CA Montpellier, 3e ch. soc., 2 avril 2025, n° 20/03800
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
Grosse + copie
délivrée le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre sociale
ARRET DU 02 AVRIL 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03800 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OVYV
ARRET n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 AOUT 2020
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE CARCASSONNE
N° RG18/00749
APPELANTE :
S.A.S. [9]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituée à l'audience par Me CROS de la SELARL SAFRAN AVOCATS,
INTIMES :
Monsieur [B] [W] [X]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Stéphanie JAUVERT, avocat au barreau de BEZIERS, substitué à l'audience par Me GERENTON de la SELARL ALTHEIS AVOCATS , avocat au barreau de BEZIERS
CPAM DE L'AUDE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Mme [G] en vertu d'un pouvoir
En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JANVIER 2025,en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Frédérique BLANC, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère faisant fonction de Présidente
M. Patrick HIDALGO, Conseiller
Mme Frédérique BLANC, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Jacqueline SEBA
ARRET :
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour ;
- signé par Mme Anne MONNINI-MICHEL, Présidente et par Mme Jacqueline SEBA, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Monsieur [B] [W] [X], embauché en qualité d'ouvrier professionnel par la société [9] depuis le 9 novembre 2009, a été victime d'un accident en procédant au dégondage d'une porte le 29 septembre 2014 à [Localité 6]. Le certificat médical initial du 29 septembre 2014 mentionnait ' lombalgies aigues '. Après enquête administrative, cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Aude le 31 décembre 2014.
Par décision du 14 janvier 2016, monsieur [X] a été déclaré consolidé par la caisse à la date du 11 décembre 2015. Un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % a été fixé et une indemnité en capital de 1 950, 38 euros lui a été attribuée par la CPAM de l'Aude à la date du 12 décembre 2015. Saisi par monsieur [X], par jugement en date du 16 juin 2017, le Tribunal du Contentieux de l'Incapacité ( TCI ) de Montpellier a porté le taux d'incapacité de monsieur [X] résultant de l'accident du travail du 29 septembre 2014 à 17 %, dont 10 % au titre de l'incidence professionnelle. Par arrêt du 9 novembre 2021, la Cour Nationale de l'Incapacité et de la Tarification de l'Assurance des Accidents du Travail ( CNITAAT ), saisie par la CPAM de l'Aude, a fixé un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % à la date de consolidation du 11 décembre 2015.
Le 22 mars 2018, en l'absence de conciliation suite à sa saisine préalable de la CPAM de l'Aude du 7 décembre 2017, monsieur [B] [W] [X] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement en date du 26 mai 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne a :
- débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
- débouté la société [10] de sa demande à voir déclarer la procédure commune et opposable à monsieur [S] [L]
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
Avant dire-droit sur les préjudices de monsieur [B] [X] :
- ordonné une expertise médicale confiée au docteur [J] [V] afin d'évaluer les préjudices subis par monsieur [B] [X]
- dit que l'affaire serait rappelée la première audience utile dès réception du rapport de l'expert aux fins qu'il soit statué sur la liquidation des préjudices
- dit que, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, les sommes allouées à monsieur [B] [X] dans le cadre de la présente instance lui seront avancées par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant le cas échéant auprès de la société [10]
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- sursis à statuer sur les autres demandes des parties et réservé les dépens.
Cette décision a été notifiée le 19 août 2020 à la société [9] qui en a interjeté appel suivant déclaration d'appel électronique du 14 septembre 2020 , appel ayant pour objet de voir annuler, infirmer ou réformer les chefs de jugement qui a :
- débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
- débouté la société [10] de sa demande à voir déclarer la procédure commune et opposable à monsieur [S] [L]
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice
- ordonné une expertise médicale de monsieur [B] [X].
L'affaire a été plaidée à l'audience du 16 janvier 2015.
Selon ses conclusions d'appel responsives et récapitulatives déposées au greffe par RPVA le 15 janvier 2025 et soutenues oralement par son avocat, la SASU [9] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu le 11 août 2020 en ce qu'il :
* déboute la société [10] de sa demande de mise hors de cause
* dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
* alloue à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'AUDE qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
* avant dire-droit, ordonne une expertise médicale.
- à titre principal :
* de déclarer la SASU [10] hors de cause
* de débouter monsieur [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions, en ce qu'elles s'avèrent infondées et injustifiées
* de condamner monsieur [X] à verser à la société [10] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
* de dire qu'aucune faute inexcusable n'a été établie à l'encontre de la société [10]
* de débouter monsieur [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles s'avèrent infondées et injustifiées
- à titre subsidiaire :
* de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la majoration opposable à l'employeur dans la limite de 5 % de taux d'IPP
* de fixer l'indemnisation des préjudices de monsieur [X] dans les proportions suivantes :
Déficit fonctionnel temporaire total : 925 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 29/09/14 au 5/03/15 : 395 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 30 % du 6/03 au 5/04/15 : 232 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 6/04 au 11/10/15 : 532, 50 euros
Souffrances endurées : 3 000 euros
* de rejeter toutes demandes plus ample ou contraires, tant en principal, provision, frais irrépétibles et dépens
* de condamner la CPAM à faire l'avance des indemnités.
Selon ses conclusions récapitulatives intimées du 30 mai 2023 soutenues oralement à l'audience par son avocat, monsieur [B] [X] demande à la cour :
- de dire et juger mal fondé l'appel de la SASU [10]
- de débouter en conséquence la SASU [10] de l'intégralité de ses demandes
- de condamner la CPAM de l'Aude au paiement des sommes suivantes au titre de la liquidation des préjudices résultant de l'accident du travail du 29 septembre 2014 dans le cadre de la faute inexcusable :
* 1045, 80 euros au titre du déficit temporaire total du 12 octobre 2015 au 17 novembre 2015
* 456, 08 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 29 septembre 2014 au 5 mars 2015
* 261, 45 euros au titre du déficit temporaire de 30 % du 6 mars 2015 au 5 avril 2015
* 564, 14 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 6 avril 2015 au 11 octobre 2015
* 66,88 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 6 avril 2015 au 11 octobre 2015 soit 23 jours
* 8 000 euros au titre des souffrances endurées
- de condamner la SASU [10] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner la SASU [10] aux entiers dépens.
Dans ses conclusions en date du 9 janvier 2025 reçues au greffe le 13 janvier 2025 et soutenues oralement par sa représentante, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l' Aude demande à la cour de :
- constater le fait qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour quant à l'action engagée par la société [10]
- juger que les indemnités allouées à monsieur [X] seront payées par la CPAM de l'Aude et en conséquence condamner l'employeur, la société [10], à rembourser la CPAM de l'Aude de toutes les sommes allouées qu'elle sera éventuellement amenée à verser y compris les frais d'expertise.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions déposées par les parties et soutenues oralement à l'audience du 12 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la mise hors de cause des dirigeants actuels de la société [10] :
La SASU [9] sollicite la mise hors de cause de ses dirigeants actuels, au motif que, selon contrat de cession du 31 octobre 2014, monsieur [S] [L] et madame [Y] [U] ont cédé la société [10] à monsieur [A] [M] et aux associés messieurs [E] et [C] [N]. Ce contrat n'ayant pas régi la réparation des conséquences de l'accident survenu le 29 septembre 2014, la SASU [9] soutient que, conformément à l'article L 1224-2 du code du travail, le nouvel employeur ne peut être tenu des obligations qui incombaient à l'ancien employeur, en ce compris les conséquences d'une éventuelle faute inexcusable. La SASU [9] ajoute que la cession a en outre entraîné le changement de la forme juridique de la société [10], l'une des conditions suspensives stipulant la transformation de la SARL en SAS. Il y a bien donc eu selon elle un changement d'employeur, ce qui justifie la mise hors de cause des dirigeants actuels de la société [10].
Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, ' lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise '.
L'article L. 1224-2 du code du travail dispose que ' Le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;
2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux.'
Par ailleurs, l'article 1842 du code civil dispose que ' les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ' et l'article 1844-3 du code civil dispose que ' la transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personnalité morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation ou de toute autre modification statutaire '. Enfin, aux termes de l'article R. 123-31 du code de commerce, ' l' immatriculation au registre du commerce et des sociétés a un caractère personnel. Nul ne peut être immatriculé plusieurs fois à un même registre '.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que monsieur [B] [X] a été victime d'un accident du travail le 29 septembre 2914 et qu'il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur le 22 mars 2018. Le 30 octobre 2014, la SARL [10], représentée par son gérant [S] [L] a été transformée en SAS [10], représentée par son président [S] [L]. Le 31 octobre 2014, monsieur [S] [L], président et associé unique de la SAS [9] a signé avec messieurs [E] [N], [A] [M] et [C] [N] un acte de cession d'actions aux termes duquel monsieur [L] cédait à la SAS [7] ( ayant pour actionnaires [E] [N], [A] [M] et [C] [N] ) les 2 500 actions lui appartenant aux prix de 250 000 euros. Il est noté dans l'acte de cession que : ' l'effectif actuel de [9] est de 8 salariés dont la liste figure en annexe, avec leurs fonctions, leur date d'entrée dans la société et leur rémunération. Etant précisé que madame [H] [K] a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique, actuellement en cours, et que monsieur [X] [B] est actuellement en arrêt pour un accident du travail '.
La cour relève que, dans le contrat de travail à durée indéterminée à temps complet signé par monsieur [B] [X] le 9 novembre 2009, son employeur est la SARL [10] dont le numéro d'inscription au Registre du Commerce et des sociétés est le 331075960. La SASU [9] est inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le même numéro 331 075 960. Elle est donc, quelle que soit sa dénomination actuelle, la continuation de la personnalité morale de l'employeur de monsieur [B] [X] et doit donc en supporter les obligations afférentes, sauf à en rapporter la preuve contraire, ce qu'elle n'a pas fait. Il n'a en effet pas été démontré que la personnalité morale de l'employeur de monsieur [B] [X] aurait subsisté sous une autre forme pour répondre des obligations nées de l'exécution de son contrat de travail. Par ailleurs, l 'acte de cession d'actions du 31 octobre 2014 transférant la propriété des ses actions à la société [7] représentée par [E] [N], [A] [M] et [C] [N] ne comporte aucune mention relative à la prise en charge de la réparation des conséquences de l'accident du travail de monsieur [B] [X] survenu le 29 septembre 2014.
Il convient donc de rejeter la demande de mise hors de cause de la SASU [9], prise en la personne de ses représentants légaux, et de confirmer le jugement entrepris sur ce point.
Sur la faute inexcusable :
La SASU [9] fait valoir que les circonstances de l'accident du travail du 29 septembre 2014 de monsieur [X] sont indéterminées, aucun témoin n'ayant assisté à l'accident et l'employeur n'ayant été informé que le 2 octobre 2014, après avoir reçu le certificat médical initial adressé par le salarié. Elle ajoute qu'il ressort du planning de l'entreprise, que le 29 septembre 2014, monsieur [X] intervenait avec [P] [R], son collègue de travail, sur le chantier de rénovation de la résidence ' logis biterrois ' et que les deux salariés devaient réaliser le remplacement d'une porte d'entrée par un ensemble PVC. Elle verse aux débats une attestation de témoin en date du 14 janvier 2020, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [D] [O], artisan, qui mentionne :' En 2014, mon entreprise ' [D] Entretien ' a travaillé sur le chantier de rénovation du logis biterrois. Préalablement au démarrage des travaux, je me suis rendu sur place pour une réunion en présence du responsable de copropriété M. [F] afin de visualiser les travaux à effectuer et d'établir le devis. M. [L] était également présent pour ce qui concernait son entreprise la [10]. Le 29 septembre 2014, j'étais sur le chantier et j'ai constaté la présence de 2 ouvriers de la [10]. J'ai travaillé toute la journée à proximité d'eux notamment au moment de la dépose des portes car je les regardait faire et je n'ai constaté aucun accident. ' La SASU [10] ajoute que monsieur [X] ne peut prétendre qu'il ne disposait d'aucune aide pour dégonder la porte d'entrée et que cette porte était composée de deux vantaux pesant chacun moins de 40 kg, dont le retrait pouvait être réalisé sans risque particulier par les ouvriers. Enfin, elle affirme qu'elle s'attache à préserver la santé et la sécurité de ses salariés, comme le démontre la mise en place de la politique d'évaluation et de prévention des risques, et que dans ce cadre, il avait été rappelé à monsieur [X] dès la signature de son contrat et dans les documents uniques d'évaluation des risques établis avant l'accident, les risques inhérents à son poste et les consignes à respecter pour les prévenir, et notamment que la règle de sécurité suivant laquelle le port de charge était limité à 45 kg par personne. Elle produit une note de service du 1 er août 2005 de L'EURL [10] rappelant l'importance de l'utilisation des équipements de sécurité, une fiche de prévention des expositions à certains facteurs de risques professionnels ( risques atelier, risques chantier ) signée par monsieur [B] [X] et deux documents uniques d'évaluation des risques en date du 17 janvier 2013 et du 18 février 2014.
En réponse, monsieur [B] [X] soutient qu'il était soumis par son employeur à une manutention de charges lourdes beaucoup trop importante, avec des outils inadaptés. Ainsi, il affirme que la porte en acier portée le jour de son accident pesait plus de 50 kg et qu'il n'avait aucune aide mécanique ou humaine pour la soulever. Il verse aux débats pour justifier ses dires :
- une attestation de témoin en date du 12 mars 2020, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [P] [R], sans emploi, qui mentionne : ' Je déclare que M. [B] [X] est bien allé sur le chantier le 29/09/2014 avec moi M. [R] [P] et que suite à un appel de mon employeur M. [S] [T], j'ai dû laisser M. [X] seul sur le chantier pour des travaux nécessitant deux personnes à savoir le remplacement de portes aciers lourdes ( dégondage de porte acier pour le remplacement par porte aluminium ) malgrès mes recommandation à l'employeur sur le risque de faire cela seul. J'ai donc laisser seul sur le chantier M. [X] sans aucune aide ni de l'entreprise ni d'ailleurs faire le chantier. Suite à un appel de M. [X] me signalant qu'il s'était fait mal j'ai immédiatement prévenu M. [S] [T] qui m'a dit : il s'est surement fait un tour de rein tu iras le récupérer en fin de journée c'est pas grave. J'ai récupérer M. [X] en fin de journée comme l'employeur m'a demandé. '.
- une attestation de témoin en date du 18 janvier 2018, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [I] [Z], miroitier poseur, qui mentionne : ' nous avons passé une formation gestes et postures de deux jours ( 18/09/17 20/09/17 ). Avant cela aucune formation n'avait été réalisée au sein de la société [10]. Tous les ports de charges ( verres... ) se fesaient à la main à l'aide d'une ventouse. EX : chantier MAC DO, verre de 203 KGS à deux personnes à l'aide de ventouse...Une machine a été achetée suite à plusieurs accidents du travail au printemps été 2017 ; celle ci nous aide un peu mais pas assez grosse pour notre manutention, sur chantier ( verres de 200 kg ) la machine se déséquilibre. Une machine plus adéquate aurait été mieux pour les gros volumes '.
Monsieur [B] [X] soutient également qu'au moment de son accident du travail de 2014, il n'avait reçu aucune information ou formation adaptée à la sécurité conformément à l'article R 4541-8 du code du travail ( gestes et postures ) ou sur l'utilisation d'équipements de protection individuelle ou un entraînement à leur port, comme l'atteste son collègue [I] [Z]. Il ajoute qu'une formation de prévention aux risques liés à l'activité physique ne lui a été proposée que bien après son accident du travail, soit le 18 septembre 2017.
La CPAM de l'Aude s'en remet à l'appréciation de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Elle indique que dans le cadre d'un autre accident du travail de monsieur [B] [X] du 3 octobre 2016, qu'elle a pris en charge, le pôle social du tribunal de grande instance de Carcassonne a reconnu la faute inexcusable de l'employeur par jugement du 10 décembre 2019, dont la société [10] a interjeté appel le 22 janvier 2020.
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ( Cass civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; Cass civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie ou de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).
Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ( Cass civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984, Bull II no 394 ; Cass civ.2e 22 mars 2005, pourvoi no 03-20.044, Bull II no 74).
Enfin, l'employeur ne peut se voir imputer une faute inexcusable lorsque les circonstances de l'accident sont indéterminées de sorte que la conscience du danger par l'employeur ne peut être établie ( Cass Civ 2ème., 20 juin 2013, pourvoi n°12-21.315 ; Cass Civ 2ème, 15 décembre 2016, pourvoi no 15-26.682). Il est en effet constant que la détermination des circonstances objectives de la survenue d'un accident constitue le préalable nécessaire à toute recherche de la responsabilité de l'employeur.
En l'espèce, lors de la déclaration d'accident du travail du 2 octobre 2014, l'employeur de monsieur [X] a indiqué, dans la rubrique ' activité de la victime lors de l'accident ' : ' M. [X] a travaillé normalement lundi 29 septembre 2014. Il ne s'est pas présenté à son poste le lendemain et les jours suivants et aujourd'hui 2/10/14, nous venons de recevoir un certificat d'arrêt de travail initial accident du travail ou maladie professionnelle sans aucune explication. Nous écrivons au salarié pour lui demander de nous fournir des informations et vous les transmettrons dès réception. Il n'a averti personne, aucun responsable ou administratif de l'entreprise sur un éventuel problème qu'il aurait pu avoir. ' L'employeur a émis des réserves, en indiquant : ' nous n'avons pas eu connaissance d'un accident sur le lieu de travail, aucun de ses collègues n'a constaté un accident, aussi nous émettons de fortes réserves sur l'exactitude de cet accident, s'il s'agit d'un accident '. Dans le questionnaire employeur- complément d'information qui lui avait été envoyé par la CPAM lors de l'enquête administrative et qu'il a rempli le 16 octobre 2014, l'employeur a précisé que l'accident avait eu lieu le 29 septembre 2014, sur le chantier d'un client ' le logis biterrois ' à [Localité 6], à une heure ignorée, et il a confirmé que son salarié monsieur [X] ne l'avait pas informé le jour même de l'accident . L'employeur a également indiqué dans ce questionnnaire que ' lors de la manutention d'une porte, le salarié s'est fait mal ' et que ' M. [X] dans son courrier parle de ' portes en acier, lourdes de plus de 50 kg ', je précise que les portes ne pèsent pas plus de 40 kg et que les salariés ont pour consigne de manipuler à deux les charges lourdes. Ils travaillent toujours par équipes de 2 au moins. '
Dans la déclaration d'accident du travail en date du 7 octobre 2014 adressée par monsieur [X] à la CPAM et produite aux débats par celui ci, il indique que l'accident a eu lieu le 29 septembre 2014 à 10 h 30 à [Adresse 8] ( [Localité 6] ), que son activité lors de l'accident était la suivante : ' dégondage de porte acier ' , qu'il a éprouvé une ' douleur vive niveau bas du dos ' , et que la nature des lésions est : ' suite à radio tassement vertèbres et disques abimés '. Il ne mentionne pas l'existence de témoin de l'accident ni l'identité de la première personne avisée.
L'accident du 29 septembre 2014, pris en charge le 31 décembre 2014 par la CPAM de l'Aude au titre de la législation professionnelle, a donc eu lieu sur le lieu du travail de monsieur [X] et durant son temps de travail, mais dans des circonstances qui sont contestées par l'employeur. Aucun témoin n'a assisté à l'accident, et les versions de l'employeur et du salarié sur les circonstances de l'accident sont contradictoires, puisque l'employeur indique que le 29 septembre 2014, monsieur [X] travaillait avec son équipier [P] [R] sur le chantier ' [Adresse 8] ' à [Localité 6], alors que monsieur [X] soutient que son co équipier [P] [R] avait dû quitter le chantier à la demande de l'employeur et l'avait laissé dégonder seul une porte en acier lourde pesant selon lui plus de 50 kg.
S'agissant de l'attestation de monsieur [P] [R] produite aux débats par monsieur [X], il convient de noter qu'elle a été rédigée le 12 mars 2020 soit plus de cinq ans après l'accident et qu'il en ressort que monsieur [X] aurait appelé monsieur [R] juste après l'accident pour l'aviser qu'il ' s'était fait mal ' . Or, dans la déclaration d'accident du travail en date du 7 octobre 2014 adressée par monsieur [X] à la CPAM, ce dernier ne mentionne pas monsieur [P] [R] comme étant la première personne avisée de l'accident.
Monsieur [X] ne mentionne pas non plus avoir été seul au moment du ' dégondage ' des portes en acier dans le courrier recommandé avec accusé de réception qu'il a envoyé à son employeur le 6 octobre 2014, où il écrit : ' (...) Le lundi 29 septembre, dans l'exercice de mes fonctions sur le chantier ' [Adresse 8] ' à [Localité 6], dans la manutention de portes en acier ( lourdes, de plus de 50 kilos, j'ai ressenti une douleur vive. J'ai, malgrè cette douleur persistante, continué ma journée de travail jusqu'à la fin de mes horaires. A mon retour au dépôt, je me suis rendu chez un médecin, qui après examen m'a arrêté compte tenu de la douleur. Le mardi 30 septembre 2014, à 7 heures 45, j'ai contacté les bureaux de la société pour informer de mon arrêt. J'ai donc laissé un message sur votre répondeur. J'ai parallèlement fait adressé le certificat médical établi la veille par le médecin en recommandé à vos services. Vous en attestez par ailleurs la bonne réception dans votre courrier du 2 octobre. '
L'attestation établie par monsieur [D] [O], produite aux débats par l'employeur, est en contradiction avec les déclarations de monsieur [X] selon lequel il travaillait seul au moment de la dépose des portes, puisque monsieur [O] atteste avoir été présent sur le chantier de rénovation du logis bitterrois le 29 septembre 2014, et n'avoir constaté aucun accident lors de la dépose des portes, qui était faite selon lui par ' deux ouvriers de la [10]. '.
L'employeur conteste également que monsieur [X] ait pu travailler seul sur le chantier de rénovation du logis biterrois, et il verse aux débats une copie du planning de monsieur [X] le 29 septembre 2014, dont il ressort que ce dernier était affecté, avec son équipier [P] [R], au chantier de rénovation du logis Bitterrois de 8 heures à 12 heures 30 et de 13 h 45 à 18 heures. L'employeur indiquait dès le 16 octobre 2014 dans le questionnaire employeur envoyé par la CPAM que ' je précise que les portes ne pèsent pas plus de 40 kg et que les salariés ont pour consigne de manipuler à 2 les charges lourdes. Ils travaillent toujours par équipes de 2 au moins. Son équipier M. [R] [P] ne nous a pas informé que M. [X] s'était fait mal '.
L'employeur produit enfin aux débats une fiche de prévention des expositions à certains facteurs de risques professionnels signée par monsieur [B] [X], qui mentionne les risques chantier lors de la manipulation de vitrages, et qui précise ' maxi 45 kg par personne ', ainsi que les documents uniques d'évaluation des risques professionnels en date du 17 janvier 2013 et du 18 février 2014, qui rappellent, pour le port de charges, la nécessité de louer des engins de levage et de manipulation à plusieurs ( 45 kg/personne maxi ).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, les circonstances exactes de l'accident n'étant pas suffisamment établies , la faute inexcusable ne peut résulter des seules accusations ou allégations de la victime, non corroborées par un commencement de preuve d'éléments objectifs. Il n'est pas démontré, comme le soutient monsieur [X], qu'un non respect par son employeur de son obligation d'information, de formation à la sécurité et de prévention des risques ait joué un rôle causal dans la survenance de l'accident dont il a été victime le 29 septembre 2014. Monsieur [B] [X], qui a la charge de la preuve, ne démontre pas non plus que son employeur avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel il était exposé le 29 septembre 2014 et qu'il s'était abstenu de prendre les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il convient donc d'infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne en date du 26 mai 2020 en ce qu'il a :
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
Avant dire-droit sur les préjudices de monsieur [B] [X] :
- ordonné une expertise médicale confiée au docteur [J] [V] afin d'évaluer les préjudices subis par monsieur [B] [X]
- dit que l'affaire serait rappelée la première audience utile dès réception du rapport de l'expert aux fins qu'il soit statué sur la liquidation des préjudices
- dit que, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, les sommes allouées à monsieur [B] [X] dans le cadre de la présente instance lui seront avancées par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant le cas échéant auprès de la société [10]
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- sursis à statuer sur les autres demandes des parties et réservé les dépens.
La faute inexcusable de la SASU [9] n'étant pas démontrée dans le cadre de son accident du travail du 29 septembre 2014, il convient de débouter monsieur [B] [X] de ses demandes de condamnation de la CPAM de l'Aude au paiement de divers sommes au titre de la liquidation des préjudices.
Sur les dépens et les frais de procédure :
Il n'est pas équitable de faire supporter à la SASU [9] l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour sa défense. Monsieur [B] [W] [X] sera donc condamné à payer à la SASU [9] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant, monsieur [B] [W] [X] supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel .
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG18/00749 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne le 11 août 2020, sauf en ce qu'il a débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
DEBOUTE la SASU [9] de sa demande de mise hors de cause
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DEBOUTE monsieur [B] [W] [X] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans le cadre de son accident du travail du 29 septembre 2014 et de ses demandes d'indemnisation subséquentes
CONDAMNE monsieur [B] [W] [X] à payer à la somme de 500,00 euros à la SASU [9] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE monsieur [B] [W] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrée le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre sociale
ARRET DU 02 AVRIL 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03800 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OVYV
ARRET n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 AOUT 2020
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE CARCASSONNE
N° RG18/00749
APPELANTE :
S.A.S. [9]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituée à l'audience par Me CROS de la SELARL SAFRAN AVOCATS,
INTIMES :
Monsieur [B] [W] [X]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Stéphanie JAUVERT, avocat au barreau de BEZIERS, substitué à l'audience par Me GERENTON de la SELARL ALTHEIS AVOCATS , avocat au barreau de BEZIERS
CPAM DE L'AUDE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Mme [G] en vertu d'un pouvoir
En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JANVIER 2025,en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Frédérique BLANC, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère faisant fonction de Présidente
M. Patrick HIDALGO, Conseiller
Mme Frédérique BLANC, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Jacqueline SEBA
ARRET :
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour ;
- signé par Mme Anne MONNINI-MICHEL, Présidente et par Mme Jacqueline SEBA, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Monsieur [B] [W] [X], embauché en qualité d'ouvrier professionnel par la société [9] depuis le 9 novembre 2009, a été victime d'un accident en procédant au dégondage d'une porte le 29 septembre 2014 à [Localité 6]. Le certificat médical initial du 29 septembre 2014 mentionnait ' lombalgies aigues '. Après enquête administrative, cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Aude le 31 décembre 2014.
Par décision du 14 janvier 2016, monsieur [X] a été déclaré consolidé par la caisse à la date du 11 décembre 2015. Un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % a été fixé et une indemnité en capital de 1 950, 38 euros lui a été attribuée par la CPAM de l'Aude à la date du 12 décembre 2015. Saisi par monsieur [X], par jugement en date du 16 juin 2017, le Tribunal du Contentieux de l'Incapacité ( TCI ) de Montpellier a porté le taux d'incapacité de monsieur [X] résultant de l'accident du travail du 29 septembre 2014 à 17 %, dont 10 % au titre de l'incidence professionnelle. Par arrêt du 9 novembre 2021, la Cour Nationale de l'Incapacité et de la Tarification de l'Assurance des Accidents du Travail ( CNITAAT ), saisie par la CPAM de l'Aude, a fixé un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % à la date de consolidation du 11 décembre 2015.
Le 22 mars 2018, en l'absence de conciliation suite à sa saisine préalable de la CPAM de l'Aude du 7 décembre 2017, monsieur [B] [W] [X] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement en date du 26 mai 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne a :
- débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
- débouté la société [10] de sa demande à voir déclarer la procédure commune et opposable à monsieur [S] [L]
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
Avant dire-droit sur les préjudices de monsieur [B] [X] :
- ordonné une expertise médicale confiée au docteur [J] [V] afin d'évaluer les préjudices subis par monsieur [B] [X]
- dit que l'affaire serait rappelée la première audience utile dès réception du rapport de l'expert aux fins qu'il soit statué sur la liquidation des préjudices
- dit que, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, les sommes allouées à monsieur [B] [X] dans le cadre de la présente instance lui seront avancées par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant le cas échéant auprès de la société [10]
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- sursis à statuer sur les autres demandes des parties et réservé les dépens.
Cette décision a été notifiée le 19 août 2020 à la société [9] qui en a interjeté appel suivant déclaration d'appel électronique du 14 septembre 2020 , appel ayant pour objet de voir annuler, infirmer ou réformer les chefs de jugement qui a :
- débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
- débouté la société [10] de sa demande à voir déclarer la procédure commune et opposable à monsieur [S] [L]
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice
- ordonné une expertise médicale de monsieur [B] [X].
L'affaire a été plaidée à l'audience du 16 janvier 2015.
Selon ses conclusions d'appel responsives et récapitulatives déposées au greffe par RPVA le 15 janvier 2025 et soutenues oralement par son avocat, la SASU [9] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu le 11 août 2020 en ce qu'il :
* déboute la société [10] de sa demande de mise hors de cause
* dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
* alloue à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'AUDE qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
* avant dire-droit, ordonne une expertise médicale.
- à titre principal :
* de déclarer la SASU [10] hors de cause
* de débouter monsieur [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions, en ce qu'elles s'avèrent infondées et injustifiées
* de condamner monsieur [X] à verser à la société [10] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
* de dire qu'aucune faute inexcusable n'a été établie à l'encontre de la société [10]
* de débouter monsieur [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles s'avèrent infondées et injustifiées
- à titre subsidiaire :
* de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la majoration opposable à l'employeur dans la limite de 5 % de taux d'IPP
* de fixer l'indemnisation des préjudices de monsieur [X] dans les proportions suivantes :
Déficit fonctionnel temporaire total : 925 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 29/09/14 au 5/03/15 : 395 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 30 % du 6/03 au 5/04/15 : 232 euros
Déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 6/04 au 11/10/15 : 532, 50 euros
Souffrances endurées : 3 000 euros
* de rejeter toutes demandes plus ample ou contraires, tant en principal, provision, frais irrépétibles et dépens
* de condamner la CPAM à faire l'avance des indemnités.
Selon ses conclusions récapitulatives intimées du 30 mai 2023 soutenues oralement à l'audience par son avocat, monsieur [B] [X] demande à la cour :
- de dire et juger mal fondé l'appel de la SASU [10]
- de débouter en conséquence la SASU [10] de l'intégralité de ses demandes
- de condamner la CPAM de l'Aude au paiement des sommes suivantes au titre de la liquidation des préjudices résultant de l'accident du travail du 29 septembre 2014 dans le cadre de la faute inexcusable :
* 1045, 80 euros au titre du déficit temporaire total du 12 octobre 2015 au 17 novembre 2015
* 456, 08 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 29 septembre 2014 au 5 mars 2015
* 261, 45 euros au titre du déficit temporaire de 30 % du 6 mars 2015 au 5 avril 2015
* 564, 14 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 6 avril 2015 au 11 octobre 2015
* 66,88 euros au titre du déficit temporaire de 10 % du 6 avril 2015 au 11 octobre 2015 soit 23 jours
* 8 000 euros au titre des souffrances endurées
- de condamner la SASU [10] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner la SASU [10] aux entiers dépens.
Dans ses conclusions en date du 9 janvier 2025 reçues au greffe le 13 janvier 2025 et soutenues oralement par sa représentante, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l' Aude demande à la cour de :
- constater le fait qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour quant à l'action engagée par la société [10]
- juger que les indemnités allouées à monsieur [X] seront payées par la CPAM de l'Aude et en conséquence condamner l'employeur, la société [10], à rembourser la CPAM de l'Aude de toutes les sommes allouées qu'elle sera éventuellement amenée à verser y compris les frais d'expertise.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions déposées par les parties et soutenues oralement à l'audience du 12 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la mise hors de cause des dirigeants actuels de la société [10] :
La SASU [9] sollicite la mise hors de cause de ses dirigeants actuels, au motif que, selon contrat de cession du 31 octobre 2014, monsieur [S] [L] et madame [Y] [U] ont cédé la société [10] à monsieur [A] [M] et aux associés messieurs [E] et [C] [N]. Ce contrat n'ayant pas régi la réparation des conséquences de l'accident survenu le 29 septembre 2014, la SASU [9] soutient que, conformément à l'article L 1224-2 du code du travail, le nouvel employeur ne peut être tenu des obligations qui incombaient à l'ancien employeur, en ce compris les conséquences d'une éventuelle faute inexcusable. La SASU [9] ajoute que la cession a en outre entraîné le changement de la forme juridique de la société [10], l'une des conditions suspensives stipulant la transformation de la SARL en SAS. Il y a bien donc eu selon elle un changement d'employeur, ce qui justifie la mise hors de cause des dirigeants actuels de la société [10].
Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, ' lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise '.
L'article L. 1224-2 du code du travail dispose que ' Le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :
1° Procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;
2° Substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux.'
Par ailleurs, l'article 1842 du code civil dispose que ' les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ' et l'article 1844-3 du code civil dispose que ' la transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme n'entraîne pas la création d'une personnalité morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation ou de toute autre modification statutaire '. Enfin, aux termes de l'article R. 123-31 du code de commerce, ' l' immatriculation au registre du commerce et des sociétés a un caractère personnel. Nul ne peut être immatriculé plusieurs fois à un même registre '.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que monsieur [B] [X] a été victime d'un accident du travail le 29 septembre 2914 et qu'il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur le 22 mars 2018. Le 30 octobre 2014, la SARL [10], représentée par son gérant [S] [L] a été transformée en SAS [10], représentée par son président [S] [L]. Le 31 octobre 2014, monsieur [S] [L], président et associé unique de la SAS [9] a signé avec messieurs [E] [N], [A] [M] et [C] [N] un acte de cession d'actions aux termes duquel monsieur [L] cédait à la SAS [7] ( ayant pour actionnaires [E] [N], [A] [M] et [C] [N] ) les 2 500 actions lui appartenant aux prix de 250 000 euros. Il est noté dans l'acte de cession que : ' l'effectif actuel de [9] est de 8 salariés dont la liste figure en annexe, avec leurs fonctions, leur date d'entrée dans la société et leur rémunération. Etant précisé que madame [H] [K] a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique, actuellement en cours, et que monsieur [X] [B] est actuellement en arrêt pour un accident du travail '.
La cour relève que, dans le contrat de travail à durée indéterminée à temps complet signé par monsieur [B] [X] le 9 novembre 2009, son employeur est la SARL [10] dont le numéro d'inscription au Registre du Commerce et des sociétés est le 331075960. La SASU [9] est inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le même numéro 331 075 960. Elle est donc, quelle que soit sa dénomination actuelle, la continuation de la personnalité morale de l'employeur de monsieur [B] [X] et doit donc en supporter les obligations afférentes, sauf à en rapporter la preuve contraire, ce qu'elle n'a pas fait. Il n'a en effet pas été démontré que la personnalité morale de l'employeur de monsieur [B] [X] aurait subsisté sous une autre forme pour répondre des obligations nées de l'exécution de son contrat de travail. Par ailleurs, l 'acte de cession d'actions du 31 octobre 2014 transférant la propriété des ses actions à la société [7] représentée par [E] [N], [A] [M] et [C] [N] ne comporte aucune mention relative à la prise en charge de la réparation des conséquences de l'accident du travail de monsieur [B] [X] survenu le 29 septembre 2014.
Il convient donc de rejeter la demande de mise hors de cause de la SASU [9], prise en la personne de ses représentants légaux, et de confirmer le jugement entrepris sur ce point.
Sur la faute inexcusable :
La SASU [9] fait valoir que les circonstances de l'accident du travail du 29 septembre 2014 de monsieur [X] sont indéterminées, aucun témoin n'ayant assisté à l'accident et l'employeur n'ayant été informé que le 2 octobre 2014, après avoir reçu le certificat médical initial adressé par le salarié. Elle ajoute qu'il ressort du planning de l'entreprise, que le 29 septembre 2014, monsieur [X] intervenait avec [P] [R], son collègue de travail, sur le chantier de rénovation de la résidence ' logis biterrois ' et que les deux salariés devaient réaliser le remplacement d'une porte d'entrée par un ensemble PVC. Elle verse aux débats une attestation de témoin en date du 14 janvier 2020, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [D] [O], artisan, qui mentionne :' En 2014, mon entreprise ' [D] Entretien ' a travaillé sur le chantier de rénovation du logis biterrois. Préalablement au démarrage des travaux, je me suis rendu sur place pour une réunion en présence du responsable de copropriété M. [F] afin de visualiser les travaux à effectuer et d'établir le devis. M. [L] était également présent pour ce qui concernait son entreprise la [10]. Le 29 septembre 2014, j'étais sur le chantier et j'ai constaté la présence de 2 ouvriers de la [10]. J'ai travaillé toute la journée à proximité d'eux notamment au moment de la dépose des portes car je les regardait faire et je n'ai constaté aucun accident. ' La SASU [10] ajoute que monsieur [X] ne peut prétendre qu'il ne disposait d'aucune aide pour dégonder la porte d'entrée et que cette porte était composée de deux vantaux pesant chacun moins de 40 kg, dont le retrait pouvait être réalisé sans risque particulier par les ouvriers. Enfin, elle affirme qu'elle s'attache à préserver la santé et la sécurité de ses salariés, comme le démontre la mise en place de la politique d'évaluation et de prévention des risques, et que dans ce cadre, il avait été rappelé à monsieur [X] dès la signature de son contrat et dans les documents uniques d'évaluation des risques établis avant l'accident, les risques inhérents à son poste et les consignes à respecter pour les prévenir, et notamment que la règle de sécurité suivant laquelle le port de charge était limité à 45 kg par personne. Elle produit une note de service du 1 er août 2005 de L'EURL [10] rappelant l'importance de l'utilisation des équipements de sécurité, une fiche de prévention des expositions à certains facteurs de risques professionnels ( risques atelier, risques chantier ) signée par monsieur [B] [X] et deux documents uniques d'évaluation des risques en date du 17 janvier 2013 et du 18 février 2014.
En réponse, monsieur [B] [X] soutient qu'il était soumis par son employeur à une manutention de charges lourdes beaucoup trop importante, avec des outils inadaptés. Ainsi, il affirme que la porte en acier portée le jour de son accident pesait plus de 50 kg et qu'il n'avait aucune aide mécanique ou humaine pour la soulever. Il verse aux débats pour justifier ses dires :
- une attestation de témoin en date du 12 mars 2020, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [P] [R], sans emploi, qui mentionne : ' Je déclare que M. [B] [X] est bien allé sur le chantier le 29/09/2014 avec moi M. [R] [P] et que suite à un appel de mon employeur M. [S] [T], j'ai dû laisser M. [X] seul sur le chantier pour des travaux nécessitant deux personnes à savoir le remplacement de portes aciers lourdes ( dégondage de porte acier pour le remplacement par porte aluminium ) malgrès mes recommandation à l'employeur sur le risque de faire cela seul. J'ai donc laisser seul sur le chantier M. [X] sans aucune aide ni de l'entreprise ni d'ailleurs faire le chantier. Suite à un appel de M. [X] me signalant qu'il s'était fait mal j'ai immédiatement prévenu M. [S] [T] qui m'a dit : il s'est surement fait un tour de rein tu iras le récupérer en fin de journée c'est pas grave. J'ai récupérer M. [X] en fin de journée comme l'employeur m'a demandé. '.
- une attestation de témoin en date du 18 janvier 2018, établie conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par monsieur [I] [Z], miroitier poseur, qui mentionne : ' nous avons passé une formation gestes et postures de deux jours ( 18/09/17 20/09/17 ). Avant cela aucune formation n'avait été réalisée au sein de la société [10]. Tous les ports de charges ( verres... ) se fesaient à la main à l'aide d'une ventouse. EX : chantier MAC DO, verre de 203 KGS à deux personnes à l'aide de ventouse...Une machine a été achetée suite à plusieurs accidents du travail au printemps été 2017 ; celle ci nous aide un peu mais pas assez grosse pour notre manutention, sur chantier ( verres de 200 kg ) la machine se déséquilibre. Une machine plus adéquate aurait été mieux pour les gros volumes '.
Monsieur [B] [X] soutient également qu'au moment de son accident du travail de 2014, il n'avait reçu aucune information ou formation adaptée à la sécurité conformément à l'article R 4541-8 du code du travail ( gestes et postures ) ou sur l'utilisation d'équipements de protection individuelle ou un entraînement à leur port, comme l'atteste son collègue [I] [Z]. Il ajoute qu'une formation de prévention aux risques liés à l'activité physique ne lui a été proposée que bien après son accident du travail, soit le 18 septembre 2017.
La CPAM de l'Aude s'en remet à l'appréciation de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Elle indique que dans le cadre d'un autre accident du travail de monsieur [B] [X] du 3 octobre 2016, qu'elle a pris en charge, le pôle social du tribunal de grande instance de Carcassonne a reconnu la faute inexcusable de l'employeur par jugement du 10 décembre 2019, dont la société [10] a interjeté appel le 22 janvier 2020.
Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ( Cass civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; Cass civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie ou de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).
Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ( Cass civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984, Bull II no 394 ; Cass civ.2e 22 mars 2005, pourvoi no 03-20.044, Bull II no 74).
Enfin, l'employeur ne peut se voir imputer une faute inexcusable lorsque les circonstances de l'accident sont indéterminées de sorte que la conscience du danger par l'employeur ne peut être établie ( Cass Civ 2ème., 20 juin 2013, pourvoi n°12-21.315 ; Cass Civ 2ème, 15 décembre 2016, pourvoi no 15-26.682). Il est en effet constant que la détermination des circonstances objectives de la survenue d'un accident constitue le préalable nécessaire à toute recherche de la responsabilité de l'employeur.
En l'espèce, lors de la déclaration d'accident du travail du 2 octobre 2014, l'employeur de monsieur [X] a indiqué, dans la rubrique ' activité de la victime lors de l'accident ' : ' M. [X] a travaillé normalement lundi 29 septembre 2014. Il ne s'est pas présenté à son poste le lendemain et les jours suivants et aujourd'hui 2/10/14, nous venons de recevoir un certificat d'arrêt de travail initial accident du travail ou maladie professionnelle sans aucune explication. Nous écrivons au salarié pour lui demander de nous fournir des informations et vous les transmettrons dès réception. Il n'a averti personne, aucun responsable ou administratif de l'entreprise sur un éventuel problème qu'il aurait pu avoir. ' L'employeur a émis des réserves, en indiquant : ' nous n'avons pas eu connaissance d'un accident sur le lieu de travail, aucun de ses collègues n'a constaté un accident, aussi nous émettons de fortes réserves sur l'exactitude de cet accident, s'il s'agit d'un accident '. Dans le questionnaire employeur- complément d'information qui lui avait été envoyé par la CPAM lors de l'enquête administrative et qu'il a rempli le 16 octobre 2014, l'employeur a précisé que l'accident avait eu lieu le 29 septembre 2014, sur le chantier d'un client ' le logis biterrois ' à [Localité 6], à une heure ignorée, et il a confirmé que son salarié monsieur [X] ne l'avait pas informé le jour même de l'accident . L'employeur a également indiqué dans ce questionnnaire que ' lors de la manutention d'une porte, le salarié s'est fait mal ' et que ' M. [X] dans son courrier parle de ' portes en acier, lourdes de plus de 50 kg ', je précise que les portes ne pèsent pas plus de 40 kg et que les salariés ont pour consigne de manipuler à deux les charges lourdes. Ils travaillent toujours par équipes de 2 au moins. '
Dans la déclaration d'accident du travail en date du 7 octobre 2014 adressée par monsieur [X] à la CPAM et produite aux débats par celui ci, il indique que l'accident a eu lieu le 29 septembre 2014 à 10 h 30 à [Adresse 8] ( [Localité 6] ), que son activité lors de l'accident était la suivante : ' dégondage de porte acier ' , qu'il a éprouvé une ' douleur vive niveau bas du dos ' , et que la nature des lésions est : ' suite à radio tassement vertèbres et disques abimés '. Il ne mentionne pas l'existence de témoin de l'accident ni l'identité de la première personne avisée.
L'accident du 29 septembre 2014, pris en charge le 31 décembre 2014 par la CPAM de l'Aude au titre de la législation professionnelle, a donc eu lieu sur le lieu du travail de monsieur [X] et durant son temps de travail, mais dans des circonstances qui sont contestées par l'employeur. Aucun témoin n'a assisté à l'accident, et les versions de l'employeur et du salarié sur les circonstances de l'accident sont contradictoires, puisque l'employeur indique que le 29 septembre 2014, monsieur [X] travaillait avec son équipier [P] [R] sur le chantier ' [Adresse 8] ' à [Localité 6], alors que monsieur [X] soutient que son co équipier [P] [R] avait dû quitter le chantier à la demande de l'employeur et l'avait laissé dégonder seul une porte en acier lourde pesant selon lui plus de 50 kg.
S'agissant de l'attestation de monsieur [P] [R] produite aux débats par monsieur [X], il convient de noter qu'elle a été rédigée le 12 mars 2020 soit plus de cinq ans après l'accident et qu'il en ressort que monsieur [X] aurait appelé monsieur [R] juste après l'accident pour l'aviser qu'il ' s'était fait mal ' . Or, dans la déclaration d'accident du travail en date du 7 octobre 2014 adressée par monsieur [X] à la CPAM, ce dernier ne mentionne pas monsieur [P] [R] comme étant la première personne avisée de l'accident.
Monsieur [X] ne mentionne pas non plus avoir été seul au moment du ' dégondage ' des portes en acier dans le courrier recommandé avec accusé de réception qu'il a envoyé à son employeur le 6 octobre 2014, où il écrit : ' (...) Le lundi 29 septembre, dans l'exercice de mes fonctions sur le chantier ' [Adresse 8] ' à [Localité 6], dans la manutention de portes en acier ( lourdes, de plus de 50 kilos, j'ai ressenti une douleur vive. J'ai, malgrè cette douleur persistante, continué ma journée de travail jusqu'à la fin de mes horaires. A mon retour au dépôt, je me suis rendu chez un médecin, qui après examen m'a arrêté compte tenu de la douleur. Le mardi 30 septembre 2014, à 7 heures 45, j'ai contacté les bureaux de la société pour informer de mon arrêt. J'ai donc laissé un message sur votre répondeur. J'ai parallèlement fait adressé le certificat médical établi la veille par le médecin en recommandé à vos services. Vous en attestez par ailleurs la bonne réception dans votre courrier du 2 octobre. '
L'attestation établie par monsieur [D] [O], produite aux débats par l'employeur, est en contradiction avec les déclarations de monsieur [X] selon lequel il travaillait seul au moment de la dépose des portes, puisque monsieur [O] atteste avoir été présent sur le chantier de rénovation du logis bitterrois le 29 septembre 2014, et n'avoir constaté aucun accident lors de la dépose des portes, qui était faite selon lui par ' deux ouvriers de la [10]. '.
L'employeur conteste également que monsieur [X] ait pu travailler seul sur le chantier de rénovation du logis biterrois, et il verse aux débats une copie du planning de monsieur [X] le 29 septembre 2014, dont il ressort que ce dernier était affecté, avec son équipier [P] [R], au chantier de rénovation du logis Bitterrois de 8 heures à 12 heures 30 et de 13 h 45 à 18 heures. L'employeur indiquait dès le 16 octobre 2014 dans le questionnaire employeur envoyé par la CPAM que ' je précise que les portes ne pèsent pas plus de 40 kg et que les salariés ont pour consigne de manipuler à 2 les charges lourdes. Ils travaillent toujours par équipes de 2 au moins. Son équipier M. [R] [P] ne nous a pas informé que M. [X] s'était fait mal '.
L'employeur produit enfin aux débats une fiche de prévention des expositions à certains facteurs de risques professionnels signée par monsieur [B] [X], qui mentionne les risques chantier lors de la manipulation de vitrages, et qui précise ' maxi 45 kg par personne ', ainsi que les documents uniques d'évaluation des risques professionnels en date du 17 janvier 2013 et du 18 février 2014, qui rappellent, pour le port de charges, la nécessité de louer des engins de levage et de manipulation à plusieurs ( 45 kg/personne maxi ).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, les circonstances exactes de l'accident n'étant pas suffisamment établies , la faute inexcusable ne peut résulter des seules accusations ou allégations de la victime, non corroborées par un commencement de preuve d'éléments objectifs. Il n'est pas démontré, comme le soutient monsieur [X], qu'un non respect par son employeur de son obligation d'information, de formation à la sécurité et de prévention des risques ait joué un rôle causal dans la survenance de l'accident dont il a été victime le 29 septembre 2014. Monsieur [B] [X], qui a la charge de la preuve, ne démontre pas non plus que son employeur avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel il était exposé le 29 septembre 2014 et qu'il s'était abstenu de prendre les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il convient donc d'infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne en date du 26 mai 2020 en ce qu'il a :
- dit que l'accident du travail dont a été victime monsieur [B] [X] le 29 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [10]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente ou du capital servi à monsieur [B] [X] par la CPAM de l'Aude et dit que cette majoration ne sera opposable à l'employeur que dans la limite d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5%
- alloué à monsieur [B] [X] une provision d'un montant de 1 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice et dit que cette somme lui sera directement versée par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant auprès de l'employeur
Avant dire-droit sur les préjudices de monsieur [B] [X] :
- ordonné une expertise médicale confiée au docteur [J] [V] afin d'évaluer les préjudices subis par monsieur [B] [X]
- dit que l'affaire serait rappelée la première audience utile dès réception du rapport de l'expert aux fins qu'il soit statué sur la liquidation des préjudices
- dit que, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, les sommes allouées à monsieur [B] [X] dans le cadre de la présente instance lui seront avancées par la CPAM de l'Aude qui en récupèrera le montant le cas échéant auprès de la société [10]
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- sursis à statuer sur les autres demandes des parties et réservé les dépens.
La faute inexcusable de la SASU [9] n'étant pas démontrée dans le cadre de son accident du travail du 29 septembre 2014, il convient de débouter monsieur [B] [X] de ses demandes de condamnation de la CPAM de l'Aude au paiement de divers sommes au titre de la liquidation des préjudices.
Sur les dépens et les frais de procédure :
Il n'est pas équitable de faire supporter à la SASU [9] l'intégralité des frais qu'elle a dû exposer pour sa défense. Monsieur [B] [W] [X] sera donc condamné à payer à la SASU [9] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant, monsieur [B] [W] [X] supportera la charge des entiers dépens de première instance et d'appel .
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG18/00749 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Carcassonne le 11 août 2020, sauf en ce qu'il a débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause
DEBOUTE la SASU [9] de sa demande de mise hors de cause
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DEBOUTE monsieur [B] [W] [X] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans le cadre de son accident du travail du 29 septembre 2014 et de ses demandes d'indemnisation subséquentes
CONDAMNE monsieur [B] [W] [X] à payer à la somme de 500,00 euros à la SASU [9] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE monsieur [B] [W] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE