CA Douai, 2e ch. sect. 1, 3 avril 2025, n° 24/02868
DOUAI
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Carmila Coquelles (Sté)
Défendeur :
La Strada (EURL), Perspectives (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gilles
Conseillers :
Mme Mimiague, Mme Bubbe
Avocats :
Me Cadart, Me Delannay, Me Courtois
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 8 août 2023 la société Carmila Coquelles a fait pratiquer à l'encontre de la société La Strada une saisie conservatoire entre les mains de la Société Générale en vertu d'un contrat de bail commercial pour garantir le recouvrement de loyers impayés.
Par requête présentée le 4 septembre 2023, la société La Strada a saisi le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire.
Par ordonnance non contradictoire du 15 septembre 2023 le président du tribunal a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire et la restitution des sommes saisies.
Le 26 octobre 2023 la société Carmila Coquelles a assigné la société La Strada devant le juge des référés du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer pour demander la rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 septembre 2023.
Par ordonnance de référé du 14 mai 2024 cette juridiction a :
- débouté la Société Carmila Coquelles de ses demandes, fins et conclusions,
- débouté la société La Strada de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné la Société Carmila Coquelles à payer à la société La Strada la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et aux entiers frais et dépens de l'instance, liquidés, concernant les frais de greffe à la somme de 40,66 euros TTC.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 11 juin 2024, la société Carmila Coquelles a relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes, l'a condamnée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, intimant la société La Strada et la SELARL Perspectives, prise en la personne de M. [K] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société La Strada, nommée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 6 juin 2024, qui a prononcé la résolution du plan de redressement (arrêté par jugement du 24 janvier 2019) et la liquidation judiciaire de la société La Strada.
Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 25 septembre 2024, la Société Carmila Coquelles demande à la cour de :
- la recevoir en ses demandes et les déclarer bien fondées,
- infirmer l'ordonnance de référé du 14 mai 2024 dans les termes de la déclaration d'appel,
statuant à nouveau,
- juger que le président du tribunal de commerce était incompétent pour rendre son ordonnance de mainlevée en date du 15 septembre 2023,
- prononcer la rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 15 septembre 2023 ordonnant la mainlevée de la saisie conservatoire,
- juger valide la saisie conservatoire pratiquée le 8 août 2023,
- juger qu'aucune autorisation préalable du juge de l'exécution n'était nécessaire au titre de la saisie conservatoire,
- condamner la société La Strada au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures de l'appelante pour l'exposé de ses moyens.
Par actes du 26 septembre 2024 l'appelante a fait signifier la déclaration d'appel, l'avis de fixation et ses conclusions à la SELARL Perspectives ès qualités et à la société La Strada représentée par son gérant.
La SELARL Perspectives ès qualités a constitué avocat le 27 septembre 2024 mais n'a pas conclu et la société La Strada représentée par son gérant n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction est intervenue le 8 janvier 2025 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 15 janvier suivant.
MOTIFS
En application de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
L'article L. 511-2 de ce code dispose qu'une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire pour procéder à une mesure conservatoire lorsque le créancier se prévaut, notamment, d'un loyer resté impayé dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeuble.
Selon l'article R. 512-2 du même code, la demande de mainlevée est portée devant le juge qui a autorisé la mesure. Si celle-ci a été prise sans autorisation préalable du juge, la demande est portée devant le juge de l'exécution du lieu où demeure le débiteur. Toutefois, lorsque la mesure est fondée sur une créance relevant de la compétence d'une juridiction commerciale, la demande de mainlevée peut être portée, avant tout procès, devant le président du tribunal de commerce de ce même lieu.
En l'espèce la saisie-conservatoire a été pratiquée sans autorisation judiciaire et le débiteur saisi a demandé la rétraction devant le président du tribunal de commerce et soutenu que la créance alléguée par le saisissant était une créance d'indemnité d'occupation et non de loyer.
Le premier juge a considéré que le président du tribunal de commerce était compétent dans la mesure où le bail commercial invoqué par la société Carmila Coquelles était expiré depuis le 31 décembre 2019 en raison d'un congé avec refus de renouvellement qu'elle avait elle-même donné le 28 juin 2019, et que les autres 'titres' visés dans le procès-verbal de saisie (acte de cession de fonds de commerce et acte de vente de l'immeuble) ne faisaient pas partie des actes visés à l'article L. 511-2. Or, force est de que l'acte de saisie vise un acte consistant en un bail commercial et que la créance alléguée est née des relations entre les parties en vertu de ce bail de sorte qu'il ne s'agit pas d'une créance relevant de la compétence d'une juridiction commerciale dès lors que l'article R. 211-4 (2°) du code de l'organisation judiciaire donne compétence exclusive aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.
Le président du tribunal de commerce était incompétent pour statuer sur la requête et il convient dès lors de rétracter l'ordonnance sur requête.
Il peut être relevé puisque l'appelante sollicite de la cour qu'elle valide la saisie, qu'il n'est pas discuté que les causes de la saisie-conservatoire ne sont pas constituées de loyers mais d'indemnités d'occupation. Or, les exceptions au principe de l'autorisation judiciaire préalable prévues à l'article L. 511-2 devant rester d'interprétation stricte, la saisie conservatoire ne pouvait être pratiquée sans autorisation judiciaire préalable, peu important qu'il s'agisse d'indemnités d'occupation statutaires en vertu de l'article L. 145-28.
En tout état de cause, dans la mesure où la saisie-conservatoire a fait depuis l'objet d'une mainlevée et où la liquidation judiciaire prononcée contre la société La Strada le 6 juin 2024 a rendu caduque toute saisie conservatoire qui n'aurait pas été convertie en saisie-attribution avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, en application de l'article L. 622-21 du code de commerce, comme en convient l'appelante, il est sans intérêt de se prononcer sur la validité de la saisie contestée.
Vu l'article 696 du code de procédure civile, eu égard aux circonstances particulières du litige, il convient de mettre les dépens de première instance à la charge de la société la Strada, les dépens d'appel à la charge de l'appelante, et, en équité, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Réforme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 15 septembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer ;
Condamne la société La Strada aux dépens
Fixe au passif de la procédure collective de la société La Strada les dépens de la première instance ;
Laisse les dépens de l'instance d'appel à la charge de la société Carmila Coquelles ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.