CA Agen, ch. civ., 2 avril 2025, n° 24/00601
AGEN
Arrêt
Autre
FAITS :
Par contrat sous seing privé du 24 mars 1994, remplaçant un précédent contrat, la SARL Colitel a donné à bail commercial à la SA [N] [K], pour une durée de 9 ans, un local à usage commercial d'une superficie de 1 512 m² et un terrain goudronné à usage de parking d'une superficie de 2 300 m² situés '[Adresse 5]' à [Localité 4] (32).
Il a été stipulé que la sous-location était interdite au preneur, sauf autorisation expresse du bailleur.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 18 117 Francs, avec indexation.
Par lettre du même jour, la gérante de la SARL Colitel a indiqué à la SA [N] [K] :
'Je vous confirme mon accord expresse concernant les sous-locataires à savoir d'une part [X] [B] ou toute personne physique ou morale par lui désignée pour la partie des 1 200 m² à usage de supermarché alimentaire à rayons multiples et d'autre part, pour le reste à la SARL Caprex.
J'accepte expressément la divisibilité des locaux et j'autorise les sous-locataires à engager tous travaux d'améliorations qu'ils souhaitent dès lors qu'ils seront en conformité avec les éventuels permis de construire.
Je déclare expressément renoncer à me prévaloir du défaut d'exploitation pour refuser le renouvellement du bail conclu le 24 mars 1994, dans le cas où vous n'exploiteriez pas les locaux loués, à condition toutefois que ce défaut d'exploitation par vous-même ou éventuellement par vos sous-locataires n'excède pas une durée de quatre mois.'
Par contrat sous seing privé du 27 novembre 1994, la SARL Colitel a donné à bail commercial à la SA [N] [K], pour une durée de 9 ans, un terrain goudronné à usage de parking situé au même endroit, d'une superficie de 300 m²
Il a été stipulé que la sous-location était interdite au preneur, sauf autorisation expresse du bailleur.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 3 200 Francs avec indexation.
Par lettre du 22 avril 2017, la gérante de la SARL Colitel, devenue la SARL Colitel Locagers, a indiqué à la SA [N] [K] :
'Je vous confirme mon accord expresse concernant le sous-locataire, à savoir la société Pavidis, immatriculée au RCS d'Auch sous le n° B 394 860 498 (94B98).
J'autorise le sous-locataire à engager tous les travaux d'amélioration qu'il souhaite dès lors qu'ils seront en conformité avec les éventuels permis de construire.
Je déclare renoncer expressément à me prévaloir du défaut d'exploitation pour refuser le renouvellement du bail conclu le 24 mars 1994, dans le cas où vous n'exploiteriez pas les locaux loués, à condition toutefois que ce défaut d'exploitation par vous-même ou éventuellement par vos sous-locataires n'excède pas une durée de quatre mois.'
Par contrat sous-seing privé du 23 mai 2000, les locaux donnés à bail le 24 mars 1994 ont été étendus à deux locaux complémentaires de surfaces respectives de 294 m² et 60 m², avec parkings, pour un prix mensuel de 3 388 Francs et 2 306 Francs.
S'agissant de cette extension, par lettre du 24 mai 2000, la gérante de la SARL Colitel Locagers, a indiqué à la SA [N] [K] :
'Je vous confirme mon accord expresse concernant les sous-locataires, à savoir d'une part M. [B] [X] ou toute autre personne physique ou morale par lui désignée, pour ce local à usage de supermarché alimentaire à rayons multiples.
J'accepte les sous-locataires à engager tous les travaux d'amélioration qu'ils souhaitent dès lors qu'ils seront en conformité avec la réglementation en vigueur.'
Par contrat sous seing privé du 29 mars 2003, les parties ont décidé de renouveler le bail du 24 mars 1994 pour une durée de 9 ans.
Il a été stipulé :
'Dans le cadre de ce renouvellement, le bailleur autorise d'ores et déjà le preneur à sous-louer le local à usage commercial donné à bail, d'une superficie actuelle de 1 966 m² ainsi que le terrain goudronné servant de parking d'une superficie d'environ 2 660 m² à tout sous-locataire de son choix, dans la limite des restrictions d'activité fixées au bail tout commerce dont s'agit.
(...)
Le bailleur autorise dans la limite des restrictions d'activité fixées au bail tout commerce dont s'agit, toute cession ou sous-location, le preneur restant garant conjointement et solidairement avec son sous-locataire ou son cessionnaire, et tous sous-locataires ou cessionnaires successifs, du paiement des loyers et charges échus ou à échoir, ou de l'exécution des conditions du présent bail.
Le preneur sera cependant tenu d'appeler le bailleur à concourir à l'acte.
(...)
Le bailleur déclare expressément renoncer à se prévaloir d'une cession ou sous-location ou d'un défaut d'exploitation pour refuser le renouvellement du bail à son échéance du 31 mars 2012 dans le cas où le preneur n'exploiterait pas lui-même les locaux loués, à la condition toutefois que ce défaut d'exploitation par le preneur ou éventuellement par ses sous-locataires n'excède pas une durée de quatre mois. '
Le prix mensuel du bail a été fixé à 6 087 Euros.
Par avenant du 27 décembre 2007, les parties ont stipulé :
'A partir du 1er janvier 2008, le preneur versera au bailleur, en sus du loyer résultant du bail, 20 % de différentiel entre le dit loyer résultant du bail et le loyer que le preneur facture à son sous-locataire et cela uniquement pendant le temps que la sous-location existera et cela aussi quel que soit le montant de la sous-location.
Ce différentiel sera réévalué à chaque anniversaire du bail (1er avril de chaque année) par rapprochement de la facture du bailleur au preneur avec celle du preneur à son sous-locataire.
Le preneur ne sera plus tenu d'appeler le bailleur à concourir à l'acte de sous-location.'
Par contrat sous seing privé du 31 mars 2012, les parties ont décidé de renouveler le bail du 24 mars 1994, et ses avenants, pour une durée de 9 ans.
Le prix mensuel du bail a été fixé à 8 449,08 Euros, hors TVA.
Il a également été stipulé :
'Le preneur versera également au bailleur un complément de loyer représentant 20 % du différentiel entre ledit loyer et celui perçu par le preneur de son ou ses sous-locataires et cela quel que soit le montant de la sous-location et aussi longtemps que cette sous-location durera.'
Par acte d'huissier du 28 décembre 2021, la SARL Colitel Locagers a signifié à la SAS [N] [K] Consulting (anciennement SA [N] [K]) un congé avec refus de nouvellement sans indemnité d'éviction pour dénégation du statut des baux commerciaux, aux motifs que cette dernière n'est ni propriétaire d'un fonds exploité dans les lieux ni immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour l'activité considérée dans les lieux loués.
Par lettre du 22 avril 2022, la SAS [N] [K] Consulting a répliqué, d'une part, que les parties avaient toujours entendu soumettre leurs rapports locatifs au statut des baux commerciaux sans faire de l'exploitation des lieux, par le preneur, une condition nécessaire à son application et, d'autre part, que l'absence d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour l'activité considérée était le corollaire de l'absence d'exploitation personnelle.
La SARL Colitel Locagers a répliqué ne pas avoir renoncé à se prévaloir de la condition d'exploitation tenant à l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
De vains échanges se sont poursuivis entre les parties.
La SAS [N] [K] Consulting a libéré les locaux.
Un bail commercial a été signé entre la SARL Colitel Locagers et l'ancien sous-locataire, devenue la société Aldi, pour un loyer annuel de 162 000 Euros HT.
Par acte du 26 janvier 2023, la SAS [N] [K] Consulting a fait assigner la SARL Colitel Locagers devant le tribunal judiciaire d'Auch afin de la voir condamner à lui payer, en principal, une indemnité d'éviction de 550 000 Euros.
Par jugement rendu le 24 avril 2024, le tribunal judiciaire d'Auch a :
- ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture au 21 février 2024,
- débouté la SAS [N] [K] Consulting de ses demandes,
- condamné la SAS [N] [K] Consulting à verser à la SARL Colitel Locagers la somme de 2 500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS [N] [K] au paiement des entiers dépens,
- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
Le tribunal a estimé que si le bail signé le 23 mars 2003 et son avenant du 31 mars 2012 stipulent que le bailleur renonce à ce que le locataire ou le sous-locataire soit astreint à une exploitation personnelle du fonds de commerce, il n'existait pas d'élément attestant qu'il renonçait à l'obligation, pour le locataire, d'être inscrit au registre du commerce et des sociétés ; que le congé sans indemnité d'éviction était dès lors justifié.
Par acte du 5 juin 2024, la SAS [N] [K] Consulting a déclaré former appel du jugement en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui l'ont déboutée de ses demandes, qu'elle reprend dans son acte d'appel.
La clôture a été prononcée le 8 janvier 2025 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 10 février 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SAS [N] [K] Consulting présente l'argumentation suivante :
- Les parties ont toujours entendu se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, le bailleur étant informé de l'absence d'exploitation personnelle dans les locaux par le preneur et renonçant à s'en prévaloir pour refuser un renouvellement à plusieurs reprises dans les actes.
- Son absence d'immatriculation est le corollaire de l'absence d'exploitation personnelle, les obligations de garnissement et d'exploitation étant transférées au sous-locataire dès 1994.
- Elle a été constituée en 1990 pour une activité de commerce d'équipement de la maison et a ensuite fait évoluer son activité vers la vente et réparation de véhicules automobiles, mais n'exploite pas de fonds distinct de celui du sous-locataire.
- L'attitude de la société Colitel Locagers est purement opportuniste suite au décès de son gérant en 2020 et au changement d'enseigne du sous-locataire.
- Le congé qui lui a été délivré est mal fondé et ouvre droit à l'indemnité d'éviction instituée à l'article L. 145-14 du code de commerce à calculer à partir de la valeur du sous-loyer annuel à la date à laquelle le locataire pouvait prétendre au renouvellement, diminuée de la valeur du loyer annuel du bail renouvelé, avec coefficient de capitalisation, soit 550 000 Euros comme l'a calculé le cabinet [R] qu'elle a consulté.
- La société Colitel Locagers a, au terme de son opération ayant pour effet d'évincer le locataire commercial, un gain annuel de plus de 40 000 Euros et permet au locataire d'économiser plus de 37 000 Euros.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
- infirmer le jugement,
- condamner la société Colitel Locagers à lui payer une indemnité d'éviction de 550 000 Euros,
- subsidiairement, ordonner une expertise pour chiffrer cette indemnité,
- condamner la société Colitel Locagers à lui payer la somme de 3 000 Euros à titre de dommages et intérêts pour "résistance abusive", outre 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et mettre les dépens à sa charge.
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Par conclusions d'intimée notifiées le 2 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SAS Colitel Locagers (anciennement SARL Colitel Locagers) présente l'argumentation suivante :
- Selon l'article L. 145-8 du code de commerce, le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux, ce qui suppose que le preneur soit propriétaire du fonds et l'exploite depuis au moins 3 années et qu'il soit inscrit au registre du commerce et des sociétés pour l'activité exercée dans les locaux.
- Le locataire qui sous-loue intégralement n'a pas droit au renouvellement.
- la SAS [N] [K] Consulting sous-loue la totalité des locaux depuis le 22 avril 1997 et n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés pour l'activité exercée dans les locaux, mais seulement pour une activité d'achat et de vente de véhicules et de bateaux à Auch.
- Il n'existe aucune volonté non équivoque des parties de se soumettre au statut des baux commerciaux, faute de clause expresse en ce sens, elle a seulement renoncé à se prévaloir de la sous-location et de l'absence d'exploitation pendant plus de 4 mois.
- La seule activité exercée consistait en une facturation lucrative d'un loyer mensuel de 16 490 Euros HT à la société Pavidis, alors qu'elle ne payait au bailleur qu'un loyer mensuel de 10 003,96 Euros HT.
- Seul l'exploitant évincé peut prétendre à une indemnité d'éviction, basée notamment sur la valeur marchande du fonds de commerce, voire le sous-locataire si sa situation est opposable au bailleur et les locaux indivisibles.
- L'indemnité réclamée n'était initialement que de 280 604 Euros et l'étude du cabinet [R] n'a aucun caractère contradictoire et procède à des calculs arbitraires.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
- confirmer le jugement,
- rejeter les demandes présentées par la SAS [N] [K] Consulting,
- la condamner au paiement d'une indemnité de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
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MOTIFS :
1) Sur l'application du statut des baux commerciaux à la relation contractuelle entre les parties :
Vu l'article L. 145-1 du code de commerce,
En premier lieu, tous les contrats signés entre les parties, l'ont été entre deux sociétés commerciales par nature et sont intitulés 'bail commercial' ou 'contrat de bail commercial', 'contrat bail commercial', 'avenant à bail commercial', 'renouvellement de bail commercial'.
Le dernier contrat est intitulé : 'avenant de renouvellement de baux commerciaux'.
Il contient les stipulations suivantes :
'DESTINATION :
Le preneur devra occuper les lieux loués par lui-même ou par son sous-locataire, paisiblement, conformément aux articles 1728 et 1729 du code civil et pour tout commerce à l'exclusion de toute activité comportant une gêne sensible pour le voisinage tant au niveau des risques, bruits et odeurs et toute autre activité susceptible de concurrencer un autre locataire situé dans la zone industrielle du 'Sousson' à [Localité 4] ainsi que le bailleur.
La présente location est consentie pour une activité commerciale et ne pourra en aucun cas avoir usage d'habitation quelle qu'elle soit.
(...)
TRANSFORMATIONS ET AMELIORATIONS PAR LE PRENEUR :
Le preneur a déjà été autorisé à effectuer dans les lieux loués divers travaux d'agencement et de gros-oeuvre nécessaires à l'activité exercée.
Il ne pourra cependant opérer de nouveaux travaux de démolition ou construction sans le consentement préalable et écrit du bailleur.
(...)
GARNISSEMENT ET OBLIGATION D'EXPLOITER :
Le preneur devra, par lui-même, ou ses sous-locataires, maintenir les lieux loués constamment utilisés et garnis de matériel, marchandises et objets mobiliers en quantité et valeurs suffisantes pour répondre en tous temps du paiement du loyer et paiement ou remboursements divers qui en sont l'accessoire.
(...)
RESPECT DES PRESCRIPTIONS ADMINISTRATIVES ET AUTRES :
Le preneur devra se conformer aux prescriptions règlements et ordonnances en vigueur, notamment en ce qui concerne la voirie, la salubrité, la police, la sécurité, l'inspection du travail, de façon à ce que le bailleur ne puisse être ni inquiété ni recherché.
(...)
CESSION - SOUS-LOCATION :
Le bailleur a autorisé le preneur à sous-louer les locaux à la société SAS Pavidis exploitant à l'enseigne Leader Price ou à tout autre sous-locataire de son choix. (Renouvellement du 29 mars 2003).
Le bailleur autorise dans les limites des restrictions d'activité fixées au bail tout commerce dont s'agit, toute cession ou sous-location, le preneur restant garant conjointement et solidairement avec son sous-locataire ou son cessionnaire, et tous sous-locataires ou cessionnaires successifs, du paiement des loyers et charges échus ou à échoir, ou de l'exécution des conditions du présent bail.
(...)
Le bailleur renonce expressément à se prévaloir d'une cession ou sous-location ou d'un défaut d'exploitation pour refuser le renouvellement du bail à son échéance du 31 mars 2021 dans le cas où le preneur n'exploiterait pas lui-même les locaux loués, à la condition toutefois que ce défaut d'exploitation par le preneur ou éventuellement par ses sous-locataires n'excèdent pas une durée de quatre mois.
(...)'
Les différents contrats conclus entre les parties ont ainsi fait référence à la nécessité d'exercer exclusivement une activité commerciale dans les locaux donnés à bail, l'exclusion de toute habitation, le respect des prescriptions administratives dont celles relatives au travail, la nécessité de garnissement des locaux par des matériels et marchandises.
Il est également constant qu'il a été convenu dès le début de la relation contractuelle entre les parties que le preneur n'exploite pas lui-même les locaux pris à bail et qu'il les sous-loue intégralement à une société exploitant un magasin, comme indiqué dans les clauses mentionnées ci-dessus, ce qui a effectivement été le cas.
Le preneur a toujours indiqué, soit par des courriers distincts des 24 mars 1994, 22 avril 1997, soit dans les contrats eux-mêmes, qu'en conséquence de l'autorisation donnée au preneur de sous-louer la totalité des locaux, le bailleur renonçait à se prévaloir d'une sous-location ou d'un défaut d'exploitation personnelle du preneur.
Il se déduit de l'ensemble de ces accords que les parties ont entendu soumettre leur relation contractuelle au statut des baux commerciaux, sans faire une condition nécessaire à son application de l'exploitation des lieux par le bailleur principal.
Cette renonciation à exiger du preneur qu'il exploite lui-même, implique également la renonciation du bailleur à se prévaloir d'une absence d'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés pour une activité exercée dans les locaux.
Par conséquent, la soumission volontaire au statut des baux commerciaux entraîne l'application des dispositions impératives de ce statut et, par suite, la possibilité pour la SAS [N] [K] Consulting de réclamer une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement du bail.
Il convient de rappeler sur ce point qu'en cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés n'est pas une condition impérative de son droit au renouvellement (Civ3, 9 février 2005 n° 03-17476).
2) Sur l'indemnité d'éviction :
Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et comprend notamment, la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l'espèce, du fait de la sous-location intégrale des locaux pris à bail auprès de la SAS Colitel Locagers, la SAS [N] [K] Consulting ne possède aucun fonds de commerce dans ces locaux et n'est susceptible d'exposer aucun frais de déménagement ou de réinstallation.
Elle ne peut donc être indemnisée sur la base de la valeur d'un fonds de commerce, ce qu'elle admet en réclamant une indemnité calculée à partir de la différence entre le loyer qu'elle versait à la SAS Colitel Locagers et celui qu'elle encaissait du sous-locataire.
C'est sur la base de la valeur du droit au bail que l'indemnité d'éviction due à la SAS [N] [K] Consulting doit être évaluée.
En effet, cette valeur constitue, sauf exception, une indemnisation minimale à laquelle peut prétendre le locataire évincé (Civ3 11 juin 1992 n° 90-17109).
Les chiffres de l'espèce sont les suivants :
- loyer du marché actuel : 162 000 Euros HT/an (loyer payé actuellement par la société Aldi à la SAS Colitel Locagers).
- loyer payé par la société Leader Price à la SAS [N] [K] Consulting : 197 883 Euros/an.
- loyer payé par la SAS [N] [K] Consulting à la SAS Colitel Locagers : 120 047 Euros HT/an.
En application de l'article L. 145-33 du code de commerce, le renouvellement du bail aurait dû correspondre à la valeur locative.
Selon l'expert de l'appelante, la valeur locative correspond au loyer qu'elle encaissait, 197 883 Euros/an, soit un montant supérieur à celui auquel le bailleur a consenti un nouveau bail.
Ce chiffre ne peut être entériné compte tenu qu'il n'a été établi qu'au seul vu des déclarations de l'appelante, en dehors de toute explication du bailleur.
C'est le chiffre du loyer actuel, soit 162 000 Euros/an qui doit être retenu comme constituant, par principe, la valeur locative des locaux.
Dès lors, si la SAS [N] [K] Consulting était restée dans les lieux, lors du renouvellement du bail, le loyer dû à la SAS Colitel Locagers aurait été réhaussé à 162 000 Euros.
Par conséquent, cette société ne subit aucun préjudice lié à la perte de son droit au bail.
Pour ce motif, le jugement qui a rejeté la demande de paiement d'une indemnité d'éviction doit être confirmé, l'équité nécessitant d'allouer à l'intimée la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
- CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
- Y ajoutant,
- CONDAMNE la SAS [N] [K] Consulting à payer à la SAS Colitel Locagers, en cause d'appel, la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE la SAS [N] [K] Consulting aux dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Catherine HUC, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.