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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 1 avril 2025, n° 21/03394

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 21/03394

1 avril 2025

AFFAIRE : N° RG 21/03394 - N° Portalis DBVC-V-B7F-G4PD

ARRÊT N°

ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LISIEUX du 05 Novembre 2021

RG n° 20/00303

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 01 AVRIL 2025

APPELANTE :

La S.C.P. CHANCE-VARIN ET ASSOCIES

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 791 11 2 4 93

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée et assistée de Me Christophe VALERY, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉS :

Monsieur [W] [S]

né le 16 Juillet 1966 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté et assisté de Me Frédéric NAUTOU, avocat au barreau de LISIEUX

La S.A.S. CABINET MABILLE, exerçant sous l'enseigne FONCIA NORMANDIE,

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 348 67 2 8 74

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée et assistée de Me Jean-jacques SALMON, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme BARTHE-NARI, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

DÉBATS : A l'audience publique du 14 janvier 2025

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 01 Avril 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, président, et Mme COLLET, greffier

EXPOSE DU LITIGE :

Propriétaire d'un ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 1], M. [M] a été mis en relation avec M. [W] [S] par l'intermédiaire du Cabinet Mabille auquel il avait donné mandat de lui rechercher un locataire commercial .

Le 5 septembre 2019, les clés du local, situé [Adresse 3] à [Localité 1], ont été remises à M. [S] par la SCP Chancé-Varin & Associés, étude notariale, chargée de l'établissement du bail commercial en contrepartie d'un chèque d'un montant de 1 950 euros pour trois mois de loyer et d'une attestation

d'assurance .

M. [S] a entrepris des travaux de transformation dans les lieux en vue de l'activité de restaurant qu'il souhaitait y exercer.

Le 15 octobre 2019, M. [M] a demandé à M. [S] de cesser les travaux d'aménagement qu'il avait entrepris dans les lieux, à la suite de la décision de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 10 octobre 2019, refusant l'installation d'un commerce de restauration en application de l'article 10 du règlement de copropriété. Le bail n'a jamais pu être régularisé.

Par courrier recommandé en date du 7 novembre 2019, M. [S] a sollicité la restitution de son chèque auprès de Maître [J]. Par courrier en retour du 5 décembre 2019, celui-ci a contesté toute responsabilité. Par courrier du 18 février 2020, le Cabinet Mabille a également nié toute responsabilité.

Par acte d'huissier en date du 12 mai 2020, M. [W] [S] a fait assigner la SCP Varin-Chancé & Associés ainsi que le Cabinet Mabille devant le tribunal judiciare de Lisieux.

Par courrier en date du 3 novembre 2020, le chèque de 1 950 euros a été restitué à M. [S].

Par jugement en date du 5 novembre 2021, le tribunal a :

- condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 20,59 euros en remboursement des frais d'assurance,

- condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 88,17 euros en remboursement des frais d'éléctricité,

- condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 8 800 euros au titre des travaux facturés,

- condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- débouté M. [W] [S] de sa demande au titre du préjudice financier,

- condamné la société par actions simplifiée Cabinet Mabille à garantir la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 50 %,

- condamné la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à garantir la société par actions simplifiée Cabinet Mabille des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 50 %,

- condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

- débouté la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés aux dépens,

- condamné dans leur recours entre elles la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité ci-dessus indiquée , au titre des dépens et frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration en date du 17 décembre 2021, la SCP Chancé Varin & Associés a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 15 juillet 2022, la SCP Chancé Varin et Associés demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lisieux le 5 novembre 2021 en ce qu'il a :

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 20,59 euros en remboursement des frais d'assurance,

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 88,17 euros en remboursement des frais d'éléctricité,

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 8 800 euros au titre des travaux facturés,

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

condamné la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à garantir la société par actions simplifiée Cabinet Mabille des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 50 %,

condamné la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés aux entiers dépens,

condamné la société civile profesionelle Chancé Varin & Associés à garantir dans ses recours avec elle la société par actions simplifiée Cabinet Mabille des condamnations prononcées à son encontre à proportion de sa part de responsabilité,

Statuant à nouveau :

A titre principal,

- déclarer autant irrecevables que mal fondées les demandes en nullité de la déclaration d'appel formulées par M. [W] [S] et la société Cabinet Mabille et les en débouter,

- dire que la SCP Chancé Varin & Associés n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle,

- débouter les parties de toutes leurs demandes à l'encontre de la SCP Chancé Varin & Associés,

- débouter M. [W] [S] de son appel incident,

A titre subsidiaire,

- dire que les éventuels manquements de la SCP Chancé Varin & Associés sont sans lien avec le préjudice de M. [W] [S] ,

- dire que la perte de chance subie par M. [W] [S] est nulle,

En conséquence, débouter M. [W] [S] de toutes ses demandes à l'encontre de la SCP Chancé Varin & Associés,

A titre infiniment subsidiaire, pour le cas où le tribunal retiendrait une faute en lien de causalité avec le préjudice de M. [S]:

- débouter M. [W] [S] de ses demandes indemnitaires de 8 800 euros au titre des travaux et de 10 000 euros au titre du prétendu préjudice moral et financier,

- condamner la société Cabinet Mabille à garantir la SCP Chancé Varin & Associés de toutes les condamnations éventuellement prononcées à son encontre,

En toute hypothèse,

- condamner tout succombant à payer à la SCP Chancé Varin & Associés la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la première instance et de l'appel.

Par ses dernières conclusions signifiées le 5 septembre 2022, le Cabinet Mabille forme appel incident et demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu le 5 novembre 2021 en ce qu'il a:

condamné in solidum la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la soiété civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] :

- la somme de 88,17 euros en remboursement des frais d'électricité,

- la somme de 8 800 euros au titre des travaux facturés,

- la somme de 2 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,

condamné la société par actions simplifiée Cabinet Mabille à garantir la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 50 %,

condamné in solidum la société par action simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à payer à M. [W] [S] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

condamné in solidum la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés aux dépens,

condamné dans leur recours entre elles la société par actions simplifiée Cabinet Mabille et la société civile professionnelle Chancé Varin & Associés à se garantir des condamnations prononcés à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité ci-dessus indiquée , au titre des dépens et frais irrépétibles,

Et statuant sur l'appel principal de la SCP Chancé Varin & Associés et l'appel incident de la société Cabinet Mabille et M. [S],

- débouter M. [S] de ses demandes,

Statuant sur l'appel incident de la société Cabinet Mabille , celle-ci n'ayant commis aucune faute,

- la mettre hors de cause,

A titre subsidiaire,

- dire que la perte de chance de M. [S] est inexistante,

- le débouter de ses demandes,

Et plus subsidiairement encore,

- condamner la SCP Chancé Varin & Associés à garantir la société Cabinet Mabille de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

En toute hypothèse,

- condamner tout contestant au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Selon ses dernières conclusions notifiées le 12 septembre 2022, M. [S] demande à la cour de :

- déclarer l'appel de la SCP Chancé Varin & Associés mal fondé,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- consacré au visa de l'article 1240 du code civil la responsabilité in solidum de la société Cabinet Mabille et de la SCP Chancé Varin & Associés

Et

les a condamnés solidairement à régler à M. [S] :

8 800 euros au titre des travaux effectués par la société Droj,

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

les dépens de première instance,

Y ajoutant,

- fixer les préjudices de M. [W] [S] à

41,18 euros en remboursement de ses frais d'assurance,

139,02 ( 31,29 + 107,73 ) euros en remboursement de ses frais d'électricité auprès de la société Engie,

10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier,

- condamner tout succombant à régler à M. [W] [S] :

4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

ainsi que les dépens.

Par ordonnance du Président chargé de la mise en état,en date du 16 novembre 2022, il a été décerné acte à la société Cabinet Mabille de ce qu'elle se désistait de son incident tendant à l'irrecevabilité de l'appel formé par la SCP Chancé Varin & Associés. La SCP Chancé Varin & Associés a été déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sur cet incident.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 18 décembre 2024.

EXPOSE DES MOTIFS:

Sur la responsabilité de la SCP Chancé Varin & Associés :

Il est de principe que le notaire, en sa qualité de professionnel, est tenu envers chacune des parties d'un devoir de conseil et qu'il doit assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours. Dans ce cadre, il a l'obligation de procéder à toute vérification utile et doit effectuer toutes diligences nécessaires avant l'établissement de son acte.

Sa responsabilité extra-contractuelle peut être engagée à ce titre, en l'espèce, sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Cependant, la mise en oeuvre de sa responsabilité suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Pour condamner la SCP Chancé Varin & Associés in solidum avec le Cabinet Mabille à réparer les préjudices subis parM. [S], le tribunal a considéré que celle-ci avait commis une faute en ne mettant pas en garde M. [M] du risque encouru par la remise des clés, antérieurement à la signature du bail commercial, et ne procédant pas à une vérification préalable sur la possibilité d'établir le bail commercial .

Au soutien de son appel, la SCP Chancé Varin & Associés rappelle que M. [M] est le bailleur et qu'il n'était pas partie à la procédure de sorte que le tribunal ne pouvait invoquer un prétendu manquement de l'étude le concernant.

S'agissant de la remise des clés à M. [S] sans avertissement préalable, elle fait valoir qu'elle n'était pas chargée de la négociation du bail commercial et qu'elle n'a été saisie par M. [M], en vue de la rédaction du contrat de bail, que le 2è août 2019 et de la remise des clés du local à M. [S], sans attendre la signature du bail commercial, que le 28 août 2019 . Elle soutient que lorsque M. [S] est venu chercher les clés le 5 septembre 2019, elle ignorait la nature de l'activité qu'il envisageait dans les lieux et l'existence de la clause du règlement de copropriété interdisant l'activité de restaurant. Elle prétend avoir pris connaissance de cette clause le 12 septembre 2019 et en avoir immédiatement informé l'agence immobilière et M. [M]. Selon elle, M. [M] en aurait informé M. [S] le jour même .

La SCP Chancé Varin & Associés souligne que si M.[S] conteste avoir reçu cette information à ce moment-là et soutient qu'elle n'a été portée à sa connaissance que par courrier daté du 15 octobre 2019, il n'en demeure pas moins que c'est grâce à Maître [J] , de l'étude notariale, que l'information de la nécessité d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires a été connue et communiquée à M. [S]. Elle considère que le délai de 15 jours, entre le moment où elle été chargée de la rédaction du bail soit le 27 août 2019 et l'information du bailleur, le 12 septembre 2019, sur l'impossibilité d'exercer dans les locaux l'activité de restaurant n'est pas déraisonnable et qu'elle ne pouvait donner cette information plus rapidement.

Soulignant qu'elle a, dès lors, délivré une mise en garde aux parties antérieurement à l'établissement de l'acte qui lui avait été demandé, la SCP Chancé Varin & Associés conteste toute faute de sa part et conclut à l'infirmation du jugement sur ce point.

M. [S] prétend de son côté, pouvoir se prévaloir des différents manquements du notaire à l'égard du bailleur qui sont en lien de cause à effet direct avec les préjudices qu'il invoque. Il estime qu'il appartenait au notaire lorsqu'il a reçu le bailleur le 27 août 2019, de s'assurer immédiatement non seulement de l'identité de son futur locataire et de l'activité qu'il entendait exercer mais également de leur compatibilité avec les clauses du règlement de copropriété. Il considère que les instructions reçues de M. [M] ne dispensaient pas le notaire de veiller dès ce moment à l'efficacité de son acte .

M. [S] fait valoir également que la SCP Chancé Varin & Associés a failli à ses obligations de conseil et d'information, à son égard, en lui remettant les clés avant même la signature du bail qu'elle devait établir et sans l'avoir immédiatement informé de ce que son projet d'activité commerciale risquait d'être conditionné par l'autorisation des copropriétaires de l'immeuble. Il soutient qu'en le laissant prendre possession des lieux sans se soucier de cette question et en se faisant remettre une avance de trois mois de loyers, la SCP Chancé Varin & Associés lui a laissé entendre que le bail commercial pourrait être exécuté sans difficulté alors qu'elle n'en avait pas l'assurance puisqu'elle indique, qu'à cette époque, elle ne disposait pas encore des informations sur les activités commerciales possibles dans le local qui devait être loué.

M. [S] considère donc que les manquements de l'étude notariale ont contribué à l'inefficacité de l'acte qu'elle était chargée de rédiger et à la survenance de ses préjudices en le laissant entamer des démarches inutiles et coûteuses.

Enfin, M. [S] conteste avoir été prévenu de l'impossibilité d'exercer l'activité projetée dans le local qu'il entendait louer que ce soit dès le 12 septembre 2019 ni même dès le 1er octobre 2019 . Il prétend que c'est seulement le 15 octobre 2019, que M. [M] s'est présenté sur les lieux en lui demandant de signer une lettre mentionnant la nécessité de cesser tous travaux, lettre dont il dit s'être aperçu qu'elle avait été antidatée au 1er octobre.

S'agissant de la responsabilité de l'étude notariale, il est acquis aux débats qu'elle n'a jamais rédigé le bail commercial puisqu'il s'est avéré que l'activité de restaurant projetée dans les lieux loués par M. [S] n'était possible que sur autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires et que celle-ci a été refusée aux époux [M] le 10 octobre 2019.

Il convient de rappeler que la SCP Chancé Varin & Associés a été chargée de la rédaction du bail commercial portant sur le local appartenant à M. et Mme [M], situé [Adresse 3] à [Localité 1], le 27 août 2019 et qu'à la demande des propriétaires, elle a remis le 5 septembre 2019, avant la rédaction de l'acte, les clés du local à M. [S], le preneur pressenti, après que celui-ci lui ait remis un chèque d'un montant de 1950 euros au titre d'un dépôt de garantie pour trois mois et une attestation d'assurance, conformément à l'autorisation écrite de M et Mme [M], datée du 28 août 2019, produite aux débats.

Il est constant par ailleurs, que la SCP Chancé Varin & Associés n'a découvert l'existence de la clause du règlement de copropriété soumettant l'activté de restaurant dans les lieux à l'autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires que le 12 septembre 2019 au cours de ses investigations en vue de la rédaction de l'acte soit seize jours après avoir été chargée par les propriétaires de la rédaction du bail commercial.

Ce délai ne peut être considéré comme anormal et constituer à lui seul une faute de la SCP Chancé Varin & Associés. En revanche, le fait de confier les clés du local à M. [S] après réception d'un chèque de dépôt de garantie représentant un loyer de trois mois et donc de permettre l'occupation des lieux par le preneur, avant la rédaction de l'acte, sans se renseigner sur la possibilité d'y exercer l'activité projetée par celui-ci doit être considéré comme un manquement de l'appelante à son obligation d'information et de conseil à l'égard des parties.

S'il est exact que cette obligation du notaire ne s'étend pas aux intentions des parties dont il n'a pas été informé et si la SCP Chancé Varin & Associés soutient qu'elle n'avait pas connaissance à la date de la remise des clés,soit le 5 septembre 2019, de l'activité que le preneur entendait exercer dans les lieux, il est cependant difficile de croire qu'elle ait pu ignorer quelle était l'activité projetée puisque, précisément chargée de la rédaction du bail commercial, elle devait nécessairement mentionner la destination du bail dans l'acte. Mais à supposer que ce fût le cas, elle ne peut néanmoins s'exonérer de sa responsabilité en invoquant son ignorance alors qu'elle a rendu possible l'occupation des lieux avant la rédaction du bail, par la remise des clés à M. [S] le 5 septembre 2019.

En effet, pour garantir l'efficacité et la validité de l'acte qu'il doit instrumenter, il appartient au notaire de rechercher la volonté des parties, de prendre les initiatives nécessaires, et de se renseigner avec précision afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient s'opposer à l'efficacité de cet acte. Toutefois, tenu d'une obligation de moyen, le notaire n'est pas soumis à une obligation d'investigation illimitée, dès lors que son étendue dépend des possibilités effectives de contrôle et de vérification.

En l'occurrence, il ne peut être soutenu que l'examen du règlement de copropriété avant la rédaction du bail commercial était une opération complexe pour une étude notariale. Or, dans la mesure où elle remettait les clés du local à M. [S] avant d'avoir procédé à la rédaction du bail et avant que les parties ne l'aient signé, la SCP Chancé Varin & Associés se devait au moins de mettre celles-ci en garde sur le fait qu'elle ne disposait pas encore de tous les éléments lui permettant de s'assurer de l'efficacité juridique du bail commercial envisagé.

La SCP Chancé Varin & Associés qui n'a pas estimé utile de se livrer à des investigations avant la remise des clés à M. [S] ou de différer cette remise après réunion des renseignements nécessaires, a pris connaissance du règlement de copropriété sept jours après cette remise . Dès connaissance de l'existence de la clause 10 du règlement rendant la demande d'autorisation à l'assemblée générale indispensable à l'ouverture d'un fonds de commerce de cafés, bars, restaurants, pressing, teinturerie, poissoneries, charcuteries, triperies, elle en a informé l'agence immobilière Foncia Normandie, enseigne sous laquelle exerce le Cabinet Mabille .

Or, il est établi par les pièces produites aux débat qu' à la date du 12 septembre 2019, elle était informée de l'activité commerciale envisagée par M. [S]. Il apparaît en effet que par courriel du même jour, se présentant comme 'chargée de la préparation du bail commercial entre M et Mme [M] au profit de M. [S]' elle a indiqué au cabinet Mabille qu'elle constatait dans le règlement de copropriété que 'l'ouverture de fonds de commerce (...) de restaurants (...) ne [pouvait ] être autorisée que par une assemblée générale des copropriétaires statuant à la double majorité sur présentation des garanties nécessaires'.

Si elle justifie également avoir porté cette information à la connaissance de M.et Mme [M] par un courriel du même jour précisant 'il paraît souhaitable de ne pas précipiter la signature du bail et par conséquence celle d'une procuration' et ajoutant 'je vous laisse le soin de nous faire part de vos instructions concernant les points soulevés', elle n'en a pour autant jamais informé directement M. [S] alors qu'elle le savait déjà dans les lieux loués.

Ainsi, si la SCP Chancé Varin & Associés a remis les clés à M. [S] sans être en mesure de l'informer de l'existence de la clause du règlement de copropriété soumettant à autorisation de l'assemblée générale l'activité de restaurant, elle ne l'a pas davantage informé lorsqu'elle en a eu connaissance, manquant ainsi à son obligation d'information et de conseil. Sa faute à l'égard de M. [S] est dès lors caractérisée sans qu'il soit nécessaire d'examiner si celui-ci peut se prévaloir d'éventuels manquements de l'étude notariale à l'égard des époux [M] .

Sur la responsabilité du Cabinet Mabille :

L'agent immobilier est également tenu d'une obligation de renseignement et de conseil non seulement vis à vis de son mandant mais également à l'égard de toute les parties à l'acte conclu par son entremise.

Il résulte du mandat de location sans exclusivité conclu entre les époux [M] et le Cabinet Mabille, produit aux débats, que le 14 février 2019, les premiers ont donné au second, mandat de louer un local commercial et une cave dont ils sont propriétaires au rez-de-chaussée de l'immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 1] pour usage de profession libérale ou commerciale contre rémunération égale à 15 % TTC du loyer annuel à la charge du locataire pour une période d'un an.

Le Cabinet Mabille qui a formé appel incident, reproche au premier juge d'avoir d'une part, souligné qu'étant syndic de copropriété, il ne pouvait ignorer la clause 10 du règlement de copropriété et d'autre part, retenu qu'il avait commis une faute contractuelle à l'égard de M. [M] en n'effectuant pas les vérifications préalables à la location du local et une faute délictuelle à l'égard de M. [S] en omettant de signaler la nécessité d'obtenir une autorisation préalable des copropriétaires et donc l'incompatibilité éventuelle des locaux loués avec son activité de restauration.

Il fait valoir qu'il n'avait mandat que de constituer le dossier d'un candidat preneur pour le transmettre à l'étude notariée auquel il appartenait d'établir le bail. Il expose être étranger à toute remise des clés du local avant la signature du bail, et que la difficulté résultant de cette remise de clés, est de la seule responsabilité du notaire .

M. [S] soutient de son côté, que le Cabinet Mabille ne s'est pas acquitté correctement de sa mission puisqu'il ne s'est pas soucié de la faisabilité du projet de location alors qu'il connaissait l'ensemble des détails de son projet et notamment l'activité commerciale projetée dans les lieux. Il fait valoir qu'il avait en effet, remis à l'agence immobilière un budget prévisionnel et précisé le matériel nécessaire à cette activité. Il souligne, en outre, la qualité de syndic de copropriété de l'immeuble du Cabinet Mabille lui permettant d'être parfaitement informé des conditions d'occupation des lieux et notamment du local commercial du rez-de-chaussée de l'immeuble. M. [S] considère donc que le Cabinet Mabille aurait dû l'avertir de ce que l'exercice d'une activité de restauration dans le local était soumis à l'autorisation discrétionnaire de l'assemblée générale de la copropriété et ne pas émettre de facture avant de s'assurer que le bail était régularisable.

Il apparaît en effet, qu'en s'abstenant de porter à la connaissance du candidat preneur, la nécessité de soumettre à l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires l'exercice de l'activité de restaurant qu'il envisageait d'exercer dans les lieux, le Cabinet Mabille, qui ne conteste pas avoir eu connaissance de la clause 10 du règlement de copropriété, a manqué à son obligation d'information à l'égard du preneur pressenti.

Sur les préjudices de M. [S] :

Il n'est pas contesté que M. [S], dès la remise des clés, a procédé à des travaux dans les lieux en vue de son activité de restaurant et qu'il les a poursuivis jusqu'au 1er octobre 2019.

Considérant que le manque de diligences de l'agence immobilière et l'imprudence du notaire à remettre les clés du local avant toute vérification étaient à l'origine du préjudice subi par M. [S] en lui laissant penser qu'il était en droit d'effectuer les démarches afférentes au local de façon pérenne, le premier juge a condamné in solidum le Cabinet Mabille et la SCP Chancé Varin & Associés à payer à M. [S] les sommes suivantes :

- 20, 59 euros au titre des frais d'assurance,

- 88,17 euros en remboursement des frais d'électricité,

- 8 800 euros au titre des travaux facturés,

- 2 000 euros au titre de son préjudice moral.

Le Cabinet Mabille et la SCP Chancé Varin & Associés demandent l'infirmation du jugement sur ces condamnations, quand bien même leur responsabilité serait retenue, au motif qu'en procédant à des travaux dans les lieux avant la signature du bail et avant de disposer valablement de ses droits de locataire, M. [S] est responsable de son propre préjudice.

La SCP Chancé Varin & Associés fait ainsi valoir que c'est à ses risques et périls que M. [S] a choisi de démarrer les travaux dès que possible et de souscrire différents contrats. Elle soutient,en outre, qu'il n'est pas établi que, valablement informé de la nécessité d'avoir une autorisation de l'assemblée générale pour exercer l'activité de restaurant, M. [S] aurait cessé d'emménager dans les lieux puisqu'il a poursuivi les travaux jusqu'au 1er octobre 2019 alors que le bailleur lui a appris dès le 12 septembre 2019, l'existence de la clause insérée au règlement de copropriété.

Le Cabinet Mabille qui rappelle qu'il a renoncé à ses honoraires, considère quant à lui, que M. [S] n'avait aucun droit sur l'immeuble dont il a pris possession et que ce n'est que de son fait s'il a engagé des travaux en pure perte. Il soutient que tout au plus, son préjudice ne peut que consister en une perte de chance .

M. [S] fait valoir, en réponse, que le notaire s'est abstenu de le joindre lorsqu'il a eu connaissance de la clause 10 du règlement de copropriété et conteste avoir été informé le 12 septembre 2019 par M. [M] de la nécessité de soumettre l'exercice d'un commerce de restaurant à l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires contrairement à ce que celui-ci atteste pour le compte de la SCP Chancé Varin & Associés. Il souligne avoir d'ailleurs mentionné sur le courrier du 15 octobre 2019, l'informant du refus de l'assemblée générale, qu'il avait poursuivi les travaux jusqu'au 1er octobre avec l'accord de M. [M]. Il en veut pour preuve la tentative de M. [M] de dater ce courrier du 1er octobre et non du 15 .

M. [S] sollicite la confirmation du jugement mais seulement en ce que la SCP Chancé Varin & Associés et le Cabinet Mabille ont été condamnés au paiement in solidum de la somme de 8 800 euros au titre des travaux facturés et au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Critiquant le montant des sommes allouées au titre des autres préjudices il demande à la cour d'ajouter au jugement en fixant ses préjudices à la somme de 41,18 euros en remboursement des frais d'assurance, à la somme de 139,02 euros en remboursement de ses frais d'électricité et à la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier sans toutefois demander l'infirmation du jugement sur ces points.

Or, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile, que lorsque l'appelant ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions l'infirmation des chefs du dispositif dont il recherche l'anéantissement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement

Cependant, la cour estime que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'ensemble des préjudices, dont M. [S] demandait réparation, découlait directement et certainement des manquements du Cabinet Mabille et de la SCP Chancé Varin & Associés. L'agence immobilière et l'étude notariale ne sont pas responsables des dépenses faites en pure perte par M. [S] dans les lieux . C'est en effet , par choix, alors qu'il n'était pas encore titulaire d'un droit au bail, que M. [S] a décidé d'entreprendre des travaux et de souscrire un contrat d'abonnement en électricité et un contrat d'assurance. Il n'est pas établi ni même allégué que le Cabinet Mabille ou la SCP Chancé Varin & Associés aient été informées de l'intention du preneur d'entreprendre des travaux de transformation des lieux dès la remise des clés. Par ailleurs, c'est le refus de l'assemblée générale des copropriétaires d'autoriser dans le local l'activité de restaurant qui a fait que ces dépenses avaient été exposées en vain.

Le seul préjudice résultant des manquements de l'agence immobilière et de l'étude notariale à leur obligation d'information ne peut que consister en la perte d'une chance dont M. [S] pourrait obtenir indemnisation en rapportant la preuve que mieux informé, il aurait renoncé à louer le local commercial ou aurait été en mesure d'attendre la décision de l'assemblée générale des copropriétaires et de différer son entrée dans les lieux.

Or, il ne peut qu'être constaté qu'en tout état de cause, M. [S] ne sollicite pas la réparation d'un tel préjudice. Les demandes d'indemnisation qu'il forme ne tendent qu'à voir le Cabinet Mabille et la SCP Chancé Varin & Associés supporter les conséquences de sa précipitation à modifier les lieux et du refus de l'assemblée générale des copropriétaires à autoriser l'activité de restaurant. Elles ne peuvent en conséquence prospérer. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et M. [S] débouté de l'ensemble de ses demandes.

Sur les demandes accessoires :

M. [S] qui succombe en ses demandes, supportera la charge des entiers dépens de première instance comme d'appel.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lisieux,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [W] [S] de l'ensemble de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [W] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET Hélène BARTHE-NARI

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