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Décisions

CA Angers, ch. civ. A, 1 avril 2025, n° 19/02291

ANGERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

MMA IARD Assurances Mutuelles (SA), MMA IARD (SA)

Défendeur :

L'artisan Menuisier (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Muller

Vice-président :

Mme Elyahyioui

Conseiller :

M. Wolff

Avocats :

Me Barbereau, Me Range, Me Vacher, Me Hugel, Me Thomas

TGI Angers, du 21 oct. 2019, n° 15/02475

21 octobre 2019

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Aux termes d'un devis en date du 3 août 2011, M. [I] [G] et Mme [C] [P] épouse [G] ont, moyennant le prix de 35 128,06 euros TTC, confié à la société L'Artisan Menuisier (la société), entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les MMA), les « Fourniture et pose de [26] menuiseries PASQUET au [Adresse 8] - [Localité 2] », où ils procédaient eux-mêmes à la rénovation, aux fins d'habitation, d'un immeuble acquis huit ans plus tôt en 2003, tout en habitant une maison à [Localité 10].

Ces travaux de menuiserie ont été achevés en juin 2013.

Se fondant notamment sur un rapport d'expertise amiable du 27 novembre 2013 dénonçant entre autres « des ouvrages ['] surtout fuyards », M. et Mme [G] ont obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance d'Angers qu'un expert soit désigné par ordonnance du 13 mars 2014. Celui-ci a établi son rapport le 13 mars 2015.

M. et Mme [G] ont ensuite fait assigner la société et les MMA devant le même tribunal par actes d'huissier de justice des 10 et 13 août 2015.

Par jugement du 21 octobre 2019, le tribunal, écartant la garantie décennale mais retenant la responsabilité contractuelle de droit commun de la société, a :

Condamné in solidum la société et les MMA à verser à M. et Mme [G] la somme de 40 200 euros TTC au titre des travaux de réfection, avec indexation suivant l'indice BT01 au jour de la décision, l'indice de base étant celui du mois de mars 2015 ;

Débouté M. et Mme [G] de leur demande en paiement des intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2013 ;

Débouté M. et Mme [G] de leur demande de capitalisation des intérêts ;

Débouté M. et Mme [G] de leur demande en paiement de la somme de 5218,91 euros relative à la TVA ;

Débouté M. et Mme [G] de leur demande en paiement au titre des loyers ;

Débouté M. et Mme [G] de leur demande relative au trouble de jouissance ;

Débouté la société de ses demandes relatives à la responsabilité de M. et Mme [G] ;

Débouté les MMA de leur demande en paiement de frais irrépétibles ;

Condamné in solidum la société et les MMA à verser à M. et Mme [G] la somme de 6000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné in solidum la société et les MMA aux dépens comprenant ceux relatifs à la procédure de référé-expertise et les frais d'expertise judiciaire ;

Débouté les parties de leurs autres demandes.

Par déclaration du 26 novembre 2019 intimant l'ensemble des autres parties, les MMA ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

Condamné in solidum la société et les MMA à verser à M. et Mme [G] la somme de 40 200 euros TTC au titre des travaux de réfection, avec indexation suivant l'indice BT01 au jour de la décision, l'indice de base étant celui du mois de mars 2015 ;

Débouté la société de ses demandes relatives à la responsabilité de M. et Mme [G] ;

Débouté les MMA de leur demande en paiement de frais irrépétibles ;

Condamné in solidum la société et les MMA à verser à M. et Mme [G] la somme de 6000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné in solidum la société et les MMA aux dépens comprenant ceux relatifs à la procédure de référé-expertise et les frais d'expertise judiciaire ;

Débouté les parties de leurs autres demandes.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 13 septembre 2023.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 juin 2020, les MMA demandent à la cour :

D'infirmer le jugement ;

De débouter M. et Mme [G] et la société de leurs demandes dirigées contre elles ;

De condamner in solidum M. et Mme [G] à leur verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

De condamner in solidum M. et Mme [G] aux dépens avec application de l'article 699 du même code.

Les MMA soutiennent que :

Aucun élément n'a été produit pour fixer la date de réception des ouvrages de menuiserie litigieux. Aucune date certaine de réception n'est acquise au dossier. En outre, aucun élément ne permet d'envisager une réception tacite. Il ressort des propres déclarations de M. et Mme [G] que les ouvrages de la société ont donné lieu à plusieurs rendez-vous amiables. Ce n'est qu'après l'échec de ces discussions qu'ils ont pris l'initiative de mandater un expert. Il en ressort qu'ils ont indiscutablement manifesté la volonté de ne pas accepter les ouvrages de la société.

Dans le cas où la cour retiendrait l'existence d'une réception, M. et Mme [G] indiquent eux-mêmes avoir relevé des anomalies affectant les menuiseries litigieuses au cours du chantier. Il s'agit donc de désordres connus au moment de la réception. À cet égard, le rapport d'expertise amiable fait état de ce que l'expert a pu constater les désordres dès le 28 août 2013, et de ce qu'avant que celui-ci ne soit mandaté, plusieurs rendez-vous amiables avaient été organisés sans qu'aucune solution n'ait été trouvée.

Elles sont bien fondées à opposer leur non-garantie au titre de l'assurance responsabilité civile de l'entreprise et de l'assurance des dommages survenus avant la réception.

Subsidiairement, il apparaît que le maître de l'ouvrage s'est comporté en maître de l'opération de rénovation. M. [G] est un professionnel du bâtiment, étant couvreur. Il ressort des indications de la société que le maître de l'ouvrage a réalisé lui-même certains ouvrages destinés à la pose des menuiseries. Une part de responsabilité dans le sinistre devra en conséquence être laissée à sa charge.

Les demandes financières de M. et Mme [G] sont contestables. Le taux de TVA applicable aux reprises n'est pas de 20 % mais bien de 10 %. Les préconisations de l'expert judiciaire ne semblent pas quant à elles à l'abri de toute critique. En outre, M. et Mme [G] intègrent des frais de maîtrise d''uvre alors que l'ensemble de leur projet de rénovation a été réalisé sans l'intervention d'un maître d''uvre professionnel. Faire droit à cette demande serait faire droit un enrichissement sans cause. S'agissant de la perte locative alléguée par M. et Mme [G], elle est en contradiction avec les indications de leur expert qui a précisé qu'il s'agissait leur immeuble d'habitation principale. M. et Mme [G] n'explicitent pas en outre quelles dispositions légales auraient permis au premier juge de fixer le point de départ des intérêts au taux légal à compter d'une mise en demeure ou de l'assignation. En ce qui concerne la demande faite au titre de la perte de loyers et du trouble de jouissance, M. et Mme [G] ne rapportent pas la moindre preuve de ce que l'immeuble ne serait pas à ce jour habitable. Selon leurs propres déclarations, ils y habitent avec leurs cinq enfants depuis le 1er août 2018.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 mars 2021, M. et Mme [G] demandent à la cour :

De réformer le jugement en ses dispositions faisant grief ;

De dire et juger les désordres de nature décennale ;

De condamner in solidum la société et les MMA à leur verser la somme de 40 200 euros TTC avec indexation en fonction de l'indice BT01, le premier étant celui en vigueur en date du 13 mars 2015, date du rapport d'expertise judiciaire, et le second à la date de l'arrêt à intervenir, outre les intérêts au taux légal à compter du 13 août 2015, date de l'assignation, avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an ;

De condamner in solidum la société et les MMA à leur verser la somme de 5218,91 euros au titre de la TVA, outre les intérêts au taux légal à compter du 13 août 2015 avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an ;

De condamner in solidum la société et les MMA à leur verser la somme de 48 000 euros au titre des loyers non perçus, outre les intérêts au taux légal à compter du 13 août 2015 avec capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an ;

De condamner in solidum la société et les MMA à leur verser la somme de 3000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

De condamner in solidum la société et les MMA à leur verser la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens de l'appel.

M. et Mme [G] soutiennent que :

Il n'est ni contesté ni contestable qu'ils ont réglé intégralement les factures de la société, démontrant ainsi sans équivoque leur acceptation des travaux, lesquels ont été intégralement réalisés. En outre, il ressort du rapport d'expertise amiable que lors de l'intervention de l'expert, le lot plâtrerie-cloisons avait démarré, confirmant la prise de possession des menuiseries par le maître de l'ouvrage. La cour ne pourra donc que confirmer l'existence d'une réception tacite en date du 21 juin 2013, date de paiement de la dernière facture.

C'est au cours des travaux réalisés postérieurement à la pose des menuiseries qu'ils ont constaté l'existence de certains désordres et malfaçons qui n'étaient pas visibles auparavant. L'expert judiciaire a dû démonter certaines parties des menuiseries pour constater ces désordres. M. [G] n'a pu observer certains défauts que lorsqu'il a commencé à procéder à l'habillage et au bardage des portes et fenêtres. Si cela est arrivé rapidement après la fin des travaux de la société, cela ne signifie nullement que les défauts et surtout leur ampleur étaient apparents à la réception. Ils n'ont jamais adressé la moindre réclamation à la société avant la fin des travaux.

Subsidiairement, l'application des garanties de l'assureur concernant la responsabilité contractuelle de la société devrait être confirmée.

Aucune faute de leur part n'a été mise en avant par l'expert judiciaire. Il appartient à l'entrepreneur de prouver la prétendue faute, ce qu'il ne fait pas.

Le taux de TVA réduit de 10 % est applicable aux travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement ou d'entretien portant sur des locaux achevés depuis plus de deux ans au début des travaux. Tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant de travaux de réfection totale des menuiseries. L'expert judiciaire a confirmé que la nature des travaux de reprise nécessitait une maîtrise d''uvre. Le principe de la réparation intégrale justifie que les frais correspondants soient pris en compte. Au regard de l'ancienneté de l'affaire, le point de départ des intérêts ne pourra être postérieur à la date de l'assignation au fond. Enfin, tant que les menuiseries ne sont pas reprises, ils ne peuvent occuper l'immeuble. Ils ont toutefois été contraints d'emménager dans celui-ci au cours du mois d'août 2018, compte tenu des frais trop importants qu'ils supportaient. Ainsi, non seulement ils n'ont pu entrer dans l'immeuble dans les délais initialement prévus, mais depuis leur entrée dans ce dernier, ils subissent les problèmes d'humidité et d'infiltrations d'air et d'eau. Leur préjudice équivaut à la valeur locative de l'immeuble de [Localité 10] qu'ils auraient dû remettre en location dès le 1er août 2014. Ils subissent désormais un préjudice de jouissance.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 juin 2020, la société demande à la cour :

De confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que les MMA devaient la garantir ;

De dire et juger que cette garantie ressort de la garantie décennale ;

De dire et juger que M. et Mme [G] ont participé à leur dommage et de réduire leur droit à indemnisation ;

De réduire le quantum de la condamnation au titre des travaux à la somme de 8698,8 euros TTC ;

De confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes annexes au titre des frais de maîtrise d''uvre, du préjudice immatériel ;

De débouter les MMA de leur demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de statuer ce que de droit quant aux dépens.

La société soutient que :

Toutes les factures ont été payées et, en juin 2013, M. [G] a pu poursuivre son chantier et procéder à l'habillage et au bardage des portes et fenêtres. C'est donc à juste titre que l'expert judiciaire a considéré que juin 2013 pouvait être retenu comme date de réception du chantier.

Le paiement intégral et sans réserve fait à chaque fin de tranche montre que le maître de l'ouvrage ne formulait alors aucune réserve et n'avait connaissance d'aucune difficulté. C'est en voulant procéder à l'habillage des fenêtres qu'il a constaté que cela n'était pas possible et que les dimensions étaient inadaptées pour assurer l'étanchéité. Les désordres n'étaient donc pas apparents lors de la réception.

Il était convenu que M. [G], qui s'est comporté comme un entrepreneur ou un maître d''uvre, réaliserait les appuis maçonnés, les tableaux et rejingots ainsi que les bandes de redressement préalables à la pose, conformément aux plans et préconisations fournis par le fabricant des menuiseries. Dès lors que le maître de l'ouvrage s'est comporté comme une entreprise, comme un constructeur de l'ouvrage, il doit endosser la responsabilité qui lui est propre et qui en l'espèce caractérise une faute. Le fait générateur des désordres est lié aux dimensions des réservations mais l'on peut admettre qu'elle-même aurait dû exiger avant la pose la modification des ouvertures (sic). La faute commise par M. et Mme [G] sera de nature à l'exonérer très largement, à concurrence au moins des trois quarts des désordres. Les photographies versées aux débats montrent que M. [G] a terminé le chantier de restauration de sa maison, qu'il a adapté la maçonnerie aux fenêtres, et qu'il ne peut désormais être question de changer les menuiseries.

L'immeuble d'habitation ne peut justifier qu'une TVA à 10 %. En outre, les photographies montrent que les travaux de menuiserie et de maçonnerie sont terminés. Certaines fenêtres n'ont pas à être remplacées dès lors qu'à moindre coût le remplacement des dormants peut être envisagé. M. et Mme [G] ne peuvent se prévaloir d'un préjudice matériel lié au changement des fenêtres. Les fenêtres et portes n'ayant pas été changées, M. et Mme [G] ne sauraient en demander le paiement. De la même manière, les travaux de reprise du doublage intérieur du mur de façade ne sont pas dus puisqu'ils n'ont pas été entrepris et qu'ils ne le seront pas. Le point de départ des intérêts sera fixé à la date du jugement. La capitalisation, qui n'est possible que si ces intérêts sont dus depuis au moins un an, n'a pas vocation à s'appliquer puisqu'en l'espèce les causes du jugement de condamnation ont été immédiatement réglées. Le poste chiffré à 48 000 euros au titre de la perte de loyers est injustifié.

MOTIVATION

Sur les désordres

La somme de 40 200 euros TTC réclamée par M. et Mme [G] et accordée par le tribunal au titre des travaux de réparation correspond à l'évaluation, faite par l'expert :

Du remplacement de 13 portes ou fenêtres mal dimensionnées (repères nos 6, 9, 10, 10 bis, 11, 12, 19, 20, 21, 23, 26, 27 et 29) ;

De la dépose et de la repose, après mise en 'uvre d'appuis de fenêtre et adaptation de la réservation aux fenêtres existantes, de 4 fenêtres installées sur des supports inadaptés (repères nos 15, 16, 17 et 18) ;

De la dépose et de la repose de 4 fenêtres posées sur des réservations de dimensions différentes (repères nos 1, 2, 4 et 5).

À chaque fois, l'expert a considéré que l'étanchéité à l'air et à l'eau n'était pas assurée et a justifié sa position par ce défaut. Les dommages litigieux sont donc constitués par ce défaut d'étanchéité, d'ailleurs dénoncé dès l'expertise amiable dont le rapport évoque des « infiltrations en cas de pluie ».

2. Sur la garantie décennale

Selon l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

En l'espèce, ni le fait qu'un ouvrage soit en cause ni la qualité de constructeur de la société ne sont discutés. Les travaux de menuiserie litigieux ne constituent à cet égard qu'un lot d'un chantier de rénovation beaucoup plus vaste qui, au regard des explications fournies et des pièces produites, est assimilable à la construction d'un ouvrage.

Néanmoins, la garantie décennale n'est due qu'à compter de la réception de l'ouvrage.

2.1. Sur la réception

Aux termes de l'article 1792-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

Une réception partielle par lots est possible.

La réception peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux est caractérisée.

La prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux font présumer cette volonté. Cette présomption, simple, peut être renversée.

En l'espèce, il est constant ' les MMA ne le contestent pas ' que les travaux litigieux ont été achevés en juin 2013 et qu'ils ont été alors intégralement payés. Il ressort en outre du rapport d'expertise amiable produit par M. et Mme [G] que la réalisation du lot plâtrerie-isolation a ensuite démarré, ce que confirment les photographies figurant dans le rapport d'expertise judiciaire, où l'on voit des rails, de la laine de verre et des plaques de plâtre posés en périphérie des menuiseries. Cela caractérise la prise de possession de ces dernières. Cette prise de possession conjuguée au paiement du prix fait présumer la réception tacite du lot confié à la société.

Or aucun élément ne vient renverser cette présomption.

Il résulte en effet d'une lecture attentive du rapport d'expertise amiable invoqué par les MMA que ce n'est qu'« à la suite de ces interventions », à savoir la réalisation des trois tranches de travaux litigieuses, achevées en juin 2013, que « plusieurs rendez-vous amiables » ont eu lieu, et il se déduit de ces éléments et du reste du rapport que ce n'est qu'ensuite que l'expert, qui ne s'est rendu sur place que le 28 août 2023, a été mandaté. Contrairement à ce que les MMA font valoir, cela ne vient donc pas contredire une réception des travaux en juin 2013.

Le tribunal doit en conséquence être approuvé en ce qu'il a considéré que la réception tacite des travaux était intervenue en juin 2013.

2.2. Sur l'apparence des dommages au moment de la réception

Pour considérer que les dommages litigieux étaient apparus avant la réception des travaux, et écarter la garantie décennale de la société, le tribunal a retenu que le rapport d'expertise amiable précité précisait, page 5, que M. et Mme [G] avaient fait part des désordres au fur et à mesure du chantier, et que cela était repris dans leur assignation.

Néanmoins, si l'expert indique effectivement en haut de la page 5 de son rapport que sa « cliente, immédiatement et au fur et à mesure de l'avancement du chantier, [a] fait part des problèmes de désordres, voire d'infiltrations en cas de pluie », il précise que cela s'est passé « à la suite de ces interventions ». Or l'expression « ces interventions » fait référence aux travaux, évoqués juste avant en bas de la page 4, qui ont été réalisés par la société de décembre 2012 à juin 2013. Ainsi, tout ce qu'indique l'expert, c'est qu'à la suite de l'achèvement de ces travaux en juin 2013, et au fur et à mesure que le chantier, qui concernait désormais le lot plâtrerie-isolation, s'est poursuivi, des désordres ont été constatés et immédiatement dénoncés. On ne peut donc en déduire que ces désordres se sont révélés avant la réception.

À cet égard, il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le défaut d'étanchéité à l'air et à l'eau des menuiseries, qui constitue le dommage litigieux, est dû :

Soit à l'absence sous une barre de seuil d'une bande de mousse pré comprimée entre la pièce d'appui de la menuiserie et le rejingot ;

Soit à la mise en 'uvre, à la jonction de la menuiserie et du support, d'un joint en silicone ou d'une mousse expansive masquant l'écart et ne correspondant pas aux préconisations du DTU (qui exige un mastic extrudé ou une bande de mousse) ;

Soit à la mise en 'uvre d'une bande de mousse ne permettant pas d'assurer l'étanchéité.

Il en résulte que les dommages étaient doublement cachés au moment de la réception. S'agissant d'un défaut d'étanchéité à l'air et à l'eau d'une maison en cours de rénovation et non encore isolée et habitée, ils ne pouvaient se révéler qu'à l'usage, une fois l'ensemble des menuiseries posées, et dans certaines conditions atmosphériques. En outre, ils étaient masqués par les procédés de jointement mis en 'uvre par la société et, à tout le moins, ces procédés pouvaient paraître satisfaisants à des non-professionnels de la menuiserie, tels que M. et Mme [G], ignorant les normes techniques applicables.

Il convient donc de retenir, contrairement à ce que le tribunal a fait, que les dommages litigieux n'étaient pas apparents au moment de la réception.

2.3. Sur la nature des dommages

L'expert a systématiquement retenu, pour toutes les menuiseries concernées, que « les désordres constatés [étaient] de nature à les rendre impropres à l'usage auquel elles [étaient] destinées : l'étanchéité à l'eau et à l'air n'est pas assurée ». Cela n'est pas contesté et il doit donc être considéré que les dommages litigieux, affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, et est par conséquent de nature décennale.

2.4. Sur les responsabilités

Si la société affirme que « le fait générateur des désordres est lié aux dimensions des réservations », cela ne ressort pas des débats. L'expert judiciaire, dont « il n'est pas question de remettre en cause les constats » selon la société elle-même, et dont aucune pièce ne contredit l'analyse, met exclusivement en cause, soit les « menuiseries mal dimensionnées », en soulignant que « les ouvertures étaient déjà existantes avant la consultation de L'ARTISAN MENUISIER », que « les dimensions des fenêtres à fabriquer devaient s'adapter à ces dimensions », et que « les dimensions ont été prises par l'entreprise en présence du fournisseur et du Maître de l'ouvrage », soit « un défaut d'exécution dans la mise en 'uvre de la fenêtre par L'ARTISAN MENUISIER », avec une « pièce d'appui bois [qui] ne permet pas de poser des menuiseries conformément à la norme NF DTU 36.5 ».

Les MMA se contentent quant à elles d'affirmer la responsabilité de M. [G] au motif qu'il « a réalisé lui-même certains ouvrages destinés à la pose des menuiseries », sans évoquer la moindre faute de l'intéressé.

Enfin, même si elle n'est pas expressément invoquée, aucune immixtion fautive de M. [G] ne peut être retenue, aucune pièce ne venant établir que celui-ci se serait immiscé dans les travaux de menuiserie réalisés par la société.

La responsabilité de M. et Mme [G], telle qu'elle est invoquée par la société et les MMA, doit donc être écartée, seule la responsabilité de plein droit de la société étant engagée. Les MMA, qui admettent elles-mêmes que les conventions spéciales de la police d'assurance, et notamment leur article 3, prévoient la responsabilité civile décennale, devront leur garantie.

2.5. Sur les préjudices

Le principe de la réparation intégrale n'implique pas de contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation.

À cet égard, l'expert judiciaire n'a pas préconisé le remplacement de toutes les menuiseries, mais pris la peine de distinguer les situations où un tel remplacement était nécessaire de celles où les fenêtres existantes pouvaient être conservées. Si les MMA font valoir qu'« il pourrait être proposé, à moindre coût, de compléter les dormants par des tapées ou de recharger les réservations des menuiseries afin de résoudre les potentiels défauts d'étanchéité », de même que la société affirme que « certaines fenêtres n'ont pas à être remplacées dès lors qu'à moindre coût le remplacement des dormants peut être envisagé », elles ne fournissent aucune analyse technique détaillée ni aucune pièce susceptibles de remettre en cause, menuiserie par menuiserie, les conclusions de l'expert, y compris en ce que celui-ci retient dans son chiffrage le remplacement des portes du bureau, dont il a relevé notamment qu'elles n'assuraient pas l'étanchéité à l'air et à l'eau.

En outre, l'expert judiciaire a considéré que « la nature des interventions de reprise [rendait] nécessaire l'intervention d'un maître d''uvre ». Cette nécessité n'est, d'un point de vue technique, pas discutée par les parties. Certes, M. et Mme [G] n'avaient pas fait appel auparavant à un tel maître d''uvre. Il n'est pas allégué néanmoins, ni même établi, qu'ils auraient dû le faire. Et le principe de la réparation intégrale oblige à indemniser toutes les conséquences des dommages qu'ils subissent, y compris, dès lors que la réparation de ces dommages la rend désormais nécessaire, l'intervention d'un maître d''uvre, comme le tribunal l'a justement décidé.

La réparation des dommages litigieux doit donc bien être fixée à la somme, telle qu'évaluée par l'expert judiciaire, de 33 500 euros HT.

S'agissant du taux de TVA applicable, l'expert ne s'est pas prononcé, contrairement à ce que M. et Mme [G] indiquent. Il s'est contenté d'évaluer le coût des travaux de réparation HT. Or M. et Mme [G] exposent eux-mêmes que « le taux réduit de 10 % ['] est applicable ['] aux travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement ou d'entretien portant sur des locaux achevés depuis plus de deux ans au début des travaux ». Tel est le cas des locaux litigieux. Les factures de la société qu'ils produisent appliquaient d'ailleurs déjà un taux réduit (de 7% à l'époque), et ils continuent de demander que la société et les MMA soient condamnées à leur verser la somme de 5218,91 euros au titre de la TVA, somme qui correspond, selon le rapport d'expertise judiciaire, au surcoût, invoqué par leur avocat dans son dire n° 2 et lié au passage du taux de cette TVA de 7 à 10 % au 1er janvier 2014, des travaux d'enduit, de chauffage et de carrelage.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a, sans l'expliciter ' mais cela ne semblait alors pas discuté ', appliqué un taux de TVA de 20 %, et la société et les MMA ne seront condamnées in solidum qu'à verser la somme de 36 850 euros (33 500 euros + 10 %).

L'indexation prononcée par le tribunal, qui n'est pas contestée, sera reprise et effectuée au jour de la présente décision.

Selon l'article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

En application de ces dispositions, auxquelles il n'y a pas lieu de déroger, la condamnation emportera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. et Mme [G] tendant à ce que ces intérêts courent à compter du 20 décembre 2013.

La capitalisation des intérêts, qui est de droit dès lors qu'elle est demandée, sera ordonnée. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Pour le reste, il n'est absolument pas établi que la maison dans laquelle M. et Mme [G] vivaient auparavant à [Localité 10] devait être louée après leur emménagement dans l'immeuble litigieux. Une simple estimation de son prix de vente et de sa valeur locative, faite en 2003 par un notaire, est insuffisante pour cela. En outre, force est de constater que six ans après leur déménagement en août 2018, M. et Mme [G] ne produisent aucune preuve d'une telle location. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté leur demande indemnitaire faite au titre des loyers.

Il le sera également en ce qu'il a rejeté l'indemnisation d'un trouble de jouissance. En effet, il est constant qu'au moment où les dommages sont survenus, M. et Mme [G] vivaient dans une autre maison, qu'ils étaient propriétaires de celle litigieuse depuis 10 ans, et qu'ils procédaient depuis tout ce temps à sa rénovation progressive. Aucune des pièces versées aux débats ne permet de retenir que cette rénovation, extrêmement longue, devait prendre fin à un moment déterminé et proche des travaux en cause. Enfin, il n'est justifié d'aucun dommage depuis l'expertise judiciaire, qui a lieu en 2015, et en particulier depuis que M. et Mme [G] ont emménagé dans leur nouvelle maison en 2018.

Enfin, M. et Mme [G] ne motivant pas leur demande de dommages et intérêts faite à hauteur de 5218,91 euros au titre de la TVA, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

3. Sur les frais du procès

Les MMA et la société perdant définitivement procès à titre principal, le jugement sera confirmé en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles. Les MMA seront également condamnés in solidum aux dépens d'appel et à verser à M. et Mme [G] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes faites au titre des dépens et des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

Condamné in solidum la société L'Artisan Menuisier, la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles à verser à M. [I] [G] et Mme [C] [P] épouse [G] la somme de 40 200 euros TTC au titre des travaux de réfection, avec indexation suivant l'indice BT01 au jour de la présente décision, l'indice de base étant celui du mois de mars 2015 ;

Débouté M. [I] [G] et Mme [C] [P] épouse [G] de leur demande de capitalisation des intérêts ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne in solidum la société L'Artisan Menuisier, la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles à verser à M. [I] [G] et Mme [C] [P] épouse [G] la somme de 36 850 euros TTC au titre des travaux de réparation, avec indexation sur l'indice du bâtiment BT01 tous corps d'état au jour du présent arrêt, l'indice de base étant celui du mois de mars 2015, et avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt ;

Condamne in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne in solidum la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles à verser à M. [I] [G] et Mme [C] [P] épouse [G] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes des parties.

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