CA Lyon, 8e ch., 2 avril 2025, n° 24/01662
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Citya Vendome Lumiere (SASU)
Défendeur :
Citya Vendome Lumiere (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mme Drahi, Mme Laurent
Avocats :
Me Chamak, Me Ducrot
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 22 octobre 2015, Mme [W] [T], veuve [O], représentée par son mandataire la société Citya Vendôme Lumière a consenti à Mme [H] [E] le bail d'un local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 8], moyennant le paiement d'un loyer annuel de 1.600 ', payable d'avance, en 12 termes égaux, le premier jour de chaque mois.
Par acte du 22 mars 2023, Mme [T] a fait délivrer à Mme [E] un commandement de payer la somme de 505,25 ', visant la clause résolutoire insérée au bail.
Par exploit du 27 septembre 2023, Mme [T] a fait assigner Mme [E] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, en constat de la résiliation du bail et paiement de l'arriéré de loyer.
Par ordonnance réputée contradictoire du 18 décembre 2023, le juge des référés a :
Renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront mais dès à présent ;
Constaté qu'à la suite du commandement en date du 22 mars 2023, le jeu de la clause résolutoire est acquis au bénéfice de Mme [W] [T], veuve [O] à compter du 22 avril 2023 ;
Dit que Mme [H] [E] et tous occupants de son chef devront avoir quitté les lieux qu'elle occupe sis [Adresse 4], dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance et que, passé cette date, elle pourra être expulsée avec le concours de la force publique ;
Condamné Mme [H] [E] à payer à Mme [W] [T], veuve [O] la somme provisionnelle de 545,64 ' au titre des loyers et charges impayés au 06 octobre 2023, mois d'octobre inclus, outre intérêts au taux légal à compter du commandement de payer ;
Condamné Mme [H] [E] à payer à Mme [W] [T], veuve [O] une indemnité d'occupation mensuelle équivalente au montant du loyer et des charges en cours à compter du 1er novembre 2023 et jusqu'à libération effective des lieux ;
Condamné Mme [H] [E] à payer à Mme [W] [T], veuve [O] la somme de 800 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné Mme [H] [E] aux dépens de l'instance en ce compris le coût du commandement de payer ;
Par déclaration enregistrée le 28 février 2024, Mme [E] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 8 avril 2024, Mme [E] demande à la cour :
Déclarer l'appel interjeté par Mme [H] [E] recevable ;
Infirmer l'ordonnance de référé du 18 décembre 2023 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Accorder à Mme [H] [E] des délais de paiement sur 12 mois pour s'acquitter de la dette, moyennant le règlement de la somme mensuelle de 70 ' en sus du loyer courant et de la provision sur charges ;
Ordonner durant ce délai la suspension des effets de la clause résolutoire et préciser que si Mme [H] [E] se libère de la dette conformément à ces délais, ladite clause sera réputée ne pas avoir joué ;
Débouter Mme [V] [T], veuve [O] ayant pour mandataire la société Cytia Vendôme Lumière de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Juger que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
Mme [E] ne conteste pas l'existence de sa dette locative mais sollicite des délais suspensifs de la clause résolutoire, compte tenu des paiements qu'elle a effectué entre l'assignation en référé date à laquelle l'arriéré locatif était de 1.110,97 ' et sa dette au jour de la décision, laquelle avait alors diminué de moitié ainsi que des paiements intervenus depuis, alors qu'elle ne perçoit que des indemnités journalières de sécurité sociale de 1.350 à 1.400 ', suite à un accident du travail survenu en 2022 pour son activité salariée en tant qu'agent de service ainsi que des allocations familiales de 1.700 ' par mois pour cinq enfants à charge. Elle estime avoir des capacités suffisantes d'apurement de sa dette.
Par conclusions enregistrées au RPVA le 2 mai 2024, Mme [T] demande à la cour de :
Confirmer l'ordonnance de référé du 18 décembre 2023 en toutes ses dispositions ;
Débouter Mme [H] [E] de l'intégralité de ses demandes ;
Condamner Mme [E] à payer à Mme [T] la somme de 1.500 ' au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.
Mme [T] fait valoir que les virements effectués par Mme [E] l'ont été pour les besoins de la cause, qu'elle dispose effectivement de revenus lui permettant d'apurer sa dette, mais qu'elle n'a pas continué à effectuer des paiements de l'arriéré qui n'a diminué que de 10 '. Elle estime que dans la mesure où elle est en capacité de payer l'intégralité de sa dette, il n'y a pas lieu de lui octroyer des délais de paiement.
MOTIFS DE LA DECISION
L'appel interjeté dans les formes et délais prévus par la loi, sera déclaré recevable.
Sur la demande provision au titre de la dette locative
Aux termes du second alinéa de l'article 835 du Code de procédure civile, le juge des référés peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
En vertu de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.
En l'espèce, Mme [T] produit le contrat de bail commercial signé des parties le 22 octobre 2015 et un arrêté de compte locataire actualisé au 22 avril 2024. Mme [E] ne conteste pas sa dette locative, ni dans son principe, ni dans son quantum.
L'ordonnance de référé attaquée, en ce qu'elle a condamné Mme [E] à payer au bailleur une provision à valoir sur l'arriéré de loyer, est confirmée et, compte tenu du caractère non sérieusement contestable de la créance actualisée, la cour porte cette condamnation à la somme de 535,79 ' arrêté au 22 avril 2024, échéance d'avril 2024 incluse.
Sur la demande en constat de la résiliation de plein droit du bail
Le premier alinéa de l'article 835 du Code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut, dans les limites de sa compétence, prescrire en référé, même en présence d'une contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Aux termes de l'article L.145-41 alinéa 1 du Code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire, sans qu'il soit besoin de caractériser une quelconque urgence ou un trouble manifestement illicite, s'agissant du simple constat de l'application d'une clause claire et précise qui, sauf preuve du contraire, ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
En effet, si le prononcé de la résiliation d'un contrat suppose une appréciation relevant des juges du fond, le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire entre dans les pouvoirs du juge des référés qui s'assure uniquement de l'existence de ladite clause et de la régularité de sa mise en oeuvre.
En l'espèce, le contrat de bail du 22 octobre 2025 liant les parties contient une clause résolutoire et un commandement de payer visant cette clause a été signifié le 22 mars 2023 pour la somme en principal de 505,25 '.
En l'état du décompte produit, il est établi que Mme [E] ne s'est pas acquittée des causes du commandement de payer dans le délai d'un mois, n'ayant effectué aucun règlement direct auprès du bailleur ou de son mandataire dans ce délai.
Dès lors qu'il est acquis aux débats que les conditions de la résiliation de plein droit du bail étaient réunies depuis le 22 avril 2023, l'ordonnance attaquée, en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail à cette date, est confirmée.
Sur la demande de délais de grâce suspensifs des effets de la clause résolutoire
Aux termes de l'article L.145-41 alinéa 2 du Code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du Code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
L'article 1343-5 du Code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur, et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Si le manquement du preneur à son obligation contractuelle de payer les loyers et charges aux termes convenus est avéré et que la dette locative de Mme [E] n'a effectivement diminué que de 10 ' depuis la décision de première instance, il n'en demeure pas moins qu'elle a su réagir à partir de juillet 2023 en s'acquittant du loyer courant et de paiements supplémentaires pour éviter que sa dette ne devienne trop importante, témoignant ainsi de sa bonne foi, tandis qu'elle justifie être en situation de régler sa dette en plus du loyer courant à bref délai.
Dès lors, en considération de l'ancienneté du bail, des gages de bonne foi donnés par Mme [E] et de ses garanties de solvabilité, la cour accueille la demande de délai de paiement présentée à hauteur d'appel par cette dernière.
La décision attaquée est confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion de Mme [E] et l'a condamnée à payer des indemnités provisionnelles d'occupation mais, y ajoutant, la cour subordonne cette expulsion et cette condamnation au non-respect de délais de paiement accordés à Mme [E] pour s'acquitter de sa dette locative dans les conditions qui seront précisées au dispositif de la présente décision dans la mesure où les effets de la clause résolutoire sont suspendus pendant le cours de ces délais en application de l'article L.145-41 précité.
Ainsi, en cas de respect de cet échéancier aux termes prévus, la clause résolutoire contenue au bail sera considérée comme n'ayant jamais joué et le bail liant les parties se poursuivra sur ses derniers errements.
Au cas contraire, la clause résolutoire contenue à l'acte retrouvera son plein effet avec toutes les conséquences ordinaires en pareille matière comme il est dit à l'ordonnance dont appel en terme d'expulsion et de provision à valoir sur l'indemnité d'occupation cela sans qu'il n'y ait lieu à mise en demeure préalable.
Sur les mesures accessoires
La cour confirme la décision attaquée qui a condamné Mme [E], partie perdante, aux dépens de première instance et à payer à Mme [T] la somme de 800 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, montant justifié en équité.
Y ajoutant, Mme [E], partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [T] la somme de 1.500 ' en indemnisation des frais irrépétibles qu'elle a exposés à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare Mme [H] [E] recevable en son appel ;
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme la décision attaquée, sauf à :
porter le quantum de la provision à laquelle Mme [H] [E] a été condamnée de 545,64 ' arrêté au 6 octobre 2023, terme d'octobre 2023 inclus à 535,79 ' arrêté au 22 avril 2024, terme d'avril 2024 inclus,
faire application de l'article 1343-5 du Code civil ;
En conséquence, autorise Mme [H] [E] à se libérer de sa dette en quatre mensualités de 133,95 ' en sus du montant du loyer contractuel courant, ces mensualités soldant la provision à valoir sur la dette locative ;
Fixe le point de départ de cet échéancier au mois suivant la signification du présent arrêt, l'échéance devant être payée, si tel n'était pas déjà le cas, avant le 10 du mois ;
Dit qu'en cas de respect de cet échéancier au terme prévu, la clause résolutoire contenue au bail sera considérée comme n'ayant jamais joué et que le bail liant les parties se poursuivra ;
Dit qu'au cas contraire, la clause résolutoire contenue à l'acte retrouvera son plein effet avec toutes les conséquences ordinaires en pareille matière comme il est dit à l'ordonnance dont appel en terme d'expulsion et de provision à valoir sur l'indemnité d'occupation, cela sans qu'il y ait lieu à mise en demeure préalable ;
Condamne Mme [H] [E] aux dépens d'appel ;
Condamne Mme [H] [E] à payer à Mme [V] [T], veuve [P] la somme de 1.500 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;