CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 avril 2025, n° 22/09613
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
SNC (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Dupont, Mme Bussière
Avocats :
Me Allerit, Brault & Associés, Me Faucher, Me Dhuin, AARPI d'Ornano Dhuin
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 17 mai 1987, Monsieur [I] [F] et Monsieur [H] [P] ont cédé à Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [M] [V] [J] (orthographe telle que figurant dans l'acte) un fonds de commerce d'« alimentation générale, fruits et légumes » exploité [Adresse 1], en ce compris le droit au bail.
Monsieur [G] [X] a acquis l'immeuble dans lequel se trouve le fonds de commerce précité et a, par acte sous seing privé en date du 22 décembre 1988, consenti une convention d'occupation précaire aux preneurs pour une durée de 23 mois à compter du 1er janvier 1989 portant sur une surface complémentaire d'environ 26,80 m² correspondant à un local en fond de cour moyennant un loyer mensuel de 1.900 Frs hors taxes hors charges. Aux termes d'un avenant en date du 13 novembre 1990 consenti le 16 septembre 1980, Monsieur [G] [X] a donné à bail renouvelé à Monsieur [Y] [J] et Monsieur [M] [J] le local commercial moyennant un loyer annuel de 47.188,32 Frs hors taxes hors charges. Les locaux, intégrant la surface complémentaire ayant fait l'objet de la convention d'occupation précaire, comprennent ainsi :
- au rez-de-chaussée : une boutique en pan coupé sur les rues de [Adresse 3] et des [Adresse 5],
- au sous-sol : une cave et emplacement de cave, avec droit aux wc communs situés dans la courette de l'immeuble, avec jouissance de ladite courette.
Par acte extrajudiciaire du 31 mars 2000, Messieurs [J] ont sollicité le renouvellement du bail. En réponse, Monsieur [X] a délivré aux preneurs un congé avec offre de renouvellement moyennant un loyer de 100.000 Frs (sic) par an hors taxes hors charges.
Par jugement rendu le 28 juin 2004, le juge des loyers commerciaux a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 8.848 euros par an hors charges hors taxes à compter du 1er avril 2000 et condamné Messieurs [J] à régler à Monsieur [X] les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 30 janvier 2002 à compter de la date de chaque échéance contractuelle.
Aux termes d'un arrêt du 8 février 2006, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 28 juin 2004 sauf sur le montant du loyer du bail renouvelé, qu'elle a fixé à la somme de 8.274 euros par an hors taxes hors charges à compter du 1er avril 2000.
Monsieur [M] [V] [J] a, par acte sous seing privé en date du 31 décembre 2007, cédé ses parts indivises sur le fonds de commerce à Monsieur [O] [J] (orthographe telle que figurant dans l'acte).
Par acte authentique du 20 avril 2017, la SNC [Adresse 3] a acquis l'immeuble auprès de Monsieur [X] et a, par actes extrajudiciaires des 28 et 29 septembre 2017, délivré aux preneurs un congé pour le 31 mars 2018 avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
Par ordonnance rendue le 10 janvier 2018, le juge des référés a désigné Madame [L] [K] en qualité d'expert pour estimer les indemnités d'éviction et d'occupation.
L'experte a déposé son rapport le 25 novembre 2019 et a conclu à une indemnité d'éviction d'un montant de 184.000 euros dans l'hypothèse d'une perte du fonds de commerce et une indemnité d'occupation d'un montant de 18.900 euros par an si la chambre froide est comprise dans l'assiette du bail ou 17.600 euros par an dans le cas contraire.
Par exploit d'huissier en date du 30 mars 2020, Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] ont assigné la société [Adresse 3] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir condamner cette dernière à leur payer une indemnité d'éviction d'un montant de 350.000 euros.
Par jugement du 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
- dit que par l'effet du congé comportant refus de renouvellement signifié les 28 et 29 septembre 2017, le bail a pris fin le 31 mars 2018 à minuit ;
- dit que l'éviction entraîne la perte du fonds exploité par Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] dans les locaux appartenant à la SNC [Adresse 3] situé [Adresse 1] ;
- fixé à la somme globale arrondie à 184.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par la SNC [Adresse 3] à Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J], qui se décompose ainsi :
- indemnité principale : 148.500 euros
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 14.850 euros
- pour trouble commercial : 5.700 euros
- perte sur stocks : 3.000 euros
- pour frais de réinstallation : 7.500 euros
- pour frais de déménagement : 3.000 euros
- pour frais administratifs : 1.500 euro
- dit que Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] sont redevables à l'égard de la SNC [Adresse 3] d'une indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2018 et jusqu'à la date de libération des lieux ;
- fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme annuelle de 17.600 euros (dix-sept mille six cent euros), outre les taxes et charges ;
- condamné la SNC [Adresse 3] aux entiers dépens de l'instance, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamné la SNC [Adresse 3] à payer à Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 16 mai 2022, Messieurs [O] [J] et [Y] [V] [J] ont interjeté appel partiel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 26 juillet 2022, Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J], appelants, demandent à la cour de :
- déclarer recevables et bien-fondés M. [O] [J] et M. [Y] [V] [J] en leur appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement du 11 janvier 2022 rendu par le Tribunal judiciaire de Paris, en ce qu'il a :
- fixé à la somme globale arrondie à 184.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par la SNC [Adresse 3] à Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J], qui se décompose ainsi :
- indemnité principale : 295.000 euros
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 29.500 euros
- pour trouble commercial : 5.700 euros
- perte sur stocks : 4.000 euros
- pour frais de réinstallation : 9.670 euros
- pour frais de déménagement : 3.000 euros
- pour frais administratifs : 1.500 euros
- dit que Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] sont redevables à l'égard de la SNC [Adresse 3] d'une indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2018 et jusqu'à la date de libération des lieux ;
- fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme annuelle de 17.600 euros (dix-sept mille six cent euros), outre les taxes et charges ;
Et, statuant à nouveau :
- dire que le refus de renouvellement entraîne la perte du fonds de commerce exploité par Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J], impliquant la réparation de l'entier préjudice subi, selon les conditions prévues par l'article L. 145-14 du code de commerce,
- fixer l'indemnité d'éviction revenant à M. [O] [J] et M. [Y] [V] [J] à la somme de 350.000 ' (trois cent cinquante mille euros), se décomposant comme suit :
- indemnité principale : 148.500 euros
- indemnités accessoires :
- pour frais de remploi : 14.850 euros
- pour trouble commercial : 5.700 euros
- perte sur stocks : 3.000 euros
- pour frais de réinstallation : 7.500 euros
- pour frais de déménagement : 3.000 euros
- pour frais administratifs : 1.500 euros.
- condamner la SNC [Adresse 3] au paiement de cette indemnité d'éviction,
- dire que le paiement de l'indemnité d'éviction interviendra selon les modalités prévues à l'article L. 145-29 du code de commerce,
- fixer l'indemnité d'occupation due à compter du 1er avril 2018 à la somme annuelle de 14.000 ' (quatorze mille euros),
pour le surplus, confirmer le jugement en ses autres dispositions et ce faisant :
- dire que le refus de renouvellement a entraîné la perte du fonds de commerce exploité par M. [O] [J] et M. [Y] [V] [J],
en tout état de cause,
- débouter en tout état de cause la SNC [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la SNC [Adresse 3] au paiement d'une somme de 10.000 ' (dix mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SNC [Adresse 3] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Allerit, membre de la Selarl T.B.A, admis à se prévaloir dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées 24 octobre 2022, la SNC [Adresse 3], intimée, demande à la cour de :
- débouter Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] de leur appel et, plus généralement, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris dans l'ensemble de ses dispositions ;
y ajoutant,
- condamner solidairement Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] à verser à la SNC [Adresse 3] la somme de 5.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner pareillement aux dépens d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
Les parties ne contestent pas le jugement déféré en ce qu'il a déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, délivré les 27 et 28 septembre 2017 par la SNC [Adresse 3] à Monsieur [Y] [V] [J] et Monsieur [O] [J] pour le 31 mars 2018, ni en ce qu'il a dit qu'en suite du congé précité, le bail liant Messieurs [J] et la SNC [Adresse 3], avait pris fin le 31 mars 2018 et ouvert droit à une indemnité d'éviction et au maintien dans les lieux moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation.
En revanche, elles s'opposent sur le montant de ces indemnités dont le principe n'est pas discuté.
1) Sur l'indemnité d'éviction
Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail mais ouvre droit, sauf exception, au profit du locataire, à une indemnité d'éviction qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
A cet égard, le jugement déféré a fixé l'indemnité d'éviction due aux preneurs évincés à la somme totale de 184.000 euros. L'intimée demande la confirmation du jugement sur ce point.
Les appelants demandent l'infirmation de ce jugement et entendent voir fixer ladite indemnité d'éviction à la somme totale de 350.000 euros.
1.1 Sur l'indemnité principale :
Les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.
En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que l'éviction entraînera en l'espèce la perte du fonds, elle entraînera donc le paiement d'une indemnité de remplacement.
L'indemnité de remplacement doit correspondre à la valeur marchande du fonds de commerce à la date du départ des locataires, mais en fonction de sa consistance à l'époque du refus de renouvellement, selon les usages de la profession considérée. Cette valeur marchande doit donc être appréciée à la date à laquelle les juges statuent.
En l'espèce, le jugement déféré a fixé l'indemnité principale à la somme de 148.500 euros, suivant ainsi les conclusions de l'experte, après avoir rappelé les constats opérés par celle-ci concernant les caractéristiques du bail et des locaux, par motifs détaillés auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte, et approuvé la méthode de valorisation adoptée. Ce montant est accepté par la bailleresse.
Les preneurs sollicitent également la somme de 148.500 euros dans le dispositif de leurs dernières conclusions qui saisit la cour, valorisation qu'ils avaient au demeurant acceptée dans leur dire récapitulatif du 1er octobre 2019, tout en contestant dans leurs motifs la méthode de valorisation retenue qu'ils considèrent comme obsolète ce qui les amène à chiffrer l'indemnité principale à la somme de 295.000 euros.
A l'appui de cette demande, ils reprochent tout d'abord au premier juge d'avoir pris en compte le montant HT des chiffres d'affaires retenus et de ne pas avoir appliqué à leur moyenne un pourcentage de 70 %, compte tenu notamment de la bonne rentabilité du fonds, et soutiennent ensuite que la valeur du fonds devant s'apprécier à la date la plus proche du départ du locataire, soit à la date où le juge statue si le locataire occupe encore les locaux, il conviendrait de prendre en compte les derniers éléments comptables fournis par eux, à savoir la moyenne des chiffres d'affaires TTC des exercices 2019 et 2020 qui s'établie à 259.986 euros.
Cependant, c'est à juste titre que le jugement déféré, par des motifs pertinents que la cour adopte, a retenu le montant de 148.500 euros proposé par l'experte, laquelle s'est fondée sur la méthode classique du chiffre d'affaires, consistant à appliquer le pourcentage de 60 % comme il est d'usage pour une activité de supérette et qui n'est pas sérieusement critiqué en l'espèce, à la moyenne du chiffre d'affaires des trois dernières années consécutives connues lors des opérations d'expertise, comme c'est également l'usage, recoupée avec la méthode dite de la rentabilité consistant à appliquer un coefficient de 6,5 à la moyenne des excédents bruts d'exploitation (EBE) desdites années, que les preneurs ne contestent pas utilement. Il sera au demeurant ajouté que les preneurs n'ayant pas fourni le chiffre d'affaires pour l'exercice 2018, il est inopérant de leur part de se prévaloir des résultats des exercices 2019 et 2020, et c'est à bon droit que le premier juge a retenu l'estimation de l'experte, fondée sur les trois derniers exercices consécutifs connus, soit ceux des années 2015, 2016 et 2017. Il est également inopérant d'exiger la prise en considération du chiffre d'affaires TTC dans la mesure où il est d'usage, pour les superettes, de valoriser le fonds de commerce en fonction du chiffre d'affaires HT.
Il résulte de ce qui précède que le jugement déféré sera sur ce point confirmé et que l'indemnité d'éviction principale sera fixée à la somme de 148.500 euros.
1.2. Sur les indemnités accessoires :
La bailleresse demande à la cour d'entériner le jugement entrepris en tous points.
1.2.1 Sur les frais de remploi
Les frais de remploi sont ceux que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller, notamment les droits de mutation et honoraires afférents au rachat d'un nouveau fonds de commerce.
En l'espèce le tribunal a retenu le taux forfaitaire usuel de 10 % du montant de l'indemnité d'éviction principale, suivant ainsi la proposition de l'experte. Les parties acceptant l'application de ce taux forfaitaire à l'indemnité principale qu'elles proposent, il convient d'en faire application au montant de l'indemnité principale retenu ci-dessus.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé le montant des frais de remploi à la somme de 14.850 euros.
1.2.2 Sur le trouble commercial
L'indemnisation du trouble commercial correspond au préjudice subi par le preneur du fait de la gestion de l'éviction ; elle est destinée à compenser la perte de temps engendrée par l'éviction, et le moindre investissement dans l'activité commerciale. Il est d'usage qu'elle soit calculée en fonction de l'EBE, de la masse salariale ou du chiffre d'affaires.
Les parties acceptent le montant de 5.700 euros retenu par le jugement déféré conformément à la proposition de l'experte, correspondant à trois mois de l'EBE moyen calculé sur les trois derniers exercices.
En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.
1.2.3 Sur la perte sur stock
Quand un fonds de commerce doit cesser son activité dans un bref délai en raison d'une procédure d'éviction, une indemnisation spécifique peut être accordée au titre de la perte sur stock, en particulier lorsqu'il s'agit de denrées périssables qui ne peuvent être conservées.
Le preneur doit justifier d'un préjudice spécifique résultant de la perte sur stock.
En l'espèce, suivant la proposition de l'experte, le jugement déféré a retenu la somme forfaitaire de 3.000 euros.
Les preneurs soutiennent dans le corps de leurs écritures qu'une grande partie du stock ne pourra être conservée, impliquant non seulement des rabais à brefs délais, mais également la nécessité de vendre à perte, ce qui justifierait de retenir le montant forfaitaire de 4.000 euros. A l'appui de leur demande, ils versent aux débats leur bilan 2020 laissant apparaitre une variation de stock d'un montant de 4.370 euros, étant précisé au demeurant qu'ils sollicitent la somme de 3.000 euros dans leur dispositif.
Au vu des éléments qui précèdent, en l'absence de moyens nouveaux développés en cause d'appel, et après examen des pièces soumises à son appréciation, la cour retient que le premier juge a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, en estimant à juste titre que les preneurs ne rapportaient pas la preuve d'un préjudice supérieur à la somme forfaitaire proposée par l'experte.
Il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
1.2.4 Sur les frais de déménagement
Conformément au principe énoncé à l'article L. 145-14 précité, les frais de déménagement doivent être indemnisés, mais en cas de perte du fonds de commerce, ces frais ne concernent que le déménagement des effets personnels du preneur évincé, ainsi que le stock de marchandises invendues, les archives commerciales et le mobilier appartenant au preneur. Il incombe à ce dernier de rapporter la preuve de son préjudice, le cas échéant en produisant devis et factures détaillés.
En l'espèce, le jugement déféré a retenu la somme forfaitaire de 3.000 euros proposée par l'experte. Ce montant n'étant pas contesté par les parties, il y a donc lieu de confirmer le jugement à cet égard.
1.2.5. Sur les frais de réinstallation
Il résulte de l'article L. 145-14 précité que le locataire doit être indemnisé de ses « frais normaux de réinstallation ». Ce poste indemnise les installations rendues nécessaires du fait de l'activité exercée, afin de mettre en place dans les nouveaux locaux des aménagements semblables à ceux que le preneur perd et qu'il ne peut déménager. Cette indemnité est due même en cas de perte du fonds de commerce, sauf à ce qu'il soit démontré que le preneur ne se réinstallera pas.
Ces frais doivent réparer un préjudice distinct de celui compris dans l'indemnité principale d'éviction qui correspond à la valeur du fonds de commerce abandonné ; ils doivent donc correspondre à des frais spécifiques qui ne sont pas déjà couverts par l'indemnité principale.
Il est d'usage d'appliquer au montant retenu un coefficient de vétusté.
En l'espèce, le tribunal, suivant la proposition de l'experte, a estimé que la réinstallation des preneurs nécessiterait la fourniture et l'installation d'une chambre froide positive et la réinstallation des vitrines réfrigérées. Se basant que les devis de la société AFC Froid et Climatisation fournis par les preneurs, le tribunal a retenu le montant de 7.170 euros HT pour la fourniture et l'installation d'une chambre froide positive, montant auquel a été appliqué un coefficient usuel de vétusté de 30 %, ainsi qu'un montant de 2.500 euros HT concernant la réinstallation des vitrines réfrigérées. Ce qui porte le montant de l'indemnité allouée au titre des frais de réinstallation à la somme de 7.500 euros.
Dans leurs écritures, les preneurs s'apposent à l'application d'un coefficient de vétusté au montant relatif à la fourniture et l'installation d'une nouvelle chambre froide positive, au motif qu'il n'est pas d'usage de renouveler périodiquement ce type d'installation qui n'implique que des réparations d'entretien et que s'agissant d'un aménagement spécifique à l'activité, l'application d'un coefficient de vétusté n'est pas justifiée. Les preneurs demandent en conséquence un montant total de 9.670 euros, étant au demeurant précisé que dans leur dispositif les preneurs sollicitent la somme de 7.500 euros.
Compte tenu de ces éléments et, à défaut de moyen de preuve nouveau apporté en cause d'appel, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a estimé que les preneurs ne contestaient pas utilement l'application d'un coefficient de vétusté et que le coefficient de 30 % proposé par l'experte était justifié.
Il s'ensuit que le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.
1.2.6. Sur les frais administratifs
L'indemnité pour frais administratifs a pour objet de compenser les frais de formalités et d'actes au registre du commerce, ainsi que les frais exposés par le locataire évincé pour informer sa clientèle et ses fournisseurs de son déménagement ou sa cessation d'activité.
Les parties acceptent le montant de 1.500 euros retenu par le jugement déféré conformément à la proposition de l'experte. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Le montant total des indemnités accessoires s'élève en conséquence à 35.550 euros.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 184.000 euros (148.500 + 35.550) le montant total de l'indemnité d'éviction due par la bailleresse et de rejeter les demandes des preneurs à cet égard.
2) Sur l'indemnité d'occupation
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation due par le locataire pouvant prétendre au maintien dans les lieux, est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII du chapitre de ce code relative au bail commercial compte tenu de tous éléments d'appréciation. Cette indemnité doit être fixée à la valeur locative de renouvellement déplafonnée, déterminée conformément à l'article L. 145-33 du même code.
Le jugement déféré a fixé le montant annuel de l'indemnité d'occupation à la somme de 17.600 euros, proposé par l'experte, laquelle a retenu un prix unitaire de 400 euros/m2P, soit 19.140 euros (47,85 m2P x 400 euros), à laquelle elle a appliqué une majoration de 2 % pour étalage autorisé sur la voie publique (soit + 382,80 euros), ainsi qu'un abattement de précarité de 10 % (soit - 1.952,28 euros).
L'intimée demande la confirmation du jugement sur ce point.
Les preneurs demandent à la cour de retenir une valeur unitaire de 370 euros/m2B ainsi qu'un abattement pour précarité de 12 %, outre la majoration de 2 % pour étalage autorisé sur la voie publique qu'ils ne contestent pas, soit une indemnité d'occupation de 14.000 euros.
C'est par motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le premier juge a fixé la valeur locative de renouvellement à 400 euros/m2P au regard des caractéristiques et de la situation des locaux, non contestées par les parties, ainsi que des différentes références retenues par l'experte que le tribunal a exposé par motifs détaillés.
Il sera simplement ajouté que, contrairement à ce que soutiennent les preneurs, le tribunal ne s'est pas exclusivement attaché aux prix du marché des commerces voisins ayant des activités similaires pour déterminer la valeur locative retenue, ayant également pris en considération, d'une part, l'emplacement favorable du local en question, lequel jouit d'une commercialité de proximité dans un quartier jouissant au surplus d'un attrait touristique et, d'autre part, la tendance fluctuante du chiffre d'affaires depuis 2014, de sorte qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la valeur locative fixée par le premier juge est justifiée et sera retenue.
En outre, c'est à juste titre que le tribunal a appliqué l'abattement usuel de 10 % afin de prendre en compte la situation de précarité inhérente à l'éviction, les preneurs ne fournissant aucun élément de nature à justifier la majoration de cet abattement.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 17.600 euros le montant de l'indemnité d'occupation annuelle due par les preneurs à compter du 1er avril 2018, jusqu'à la restitution des lieux.
3) Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] qui succombent en appel seront condamnés aux dépens de l'appel.
L'équité commande de les condamner également à payer à la société [Adresse 3] la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par cette dernière en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 11 janvier 2022 (RG 22/09613) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] de leur demande de voir fixer à 350.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction ;
Déboute Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] de leur demande de voir fixer à 14.000 euros le montant de l'indemnité d'occupation ;
Condamne Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] à payer à la société [Adresse 3] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes ;
Condamne Monsieur [O] [J] et Monsieur [Y] [V] [J] aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de Maître [G] Dhuin (AARPI d'Ornano Dhuin) conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.