CA Douai, 1re ch. sect. 2, 3 avril 2025, n° 24/00077
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Farmadosis SL (Sté)
Défendeur :
Medical Loca-Services (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Courteille
Conseillers :
Mme Galliot, Mme Van Goetsenhoven
Avocats :
Me Levasseur, Me Monnot, Me Birchen, Me Laurent, Me Kim
EXPOSE DU LITIGE
La société Medical Loca Services exerçant sous l'appellation commerciale « Robotique Technology » est spécialisée dans la vente, en France et à l'international, de matériel médical et paramédical, de produit non soumis au monopole pharmaceutique, de produit dermato cosmétique, de matériel et consommables médicaux, la vente et la location de matériel et logiciels informatiques, la formation et l'audit médical.
Par un contrat de travail du 5 octobre 2012, la société Medical Loca Services a embauché M. [I] [J] en qualité d'employé Technico-Commercial.
Au mois de mars 2014, M. [I] [J] a été promu en qualité de manager technique.
Par courrier recommandé reçu le 28 décembre 2022, M. [J] a remis sa démission à la société Medical Loca Services qui l'a autorisé à ne pas effectuer son mois de préavis.
M. [I] [J] a quitté ses fonctions le 13 janvier 2022 après remise de son solde de tout compte.
La société Farmadosis SL est une société concurrente de la société Medical Loca Services, spécialisée dans la section d'activité de commerce de gros d'ordinateurs, d'équipements informatiques périphériques et de logiciels principalement la commercialisation de logiciels et matériels de système d'automatisation de pharmacie et de matériels robotiques.
Reprochant à M. [I] [J] d'avoir communiqué des informations confidentielles à la société Farmadosis SL, la société Medical Loca Service a, par requête du 14 février 2023, saisi le président du tribunal judiciaire de Douai sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile afin que soit diligentée une mesure d'instruction à l'encontre de M. [I] [J] aux fins de constat et de saisie.
Par une ordonnance du 28 février 2023, le président du tribunal judiciaire de Douai a commis Me [B] [W], commissaire de justice, à cette fin.
Le 5 avril 2023, cette ordonnance a été exécutée au domicile de M. [J] avec l'assistance d'un expert informatique et le concours de la force publique. Un procès-verbal de constat a été établi ce jour-même.
M. [I] [J] et la société Farmadosis SL ont créé une société dénommée Farmadosis France qui a été enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Douai le 3 mai 2023. M. [J] exerce les fonctions de président de la société Farmadosis France.
Par acte d'huissier du 19 juin 2023, la société Medical Loca Service a assigné M. [I] [J] devant le juge des référés aux fins d'ordonner la mainlevée du séquestre et de se voir remettre les pièces saisies dans le cadre de l'ordonnance du 28 février 2023.
Par ordonnance du 23 décembre 2023 (RG n°23/00107), le juge des référés du tribunal judiciaire de Douai a :
Débouté M. [I] [J] de son exception de nullité de l'assignation délivrée le 19 juin 2023,
Ordonné la réouverture des débats.
Par acte d'huissier du 30 juin 2023, M. [I] [J] et la société Farmadosis SL ont assigné la société Medical Loca Services devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Douai aux fins de :
In limine litis, sur l'exception de nullité :
Déclarer la société M. [I] [J] et la société Farmadosis SL recevables en leur exception de nullité,
Prononcé la nullité de la requête présentée par la Medical Loca Services au Président du tribunal judiciaire de Douai le 14 février 2023,
En conséquence,
La déclarer nulle et nul effet,
Rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance (RG n°23/39) rendue le 28 février 2023 par le Président du tribunal judiciaire de Douai à la requête de la société Medical Loca Services,
Ordonner la destruction de l'ensemble des documents et correspondances saisis par le commissaire de justice instrumentaire,
Interdire la société Medical Loca Services de faire état du procès-verbal du commissaire de justice instrumentaire ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée de la signification de la présente ordonnance,
A titre subsidiaire, sur le fond :
Déclarer la requête présentée le 14 février 2023 par la société Medical Loca Services irrecevable,
Dire et juger illicite la mesure prononcée par l'ordonnance du 28 février 2023 rendue sur requête de la société Medical Loca Services,
En conséquence,
Rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance (RG n°23/39) rendue le 28 février 2023 par le Président du tribunal judiciaire de Douai à la requête de la société Medical Loca Services,
Ordonner la destruction de l'ensemble des documents et correspondances saisis par le commissaire de justice instrumentaire,
Interdire la société Medical Loca Services de faire état du procès-verbal du commissaire de justice instrumentaire ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée de la signification de la présente ordonnance,
En tout état de cause,
Condamner la société Medical Loca Services à payer à la société Farmadosis SL et à M. [I] [J] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance du 20 décembre 2023 (RG n°23/00119), le juge des référés du tribunal judiciaire de Douai a :
Rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai formulée par la société Farmadosis SL et M. [I] [J] ;
Modifié la mission de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai enrôlée sous le numéro RG 23/39 en rectifiant le dispositif comme suit :
J) annexer uniquement au rapport rendu au président du tribunal judiciaire de Douai les documents recueillis
en lieu et place
J) Annexer à ce rapport les documents ainsi recueillis »
Débouté la société Farmadosis SL et M. [I] du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la société Medical Loca Services la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la SELARL [W] & Associés la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] aux dépens.
Par une déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel de Douai le 8 janvier 2024, M. [I] [J] et la société Farmadosis SL ont interjeté appel de cette ordonnance(RG n°23/00119) en toutes ses dispositions.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe le 5 septembre 2024, M. [I] [J] et la société Farmadosis SL demandent à la cour, de :
Infirmer l'ordonnance du référé du président du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 (RG n°23/00119) en tant qu'elle a :
Rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai formulée par la société Farmadosis SL et M. [I] [J] ;
Modifié la mission de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai enrôlée sous le numéro RG 23/39 en rectifiant le dispositif comme suit :
J) annexer uniquement au rapport rendu au président du tribunal judiciaire de Douai les documents recueillis
En lieu et place
J) Annexer à ce rapport les documents ainsi recueillis »
Débouté la société Farmadosis SL et M. [I] du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la société Medical Loca Services la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la SELARL [W] & Associés la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] aux dépens.
Et statuant à nouveau,
Sur l'exception de nullité :
Déclarer la société Farmadosis SL et M. [I] [J] recevables et biens fondés en leur exception de nullité,
Prononcer la nullité de la requête présentée par la société Medical Loca Services au président du tribunal judiciaire de Douai le 14 février 2023,
En conséquence,
La déclarer nulle et de nul effet,
Rétracter en toutes ses dispositions de l'ordonnance rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai à la requête de la société Medical Loca Services,
Ordonner la destruction de l'ensemble documents et correspondances saisis par le commissaire de justice instrumentaire,
Interdire à la société Medical Loca Services de faire état du procès-verbal du commissaire de justice instrumentaire ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance et ordonner la destruction dudit procès-verbal,
2) A titre subsidiaire, sur le fond :
Déclarer la requête présentée le 14 février 2023 par la société Medical Loca Services irrecevable,
Juger illicite la mesure prononcée par l'ordonnance du 28 février 2023 rendue sur requête de la société Medical Loca Services,
En conséquence,
Rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai à la requête de la société Medical Loca Services,
Ordonner la destruction de l'ensemble des documents et correspondances saisis par le commissaire de justice instrumentaire,
Interdire à la société Medical Loca Services de faire état du procès-verbal du commissaire de justice instrumentaire ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance, et ordonner la destruction dudit procès-verbal,
En tout état de cause,
Débouter la société Medical Loca Services et la Selarl [W] & Associés de l'intégralité de leurs demandes,
Condamner la société Medical Loca Services à payer à la société Farmadosis SL et à M. [I] [J] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Medical Loca Services aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 26 août 2024, la société Medical Loca Services demande à la cour, au visa des article 117, 121, 145, 495 et 700 du code de procédure civile, de :
In limine litis,
Juger que l'irrégularité qui affectait la requête du 14 février 2023 du fait de son dépôt par un avocat inscrit au barreau de Paris a disparu du fait de la constitution d'une avocate inscrite au barreau de Douai dans le cadre du référé-rétractation avant que le juge ne statue sur le fond ;
En conséquence,
Débouter M. [I] [J] et la société Farmadosis SL de leur appel formé à l'encontre de l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 ;
Confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 en toute ses dispositions et en ce qu'il a ainsi été jugée :
Rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai formulée par la société Farmadosis SL et M. [I] [J] ;
Modifié la mission de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai enrôlée sous le numéro RG 23/39 en rectifiant le dispositif comme suit :
J) annexer uniquement au rapport rendu au président du tribunal judiciaire de Douai les documents recueillis
en lieu et place
J) Annexer à ce rapport les documents ainsi recueillis »
Débouté la société Farmadosis SL et M. [I] du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la société Medical Loca Services la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la SELARL [W] & Associés la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] aux dépens.
Sur le fond,
Juger que la procédure intentée devant le tribunal de commerce de Pontoise par la société Mellick Engineering à l'encontre de la société Optim'PDA et de la société Farmadosis SL dès lors qu'elle porte sur des faits différents et implique des parties distinctes, ne peut en aucun cas constituer un litige au fond antérieur faisant obstacle à la demande de mesure d'instruction in futurum formulée par la société Medical Loca Services à l'encontre de M. [I] [J],
Juger que les mesures ordonnées par l'ordonnance du 28 février 2023 étaient légitimes dans leur objet et proportionnées aux intérêts et justifiait une atteinte au droit à la vie privée de M. [I] [J] ;
Juger que le juge des requêtes a satisfait à son obligation de vérifier le caractère indispensable de la mesure d'instruction sollicitée ;
Juger que les missions confiées au commissaire de justice étaient délimitées par des mots clés clairs et précis et n'impliquant aucune interprétation de sa part et qu'en conséquence l'ensemble des mesures prononcées par l'ordonnance du 28 février 2023 sont parfaitement licites,
En conséquence,
Débouter M. [I] [J] et la société Farmadosis SL de leur appel formé à l'encontre de l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 et de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
Confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 en toute ses dispositions et en cela en ce qu'il a ainsi été jugé
Rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai formulée par la société Farmadosis SL et M. [I] [J] ;
Modifié la mission de l'ordonnance sur requête rendue le 28 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Douai enrôlée sous le numéro RG 23/39 en rectifiant le dispositif comme suit :
J) annexer uniquement au rapport rendu au président du tribunal judiciaire de Douai les documents recueillis
en lieu et place
J) Annexer à ce rapport les documents ainsi recueillis »
Débouté la société Farmadosis SL et M. [I] du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la société Medical Loca Services la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la SELARL [W] & Associés la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné in solidum la société Farmadosis SL et M. [I] [J] aux dépens.
En tout état de cause,
Débouter M. [I] [J] et la société Farmadosis SL de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner solidairement M. [I] [J] et la société Farmadosis SL à verser à la société Medical Loca Services la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner solidairement M. [I] [J] et la société Farmaodsis SL au paiement des entiers dépens de la présente instance.
La Selarl [W] & Associés, bien que citée, n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 septembre 2024.
MOTIVATION DE LA DECISION
I) Sur la nullité de la requête du 14 février 2023
M. [I] [J] et la société Famadosis SL font valoir que la requête présentée le 14 février 2023 au président du tribunal judiciaire de Douai par la société Medical Local Services sollicitant une mesure d'instruction in futurum par Me Christian Kim, avocat au barreau de Paris, est nulle puisque seul un avocat admis à postuler devant le tribunal judiciaire de Douai pouvait la déposer. Ils affirment également que la représentation par avocat était bien obligatoire devant le président du tribunal judiciaire de Douai dans la mesure où le montant de leur demande est indéterminé. Ils estiment que la requête est entachée d'un vice de fond qui ne peut être régularisé par la constitution de Maître Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, puisque cette constitution a eu lieu pour la procédure de référé rétractation et après que le juge ait rendu son ordonnance le 28 février 2023.
En réponse, la société Medical Loca Services soutient que sa demande de mesure d'instruction in futurum est d'un montant inférieur à 10 000 euros de tel sorte que la représentation par avocat n'est pas obligatoire et que si un montant devait être pris en compte, il s'agit de la provision de 1 500 euros à verser à l'huissier désigné.
Elle ajoute que si Me Christian Kim, avocat au barreau de Paris ne pouvait pas postuler devant le tribunal judiciaire de Douai, le fait que Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai s'est constitué suite à l'assignation en référé rétractation a régularisé le vice de fond entachant la requête. Elle ajoute que la procédure de référé rétractation est le prolongement de la procédure initiale.
1- Sur l'obligation de la représentation par un ministère d'avocat devant le président du tribunal judiciaire statuant sur requête pour ordonner une mesure d'instruction
L'article 760 du code de procédure civile prévoit que les parties sont tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire.
Aux termes de l'article 761 3° du même code, « 3° A l'exclusion des matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire, lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros ou a pour objet une demande indéterminée ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros. Le montant de la demande est apprécié conformément aux dispositions des articles 35 à 37. Lorsqu'une demande incidente a pour effet de rendre applicable la procédure écrite ou de rendre obligatoire la représentation par avocat, le juge peut, d'office ou si une partie en fait état, renvoyer l'affaire à une prochaine audience tenue conformément à la procédure applicable et invite les parties à constituer avocat ».
Il ressort de la jurisprudence constante que les frais engagés pour mettre en place une mesure d'instruction ne sont pas pris en compte pour apprécier la valeur du litige.
En l'espèce, la société Medical Loca Services a déposé une requête devant le président du tribunal judiciaire de Douai sollicitant une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile notamment aux fins de constat et de saisie. La société Medical Loca Services n'a présenté aucune prétention chiffrée. Le montant des demandes étant indéterminée, la dispense de ministère d'avocat prévue par l'article 761 3° du code de procédure civile n'est pas applicable. Pour déterminer la valeur de litige, la provision des frais d'huissier ne peut être prise en compte.
Dès lors, dans le cadre de cette procédure, le ministère d'avocat était bien obligatoire.
2- Sur la nullité de la requête pour défaut de représentation par un avocat postulant
Aux termes de l'article 5 de loi du 31 décembre 1971 :
« Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article 4.
Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel.
Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l'aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie. »
L'article 117 du code de procédure civile dispose que :
« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
Le défaut de capacité d'ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice. »
En l'espèce, Me Christian Kim, avocat au barreau de Paris, a déposé la requête le 14 février 2023 auprès du président du tribunal judiciaire de Douai en représentation de la société Medical Loca Services.
Me [L] [P] a sa résidence professionnelle située [Adresse 3] à [Localité 10]. Conformément aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971, il ne pouvait donc pas postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel il a établi sa résidence professionnelle.
Dès lors, Me [L] [P] n'était pas autorisé à postuler devant le président du tribunal judiciaire de Douai et n'avait pas qualité pour représenter la société Medical Loca Services devant cette juridiction.
L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a retenu que la requête était entachée d'une irrégularité de fond, cause de nullité de l'acte.
3- Sur la régularisation de la cause de nullité de la requête
Aux termes de l'article 121 du code de procédure civile,
« Dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».
Aux termes de l'article 496 du code de procédure civile,
« S'il n'est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel. Le délai d'appel est de quinze jours. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.
S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance. »
La Cour de Cassation considère que l'instance en rétractation d'une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire. (2ème Civ., 19 mars 2020, n°19-11.323)
En l'espèce, le président du tribunal judiciaire de Douai a fait droit à la demande de mesure d'instruction in futurum sollicitée par la société Medical Loca Services par une ordonnance du 28 février 2023.
Pour contester cette ordonnance, la société Farmadosis et M. [I] [J] ont assigné par acte d'huissier du 30 juin 2023 la société Medical Loca Services en référé rétractation. La société Medical Loca Services a alors mandaté comme avocat postulant Maître [R] [D], inscrite au Barreau de Douai.
Au regard de la jurisprudence, le référé rétractation ne peut être considéré comme une nouvelle instance mais seulement comme une voie de droit spécifique permettant de rétablir le principe du contradictoire concernant des demandes déjà formulées en l'absence du contradicteur.
La procédure de référé rétraction engagée le 30 juin 2023 par la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à l'encontre de l'ordonnance du 28 février 2023 constitue le prolongement de la procédure initiale.
Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, s'étant constitué pour représenter la société Medical Loca Service, le vice de fond affectant la requête déposée le 14 février 2023 a bien été régularisé avant que le juge ne statue sur la demande de rétractation.
L'ordonnance sera confirmée de ce chef.
II) Sur le défaut de procédure au fond avant la requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile
M. [I] [J] et la société Farmadosis SL reprochent à la société Medical Loca Services d'avoir sollicité une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile le 14 février 2023 alors que le 6 décembre 2021, elle avait déjà intenté une action en concurrence déloyale à leur encontre devant le tribunal de commerce de Pontoise et que la procédure était toujours en cours au moment du dépôt de la requête.
En réponse, la société Medical Loca Service fait valoir que la procédure dont font état les appelants a été intentée par la société Mellick Engineering à l'encontre de la société Farmadosis et Optim'PDA pour une violation des droits de distribution exclusive alors que la mesure d'instruction a été sollicitée par la société Medical Loca Services à l'encontre de M. [I] [J] dans le but d'obtenir des preuves d'un détournement d'informations confidentielles au profit d'une société concurrente la société Farmodosis SL. Elle affirme que les deux procédures ne concernent pas les mêmes parties ni les mêmes litiges.
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Il ressort de la jurisprudence que l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête. (2ème Civ., 30 septembre 2021, n°19-26.018)
En l'espèce, suivant un exploit du 6 décembre 2021, la société Mellick Engineering qui est la société directrice générale de la société Medical Loca Services, a assigné la société Farmadosis SL et la société Optim'PDA devant le tribunal de commerce de Pontoise pour concurrence déloyale. Elle leur reproche d'avoir commis une atteinte aux droits de distribution exclusive de la société Mellick Engineering et une désorganisation volontaire du réseau de distribution.
Alors que la requête en date du 14 février 2023 sollicitant une mesure d'instruction in futurum a été déposée par la société Medical Loca Services à l'encontre de M. [I] [J] aux fins de constats et de saisie pour prouver des faits de détournement d'information et de clientèle au profit d'une société concurrente. Cette procédure ne concerne pas les mêmes parties ni le même litige que l'instance pendante devant le juge du fond du tribunal de commerce de Pontoise.
Par conséquent, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a écarté le moyen de rétractation tiré de l'irrecevabilité de la requête pour défaut d'introduction avant tout procès au fond.
III) Sur la vérification du caractère indispensable de la mesure
La société Farmadosis SL et M. [I] [J] soutiennent que les mesures sollicitées par la société Medical Loca Services portent atteinte au droit de la vie privée de M. [I] [J]. Ils lui reprochent de ne pas avoir justifié en quoi la production des documents demandés serait indispensable et nécessaire à l'exercice de son droit à la preuve. Ils affirment que les justifications apportées pour la première fois en appel par la société Medical Loca Services ne peuvent être prises en compte dans la mesure où la cour doit se placer à la date de la requête.
En réponse, la société Medical Loca Services soutient que les atteintes à la vie privée de M. [I] [J] ont été réalisées dans le cadre de la mesure d'instruction, qu'elles sont légitimes, justifiées et proportionnées dans la mesure où les documents concernés étaient identifiés par des mots clés.
Il est rappelé que les circonstances justifiant la dérogation au contradictoire doivent être explicitées dans la requête, le « contexte » doit faire redouter la disparition des preuves : ce sont ces craintes qui justifient l'utilisation de la procédure sur requête (Cass. Com, 6 novembre 2019, n°18-15.363).
Par ailleurs, il est constant que l'exercice du droit à la preuve, en ce qu'il tend à la protection des droits et libertés d'autrui, poursuit un but légitime permettant de porter atteinte au respect dû à la vie privée. Seules les mesures circonscrites dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi sont légalement admissibles (Com. 28 juin 2023, n° 22-21.752 P).
En l'espèce, il ressort de l'ordonnance du 28 février 2023 que le président du tribunal judiciaire de Douai s'est approprié les motifs de la requête. Comme l'a correctement relevé le premier juge, il est de jurisprudence constante que le juge puisse s'approprier les motifs de la requête par un simple visa de cette requête en tête de son ordonnance. (2ème civ., 4 mars 2021, n° 19-25.092)
De plus, il ressort de la requête déposée par la société Medical Loca Services que M. [I] [J] occupait la fonction de manager technique lui donnant accès à des informations sensibles comme le démontre les échanges de mails versés au débat illustrant que M. [I] [J] détenait des mots de passe d'accès, indiquait les commandes à passer auprès des fournisseurs
Il est également versé au débat un échange de mail entre la société Farmadosis et M. [I] [J] où celui-ci leur envoie un dossier nommé « Interfaces Robotik ». La société Farmodis étant un concurrent direct de la société Medical Loca Services, il était légitime qu'elle s'interroge sur les documents qui avaient pu lui être transmis et ce d'autant plus que M. [I] [J] avait remis sa démission quelques jours plus tôt et qu'il était aujourd'hui directeur de la société Farmadosis France.
Tous ces éléments font état de circonstances précises démontrant que la société Medical Loca Service n'était pas en mesure de solliciter auprès de M. [I] [J] des explications, toute demande en ce sens risquant au contraire d'inciter M. [I] [J] à faire disparaître les éléments permettant de connaître les informations qui ont été communiquées à cette société concurrente ; le contexte faisant redouter la disparition des preuves.
Dès lors, il est légalement justifié qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.
En outre, les recherches confiées à l'huissier étaient limitées aux fichiers, documents et correspondances en rapport avec les faits litigieux et ne ciblaient pas de documents personnels. Les fichiers informatiques étaient identifiés au moyen de mots-clés précis et en rapport avec les faits dénoncés, à savoir « Farmadosis », « Asier Zubillaga », « Asier Zubillaga Cerdan », « Robotik Technology », « Robotik », « Mellick Engineering », « Medical Loca Services » et « E-Sante Technology ». De plus, l'autorisation donnée au commissaire de justice de pénétrer au domicile de M. [I] [J], sans son autorisation, était assortie d'une garantie du respect de ses droits par la présence de M. [I] [J] et de la présence, si le commissaire de justice le souhaite, d'un expert en informatique.
Ainsi, la mesure d'instruction ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la requérante et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
L'ordonnance est confirmée de ce chef.
IV) Sur les mesures confiées au commissaire de justice
La société Farmadosis SL et M. [I] [J] font valoir que la mission de l'huissier est illicite aux motifs qu'il dispose d'un pouvoir d'appréciation sur les documents saisis et qu'il est tenu de les conserver en séquestre tout en les annexant à un procès-verbal de constat avec l'obligation de le communiquer à la société Medical Loca Services et que des documents seraient déjà en sa possession.
La société Medical Loca Service soutient que les mesures confiées au commissaire de justice étaient délimitées et circonscrites par des mots clés clairs et précis n'appelant à aucune appréciation. Elle affirme qu'elle ne possède aucun document saisi par le commissaire de justice ; que ces documents n'ont pas été joints au procès-verbal de constat du fait de leur nombre et leurs tailles importantes.
En l'espèce, l'ordonnance du 28 février 2023 a limité la mission de l'huissier à la saisine des documents faisant référence à « Medical Loca Services », « Robotik » Technology » et « Robotik ». Les mesures sollicitées sont décrites avec précision. Le commissaire de justice désigné n'a aucun pouvoir d'appréciation. Celui-ci se contente d'exécuter la mission qui lui est confiée.
De plus, la société Farmadosis SL et M. [I] [J] ne rapportent pas la preuve que des éléments saisis auraient été communiqués à la société Medical Loca Services. Dans son procès-verbal de constat du 5 avril 2023, le commissaire de justice indique « au sein de la boite e-mail, j'ai constaté la présence d'un dossier intitulé Robotik. J'ai procédé à sa copie d'environ 20 gigaoctet », « j'ai constaté que le fichier global est de 136 gigaoctet soit 132 527 fichiers ». Ces documents n'ont matériellement pas pu être joint à la copie du procès-verbal de constat transmise à la société Medical Loca Services.
L'ordonnance est confirmée en ce qu'elle a débouté la société Farmadosis SL et M. [I] [J] de leur demande aux fins de rétractation de l'ordonnance du 28 février 2023.
V) Sur les demandes accessoires
L'ordonnance sera confirmée de ces chefs.
Succombant, la société Farmadosis SL et M. [I] [J] seront condamnés, in solidum, à payer à la société Medical Loca Service la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Douai du 20 décembre 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne solidairement la société Farmadosis SL et M. [I] [J] à payer à la société Medical Loca Services la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
Condamne solidairement la société Farmadosis SL et M. [I] [J] aux dépens engagés en appel.