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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 3 avril 2025, n° 23/01177

DOUAI

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Rabot Dutilleul Construction (SAS)

Défendeur :

Menuiseries d'Artois (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mimiague

Conseillers :

Bubbe, Vilnat

Avocats :

Franchi, Camus-Demailly, Le Briquir, Le Pallec, Gobbers-Veniel

T. com. Lille Métropole, du 31 janv. 202…

31 janvier 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte d'engagement du 1er avril 2019, la SA HLM Vilogia (la société Vilogia) a confié, dans le cadre d'un marché public global de performance, la 'conception-réalisation' de la rénovation énergétique de bâtiments d'habitation à un groupement d'entreprises, dont la SAS Rabot Dutilleul Construction (la société RDC) était la représentante, pour un montant total de 17 280 000 euros HT, porté par avenant du 26 novembre 2019 à 20 234 573,94 euros HT.

Le 25 avril 2019, la société RDC a adressé à la SAS Menuiseries d'Artois (la société SMA) une lettre d'intention de commande pour la fourniture et la pose d'éléments de façade préfabriqués pour un montant de 3 657 321 euros HT.

Le 12 juin 2019, la société Vilogia a agréé la société SMA en qualité de sous-traitant.

Le 3 septembre 2019, elle a réglé la facture d'un montant de 30 000 euros de la société SMA du 1er juillet 2019 au titre des frais de conception directement à cette dernière.

Par avenant du 26 novembre 2019, établi entre elle et la société RDC, la société Vilogia a prévu le versement de la somme de 400 000 euros à la société SMA pour le lancement de la fabrication des panneaux de façade.

Par courrier du 30 juin 2020, la société RDC a refusé la dernière offre de la société SMA et lui a demandé de restituer la somme de 400 000 euros versée par la société Vilogia.

La procédure de médiation initiée le 6 novembre 2020 par la société SMA n'a pas abouti.

Par jugement contradictoire du 31 janvier 2023, sur assignation de la société SMA, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- dit qu'un contrat de sous-traitance a été formé entre les parties,

- condamné la société RDC à verser à la société SMA les sommes de :

- 10 000 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat,

- 10 313,86 euros TTC au titre du solde des factures entre les parties sur ce programme,

- 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- débouté la société RDC de sa demande de restitution de l'avance de 400 000 euros,

- débouté la société SMA de sa demande au titre des préjudices annexes,

- rappelé que l'exécution provisoire était de droit.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 mars 2023, la société RDC a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement aux fins d'infirmation ou d'annulation, sauf celui déboutant la société SMA de sa demande au titre des préjudices annexes.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 octobre 2023, la société RDC demande à la cour de :

- annuler le jugement,

A défaut,

- infirmer le jugement en l'ensemble de ses dispositions, sauf celui déboutant la société SMA de sa demande au titre des préjudices annexes,

Statuant à nouveau dans les deux cas,

A titre principal,

- constater l'absence de sous-traité,

- rejeter les demandes formées par la société SMA à son encontre,

A titre subsidiaire,

- constater l'impossibilité pour elle de faire appel à la société SMA en phase de conception eu égard à l'impossibilité de mettre en oeuvre la réalisation telle que la société SMA l'avait envisagée,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes,

A titre très subsidiaire,

- constater la caducité de l'éventuel contrat de sous-traitance,

- débouter la société SMA de l'ensemble de ses demandes à son encontre,

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que la société SMA ne justifie d'aucun préjudice,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes,

Sur l'appel incident,

- constater que l'appel incident de la société SMA se limite à demander l'infirmation de son débouté au titre des préjudices annexes et de la condamnation de la société RDC à lui verser 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et 10 313,86 euros au titre du solde des factures entre les parties sur ce programme et que ses demandes au titre du solde se limitent à la somme de 46 372 euros HT et non 446 372 euros HT,

A titre principal,

- constater que la société SMA ne justifie d'aucun préjudice et la débouter de ses demandes de condamnation,

A titre subsidiaire,

- limiter le préjudice financier de la société SMA à la somme de 49 489,90 euros et la débouter pour le surplus et les autres chefs,

En tout état de cause,

- condamner la société SMA à lui verser l'avance consentie à hauteur de 400 000 euros,

- la condamner à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance et d'appel, dont distraction, pour les dépens d'appel, au profit de la SCP Processuel, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 juillet 2023, la société SMA demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- limité le montant des dommages-intérêts pour rupture abusive à 10 000 euros,

- limité le montant dû au titre du solde des factures entre les parties sur ce programme à 10 313,86 euros TTC

- rejeté la demande de dommages-intérêts au titre des préjudices annexes,

- confirmer le jugement pour le surplus,

En conséquence,

- condamner la société RDC à lui verser les sommes de :

- 46 372 euros HT au titre du solde des prestations facturées et réalisées,

- 1 355 998 euros HT à titre de dommages-intérêts pour préjudice et, à titre subsidiaire, 873 740 euros, avec intérêts judiciaires à compter de l'assignation,

- 100 000 euros au titre des préjudices annexes,

Y ajoutant,

- condamner la société RDC à lui verser 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance et d'appel.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 16 octobre 2024 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 6 novembre 2024.

MOTIFS

Sur la nullité du jugement

Sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile, la société RDC indique que le tribunal a relevé d'office le moyen tiré du défaut de qualité à agir pour la débouter de sa demande reconventionnelle sans permettre aux parties d'en débattre contradictoirement.

En l'espèce, le tribunal, au visa de l'article 125 du code de procédure civile, a débouté la société RDC de sa demande reconventionnelle, retenant la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir.

Au-delà de l'erreur portant sur la sanction retenue s'agissant d'une fin de non-recevoir, il ne ressort d'aucune mention du jugement que les parties ont été mises en mesure de s'expliquer sur la fin de non-recevoir soulevée d'office par les premiers juges.

Dès lors, en l'absence de preuve du respect du contradictoire conformément aux dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, il convient de prononcer la nullité du jugement.

Compte tenu de la nullité du jugement, la dévolution s'opère pour le tout en vertu de l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile. Aussi, il y a lieu de statuer sur l'ensemble du litige opposant les parties.

Sur l'existence d'un sous-traité

La société RDC conteste l'existence d'un sous-traité portant sur la fourniture et la pose des murs de façade préfabriqués. Elle souligne que la société SMA, qui invoque son existence, échoue à en établir la date et que les études de conception ont été repoussées d'abord au 15 janvier 2020, puis en mars 2020 après modification du cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Elle expose qu'aucun contrat global n'a été signé, qu'aucun engagement ferme n'a porté sur la phase de réalisation et que les échanges avec la société SMA s'inscrivaient dans le cadre d'une négociation pour la phase de réalisation. Elle souligne que la société SMA connaissait le phasage du contrat prévu dès l'origine. Elle affirme que la scission du marché en deux phases lui interdisait de conclure un sous-traité unique et que sa lettre d'intention de commande du 25 avril 2019 ne vaut pas sous-traité alors que la relation avec la société SMA n'en était qu'au stade des pourparlers, dont la rupture est libre en application de l'article 1112 du code civil. Elle indique que la transmission de nouvelles offres par la société SMA, conformes au projet et au procédé constructif retenu, établit l'absence de contrat ferme portant sur la phase de réalisation. Elle explique qu'aucun sous-traité ne peut être régularisé avant l'accord du maître d'ouvrage et que l'accord de ce dernier pour la phase de réalisation est donné en anticipation. Elle estime que le versement de 400 000 euros constitue une avance et non un acompte.

La société SMA expose que la société RDC a accepté son offre initiale par courriel du 25 avril 2019. Elle indique que la lettre d'intention de commande était soumise à la seule condition de l'acceptation par le maître d'ouvrage qui est intervenue le 15 mai 2019. Elle fait valoir que le document adressé par courriel du 25 avril 2019 constitue une offre portant sur la prestation et le prix et non une simple intention. Elle affirme que le sous-traité n'a pas à faire l'objet d'un écrit pour être valable et que d'ailleurs, aucun écrit n'existe pour la phase de conception, qui n'est pas contestée par la société RDC. Elle indique que son offre était globale, incluant la conception et la réalisation pour le prix de 3 657 321 euros HT. Elle affirme que l'avenant n°1 confirme l'existence d'un contrat de sous-traitance parfait en ce compris la mission de réalisation par la préfabrication des panneaux de façade avant même l'achèvement de la phase de conception. Elle souligne que le marché public mentionne deux phases : la première de conception-réalisation et la seconde de maintenance, cette dernière ne concernant pas la société RDC. Elle précise l'absence d'aléa au contrat après l'accord des locataires pour la réalisation des travaux. Elle affirme que le versement de 400 000 euros a été approuvé par la société RDC et établit l'existence du sous-traité comprenant la réalisation.

Aucune des dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, qui est d'ordre public, ne soumet le contrat de sous-traitance à des règles de forme particulière, un contrat écrit n'étant exigé que pour les opérations de construction de maison individuelle, selon l'article L. 231-13 du code de la construction et de l'habitation non applicable en l'espèce au regard de la nature des travaux projetés.

Si l'article 4 de cette loi prévoit que l'entrepreneur 'doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage', cette obligation, destinée à lutter contre la sous-traitance dissimulée, n'est pas une condition de validité du sous-traité, la seule sanction du refus d'agrément par le maître d'ouvrage étant que l'entrepreneur sera tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre de ce dernier.

Dès lors, à défaut d'écrit, il convient de rechercher si les parties sont convenues de la réalisation par la société SMA de travaux initialement confiés à la société RDC, sous la responsabilité de cette dernière, selon la définition du contrat de sous-traitance établie à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975.

En l'espèce, la société SMA produit un devis, intitulé 'Prestations sous-traitées - Industriel' adressé par courriel à la société RDC le 4 février 2019 pour un montant total de 3 820 474 euros ainsi que ce même devis, portant la date du 10 avril 2019, qui détaille certaines prestations de manière manuscrite (notamment levage et scan 3D) et qui atteint, après modifications, un montant total de 3 657 321 euros, étant observé que la société RDC ne conteste aucune des mentions manuscrites portées sur le second devis (pièces 1/1 et 1/2 de la société SMA).

En outre, la lettre, adressée par la société RDC à la société SMA par courrier électronique le 25 avril 2019, intitulée 'intention de commande', est libellée de la manière suivante :

'Monsieur,

Nous vous confirmons notre accord arrêté au montant de 3 657 321 ' HT portant sur la fourniture et pose des murs de façade préfabriquées avec menuiseries extérieures intégrées pour l'offre ci-dessus référencée.

Votre offre acceptée est conforme aux documents qui vous ont été transmis :

- cahier des charges des panneaux de façades à ossature bois en date du 16/10/2018

- repérage des menuiseries extérieures

Sont compris dans votre offre :

- les études et plans d'exécution de votre prestation

- le transport sur site des panneaux

- les parements de façades (panneaux type Hardipannel et bardage bois aspect claire voie verticale)

- les volets roulants électriques en RDC

- l'étanchéité à l'air de la façade préfabriquée par rapport à la façade existante

- la fixation des panneaux sur la façade existante.

A notre charge, l'échafaudage extérieur et le levage des panneaux de façades.

Nous avons prévu la pose des panneaux de façades des 160 logements pour un délai de 11 mois.

Cet accord ne vaudra qu'à l'acceptation de votre demande d'agrément faite auprès du Maître d'Ouvrage Vilogia.

A cet effet, vous voudrez bien nous transmettre les documents suivants [...].

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'

Ainsi, il ressort des termes clairs et détaillés de cette lettre, qui fait suite directement au devis modifié, que la société RDC a 'confirmé' son accord portant sur les travaux proposés par la société SMA, qu'elle détaille et qui incluent notamment la réalisation des travaux de fourniture et pose de panneaux de façade, au prix prévu, sous la seule condition de l'agrément du sous-traitant par la société Vilogia, qui est intervenu le 15 mai 2019.

De plus, le phasage des opérations de conception puis de réalisation mentionné par la société RDC, postérieurement à son accord, par courriel du 29 avril 2019, ne peut remettre en cause l'étendue de ce dernier portant sur la conception et la réalisation, la société RDC ne justifiant pas de l'impossibilité ou de l'interdiction de conclure un sous-traité global, alors que le sous-marché reprend lui-même une phase 2 de 'conception-réalisation' (pièce 1 de la société RDC).

De même, il ressort de la demande d'autorisation de sous-traitance et d'agrément que la société SMA a demandé et obtenu son agrément pour des travaux sous-traités pour une 'phase conception' pour un montant de 30 000 euros et pour une 'phase travaux' de 3 627 321 euros, soit le même total que le montant du devis modifié.

En outre, l'avenant n°1, établi entre les sociétés Vilogia et RDC le 26 novembre 2019, précise que 'les parties conviennent ainsi qu'à compter du 25 novembre 2019, une avance de 400 000 euros HT sera versée au sous-traitant en charge de la fabrication et de la pose des murs de façades préfabriqués, à savoir la société Menuiseries d'Artois, d'ores et déjà accepté par le MAÎTRE D'OUVRAGE et dont les conditions de paiement ont également été acceptées par ce dernier.'

Enfin, les modifications techniques issues des opérations de conception ne peuvent remettre en cause le caractère ferme de l'accord de la société RDC, ni sa recherche ultérieure d'une réduction des coûts après modification des surfaces à traiter.

Dès lors, l'accord entre les parties est parfait et l'existence d'un contrat de sous-traitance portant sur la fourniture et la pose de panneaux de façade préfabriqués sera retenue.

Sur la rupture du contrat

Pour contester toute indemnisation, la société RDC indique que les techniques utilisées par la société SMA ne permettaient pas de respecter le CCTP prévu par la société Vilogia. Elle invoque ensuite la caducité du sous-traité alors que l'objet du contrat, à savoir le procédé constructif, a été modifié suite aux travaux de conception et que la société SMA a accepté de renégocier les termes du contrat initial afin d'établir un contrat de sous-traitance sur les nouvelles bases.

La société SMA indique que le bureau de contrôle n'a pas conclu à l'impossibilité matérielle mais seulement à la nécessité de certaines adaptations techniques. Elle souligne que la méthode constructive est acquise dès la conclusion du contrat et que la discussion ultérieure ne porte que sur l'optimisation du temps de pose.

En l'espèce, si le bureau de contrôle a retenu l'existence de déformations et de capacités aléatoires de résistance à la traction pour les chevilles lors de la mise en oeuvre du dispositif prévu par la société SMA pendant les essais réalisés le 18 décembre 2019 et la nécessité de préciser les données techniques, la société SMA justifie avoir répondu à l'ensemble des points soulevés par ce professionnel, produisant les essais relatifs aux chevilles à utiliser ainsi que les calculs techniques réalisés, étant précisé qu'il ressort de l'ensemble des plans produits que les fixations sont à insérer dans les dalles en béton et non dans les briques (ses pièces 7, 10, 64 et 65).

En outre, la société RDC n'apporte aucun autre élément permettant de retenir que le procédé constructif prévu par la société SMA ne permettrait pas de respecter les caractéristiques techniques définies au marché, avant ou après modification de ce dernier durant la phase de conception.

Dès lors, il n'y aura pas lieu de retenir que la société SMA était dans l'impossibilité d'exécuter le contrat.

Par ailleurs, si la société RDC invoque la caducité du sous-traité initial, elle n'apporte aucun élément permettant de retenir que le marché global aurait été annulé ou modifié par la société Vilogia, qui avait obtenu l'accord des locataires à la réalisation des travaux faisant l'objet du marché, alors qu'elle-même a demandé à la société SMA de présenter une nouvelle offre, en réduisant les quantités réalisées et en limitant les coûts.

En outre, aucun élément ne permet de retenir que la société SMA aurait été dans l'incapacité de réaliser les travaux prévus au contrat, même après modification du procédé constructif, alors que la société RDC ne fait état que de sa demande de réduire les coûts en diminuant les surfaces traitées après établissement du CCTP dans ses échanges avec la société SMA.

Dès lors, si la société SMA a accepté, après de multiples changements dans les demandes de la société RDC, de renégocier les quantités et les prix initialement convenus, ce seul élément est insusceptible de caractériser la caducité du contrat initial.

Dès lors, la société RDC ne justifiant pas de la disparition d'un des éléments essentiels du contrat, au sens de l'article 1186 du code civil, il n'y aura pas lieu de constater la caducité du sous-traité.

En conséquence, la rupture du contrat par la société RDC, par courrier du 30 juin 2020, visant uniquement le refus de la société SMA de travailler à perte suite à sa volonté de réduire les coûts et non des difficultés de réalisation technique du projet par la société SMA, est fautive.

Afin d'établir les comptes entre les parties, il convient dans un premier temps de statuer sur la demande de remboursement de l'avance puis dans un second temps sur les demandes d'indemnisation de la société SMA, qui a déduit le montant de cette avance afin de former ses demandes.

Sur la demande de remboursement de l'avance

La société RDC indique que l'avance de 400 000 euros a été versée à la société SMA pour permettre d'anticiper la phase de réalisation du chantier et qu'elle doit être remboursée alors que la société SMA n'est pas intervenue au titre de la réalisation du chantier. Elle expose que les premiers tests d'industrialisation ont été réalisés avant l'achèvement de la phase de conception en 2019 et que les seconds ont été entrepris pour tenir compte de la modification du processus industriel qui n'était qu'envisagé en février 2020. Elle fait valoir que la société SMA a utilisé une partie des fonds à la conception, dont le montant fixé forfaitairement à

30 000 euros, a été versé. Elle fait valoir que le montant de l'avance a été déduit des sommes qu'elle a elle-même perçues et fonde son action en restitution sur la subrogation légale.

La société SMA indique qu'en application du code de la commande publique et de la jurisprudence administrative, seul le maître de l'ouvrage peut réclamer le remboursement de l'avance versée au sous-traitant, sous réserve des dépenses qu'il a exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. Elle souligne que le versement de l'acompte détermine le démarrage de l'exécution de la préfabrication puisqu'il permet la modélisation 3D et les commandes de matière en vue de la fabrication ainsi que la réalisation du logement témoin et les tests d'industrialisation avant fabrication en série. Elle indique que sa facture permettant le déblocage de l'avance a été validée par la société RDC.

En l'espèce, la société RDC justifie que la SA Vilogia a versé directement à la société SMA la somme de 400 000 euros, qu'elle a ensuite imputée sur le montant total qu'elle devait à l'entrepreneur principal au titre du marché (sa pièce 19).

Ainsi, alors que le maître de l'ouvrage a réglé directement une partie du prix des travaux prévus au sous-traité, le maître d'oeuvre dispose, sur le fondement de la subrogation légale, d'une action en remboursement à l'encontre du sous-traitant, dont il invoque le défaut d'exécution des obligations.

Par ailleurs, il ressort de l'avenant n°1 que l'avance versée par la société Vilogia était destinée à financer 'la commande des matériaux destinés à la fabrication des panneaux' et qu'elle devait être remboursée au prorata des prestations réalisées.

Or, il est constant que, suite à la rupture du contrat intervenue le 30 juin 2020, la société SMA n'a réalisé ni la fabrication des murs de façades préfabriqués ni leur pose.

Dès lors, la société SMA sera condamnée à verser à la société RDC le montant de l'avance de 400 000 euros avec intérêts au taux légal du présent arrêt.

Sur l'indemnisation de la rupture

Sur le fondement de l'article 1231-2 du code civil, la société SMA sollicite l'indemnisation complète de son préjudice, tiré du gain manqué et de la perte subie. Elle indique que l'avance de 400 000 euros a été consommée pour financer l'industrialisation et les dernières études avant mise en facturation, laissant un solde de 46 372 euros. Elle expose que le gain manqué est constitué par la perte de marge brute, pour un montant de 1 335 998 euros correspondant à un taux moyen de marge brute de 42%. A titre subsidiaire, elle affirme que la méthode contrefactuelle de calcul du préjudice, mise en oeuvre par son comptable, permet de fixer un préjudice financier de 873 740 euros. S'agissant des autres préjudices, elle évoque l'embauche d'un salarié affecté uniquement aux études de conception du marché sous-traité, le report d'autres chantiers, l'affectation exclusive de sa ligne de production pendant onze mois au marché et la dégradation de son image de marque pour une somme de 100 000 euros.

La société RDC conteste que les dépenses invoquées par la société SMA ont pu être engagées pour le chantier de la société Vilogia alors que la phase de réalisation n'avait pas commencé. Elle rappelle que la société SMA a consommé l'avance de 400 000 euros en intégralité, notamment pour le financement d'études, qui relève de la phase de conception, dont le prix a été fixé forfaitairement à 30 000 euros. Elle indique que la société SMA n'a pas réalisé le logement témoin. Elle souligne que la société SMA ne sollicite pas la somme de 446 372 euros mais seulement 46 372 euros au titre du solde des factures. Elle affirme que le taux de 42% retenu par la société SMA n'est pas un taux de marge brute mais un taux de marge sur matières consommées. Elle soutient qu'à défaut de justifier de ses comptes de résultat pour l'année 2020, du tableau d'amortissement de ses immobilisations et des comptes détaillés des devis successifs qui ont abouti à une remise de prix, la société SMA n'établit pas la réalité de son préjudice. Elle ajoute que la société SMA ne justifie pas de ses préjudices annexes. Elle fait valoir que le montant de l'indemnisation doit être déterminé à partir du dernier prix proposé par la société SMA et se voir imputés les versements de 30 000 et 400 000 euros intervenus. Elle explique que l'excédent brut d'exploitation (EBE), d'un taux moyen de 2,40%, doit être utilisé pour déterminer la perte de gains. Elle conteste l'immobilisation de la ligne de production, proposant, à titre subsidiaire, de limiter le coût à 10% du préjudice en raison de la possible reprise de marchés après juin 2020.

L'article 1231-2 du code civil prévoit que 'les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.'

En l'espèce, si le contrat n'avait pas été rompu, le chiffre d'affaires de la société SMA aurait été augmenté du montant du contrat initial, soit 3 657 321 euros, dont il faut déduire la somme de 30 000 euros versée au titre des frais de conception et non contestée par la société RDC, celle de 400 000 euros ayant fait l'objet d'une condamnation à restitution.

Pour établir la perte de gains relative à cette perte de chiffre d'affaires (CA), seule indemnisable, il convient de retenir non pas la marge brute de production (qui n'intègre pas les charges variables exposées pour réaliser le chiffre d'affaires, notamment en main d'oeuvre temporaire) mais la marge sur coûts variables.

Si la société SMA propose un calcul pour déterminer cette marge sur une situation contrefactuelle qu'elle propose (sa pièce 136), il convient de relever que le nombre de travailleurs temporaires, leur présence jusqu'au 30 septembre 2021, ainsi que le montant des frais de port ( 51 242 euros) ou celui de la prime d'assurance décennale ne sont étayés par aucun élément qui permettent de retenir leur pertinence.

Dès lors, la perte de gains sera calculée sur l'EBE, qui intègre, outre les coûts variables, les coûts fixes et peut être déterminé avec l'ensemble des pièces comptables et financières communiquées, qui permet une analyse plus fine du gain économique opéré habituellement par la société SMA, avant opérations comptables sur les amortissements et provisions.

Ainsi, le ratio EBE/CA moyen de la société SMA pour les années 2017 à 2019 est de 3,93 %.

En conséquence, la perte de gains liée à l'annulation du contrat se calcule de la manière suivante : 3,93% x (3 657 321 - 30 000) = 142 553,72 euros.

S'agissant des préjudices annexes, la société SMA justifie uniquement du préjudice d'atteinte à son image alors que le marché s'est poursuivi avec un tiers repris sur les panneaux d'affichage et qu'elle n'a pas pu communiquer sur la réalisation du chantier, mais n'apporte aucun élément quant à l'immobilisation de sa ligne de production, l'embauche d'un salarié affecté uniquement aux études de conception du marché sous-traité ou le report d'autres chantiers. La somme de 10 000 euros sera allouée au titre du préjudice d'image et la société SMA sera déboutée du surplus de ses demandes à ce titre.

En dernier lieu, s'agissant du solde des factures établies, il ressort des éléments produits par la société SMA que cette dernière a exposé des frais importants en salaires, plans et études, Scan 3D, tests et achats de matériels, notamment suite aux modifications demandées par la société RDC, facturés notamment pour un montant de 300 696 euros HT le 4 janvier 2020, étant précisé que les parties avaient initialement retenu un montant de 83 000 euros pour les études 'EXE' portant sur les 160 logements et de 30 000 euros pour le coût total des Scan 3D. Ainsi, après déduction du montant de 30 000 euros déjà versé, la société SMA, qui ne forme aucune autre demande, est fondée à réclamer le solde des factures de test, qui correspond à des pertes exposées pendant la phase de conception du chantier qui n'ont pas pu être imputées sur la phase de construction, ains que les parties l'avant initialement prévu, pour un montant de 46 372 euros.

Sur les demandes accessoires

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, il n'y aura pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et elles conserveront chacune la charge des dépens qu'elles auront exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Annule le jugement,

Statuant à nouveau,

Condamne la société RDC à verser à la société SMA les sommes de :

- 142 553,72 euros HT au titre de la perte de gains,

- 10 000 euros au titre du préjudice d'image,

- 46 372 euros HT au titre du solde des factures, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société SMA à verser à la société RDC la somme de 400 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés.

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