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Décisions

CA Dijon, 2 e ch. civ., 3 avril 2025, n° 23/01596

DIJON

Arrêt

Autre

CA Dijon n° 23/01596

3 avril 2025

S.A.S. [12]

C/

S.C.P. [7]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2 e chambre civile

ARRÊT DU 03 AVRIL 2025

N° RG 23/01596 - N° Portalis DBVF-V-B7H-GKLX

MINUTE N° 25/

Décision déférée à la Cour : au fond du 08 décembre 2023,

rendue par le tribunal de commerce de Mâcon - RG : 2023F105

APPELANTE :

S.A.S. [12]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 24/00302 (Fond)

Représentée par Me Fabien KOVAC de la SCP DGK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 46

assisté de Me Louis LACAMP, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.C.P. [7]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 24/00302 (Fond)

Représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126

assistée de Me Nicolas BES et Me Geoges-Alexandre DERRIEN, membres de la SCP BES SAUVAIGO & Associés, avocats au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 janvier 2025 en audience publique devant la cour composée de :

Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

Bénédicte KUENTZ, Conseiller,

Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

l'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté lors des débats par Monsieur Olivier BRAY, avocat général.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 27 Mars 2025 pour être prorogée au 03 Avril 2025,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

La société de droit chinois [13] exploite une activité de commerce en ligne. Elle est immatriculée en France depuis le 1er décembre 2019.

Le 29 avril 2021, elle a fait l'objet d'une rectification fiscale portant sur un rappel de TVA de 269.830 euros.

Sur l'assignation des services fiscaux et par jugement définitif du 24 juin 2022, le tribunal de commerce de Mâcon l'a placée en liquidation judiciaire et a désigné la SCP [7], en la personne de Me [U], en qualité de liquidateur judiciaire.

La liquidation judiciaire de la société [13] a été étendue à la société [9] par un jugement définitif du 13 janvier 2023.

Se prévalant de neuf virements effectués pour un montant total de 400.000 euros entre la société [9] et la société [12], la SCP [7] a fait assigner cette dernière en extension de la liquidation judiciaire que le tribunal de commerce de Mâcon a prononcé par jugement du 8 décembre 2023.

Par déclaration au greffe du 18 décembre 2023, la société [12] a relevé appel de cette décision.

Prétentions de la société [12] :

Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 octobre 2024, la société [12] demande à la cour de :

à titre principal,

- annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Mâcon le 8 décembre 2023 ;

statuant de nouveau,

- déclarer irrecevable, au regard de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge-commissaire du tribunal de commerce de Mâcon du 11 juin 2024, la demande d'extension de liquidation judiciaire sollicitée par la société [7], ès qualités de liquidateur dans la procédure collective des sociétés [13], SAS [9] et SAS [12] ;

- rejeter les demandes de la société [7], ès qualités de liquidateur dans la procédure collective des sociétés [13], SAS [9] et SAS [12] ;

à titre subsidiaire,

- infirmer les chefs suivants du jugement rendu par le tribunal de commerce de Mâcon le 8 décembre 2023 :

prononce l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de : [13] et SAS [9] à la SAS [12] exerçant une activité de représentation fiscale, conseil et gestion pour les entreprises étrangères, formalités d'entreprises étrangères [Adresse 1] sous le n° B 889 846 929,

dit que les dispositions des jugements du 24/06/2022 et du 13/01/2023 sont applicables à la SAS [12],

dit que la procédure collective enregistrée sous le N° 2022RJ0074 se poursuivra sous la désignation [13] - SAS [9] - SAS [12],

ordonne l'exécution provisoire du jugement,

ordonne les mesures de publicité prescrites par la loi,

passe les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;

statuant de nouveau,

- déclarer irrecevable, au regard de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du juge-commissaire du tribunal de commerce de Mâcon du 11 juin 2024, la demande d'extension de liquidation judiciaire sollicitée par la société [7], ès qualités de liquidateur dans la procédure collective des sociétés [13], SAS [9] et [12] ;

- rejeter les demandes de la société [7], ès qualités de liquidateur dans la procédure collective des sociétés [13], [9] et SAS [12] ;

en tout état de cause,

- condamner la société [7], ès qualités de liquidateur dans la procédure collective des sociétés [13], SAS [9] et SAS [12], à verser à la société SAS [12] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Prétentions de la SCP [7], prise tant en son nom propre qu'en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [13], SAS [9] et SAS [12] :

Selon ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2024, la SCP [7] entend voir, au visa des articles L. 621-2 , R. 661-1, R. 661-6 du code de commerce :

- juger la SCP [7] recevable et bien fondée en ses demandes,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Mâcon du 8 décembre 2023 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a prononcé l'extension de la procédure de liquidation judiciaire des sociétés [13] et [9] à la société [12],

en tout état de cause, si par extraordinaire le jugement dont appel était jugé nul, statuant à nouveau et évoquant le litige sur le fond :

- juger qu'il existe des relations financières anormales entre la société [13], la société [9] et la société [12] ,

en conséquence,

- prononcer l'extension de la liquidation judiciaire de la société [13] et de la société [9] à la société [12] ,

- débouter la société [12] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- tirer les dépens en frais privilégiés de la procédure.

Par avis écrit en date du 8 décembre 2025 repris dans ses explications orales à l'audience, le Ministère Public a sollicité la confirmation.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur la nullité du jugement :

La société [12] se prévaut de la nullité du jugement aux motifs qu'en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la décision ne comporte aucun exposé des prétentions des parties et de leurs moyens et qu'elle est dépourvue de motivation.

La société [7] réplique que le jugement n'est pas exempt de toute motivation, et que ses termes permettent d'en comprendre les motifs.

Elle relève que l'éventuelle annulation est couverte par l'effet dévolutif de l'appel qui saisit la cour du fond du litige.

L'article 455 du code de procédure civile impose à la juridiction d'exposer, même succinctement, les prétentions respectives des parties et leurs moyens ainsi que de motiver sa décision, ces prescriptions étant sanctionnées par la nullité du jugement énoncée par l'article 458 du même code.

Si contrairement aux affirmations de la société [12] le jugement comporte une motivation de la décision, il n'expose pas les demandes qui ont été présentées par chacune des parties, ni les moyens sur lesquels elles se sont appuyées.

La cour ne pourra en conséquence que prononcer la nullité du jugement.

Par l'effet dévolutif de l'appel, la cour demeure néanmoins saisie de l'entier litige.

2°) sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée :

La société [12] soutient que la demande d'extension de la procédure collective se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à la décision d'admission au passif de la société [9], d'une créance de 142.384, 39 euros déclarée par la société de droit chinois [14], exerçant une activité de mise en conformité fiscale, au titre du solde d'un remboursement de trop perçu de TVA, objet des neuf virements litigieux qu'elle a reçu de la société [9].

La SCP [7] considère que l'autorité de chose jugée de la décision d'admission ne peut lui être opposée, les deux instances ne concernant pas les mêmes parties et n'ayant pas le même objet.

Il relève que la décision opposée n'a pas autorité de chose jugée, l'état des créances n'ayant pas été publié et les délais de recours n'ayant pas couru.

Si la société [12] produit aux débats l'avis de fixation au passif de la procédure collective de la société [9], en date du 11 juin 2024, d'une créance de la société [14] pour un montant de 142.384,39 euros, il n'est justifié ni de la publication au BODACC de l'état des créances, ni de la purge des recours lui permettant de se prévaloir de l'autorité de chose jugée acquise par cette admission.

Au demeurant, cette instance en vérification des créances n'a pas le même objet, ni la même cause que l'instance en extension de la procédure collective et ne concerne pas les mêmes parties.

La fin de non-recevoir ne peut en conséquence prospérer et la demande de la SCP [7], ès qualités, sera déclarée recevable.

3°) sur les relations financières anormales entre les sociétés [12] et [9] :

Selon les articles 621-2 et L641-1 du code de commerce, la procédure de liquidation judiciaire peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.

Il n'est pas discuté que la société [9] a émis, au bénéfice de la société [12], entre le 10 mars 2022 et le 24 juin 2022, neuf virements pour un montant total de 400.000 euros à partir d'un compte ouvert dans les livres du [8] -[11] sous le n° 00085670203.

La société [12] fait valoir que :

- ces neuf virements ont été émis en paiement partiel d'une dette contractée par la société [9] à l'égard de la société [14] et ont eu pour contrepartie l'extinction, à due concurrence, de cette dette,

- la société [14] a déclaré sa créance résiduelle au passif de la liquidation judiciaire de la société [9], créance définitivement admise par une décision du juge-commissaire du 11 juin 2024, qui a nécessairement reconnu l'existence et la validité de cette créance,

- en l'absence de caractère systématique, ces versements ne constituent pas des relations financières anormales caractérisant une confusion des patrimoines.

Elle se prévaut d'irrégularités ayant entaché la procédure de liquidation judiciaire de la société [13], l'assignation et le jugement d'ouverture n'ayant pas été régulièrement signifiés à cette dernière qui peut encore en relever appel et soutient que l'extension de la liquidation à la société [9] est intervenue sur le fondement d'un compte bancaire qu'elle aurait prétendument ouvert conjointement avec la société [13] alors qu'il est à son seul nom.

La SCP [7] relève que :

- les flux financiers litigieux ont été opérés sur une période de trois mois pour un montant significatif dans un contexte de fraude à la TVA,

- il n'est produit aucun contrat, ni aucun élément comptable pouvant justifier ces versements,

- la relation contractuelle alléguée concerne les sociétés [14] et [9] et non la société [12],

- cette dernière qui soutient que les fonds ne lui ont été remis qu'aux fins de reversement à l'administration fiscale au titre de la TVA, ne justifie pas y avoir procédé, alors qu'elle reconnaît elle-même être dépourvue de la qualité de représentante fiscale lui permettant de remplir ces formalités,

- il n'est pas démontré que le mandat de représentation fiscale qui aurait été confié à la société [9] a été clôturé avant son retrait d'accréditation par l'administration fiscale.

Elle ajoute que le compte bancaire à partir duquel il a été procédé aux virements est le seul connu de la société [13], même s'il est libellé au nom d'Euro-Taxes, que la caractérisation de relations financières anormales ne requiert pas de condition de durée et considère que la société [12] est dépourvue de qualité pour se prévaloir d'irrégularités affectant une procédure de liquidation judiciaire à laquelle elle est tierce.

Pour justifier de la cause des virements émis à son profit par la société [9], la société [12] produit :

- une lettre de " remboursement " du 20 septembre 2022 établie par la société [14] aux termes de laquelle cette dernière sollicite le remboursement au titre du " retrait" de 569 mandats de représentation fiscale d'une somme totale de 832.384,39 euros correspondant aux taxes collectées auprès de ses clients ;

- une lettre de "certification" établie en réponse par la société [9] le 30 novembre 2022 dans laquelle elle reconnaît devoir "restituer " à la société [14] une somme totale de 832.384,39 euros de taxes collectées au titre de sa mission de représentation fiscale et faisant état du remboursement de 690.000 euros dont 500.000 euros entre mars et juin 2022 « sur le compte de la société française de [10] »,

- les avis de débit correspondant aux virements litigieux et mentionnant comme motif : « TVA trop perçu ».

La cour relève que les lettres de " remboursement " et de "certification" par lesquelles la société [12] entend justifier les paiements qu'elle a encaissés, sont toutes deux postérieures à l'émission des ordres de virement, mais également à l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société [13] ainsi que, pour la seconde, à la demande de restitution des sommes faite par le liquidateur le 29 novembre 2022.

Il sera également observé que la lettre de " remboursement " ne comporte aucune instruction relative au règlement des sommes réclamées, seule la seconde lettre, postérieure à la réclamation du liquidateur, faisant référence à des paiements réalisés sur les comptes de sociétés tierces.

Alors qu'il est soutenu que « [10] » n'est qu'une dénomination de la société [14], la lettre de " remboursement " du 20 septembre 2022 est signée distinctement par chacune de ces entités, le fait qu'elles aient le même représentant légal ne pouvant constituer la preuve de ce qu'elles ne constituent qu'une seule et même personne morale.

En toutes hypothèses, ces lettres ne peuvent rendre compte que de l'existence de flux financiers entre les sociétés [14], [10] et [9], aucune d'entre elles ne désignant expressément la société [12] pour recevoir les fonds, la seule mention de « la société française de [10] » ne permettant pas cette identification.

En outre, si la lettre de " remboursement " comporte en annexe une liste de versements associant un code d'identification, une période de déclaration, un montant et une date de collecte, éléments manifestement destinés à identifier précisément chacune des sommes encaissées par la société [9] et qui permettent la traçabilité de ces fonds, les virements litigieux opérés par cette dernière au bénéfice de la société [12], dont il est soutenu qu'ils correspondent aux remboursements de ces sommes, ne sont documentés par aucune pièce comptable, aucune liste permettant d'identifier les fonds qui seraient ainsi restitués, ni d'établir de correspondance avec ceux-ci, leurs montants ne permettant pas plus de connaître quels "dossiers clients" est concerné par le remboursement, alors que ces sommes sont déclarées être destinées au paiement des droits de TVA acquittés par ces clients et déposées sur le compte de la société [9] aux seules fins de remise aux services fiscaux.

Il sera observé au surplus que le montant global des remboursements mentionnés par la société [9] comme réalisés par ses soins entre mars et juin 2022 sur le compte de « la société française de [10] », soit 500.000 euros, ne correspond pas à celui (400.000 euros) des virements litigieux.

Enfin, les pièces produites établissent que le 1er février 2022, un accord de coopération a été signé entre les sociétés [14], [12] et [6], confiant à cette dernière un mandat de représentation fiscale et que ce mandat a reçu exécution par des transferts de fonds réalisés en mars, juin et octobre à son ordre.

Il est dès lors peu compréhensible que les restitutions de montants de TVA, destinés à être versés au Trésor Public, aient été opérées sur le compte de la société [12] qui n'a jamais eu la qualité de représentant fiscal, alors qu'à la date des virements, la société [14] avait déjà constitué un autre représentant fiscal en remplacement de la société [9].

De plus, les éléments soumis à la cour ne permettent pas d'assurer la traçabilité des fonds réclamés par la société [14] et de ceux objets des virements en cause.

La société [12] est défaillante à établir la justification des sommes qu'elle a reçues de la société [9] en dehors de tout lien contractuel et cette absence de cause comme de contrepartie démontrées à ces transferts d'actifs leur confère un caractère anormal que leur relative concentration sur une période de trois mois ne suffit pas à écarter.

Par ailleurs, il apparaît que le compte bancaire à partir duquel les virements litigieux ont été réalisés, s'il est au nom de la société [9] est également le seul connu et utilisé par la société [13], débitrice initialement liquidée.

Si la société [12] critique la décision d'ouverture de la liquidation judiciaire comme celle d'extension, elle est dépourvue de toute qualité pour le faire et n'en tire en toute hypothèse, aucune conséquence dans le dispositif de ses écritures, de sorte que ces décisions dont il n'a pas été relevé appel s'imposent à ce jour aux parties comme à la cour.

Ces relations financières anormales entre deux sociétés caractérisent la confusion de leur patrimoine laquelle autorise l'extension de la procédure de liquidation judiciaire des sociétés [13] et [9] à la société [12] qui devra en conséquence être prononcée.

PAR CES MOTIFS :

Prononce la nullité du jugement du tribunal de commerce de Mâcon en date du 8 décembre 2023,

statuant à nouveau,

Déclare recevable la demande de la SCP [7], en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés [13] et [9] ;

Prononce l'extension de la procédure de liquidation judiciaire des sociétés [13] et [9] à la SAS [12] ;

Dit que la procédure de liquidation judiciaire qui se poursuivra sera unique à l'égard des trois sociétés,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

Le greffier, Le président,

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