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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 3, 3 avril 2025, n° 24/09133

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/09133

3 avril 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRÊT DU 03 AVRIL 2025

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/09133 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJOJN

Décision déférée à la cour : ordonnance du 30 avril 2024 - président du TJ de Paris - RG n° 24/51793

APPELANT

M. [N] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandre BLONDIEAU, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

S.A.R.L. DBD, RCS de Nanterre n°419620257, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Hervé LEHMAN de la SCP AVENS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0286

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Michel RISPE, président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Michel RISPE, président de chambre

Anne-Gaël BLANC, conseillère

Valérie GEORGET, conseillère

Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne BELCOUR, greffier, présent lors de la mise à disposition.

Plusieurs articles de presse ont été publiés courant 2017 portant à la connaissance du public l'existence d'un réseau ayant orchestré la vente illégale de nombreuses planches originales d'[M] [C] [U], créateur de la série de bande dessinée 'Blake et Mortimer', pour un montant se chiffrant à plusieurs millions d'euros. Les faits dénoncés ont donné lieu au dépôt, par le studio [U], société détentrice des droits de la série 'Blake et Mortimer', d'une plainte pénale contre X des chefs de vol et de recel de vol. Par suite, une instruction judiciaire a été ouverte en Belgique par le procureur du Roi à Bruxelles. Au cours de l'instruction, M. [T], exerçant la profession de galériste spécialisé en bandes dessinées, a été inculpé pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment. Aujourd'hui, l'affaire reste pendante devant la justice belge.

Au mois de février 2024, le magazine DBD, revue spécialisée dans l'actualité de la bande dessinée éditée par la société DBD et dont le directeur de la rédaction est M. [H], a publié son 180ème numéro, qui a pour titre '[U] et les pilleurs de tombe : dernières révélations sur les 247 planches disparues', consacrant sa une à l'affaire, outre son éditorial et un dossier d'une vingtaine de pages.

Par acte du 4 mars 2024, à raison de certains propos publiés dans ce numéro qu'il considérait comme une atteinte à sa présomption d'innocence, au visa des dispositions des articles 9-1 du code civil et 835 du code de procédure civile, M. [T] a fait assigner la société DBD devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de l'entendre:

juger que les écrits poursuivis, publiés dans le numéro 180 du magazine DBD en première page, ainsi qu'aux pages 3, 4, 24 à 43 portent atteinte à la présomption d'innocence dont il bénéficie au sens de l'article 9-1 code civil ;

condamner la société DBD, éditrice du magazine DBD, à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels ;

ordonner la publication, aux frais de la société DBD, en lettres noires sur fond blanc de 1,3 cm, en couverture de la prochaine édition du magazine DBD qui sera publiée une semaine après la signification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 5.000 euros par semaine de retard, du communiqué suivant : "Par Ordonnance du 2024 du juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, la société DBD SARL a été condamnée pour avoir publié des informations portant atteinte à la présomption d'innocence de [N] [T] dans le numéro n°180 du magazine DBD" ;

se réserver la liquidation de l'astreinte,

condamner la défenderesse à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 30 avril 2024, le dit juge des référés, a :

rejeté l'exception d'incompétence soulevée en défense,

dit n'y avoir lieu à référé,

rejeté l'ensemble des demandes de M. [T],

condamné M. [T] à verser à la société DBD la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [T] aux dépens.

Par déclaration du 15 mai 2024, M. [T] a relevé appel de cette décision en élevant critiques contre tous ses chefs.

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 26 novembre 2024, au visa des articles 9-1 du code civil et 835 du code de procédure civile, M. [T] a demandé à la cour de :

infirmer l'ordonnance du 30 avril 2024 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et rejeté l'ensemble de ses demandes,

statuant à nouveau,

juger que les écrits ci-dessus reproduits, publiés dans le numéro 180 du magazine DBD en première page, ainsi qu'aux pages 3, 4, 24 à 43 sous le titre « [U] et les pilleurs de tombe ' Dernières révélations sur les 247 planches disparues » portent atteinte à la présomption d'innocence dont bénéficie M. [T] au sens de l'article 9-1 du code civil,

condamner la société DBD, éditrice du magazine DBD à verser à M. [T] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels,

ordonner la publication, aux frais de la société DBD, en lettres noires sur fond blanc de 1,3 cm, en couverture de la prochaine édition du magazine DBD qui sera publié une semaine après la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5.000 euros par semaine de retard, du communiqué suivant : 'Par Arrêt du 2024 de la Cour d'appel de Paris, la société DBD SARL a été condamnée pour avoir publié des informations portant atteinte à la présomption d'innocence de M. [N] [T] dans le n°180 du magazine DBD',

se réserver la liquidation de l'astreinte,

condamner la société DBD à verser la somme de 5.000 euros à M. [T] titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

en tout état de cause, donner acte à M. [T] qu'il entend interrompre toute prescription.

Par ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 janvier 2025, la société DBD a demandé à la cour de :

confirmer l'ordonnance entreprise,

condamner M. [T] à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2025.

Sur ce,

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il sera rappelé que les demandes tendant à voir donner acte, constater, juger ou encore dire et juger, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile mais des moyens au soutien de celles-ci en sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer de ces chefs.

En outre, selon une jurisprudence constante, les juges ne sont pas tenus de répondre à un simple argument, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni encore de répondre à une simple allégation dépourvue d'offre de preuve.

Sur l'existence d'une atteinte à la présomption d'innocence

Aux termes de l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, 'le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite'.

L'article 9-1 du code civil dispose que :

'Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.

Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.'

L'atteinte à la présomption d'innocence est réalisée chaque fois qu'avant sa condamnation irrévocable, une personne est publiquement présentée comme nécessairement coupable de faits pénalement répréhensibles pour lesquels elle est poursuivie.

Mais, ces dispositions n'interdisent pas de rendre compte d'affaires judiciaires en cours ni de délivrer des informations destinées à instruire le lecteur des circonstances entourant une mise en examen d'une personne, voire d'accorder un certain crédit à la thèse de l'accusation, mais seulement si, de l'ensemble des propos ne se dégage pas une affirmation manifeste de culpabilité.

Ainsi, la relation de faits poursuivis au plan pénal requiert une formulation nuancée. Il est admis que des expressions telles que 'probablement' ou 'tout semble indiquer que... ' sont de nature à respecter la présomption d' innocence. Et, il est acquis que lorsqu'un journaliste indique que 'le juge ou les policiers sont certains...', il se borne à exposer la conviction de ces derniers.

S'agissant d'un reportage effectué par un journaliste, il est admis que le fait de divulguer le nom d'une personne majeure inculpée ou mise en examen n'est interdit par aucun texte et qu'il est permis de rendre compte des affaires judiciaires en cours d'instruction dès lors que les journalistes n'assortissent la relation des faits d'aucun commentaire de nature à révéler un préjugé de leur part quant à la culpabilité de la personne en cause ; qu'il y a atteinte à la présomption d'innocence lorsqu'un reportage n'est constitué que de témoignages à charge et présente la culpabilité de la personne comme certaine (cf. Cass., 2ème Civ., 20 juin 2002, pourvoi n° 00-11.916, Bulletin civil 2002, II, n° 142).

Dès lors, pour être constituée, l'atteinte à la présomption d'innocence suppose la réunion des trois conditions suivantes :

l'existence d'une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation irrévocable,

l'imputation publique à une personne précise, d'être coupable des faits faisant l'objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire manifestant de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée,

la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l'objet d'une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d'éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d'éléments extrinsèques, tels qu'une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse.

Par ailleurs, en application de l'article 10 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression, le texte prévoyant, en son paragraphe 2, que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d'innocence et le droit au procès équitable.

Le droit à la présomption d'innocence et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l'expression litigieuse, sa contribution à un débat d'intérêt général, l'influence qu'elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée.

- L'affaire poursuivie pénalement par les autorités judiciaires de Belgique

Au cas présent, pour justifier sa décision, le premier juge a essentiellement retenu que s'il n'était pas contesté que M. [T] était impliqué dans une procédure pénale engagée en Belgique, cette seule circonstance était insuffisante pour permettre de vérifier s'il était victime d'une atteinte à la présomption d'innocence avec l'évidence requise en référé alors que celui-ci ne produisait aucun élément concernant la procédure pénale.

A hauteur d'appel, M. [T] communique une lettre datée des 28 et 30 mai 2024, émanant de son avocat belge, Me [J], à laquelle certaines pièces de la procédure sont jointes. M. [T] indique qu'il en découle qu'il est actuellement inculpé, se voyant reprocher d'avoir commis des faits qualifiés à ce jour d'abus de confiance et de blanchiment, l'instruction pénale ayant atteint la phase du règlement alors que le 26 juillet 2023, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de soit communiqué à toutes fins au procureur du Roi en vertu de l'article 127, alinéa 1er, du code d'instruction criminelle belge.

La cour relève que parmi les sept pièces de la procédure pénale produites, la dernière, en date du 26 juillet 2023, correspond à l'ordonnance de soit communiqué dont M. [T] fait état. La lettre établie par le conseil belge de M. [T] récapitule les différentes phases de l'enquête depuis qu'elle débuté, le 21 septembre 2017, et précise en conclusion que : 'M. [T] fait bien l'objet en Belgique d'une procédure pénale en cours en Belgique. Il est inculpé du chef d' 'abus de confiance' et de 'blanchiment'. Les faits consistant en une accusation, non reconnue et contestée, d'avoir participé à la revente illicite de planches originales de bandes dessinées réalisées par [M][C] [U] acquises auprès d'une personne les ayant dérobées à une Fondation, faits tantôt qualifiés de 'détournements', de 'recels', voire de 'trafic illicite d''uvres d'art'.'

La société DBD ne fait valoir aucune observation à cet égard.

Au vu des pièces produites, il est donc bien justifié que M. [T] fait l'objet de poursuites dans le cadre d'une procédure pénale en cours et non encore terminée par une décision de condamnation irrévocable.

Il en résulte aussi que cette affaire est pendante devant la justice belge depuis 2017 et il est par ailleurs justifié par la production des articles que, dès l'origine et depuis, elle a déjà fait l'objet d'une assez large couverture médiatique, en Belgique, dans le quotidien 'Le Soir', mais aussi dans la presse française avec plusieurs articles publiés par l'hebdomadaire français 'L'Express' ainsi que par le journal 'Le Monde', dernièrement en 2023.

Ainsi, un article publié le 17 décembre 2023, dans le quotidien le Soir sous la plume de M. [K] indique en particulier concernant la participation reprochée à M. [T]:

'[...] [N] [T], acheteur d'originaux en gros

Un troisième galeriste de très haut vol, [N] [T], figure également sur la liste des inculpés. Il a acheté et revendu, factures à l'appui, comme il nous l'avait déclaré en 2017, plus d'une centaine de planches et crayonnés du Secret de l'Espadon, du Mystère de la Grande Pyramide ou de S.O.S. Météores...

Entre-temps, plus d'une trentaine de pièces ont encore été saisies par les enquêteurs dans les réserves de sa galerie parisienne en 2018, à titre conservatoire.

[N] [T] n'a pas souhaité réagir à ces informations mais le journal Le Monde a publié des chiffres édifiants: il a versé 3,8 millions d'euros à [C] [F] entre 2015 et 2016. Dans le même temps, il a, par exemple, revendu la couverture de L'Affaire du collier pour 700.000 euros et encaissé 9,18 millions d'euros pour la revente « officielle » de 88 planches de Blake et Mortimer. En 2017, il nous affirmait ne pas se sentir concerné par les questions « de morale et de patrimoine ».

Il rappelait qu'[M] [C] [U] n'avait pas eu d'enfants, que le statut de sa Fondation mise en liquidation par [C] [F] n'était pas clair, et que l'absence d'un inventaire exhaustif des originaux ne permettait pas de savoir qui pouvait légitimement revendiquer la propriété des originaux Ces arguments n'ont pas convaincu la justice belge qui l'a inculpé.

Des collectionneurs suisses entre respect et provocation

Un de ses clients, un collectionneur suisse, s'est montré beaucoup plus respectueux de la mémoire du créateur de Blake et Mortimer et de son patrimoine. Il a spontanément remis 25 originaux achetés à [N] [T] à la justice belge. Ils ont été confiés comme les autres pièces saisies par les enquêteurs à la garde de la Fondation Roi Baudouin dans l'attente de l'issue judiciaire de cette affaire. Le collectionneur a précisé que si un tribunal venait à confirmer que les planches ont bien été volées à la Fondation [U], 1l accepterait de faire une croix sur les 2,5 millions de francs suisses qu'il avait dépensés de bonne foi pour les acquérir.

Un autre Helvète, le baron [I] [L], n'a pas eu cette élégance. Il a d'abord refusé de répondre à la convocation des enquêteurs belges. Une commission rogatoire s'est alors rendue en Suisse pour l'interroger à son domicile de [Localité 5]. [...]'

- Les propos dénoncés par M. [T] comme attentatoires à sa présomption d'innocence

Il n'est pas contesté que la société DBD, qui revendique 1.500 abonnés et indique proposer à la vente en kiosque environ 2.500 exemplaires par numéro, a diffusé auprès du public, en février 2024, un magazine, dont un exemplaire original est produit au débat et qui est en partie consacré à l'affaire dans laquelle M. [T] fait l'objet des poursuites pénales ci-avant évoquées.

Reste que les parties s'opposent sur la réalité de l'atteinte à la présomption d'innocence à raison des passages contenus dans ce magazine que M. [T] considère comme attentatoires à celle-ci en ce qui le concerne, s'agissant de la couverture du magazine ( page 1), de l'éditorial (page 3), du sommaire (page 4) et de différents passages du dossier allant de la page 24 à la page 43.

- s'agissant des titres et en-têtes

' Concernant la 'Une' du magazine titrant sur '[U] et les pilleurs de tombes : Dernières révélations sur les 247 planches disparues' (page 1), M. [T] se borne à faire valoir que la couverture du magazine est 'déjà parlante'.

La société DBD réplique en observant qu'aucune personne n'est nommément désignée et qu'aucune infraction déterminée n'est visée. Elle ajoute que les termes '[U] et les pilleurs de tombes' ne constituent aucunement l'imputation d'une quelconque infraction mais sont en réalité un clin d''il explicite aux titres des 'uvres de [U].

' Concernant l'éditorial de M. [H], directeur de publication et rédacteur en chef du magazine, intitulé 'Ne plus rester les bras croisés' (page 3), M. [T] relève qu'il évoque l'affaire [U] et la nécessité d'interviewer deux journalistes d'investigation ([N] [K] et [B] [A]) 'à propos de ce sombre vol aux multiples ramifications' et qu'il annonce l'interview de [D] [R] en précisant que 'Lui non plus ne mâche pas ses mots envers les receleurs et les collectionneurs'.

La société DBD observe à juste titre qu'aucune personne n'est nommément désignée par ces propos. Elle considère qu'ils ne sauraient donc porter atteinte à la présomption d'innocence de M. [T], lequel est en tout état de cause, inculpé pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment, en sorte que les infractions de vol ou de recel ne le visent aucunement.

' Concernant le sommaire du magazine (page 4), M. [T] fait valoir qu'il est également 'très parlant' se référant à l'extrait suivant qu'il cite : 'Affaire [U] /p.24

A la une / Le doute n'est plus possible ! Il y a bien un ensemble de personnes (pour ne pas dire d'escrocs) qui se sont succédé[s] pour organiser le vol des planches d'[M] [C] [U] à la Fondation [U]. Nous sommes allés à la rencontre de ceux qui ont dénoncé cette affligeante affaire.'

La société DBD observe à juste titre qu'aucune personne n'est nommément désignée par ces propos. Elle ajoute qu'ils ne sauraient donc porter atteinte à la présomption d'innocence de M. [T] , lequel est en tout état de cause, inculpé pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment, en sorte que les infractions de vol ou de recel ne le visent aucunement.

A ce stade, la cour rappelle que les titres, sous-titres et en-têtes ne peuvent en tout état de cause pas s'analyser indépendamment du contenu du ou des articles. En particulier, le recours à des titres accrocheurs, formulés sans nuances, de façon affirmative et péjorative afin d'appeler l'attention du lecteur ne saurait, à lui seul, caractériser une atteinte à la présomption d'innocence, sauf lorsque du fait de leur énoncé même l' atteinte s'avère constituée. Or, tel n'est pas le cas des titres et intitulés ici dénoncés par M. [T] lesquels ne le visent d'ailleurs pas personnellement, ni directement, ni indirectement.

- s'agissant du contenu des articles

' Concernant le dossier, M. [T] relève que la première partie (pages 24 à 26) est consacrée à un article de M. [H] qui tout d'abord évoque l'affaire [U] et dont le titre est rappelé en lettres capitales occupant plus de la moitié de la page : '[U] et les pilleurs de tombes'. M. [T] souligne que M. [H] explique avoir longtemps hésité à parler de cette affaire, parce que 'DBD est un journal d'information sur la bande dessinée et pas un journal d'enquête' et parce que il connaît 'plutôt bien les protagonistes pour les avoir tous côtoyés', consacrant un paragraphe à chacune des trois personnes mises en cause dans l'affaire, dont en second, M. [T].

Ici encore, la cour constate que si ces éléments sont de nature à caractériser le contexte de la parution du dossier, ils ne peuvent être analysés comme constitutifs d'une atteinte à la présomption d'innocence de M. [T].

' Concernant le dossier, deuxième partie, interview par M. [H] de MM. [A] et [K] (pages 27 à 39), M. [T] rappelle à juste titre que cette partie est dédiée au recueil des réponses de deux journalistes qui répondent, tour à tour, aux questions qui leurs sont posées, expliquant comment ils ont eu connaissance des faits et évoquant le rôle des uns et des autres et particulièrement la procédure pénale en cours en Belgique.

Il relève qu'en page 32, M. [A] évoque la situation des collectionneurs et le fait que 'la possibilité de posséder une 'uvre de [U] les aient rendus fous' (p.32, 1ère colonne) et il évoque directement M. [T] ainsi : 'Beaucoup ont aussi fait confiance à [T] qui leur disait que, la fondation ayant été dissoute, la voie était libre. Ils étaient aussi rassurés quand ce dernier leur procurait factures ou certificats d'authenticité écrits par [F]' quand ils le demandaient' (p.32, 2ème colonne, 1er paragraphe).

Il relève encore qu'en page 35 (3ème colonne), M. [H] interroge les journalistes sur l'enquête et indique 'Pour en revenir à votre enquête, [D] [R] nous a confirmé que, à la suite d'un courrier de leur part à [N] [T] demandant d'où sortaient les planches mises en salle des ventes, c'est étonnamment [F] en personne qui leur avait répondu'', ce à quoi, M. [A] répond : 'J'ai ce courrier ! Sa réponse est d'ailleurs très agressive' et M. [K] indique ' Je l'ai vu aussi et cela prouve bien encore une fois le lien fort entre [T] et [F]. Les enquêteurs ont toutes les preuves et les témoignages nécessaires dans ce sens', puis M. [A] poursuit : 'J'ai la liste de tous les collectionneurs, acheteurs des planches de Blake et Mortimer chez [T] et leur prix. L'avantage pour ces personnes, c'est qu'en cas de besoin, ils peuvent se retourner contre lui. [T] m'a dit avoir accepté d'en rembourser un qui lui en avait fait la demande'.

Il retient qu'en page 37 la citation suivante en gras le met en cause : '[N] [T] va commettre l'erreur tactique d'acheter plus d'une centaine de planches. Son autre erreur est de les avoir toutes sorties en même temps. plutôt que de le faire au compte-gouttes et très discrètement comme [E].', et que les deux journalistes précisent le déroulé des événements à venir ainsi :

' [X] : En dispersant ces pièces, [F] a privé les collectionneurs de très belles éditions reprenant les planches ou les crayonnés originaux'

[Y] : Et il a détourné un patrimoine majeur de la bande dessinée belge. Rappelons que la fondation [U] était un organisme d'utilité publique. Nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront les condamnations finales ni si les collectionneurs et les galeristes qui devraient être condamnés seront ou non forcés de rendre les planches. La justice pourrait les obliger à indemniser la fondation, mais cela ne lui rendrait pas les trésors volés !

[X] : Il n'y a jamais eu une planche et son fac-similé dans le coffre, mais soit l'un, soit l'autre. Quand [E] ou [T] viennent prendre les planches, ils s'engagent à fournir un fac-similé à [F]. Ce qui prouve bien la volonté de tromper. Sachez aussi que quand les premiers fac-similés sont réalisés, les faussaires oublient de reproduire le dos des planches'.

Il relève aussi en page 39 (3ème colonne) que lorsque M. [H] interroge plus particulièrement sur la situation de M. [T], M. [A], celui-ci lui répond : '[T] sait au fond de lui-même qu'il est dans une zone dangereuse, mais il en a assez de croiser des collectionneurs qui lui disent s'être procurés de sublimes planches de Blake et Mortimer. Alors il craque et entre dans la danse à son tour'.

La société DBD remarque que dans ces extraits, il n'est imputé aucune infraction déterminée à M. [T] et que surtout les propos litigieux sont tenus par MM. [K] et [A], M. [H] les ayant seulement retranscrits, outre qu'ils ne sauraient porter atteinte à la présomption d'innocence de M. [T]. Elle ajoute que M. [K] précise bien : 'nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront les condamnations finales' et utilise par la suite le conditionnel, preuve du respect des réserves d'usage permettant de préserver la présomption d'innocence de M. [T].

' Concernant le dossier, troisième partie, soit l'interview de M. [V] (p.40 à 43), M. [T] précise que M. [V] est le président du studio [U] et le directeur général du groupe Media Participations. Il observe que M. [H] lui pose la question suivante : 'Est-il vrai que, sans votre achat des éditions Blake et Mortimer, puis du studio [U], l'association de malfaiteurs vendant des planches de [U] sous le manteau ou officiellement via les salles des ventes ou galeries) n'aurait jamais été révélée au grand jour ' puisque c'est vous qui portez plainte contre X' ( page 40, 1ère colonne), ce à quoi il lui est répondu que 'La procédure judiciaire lancée nous a alors aidés à avoir accès au dossier et permis de découvrir le modus operandi des receleurs'.

La société DBD remarque à juste titre qu'aucune personne n'est nommément désignée par ces propos, qui sont tenus par M. [V] et non par M. [H] qui les retranscrit. Elle souligne qu'en tout état de cause, M. [T] étant inculpé pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment, il est manifeste que ces propos, qui ne visent aucunement ces infractions, ne sauraient porter atteinte à sa présomption d'innocence.

M. [T] relève encore que M. [V] indique 'Il est étonnant, quand j'en croise certains, de les entendre dire que les factures sont la garantie de leur bonne foi. Ce sont des planches volées, point ! [N] [T] a passé une nuit en prison ('au cachot' dans le vocabulaire des policiers belges), et sa seule défense a longtemps été de dire que les planches n'appartenaient pas à la fondation. Ex-président de la fondation, intermédiaires, experts, galeristes, collectionneurs' chacun montre du doigt son voisin'(en page 42, 1ère colonne).

La société DBD fait valoir qu'aucune infraction déterminée n'est ici imputée à M. [T] et qu'en tout état de cause, il est inculpé pour des faits d'abus de confiance et de blanchiment, en sorte que ces propos ne le visent pas et ne sauraient porter atteinte à sa présomption d'innocence. Elle ajoute que ces propos présentent la ligne de M. [T] dans le respect du principe du contradictoire et du droit de réponse de l'intéressé et qu'au surplus ils sont tenus par M. [V] et non par M. [H] qui les retranscrit.

M. [T] évoque aussi deux autres réponses de M. [V] aux questions de M. [H]:

sa réponse à la question 'Que faites-vous avec 'vos' auteurs, et ils sont nombreux, qui travaillent avec les galeries [P] ou [T] '', soit 'Rien, si ce n'est leur dire qu'ils traitent avec des voleurs ! Ils sont libres',

sa réponse à la question 'Quels sont vos espoirs et vos craintes à l'issue du procès '', soit 'Dans l'esprit du juge et avec les preuves qui montrent que [U] a tout déposé au coffre, sauf les pièces volées ou non rendues, il n'y a aucun doute sur la qualification de vol (')' (en page 43 2ème colonne).

La société DBD réitère ses observations précédentes et remarque que d'une part, l'usage du terme 'voleur' ne caractérise aucunement des conclusions définitives tenant pour acquise sa culpabilité mais d'un simple qualificatif insultant et provocateur, exprimant le ressentiment personnel de M. [V], que d'autre part, l'infraction qui serait ainsi imputée par ce dernier et non par M. [H] serait celle de vol et non les infractions d'abus de confiance et de blanchiment pour lesquelles M. [T] est réellement inculpé.

De ce qui précède, la cour observe que les citations rapportées par M. [T] à l'appui de ses prétentions sont extraites d'entretiens très denses avec, d'une part, les deux journalistes qui ont conduit les investigations les plus décisives sur l'affaire et dont l'un est à l'origine de la révélation des faits, d'autre part, avec le responsable de la fondation au préjudice de laquelle les faits ont été commis.

L'analyse de ces extraits doit donc être replacée dans le contexte général et doit être effectuée après lecture de l'entièreté des pages du magazine consacrées à l'affaire.

Or, comme le souligne à juste titre la société DBD, dès l'éditorial en page trois, outre qu'il est indiqué que le procès n'a pas eu lieu, il n'est envisagé que comme éventuel.

Il est encore précisé en page 26 du magazine 'Maintenant, laissons faire la justice, même si elle semble déjà avoir oublié d'inculper certaines personnes'.

Il est encore mis en évidence à plusieurs reprises qu'une condamnation n'est pas assurée notamment lorsque M. [K] déclare 'Le procureur du roi, c'est déjà le quatrième désigné dans cette enquête, a la liberté de confirmer ou non les huit premières inculpations signifiées par le juge [Z], aujourd'hui parti à la retraite. Il peut aussi demander des compléments d'enquête et inculper d'autres personnes. Et ensuite, ce sera à lui de déterminer si le dossier est suffisamment solide ou non pour aller au procès. Nous ne sommes pas encore au bout de cette affaire !' ou encore 'Nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront les condamnations finales ni si les collectionneurs et les galeristes qui devraient être condamnés seront ou non forcés de vendre les planches'.

S'agissant des articles consacrés aux investigations des deux journalistes, il apparaît clairement que ceux-ci relatent le fruit de leur propre travail comme ils s'en étaient déjà fait l'écho au travers de leurs propres articles diffusés dans les quotidiens 'Le soir' et 'Le Monde'. Et, il apparaît que le journaliste de la société DBD s'est quant à lui borné à reproduire fidèlement ces propos, sans que les questions qu'il a posées à cette fin puissent être considérées comme subjectives ou de nature à refléter son opinion sur la responsabilité éventuelle de M. [T].

S'agissant des propos de M. [V], il n'est pas davantage établi que les questions qui lui ont été posées seraient orientées et il convient de constater que les propos qu'il a tenus sont nuancés contrairement que ce que prétend M. [T]. Notamment, il peut être relevé qu'à la question ' Pourriez-vous interdire à ces galeristes de publier des livres ou des tirages de tête avec ces mêmes auteurs ' On pense au récent artbook Gibrat [L'Hiver en été] chez [T], ou au tirage de tête de Madeleine Résistante de Bertail et Morvan, chez [P].', celui-ci a répondu : 'A partir du moment où nos contrats sont respectés, nous ne pouvons rien leur reprocher !

Nos auteurs sont responsables s'ils veulent se mettre d'accord avec ces galeristes-éditeurs.

C'est la presse qui nous a révélé ou confirmé les noms des galeries concernées en sachant que les rôles de [T] et [E] ont plus particulièrement été mis en avant.'

Ainsi, au vu de ce qui précède et après examen de l'ensemble du magazine, la cour constate qu'il n'est pas démontré avec l'évidence requise en référé que les propos que M. [T] considère comme attentatoires à sa présomption d'innocence le seraient. En réalité, la magazine se borne à présenter les tenants et aboutissants de l'affaire, en reproduisant les propos des deux journalistes ayant investigué sur celle-ci, ainsi que ceux du responsable de la fondation victime, sans parti pris et sans que M. [T] puisse être regardé comme sans équivoque définitivement coupable des faits comme celui-ci le soutient à tort.

Aussi, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et s'agissant aussi des mesures accessoires édictées en conséquence.

Sur les frais et dépens

Les dépens seront mis à la charge M. [T], partie perdante, qui supportera les frais irrépétibles qu'il a engagés.

Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de quatre mille (4.000) euros à la société DBD au titre des frais exposés dans le cadre de l'instance non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [T] aux dépens d'appel ;

Rejette la demande de M. [T] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne M. [T] à payer à la société DBD une indemnité de quatre mille (4.000) euros à la société DBD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute demande contraire ou plus ample des parties.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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