de la qualité d'associé jusqu'au désintéressement complet de la valeur des parts sociales. Il s'en déduit que l'appelant ne peut être déclaré fondé, en vertu des dispositions statutaires, à exiger que le retrait rétroagisse à la date à laquelle il a cessé toute collaboration au sein du groupement.
Sur le remboursement des parts sociales :
En vertu des dispositions rapprochées des articles 1843-4 et 1869 du code civil, un expert peut être judiciairement désigné pour procéder à l'évaluation des parts devant être restituées au retrayant en cas de désaccord sur ce point entre les associés. En l'occurrence, un expert a bien été désigné par le tribunal mais celui-ci n'a pu achever sa mission pour des raisons qui ne ressortent pas avec une nette évidence des pièces de la procédure. Le compte-rendu expertal a donc été déposé en l'état au greffe de la juridiction mandante.
Ainsi que l'a fait ressortir, à bon escient, le premier juge, le document inachevé résultant des opérations ainsi interrompues n'est qu'un diminutif de rapport et ne saurait équivaloir à un compte-rendu établi en conformité avec les règles gouvernant l'expertise judiciaire. Ainsi, aucun dire n'a pu être adressé au technicien alors qu'était posée la question de l'usage du plan comptable agricole par ce dernier. C'est donc à juste titre que le tribunal a écarté comme insuffisamment pourvu de valeur probante, l'ensemble des notes remises par l'expert commis et a refusé d'en homologuer les conclusions. Dès l'instant où la désignation d'un expert évaluateur relève de la compétence du président du tribunal judiciaire et qu'aucune prorogation de compétence n'est de mise en pareille matière, la décision de sursis à statuer sera donc confirmée.
Sur la décharge des obligations de caution :
M. [N] [Y] sollicite d'être déchargé de ses obligations de cautionnement souscrites en garantie personnelle de prêts accordés au groupement. Le premier juge, en considérant qu'il ne s'agissait pas là d'une prétention mais d'une conséquence nécessairement inhérente à la décision de retrait, en a déduit que l'effet résolutoire de l'exclusion sur les garanties souscrites était simplement différé à la date de la perte de la qualité d'associé qu'il a rendu contemporaine de celle du remboursement complet des parts sociales. La cour n'entérinera cependant pas un tel raisonnement.
En effet, la demande de constat de la caducité des engagements de caution souscrits avant le retrait, s'analyse en une prétention, au sens de l'article 4 du code de procédure civile et lie donc le contentieux tant devant la juridiction de première instance que devant la cour. Il convient donc de rechercher à quel régime juridique est soumise l'obligation de cautionnement avant d'en tirer les conséquences quant à la nature et l'étendue des droits du souscripteur.
L'acte de cautionnement, en vertu des prescriptions de l'article 2288 du code civil, formalise un engagement unilatéral de la part de la partie qui s'oblige au profit d'un tiers qui en devient créancier, en cas d'inexécution de l'obligation contractée avec le débiteur bénéficiaire de la sûreté. Sa durée, hormis le cas d'un engagement perpétuel ou de réalisation de conditions spécifiques entrant dans le champ contractuel, est indexée sur celle de l'obligation principale dont elle garantit la force exécutoire. Dès lors, et abstraction faite de stipulations expresses subordonnant la validité de la manifestation unilatérale de volonté à la qualité de la partie qui l'exprime, la perte du statut d'associé du Gaec n'a aucun effet résolutoire sur son engagement de caution. Celui-ci reste donc débiteur de garantie jusqu'à l'extinction de la créance dont la sûreté personnelle est l'accessoire. Il ne ressort pas, de ce point de vue, des pièces du dossier que les engagements litigieux, non produits aux débats, soient assortiés d'une condition résolutoire relative à la perte de qualité d'associé de la caution.
En cet état, la décision de retrait demeure sans incidence sur la faculté pour le bénéficiaire de mobiliser la garantie souscrite en cas de défaillance du débiteur principal, la portée des droits et obligations de l'associé évincé n'étant, le cas échéant, qu'un sujet de débat dans les rapports entre cofidéjusseurs. Il s'en déduit que M. [N] [Y] sera, pour ce motif, débouté de ce chef de prétention et le jugement réformé en ce qu'il a différé l'examen de ce chef de prétention à l'issue des opérations d'expertise.
Sur le paiement d'indemnités :
L'appelant sollicite le paiement par le Gaec, en solidarité avec les deux autres associés, de la quote-part de revenus dont il a été privé au cours des années 2022 et 2023.
L'article 14 des statuts, à la rubrique 'rémunération du travail', énonce que :
' Chaque associé reçoit une rémunération de son travail. Elle est fixée chaque année par décision des associés sans pouvoir excéder 6 smics par mois. Dans la limite de 1 à 6 smics, elle constitue une charge pour le groupement.'
Une exégèse littérale de cette clause fait ressortir que seul le groupement est redevable de rémunérations envers les associés. Dès lors, et malgré le principe de transparence qui gouverne le fonctionnement du Gaec, l'associé n'est aucunement redevable, à titre personnel, de la rétribution que l'un d'entre eux estime lui être due. En outre, cette disposition statutaire est conforme aux prescriptions des articles L. 323-7 et 9 et R. 323-36 du CRPM, cités dans le jugement.
Le revenu alloué à chaque associé ne s'anlyse pas en un fruit civil constitué de dividendes consubstantiels à la titularité d'une quote-part de capital social, mais se définit comme la contrepartie d'une activité productive exercée pour le compte du groupement. En conséquence, et ainsi que l'a relevé le premier juge, il incombe à l'associé qui revendique le paiement à son profit d'une rémunération d'administrer la preuve de la prestation correspondante qu'il a fournie. Cette preuve est d'autant moins rapportée pour la période litigieuse (2022 et 2023) qu'il s'évince des pièces du dossier que l'intéressé a cessé toute collaboration avec le Gaec à partir du 1er août 2021.
Toutefois, dans ses écritures, M. [N] [Y] sollicite le paiement d'une 'indemnité' et non la contrepartie d'un service rendu, plaçant ainsi la discussion sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Mais il n'est ni démontré, ni même allégué, que les intimés aient commis une faute en rapport de causalité avec la privation d'un quelconque gain au préjudice de l'associé qui en serait prétendument lésé. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le revendiquant de sa demande en ce sens.
Sur la reprise des apports :
M. [N] [Y] sollicite la restitution du cheptel vif mis à disposition du Gaec à titre d'apport en nature. A l'instar d'un quasi-usufruit, le titulaire du droit de propriété sur des biens corporels ou incorporels dont l'usage est transféré au groupement, est en droit de reprendre ceux-ci, ou ceux qui s'y sont substitués par voie de subrogation réelle. Or, au cas présent, cette demande se heurte à un double écueil : la preuve du rapport allégué, d'une part, et la valeur de l'apport, d'autre part.
Les statuts du Gaec ne font état d'apports de cheptel vif qu'émanant de deux Gaec, le Gaec du '[7]' et le Gaec de '[12]'. Aucun renseignement n'est fourni sur l'identité des membres de ces deux groupements apporteurs, seuls les intimés mentionnant dans leurs écritures l'apport d'un Gaec constitué entre M. [N] [Y] et leur mère. Toutefois, le fait qu'une mise à disposition d'animaux d'élevage ait été réalisée n'est pas contestée par les intéressés. Un procès-verbal d'assemblée générale en date du 1er mars 2008 prévoit, en son article 11, portant l'intitulé de ' Biens mis à disposition' qu'un document énumérant l'ensemble des biens consernés serait établi mais seul une recension des parcelles exploitées a été produite au dossier avec la convention de mise à disposition.
Les statuts ont également quantifié la valeur des apports en cheptel vif pour chacun des deux Gaec cédants. Cependant, aucune des valeurs figurant dans la charte collective ne correspond à celle invoquée par le retrayant.
Il sera donc recouru à une expertise, ainsi que l'a décidé le premier juge, pour déterminer le droit de propriété de l'ancien associé sur le cheptel mis à disposition au profit du Gaec.
Sur le paiement des cotisations sociales :
L'appelant sollicite la condamnation des intimés au paiement à son profit des cotisations sociales à la MSA pour les années 2022 et 2023 sans que la créance prétendue ne soit liquidée. Le tribunal n'a pas fait droit à cette demande faute de preuve de toute activité productive de la part de l'associé concerné pour la période postérieure à la cessation d'activité.
Mais en application des prescriptions des articles L 722-1 et 4, L 731-14 et 19 du CRPM les cotisations d'assurances sociales agricoles sont dues par l'exploitant non-salarié à qui incombe une obligation d'affiliation personnelle (L 722-13). L'assiette liquidative de la créance de l'organisme de sécurité sociale est constituée par le bénéfice imposable au titre de l'impôt sur le revenu (article 64 du code général des impôts). Il s'en déduit que le prélèvement social est supporté par l'associé et non par le groupement auquel il appartient. S'il est fréquent que les cotisations au financement du régime de sécurité sociale agricole soient directement acquittées par la société ou le groupement, ce n'est qu'au titre d'un précompte, c'est à dire d'une avance imputée ensuite sur la rémunération de l'assuré. Dés lors, le précompte s'analyse en une délégation de créance dont le 'solvens' ne s'acquitte qu'en faveur du redevable final. En cet état, l'associé évincé ne peut réclamer au groupement, en solidarité avec les autres associés, le paiement d'une dette qui lui incombe à titre personnel. D'ailleurs, la mise en demeure d'avoir à régulariser un impayé de cotisations, datée du 13 janvier 2023 a été adressée par la MSA à M. [J] [Y] .
De surcroît, même si l'assujetti n'a perçu aucun gain servant de base taxable à la liquidation du compte de cotisations, il n'en est pas moins débiteur d'une somme minimale en sa qualité d'associé détenteur d'une quote-part du capital social. En effet, l'obligation de cotisation s'impose à l'assuré, qu'il soit ou non personnellement occupé à l'activité de l'entreprise agricole, en sa seule qualité de porteur de parts, et ce en application des dispositions de l'article L. 731-14-3° du code précité (Cass. 2° Civ 29 mai 2019 n° 18-17.813). Là encore, s'agissant d'une dette personnelle de l'associé, ni le Gaec ni ses autres membres n'ont vocation à se substituer à lui pour s'acquitter du paiement de cette contribution.
Il suit des développements qui précèdent que la créance de l'organisme social doit être payée par l'exploitant lui-même jusqu'à la perte effective de sa qualité d'associé et sans qu'il puisse exercer, de ce chef, une action récursoire contre l'entreprise et les autres associés. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Il convient de rappeler que le premier juge s'est prononcé sur le litige soumis à son examen par un jugement mixte. La cour n'a eu à trancher dans le cadre de l'appel que des questions ressortissant au principal. Le premier juge, en l'absence d'infirmation sur les questions ressortissant au fond du droit, reste saisi, après prononcé d'un sursis, de demandes sur lesquelles il ne sera statué, le cas échéant, qu'une fois connues et débattues les conclusions de l'expert éventuellement désigné. En cet état, l'équité ne commande pas de faire application au cas présent des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sorte que chaque partie conservera l'entière charge de ses frais irrépétibles. M. [N] [Y] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant :
- Fixe la date de retrait du Gaec [13] de M. [J] [Y] à la date du 31 mars 2024 et la date de perte de sa qualité d'associé à celle du remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales ;
- Déboute M. [J] [Y] de sa demande en décharge de ses engagements de caution et, plus largement, de garanties souscrites pour le compte du Gaec ;
- Dit que par les soins du greffe une expédition du présent arrêt sera adressé au secrétariat-greffe du président du tribunal judiciaire de Besançon.
- Condamne M. [N] [Y] aux dépens d'appel ;
- Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,