CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 2 avril 2025, n° 24/08079
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Elny (SARL)
Défendeur :
2bsystem (SAS), Sigem (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gérard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Michel, Me Alligier, Me Kouhana
EXPOSE DU LITIGE
Le 15 septembre 2023 les sociétés 2Bsystem et Sigem ont saisi le président du tribunal de commerce de Draguignan par voie de requête afin d'obtenir la désignation d'un commissaire de justice sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile en vue de procéder à des mesures d'instruction au siège social de la société Elny.
La société 2Bsystem et la société Sigem reprochaient en effet à M. [G] [S], au travers de la société Elny, d'intervenir sur l'ERP MySigem, prologiciel de gestion à destination de la filière agroalimentaire, installé chez la société AZ France, en modifiant les programmes sans autorisation ni habilitation alors que les relations commerciales entretenues entre les parties avaient cessé en avril 2023 à l'initiative de la société Elny.
La société 2Bsystem et la société Sigem dénonçaient ainsi des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par M. [G] [S] et la société Elny avec la collusion d'anciens salariés et d'anciens dirigeants et associés de la société Sigem.
Par ordonnance en date du 4 octobre 2023 le président du tribunal de commerce a fait droit aux mesures d'investigations, lesquelles ont été exécutées le 25 octobre 2024 avec l'assistance d'un expert informatique.
M. [G] [S] et la société Elny ont sollicité la rétractation de l'ordonnance.
Par seconde ordonnance en date du 20 mars 2024 le président du tribunal de commerce de Draguignan a :
Jugé le président du tribunal de commerce de Draguignan compétent pour ordonner les mesures d'instruction in futurum au siège de la société Elny,
Jugé que les mesures ordonnées sont justifiées par un motif légitime et légalement admissible,
Confirmé par conséquent l'ordonnance rendue le 04.10.2023 sous le numéro 23/3653 en toutes ses dispositions,
Débouté la société Elny et M. [G] [S] de leur demande de rétractation de l'ordonnance critiquée,
Condamné la société Elny et M. [G] [S] à payer à la société 2Bsystem et à la société Sigem la somme de 800 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Réservé les dépens
Par acte en date du 26 juin 2024 M. [G] [S] et la société Elny ont interjeté appel de l'ordonnance. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 24/08079.
Parallèlement, le 5 avril 2024 la société 2Bsystem et la société Sigem ont déposé une requête en omission de statuer en faisant valoir que le président du tribunal n'avait pas statué sur leur demande de mainlevée du séquestre.
Par ordonnance du 19 juin 2024 le président du tribunal de commerce de Draguignan a :
dit n'y avoir lieu à ordonner la mainlevée du séquestre judiciaire mis en place par l'ordonnance rendue le 04.10.2023,
dit que les documents et pièces saisis en exécution de cette ordonnance doivent être conservés chez le commissaire de justice qui les a récupérés,
débouté les parties de leurs demandes subsidiaires,
dit qu'il sera fait mention de la présente décision en marge de la minute de l'ordonnance du 20.03.2024 (2024/58),
condamné la société 2Bsystem et la société Sigem aux dépens
Par acte du 19 juillet 2024 les sociétés 2Bsystem et Sigem ont interjeté appel de cette ordonnance. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 24/09399.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 5 décembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [G] [S] et la société Elny (Sarl) demandent à la cour de :
- Vu l'article 145 du Code de Procédure Civile,
- Vu l'article 496 alinéa 2 du Code de Procédure Civile,
- Vu l'article 497 du Code de Procédure Civile,
- Vu l'article L.331-1 alinéa 1 du Code de la Propriété Intellectuel,
- Vu l'article L.122-6-1, IV, du Code de la Propriété Intellectuel,
- Vu les pièces versées au débat
Déclarer la Société Elny et M [G] [S] recevables et bien fondés en leurs demandes,
Infirmer en tout point l'Ordonnance de re'fe're' rendue par le Tribunal de Commerce de Draguignan,
Statuant à nouveau,
Dire et juger que le litige au fond relève donc de la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire de Draguignan en application de l'article L.331-1, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle,
Y faisant droit,
Ordonner la re'tractation de l'Ordonnance rendue par Tribunal de Commerce de Draguignan le 4 octobre 2023
Subsidiairement,
Constater que les Sociétés 2Bsystem et Sigem ont trompé Madame, Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de céans dans l'obtention de l'Ordonnance du 4 octobre 2023,
Constater que la Société Elny est intervenue auprès de la société AZ France en vue de la réalisation d'une mission d'interope'rabilite' de logiciel, mission qui ne nécessite aucune autorisation préalable ni accord de la Société Sigem,
Constater que la Société Elny est intervenue auprès de la Société AZ France pour créer un module de signature de bon de livraison pour les transporteurs via tablette, mission qui relève de l'interope'rabilite' du logiciel Sigem et qui ne nécessite aucune autorisation préalable ni accord de la Société Sigem,
Constater que les Sociétés 2Bsystem et Sigem étaient parfaitement informées de l'intervention de la Socie'te' Elny pour le compte de la Socie'te' AZ France et qu'elle en a même donne' l'autorisation expresse à son Client AZ France,
Y faisant droit,
Ordonner la re'tractation de l'Ordonnance rendue par Tribunal de Commerce de Draguignan le 4 octobre 2023,
Plus subsidiairement,
Constater le caractère totalement disproportionne' de la mesure d'instruction présentée par les Sociétés 2Bsystem et Sigem avec l'inte'rêt alle'gue' par celles-ci,
Ordonner la re'tractation de l'Ordonnance rendue par Tribunal de Commerce de Draguignan le 4 octobre 2023,
En tout état de cause,
Ordonner la restitution immédiate de tous les éléments saisis par le commissaire de justice mandaté par l'ordonnance susvisée,
Condamner les Sociétés Sigem et 2Bsystem à payer à chacun des demandeurs la somme de 3.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Proce'dure Civile
Condamner les Sociétés Sigem et 2Bsystem aux dépens de la présente Instance.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 26 décembre 2024 (RG 24/08079), auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société 2Bsystem (Sas) et la société Sigem (Sas) demandent à la cour de :
- Écarter des débats les pièces n°43 et 44 produites par la société Elny et M. [G] [S]
- Confirmer l'ordonnance entreprise rendue le 20 mars 2024 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan en ce qu'elle a jugé que le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan était compétent pour ordonner les mesures d'instruction in futurum au siège de la Société Elny ;
- Confirmer l'ordonnance entreprise rendue le 20 mars 2024 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan en ce qu'elle a jugé que les mesures ordonnées par l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan le 4 octobre 2023 sont justifiées par un motif légitime et légalement admissibles ;
- Confirmer l'ordonnance entreprise rendue le 20 mars 2024 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan en ce qu'elle a condamné la Société Elny et de M. [S] à verser à la Société Sigem et à la Société 2Bsystem la somme de 800 ' au profit de chacune d'elle, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens de première instance.
En conséquence,
- Débouter la Société Elny et Monsieur [G] [S] de leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan ;
- Recevoir les concluantes en leur appel incident,
- Réformer l'ordonnance rendue le 20 mars 2024 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de mainlevée du séquestre ;
En conséquence,
- Ordonner la mainlevée du séquestre judiciaire mis en place par l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan ;
- Autoriser en conséquence la SCP ACTAZUR Edouard Berge, William Ramoino, Nathan Wiss, Commissaires de Justice, à remettre au conseil des sociétés Sigem et 2Bsystem une copie de l'ensemble des documents et pièces saisis lors des opérations effectuées le 25 octobre 2023 en exécution de l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan et dire qu'au besoin le Commissaire de Justice pourra se faire assister d'un expert informatique pour procéder à cette duplication ;
En tout état de cause,
- Débouter la Société Elny et Monsieur [G] [S] de leur demande de restitution immédiate de tous les éléments saisis par le Commissaire de Justice mandaté par l'Ordonnance du 4 octobre 2023 ;
- Débouter la Société Elny et Monsieur [G] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- Condamner solidairement la Société Elny et Monsieur [G] [S] à verser aux sociétés Sigem et 2Bsystem la somme de 2.500 ' chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner solidairement la Société Elny et Monsieur [G] [S] aux entiers dépens conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile, avec distraction au profit de Maître Gilles Alligier, avocat postulant aux offres de droit,
Dans le cadre de la requête en omission (RG 24/09399), par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 9 septembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société 2Bsystem et la société Sigem demandent à la cour de :
- Réformer l'ordonnance rendue le 19 juin 2024 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de mainlevée du séquestre mis en place par l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan ;
En conséquence, statuant à nouveau,
- Ordonner la mainlevée du séquestre judiciaire mis en place par l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan ;
- Autoriser en conséquence la SCP Actazur Edouard Berge, William Ramoino, Nathan Wiss, Commissaires de Justice, à remettre au conseil des sociétés Sigem et 2Bsystem une copie de l'ensemble des documents et pièces saisis lors des opérations effectuées le 25 octobre 2023 en exécution de l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le Président du Tribunal de Commerce de Draguignan et dire qu'au besoin le Commissaire de Justice pourra se faire assister d'un expert informatique pour procéder à cette duplication ;
A titre subsidiaire,
- Juger dans l'hypothèse où la rétractation de l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 devait intervenir par la décision à intervenir, pour quelque motif que ce soit, que la restitution à la Société Elny et Monsieur [G] [S] de l'ensemble des éléments appréhendés par le Commissaire de Justice instrumentaire ne pourra intervenir qu'à l'issue d'une décision définitive et insusceptible de recours sur la rétractation et que lesdits éléments seront conservés sous séquestre jusque-là ;
En tout état de cause,
- Condamner solidairement la Société Elny et Monsieur [G] [S] à verser aux sociétés Sigem et 2Bsystem la somme de 2.500 ' chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner solidairement la Société Elny et Monsieur [G] [S] aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les honoraires et frais supportés par les sociétés 2Bsystem et Sigem pour la mise en 'uvre des opérations de constat in futurum réalisées le 25 octobre 2023, dont distraction au profit de Maître Gilles Alligier, avocat postulant aux offres de droit, sur le fondement de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS
Sur la jonction :
En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les n°24/08079 et 24/09399 dès lors qu'elles trouvent leur origine dans la même décision, la seconde ordonnance ayant statué sur la requête en omission de statuer consécutive à la première.
Il est donc de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble.
Sur la demande tendant à voir écarter les pièces n°43 et 44 produites par la société Elny et M. [G] [S] :
La société 2Bsystem et la société Sigem demandent à ce que les pièces numérotées 43 et 44 communiquées par la partie adverse soient écartées au motif que les auteurs de ces deux attestations, anciens salariés de la société 2Bsystem, ont manifesté leur volonté de ne plus voir ces témoignages produits en justice et elles communiquent pour ce faire de nouvelles attestations en ce sens en pièces 60, 61 et 61.
Pour autant, la volonté de Mme [I] [U] et M. [E] [R] de voir rétracter leur témoignage ne constitue pas un motif de nature à entraîner de facto l'éviction de ces pièces, sauf à préciser que la juridiction en tirera les conséquences quant à leur valeur probante, à supposer qu'elles soient nécessaires aux débats.
Sur la compétence du tribunal de commerce :
La société Elny et M. [G] [S] soulèvent à titre liminaire l'incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire de Draguignan en soutenant que le litige procède du code de la propriété intellectuelle s'agissant d'une interprétation de la nature de leurs interventions, lesquelles ne consistent qu'en des opérations d'interopérabilité, c'est-à-dire, permettre aux interfaces logiques de programmes de communiquer entre elles, sans aucune modification des programmes de l'ERP MySigem).
La société 2Bsystem et la société Sigem font valoir au contraire que leur requête est motivée par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par M. [G] [S] et la société Elny et le détournement de clients, notamment la société AZ, et aucunement par des problématiques liées aux droits de propriété intellectuelle. Elles contestent dès lors la compétence du tribunal judiciaire.
En l'espèce, la détermination de la juridiction compétente suppose que soit caractérisée au préalable la nature du litige opposant les parties, et s'agissant d'une demande de mesure d'instruction fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, la nature d'un éventuel procès au fond à venir.
Ainsi, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Les mesures légalement admissibles sont celles qui sont circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi.
Ainsi, il incombe au juge de vérifier si la mesure était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Aux termes de leurs écritures, la société Sigem et la société 2Bsystem fondent leur demande de mesures d'instruction sur la circonstance que la société Elny et M. [G] [S] interviennent sur l'ERP MySigem installé chez la société AZ France « en modifiant les programmes, et ce, sans autorisation ni habilitation et en violation de l'interdiction qui leur en a été faite par les sociétés 2Bsystem et Sigem » (p11), et en leur faisant grief d'avoir « vendu et installé précisément au client des AZ concluantes, qui est équipée de l'ERP Sifl et Sicompta (l'ERP « MySigem ») des modules logiciels strictement similaires à ceux commercialisés par les concluantes depuis plusieurs années » (p16).
Pour ce faire, elles produisent le devis établi par la société Elny au profit de la société AZ France pour la mise en place d'un « module de signature BL transporteur tablette » ainsi que le déploiement et la formation, en faisant valoir que ces services correspondent à la fourniture de modules complémentaires à l'ERP Sifl et Sicompta qui appartiennent à la société Sigem et à la société 2Bsystem et qui, en tout état de cause, ne peuvent pas fonctionner sans l'ERP Sifl et Sicompta.
Il peut être déduit de ces éléments que si M. [G] [S], profitant de son ancienne qualité de sous-traitant de la société Sigem, a pu utiliser le savoir-faire ou les connaissances de cette dernière pour développer des modules de signatures identiques à ceux appartenant à la société Sigem et à la société 2Bsystem chez des clients de ces dernières, ces agissements sont susceptibles de constituer des faits de parasitisme ou de concurrence déloyale.
Néanmoins, il apparaît d'une part que les agissements reprochés à M. [G] [S] et à la société Elny ne sont pas clairement définis, les requérants à la mesure évoquant tantôt des interventions non autorisées sur leur propre logiciel et tantôt la vente d'un module concurrent.
D'autre part, la détermination du caractère déloyal de l'intervention de M. [G] [S] et de la société Elny, laquelle n'est limitée qu'à un seul client, la société AZ France, suppose que soient établis les droits d'auteur de chacun sur lesdits logiciels dès lors qu'il apparaît qu'il existe d'ores et déjà un litige sur la détermination de leur auteur.
En effet, il ressort des conclusions de la société Groupe Bellon en vue de l'audience du 5 septembre 2023 devant le tribunal de commerce de Créteil (pièce 40 des appelants, p 9 et 10) que celle-ci, qui se présente comme une société mère ayant acquis la société 2Bsystem et la société Sigem, énonce elle-même qu'elle a « eu la stupéfaction de s'apercevoir que la société Sigem ne disposait en réalité pas de l'intégralité des droits de propriété intellectuelle concernant l'ERP développé et commercialisé par la société Sigem » et poursuit en indiquant que « certains modules web composant le logiciel Sifl commercialisé par Sigem auprès de ses clients ont été développés par un prestataire de service freelance, Monsieur [G] [S] (entrepreneur individuel utilisant le nom commercial « Au son du web »), auquel la société Sigem faisait appel depuis plusieurs années avant la cession (..) Monsieur [S] a appris à la concluante qu'il était à l'origine des développements de ces modules web et qu'il n'avait jamais cédé les droits de propriété intellectuelle à la société Sigem ».
Le groupe Bellon ajoute, dans le cadre du litige l'opposant à M. [N] [T] et M. [Y] [T], anciens associés et dirigeants de la société Sigem, que « la société Sigem utilisait des droits de propriété intellectuelle dont elle n'était pas propriétaire et sur lesquelles elle ne disposait que d'un droit d'usage qui lui avait été expressément et valablement consenti conformément à la loi, à savoir les droits de propriété intellectuelle de Monsieur [S] sur des modules web du logiciel Sifl, que la société Sigem n'était pas seule propriétaire des codes sources relatifs aux logiciels puisque d'un point de vue juridique (') les codes sources des modules web du logiciel Sifl sont restés la propriété de leur auteur, que ces logiciels n'ont pas été exclusivement développés en interne par des salariés de la société puisque Monsieur [S], qui a développé des modules web du logiciel Sifl, était un prestataire de service freelance auquel la société Sigem faisait appel ».
M. [G] [S] et la société Elny précisent, dans le cadre de la présente instance, que si un contrat de cession de droits d'auteur sur les logiciels annexes de la suite Sifl et Sicompta a été envisagé avec la société 2Bsystem, celui-ci n'a pas abouti et ils font eux-mêmes grief à la société Sigem d'être un contrefacteur au sens de l'article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle. Ils produisent à cet égard le témoignage de M. [R], développeur-web pour le compte de la société 2Bsystem, qui atteste que « ces produits, conçus grâce à l'expertise de [G], sont toujours commercialisés aujourd'hui par le Groupe Bellon, témoignant de leur pertinence et de leur durabilité » (pièce 44 des appelants).
Au demeurant, la société 2Bsystem et la société Sigem ne justifient à ce jour d'aucun contrat de cession de droits d'auteur et il ressort d'un mail daté du 20 avril 2023 (pièce 19 des appelants), bien que contesté par la partie adverse, qu'il est fait expressément référence à une demande d'intervention d'un client, adressé par la société 2Bsystem à la société Elny, attestant du comportement pour le moins ambigu des sociétés Sigem et 2Bsystem à l'égard de leur ancien prestataire.
M. [G] [S] et la société Elny contestent par ailleurs la nature de l'intervention faite auprès de la société AZ France, la qualifiant de prestations d'interopérabilité « ne nécessitant pas d'autorisation de l'auteur du logiciel MySigem ».
Il convient de rappeler qu'aux termes des articles L 112-2 et L.331-1 du code de la propriété intellectuelle les logiciels sont susceptibles de constituer une 'uvre de l'esprit et qu'à cet égard, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire.
En conséquence, il peut être déduit de l'ensemble de ces éléments que si un litige relatif à des faits de concurrence déloyale et de parasitisme ne peut être exclu entre les deux parties, bien que les requérants à la mesure n'aient invoqué qu'une seule intervention à ce jour chez l'un de leurs clients, il n'en demeure pas moins que le débat relève au préalable de la détermination des droits de chacun sur les logiciels litigieux et la nature de l'intervention opérée par M. [G] [S] et la société Elny auprès de la société AZ, cette détermination étant de nature à caractériser le caractère déloyal ou non de la vente du module à cette société et de l'intervention sur l'ERP Mysignem.
Dès lors, l'ordonnance doit être infirmée en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de rétractation fondée sur l'incompétence matérielle du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire.
En outre, au visa de l'article 145 du code de procédure civile tel que rappelé ci-dessus, la mesure ordonnée apparaît disproportionnée et attentatoire aux droits de M. [G] [S] et de la société Elny en ce qu'elle inclut des saisines de documents destinés à recueillir des informations « sur les conditions dans lesquelles la société Elny a été constituée entre un ancien prestataire et une ancienne salariée des requérants et les opérations préparatoires à cette constitution de société et l'implication des cédants à la société Sigem » (pièce 35 des intimées), et ce, alors que la constitution d'une société par d'anciens salariés ne constitue pas en soi un agissement prohibé eu égard à la liberté du commerce et de l'industrie, étant observé que seul M. [Y] [T] est débiteur d'une clause de non-concurrence mais qu'il n'est pas établi qu'il ait un lien avec la société Elny.
De même, les demandes tendant à obtenir des éléments concernant « l'implication des cédants de la société Sigem, à savoir M. [N] [T] et M. [Y] [T] dans les faits de concurrence déloyale réalisés par la société Elny », outre qu'ils ne sont pas visés par la requête, sont disproportionnées considérant qu'aucun élément ne permet de corroborer leur implication à quelque titre que ce soit au sein de la société Elny, les sociétés requérantes n'établissant aucun commencement de preuve attestant que ces derniers en seraient associés, salariés ou dirigeants, de droit ou de fait.
Ainsi, si le juge n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé ou même l'opportunité d'un procès éventuel il doit néanmoins apprécier la crédibilité du litige éventuel en vue duquel des éléments de preuve sont recherchés.
En l'espèce, l'existence d'une concurrence entre d'une part, la société Sigem et la société 2Bsystem, et d'autre part, M. [G] [S] et la société Elny, n'est pas contestable au regard de la nature des activités des sociétés et de l'implication au sein de la société Elny de M. [G] [S], ancien prestataire de la société Sigem, et de Mme [Z] [B], ancienne salariée de la société Sigem, tous deux créateurs de la société Elny.
En revanche, la matérialité d'actes fautifs de nature à laisser présumer une déloyauté ne ressort d'aucun élément à ce stade considérant qu'il ressort, a contrario, des nombreux témoignages produits que le rachat par le groupe Bellon de la société Sigem a pu contraindre nombre de salariés, en raison de méthodes de gestion et d'encadrement différentes, à quitter la société.
En outre, cette carence probatoire ne peut être compensée par une mesure d'investigation générale dès lors que si l'article 145 du code de procédure civile a précisément pour objectif de permettre à une partie d'établir la preuve de faits dont peut dépendre la solution d'un litige ultérieur, et d'éviter ainsi une carence dans l'administration de la preuve devant les juges éventuellement saisis de ce différend, il lui appartient néanmoins de caractériser a minima le caractère potentiel du litige à venir, en lien avec les éléments dont la production est sollicitée.
L'ordonnance doit dès lors être infirmée également en ce qu'elle a reconnu l'existence d'un motif légitime.
Sur la mainlevée du séquestre :
Il s'ensuit que le procès-verbal établi le 25 octobre 2023 par la Scp Actazur, commissaire de justice à Draguignan, sur la base d'une ordonnance rétractée est nul et inopposable à quelque titre que ce soit. M. [G] [S] et la société Elny sont par ailleurs bien-fondés à solliciter la restitution des documents et pièces saisis à l'occasion des mesures d'instruction.
Il en résulte que la demande de mainlevée du séquestre est sans objet.
Sur les frais et dépens :
La société Sigem et la société 2Bsystem, parties succombantes, conserveront la charge des dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et seront tenues de payer à M. [G] [S] et la société Elny chacun la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n°24/08079 et 24/09399,
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces numérotées 43 et 44 communiquées par M. [G] [S] et la société Elny,
Infirme les ordonnances rendues le 20 mars 2024 et le 19 juin 2024 par le président du tribunal de commerce de Draguignan sauf en ce qu'elles ont dit n'y avoir lieu à ordonner la mainlevée du séquestre judiciaire mis en place et dit que les documents et pièces saisis devraient être conservés chez le commissaire de justice qui les a récupérés,
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance rendue le 4 octobre 2023 par le président du tribunal de commerce de Draguignan,
Y ajoutant,
Dit que la demande de mainlevée du séquestre est devenue sans objet,
Dit que le procès-verbal établi le 25 octobre 2023 par la Scp Actazur, commissaire de justice à Draguignan, sur la base de l'ordonnance rétractée est nul et inopposable,
Dit que M. [G] [S] et la société Elny sont par ailleurs bien-fondés à solliciter la restitution des documents et pièces saisis et conservés par le commissaire de justice,
Condamne in solidum la société Sigem et la société 2Bsystem aux dépens des procédures de première instance et d'appel,
Condamne in solidum la société Sigem et la société 2Bsystem à payer à M. [G] [S] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société Sigem et la société 2Bsystem à payer à la société Elny la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.