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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 avril 2025, n° 23/13720

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Dupont, Mme Girousse

Avocats :

Me Amar, Me Bouzidi-Fabre, Me Ader

TGI Paris, 18e ch. sect. 2, du 14 juin 2…

14 juin 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé en date du 1er février 1999, Mme [N] [VF] veuve [VZ] a donné à bail en renouvellement à M. et Mme [KH] divers locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 4] pour une durée de 9 ans à compter du 1er août 1997, à destination du commerce de « Parfumerie ' Maroquinerie ' Salon de coiffure ».

M. et Mme [KH] ont cédé le fonds de commerce à M. et Mme [B] suivant acte sous seing privé en date du 30 juin 1999, et par acte sous seing privé en date du 31 janvier 2000, M. et Mme [B] ont à leur tour cédé le fonds de commerce à la SARL [R].

Par acte sous seing privé du 31 janvier 2000, un nouveau bail a été régularisé entre Mme [N] [VF] et M. [R] [B] et Mme [LD], M. [R] [B] agissant en sa qualité de gérant de la SARL [R]. Lors de la signature du bail, M. [R] [B] a obtenu de Mme [N] [VF] une modification des activités pouvant être exercées dans les lieux loués et l'activité est devenue « commerce de coiffure ' esthétique ' manucure ' vente de tous produits de beauté et de capillarité et d'une manière générale tous produits se rattachant à la coiffure et l'esthétique, UVA ».

Par acte sous seing privé en date du 8 juillet 2004, la SARL [R] devenue la SARL [A] [BG], a cédé à Mme [L] [S] [Z] le fonds de commerce.

Par acte du 8 juillet 2008, Mme [N] [VF] a signifié à Mme [L] [S] [Z] un congé avec refus de renouvellement, à effet du 31 janvier 2009, et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par acte extrajudiciaire en date du 19 novembre 2009, Mme [N] [VF] a proposé une indemnité d'éviction de 5.000 euros à la preneuse et confirmé les termes du congé.

A la demande de Mme [N] [VF], suivant ordonnance de référé en date du 6 avril 2010, Mme [D] [W] a été désignée en qualité d'expert avec pour mission de fournir tous les éléments pour fixer l'indemnité d'éviction résultant de la perte du fonds ainsi que le montant de l'indemnité d'occupation. Son rapport d'expertise a été déposé le 7 décembre 2010.

Par acte du 27 mai 2011, Mme [N] [VF] a saisi le TGI de Paris d'une demande de condamnation de Mme [L] [Z] au paiement d'une indemnité d'occupation.

Par jugement du 31 mai 2012, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que le congé sans offre de renouvellement délivré le 8 juillet 2008 par Mme [N] [VF] à Mme [L] [S] [Z] avait mis fin, à compter du 31 janvier 2009, au bail portant sur les locaux situés [Adresse 4] ;

- dit que Mme [L] [S] [Z] avait droit au paiement d'une indemnité d'éviction ;

- dit que l'action en fixation de l'indemnité d'occupation n'était pas prescrite ;

Avant dire droit au fond sur le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard :

- désigné Mme [X] [T] en qualité d'expert aux fins de donner son avis sur le montant des indemnités d'éviction et d'occupation auxquelles Mme [L] [S] [Z] et Mme [N] [VF] peuvent respectivement prétendre ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;

- réservé les demandes de paiement des charges, les demandes de dommages et intérêts, les demandes au titre de l'article 700 du CPC et les dépens.

Par un arrêt du 7 mai 2014, la cour d'appel de Paris a confirmé ce dernier jugement, débouté Mme [N] [VF] de ses demandes en dommages-intérêts et au titre des frais irrépétibles, et condamné cette dernière aux dépens d'appel.

Mme [T] a déposé son rapport au greffe le 30 juillet 2015, évaluant l'indemnité d'éviction à la somme arrondie de 116.000 euros si l'hypothèse d'une perte du fonds de commerce était retenue, et à la somme de 130.900 euros en cas de plafonnement du loyer, 40.000 euros en cas de déplafonnement, si l'hypothèse du transfert du fonds de commerce était retenue. Elle évalue en outre l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 20.160 euros.

Par jugement en date du 14 juin 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

- rappelé que par l'effet du congé avec refus de renouvellement signifié le 8 juillet 2008 par Mme [N] [VF] à Mme [L] [S] [Z], le bail ayant pour objet les locaux situés [Adresse 4] à [Localité 24] a pris fin le 31 janvier 2009 ;

- dit que l'éviction entraîne le transfert du fonds de commerce exploité par Mme [L] [S] [Z] dans les locaux appartenant à Mme [U] [VF] et situés [Adresse 4] à [Localité 24] ;

- fixé à la somme de 136.988 euros le montant de l'indemnité d'éviction, toutes causes confondues, due par Mme [U] [VF] à Mme [L] [S] [Z],

- donné acte à Mme [L] [S] [Z] de ce qu'elle reconnait être redevable à Mme [U] [VF] d'une indemnité d'occupation à compter du 1er février 2009 ;

- donné acte à Mme [L] [S] [Z] de ce qu'elle propose de payer à Mme [N] [VF] la somme annuelle de 12.805,27 euros à titre d'indemnité d'occupation des locaux situés [Adresse 4] à [Localité 24] à compter du 1er février 2009 ;

- dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;

- condamné Mme [N] [VF] à payer à Mme [L] [S] [Z] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;

- condamné Mme [N] [VF] aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par deux déclarations en date du 17 août 2017, Mme [N] [VF] a interjeté appel total de ce jugement d'abord par le biais de Maître [P] [VZ] (RG 17/14080) et ensuite par le biais de Maître [J] [E] (RG 17/16477). Le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des procédures par ordonnance du 25 octobre 2017, la procédure se poursuivant sous le numéro de RG n° 17/14080.

Mme [N] [VF] est décédée le 14 janvier 2018.

Par ordonnance du 8 février 2018, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance et imparti un délai aux héritiers pour intervenir à l'instance.

Par ordonnance du 22 mars 2018, l'affaire a été radiée du rôle en l'absence de reprise d'instance par les héritiers de Mme [N] [VF].

Par conclusions déposées le 9 juillet 2018, M. [HA] [VZ], M. [R] [VZ], M. [P] [VZ] et M. [G] [VZ] sont intervenus volontairement à l'instance, en leur qualité d'héritiers, aux fins de reprise de celle-ci (RG n° 18/19613).

M. [G] [VZ] lui-même intervenant volontaire, et comme tel appelant, est décédé le 26 décembre 2018.

M. [K], [M] [VZ] et Mme [C], [I] [VZ], tous deux, venant aux droits de M. [G] [VZ] décédé le 26 décembre 2018, qui était lui-même intervenant volontaire, et comme tel appelant, venant aux droits de Mme [N] [VF], ainsi que Messieurs [HA] [VZ], [R] [VZ], [P] [VZ], tous, intervenants volontaires, et comme tels appelants, venant aux droits de Mme [N] [VF] ont pris de nouvelles écritures et signifié des conclusions le 19 février 2019.

Mme [L] [S] [Z], intimée, a notifié ses premières conclusions par le RPVA le 28 février 2019.

Les consorts [VZ] ont saisi le conseiller de la mise en état d'un incident aux fins de voir prononcer l'irrecevabilité des conclusions signifiées par Mme [Z] le 28 février 2019 au visa de l'article 909 du code de procédure civile sous sa rédaction dite Magendie 1.

Par ordonnance du 3 juillet 2019, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à constater la caducité de l'appel et a déclaré irrecevables comme tardives les conclusions de l'intimée notifiées par le RPVA les 28 février 2019 et 21 mars 2019.

Par requête du 17 juillet 2019, Mme [L] [S] [Z] a déféré ladite ordonnance devant la Cour (RG n° 19/13275).

Mme [L] [S] [Z] est décédée le 7 novembre 2019.

Par ordonnance du 18 juin 2020, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance et imparti un délai au 31 août 2020 sous peine de radiation.

Par conclusions d'incident déposées le 9 septembre 2020, les consorts [VZ] venant aux droits de Mme [N] [VF], ont fait valoir au conseiller de la mise en état qu'ils ne sont pas parvenus à déterminer les ayants droit de Mme [L] [S] [Z], et ce malgré les demandes faites à l'un des héritiers connus de cette dernière.

Par ordonnance du 18 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la transmission de la copie des pièces principales du dossier au Procureur Général de cette cour afin de recueillir les renseignements nécessaires à la reprise d'instance et en particulier les noms, prénoms, dates et lieux de naissance ainsi que l'adresse des héritiers de Mme [L] [S] [Z].

Par ordonnance du 8 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a finalement ordonné la radiation de l'affaire au RG n° 19/13275, dès lors que les successeurs de Mme [L] [S] [Z] n'ont pas été assignés dans le délai imparti.

Par ordonnance du 9 février 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la radiation de l'affaire au RG n° 18/19613, au motif qu'aucun héritier de Mme [L] [S] [Z] n'était intervenu à l'instance.

Par conclusions déposées le 5 avril 2023, Mme [Y] [Z] est intervenue volontairement à l'instance en qualité d'héritière de sa mère, Mme [L] [S] [Z] (RG n° 23/13720).

Par conclusions déposées le 17 octobre 2023, les consorts [VZ] ont demandé le rétablissement de l'instance sur déféré en même temps que l'instance principale.

Par un arrêt du 13 juin 2024, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 3 juillet 2019, précisé qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les demandes d'irrecevabilité des conclusions des consorts [VZ], condamné Mme [Y] [Z], venant aux droits de Mme [L] [S] [Z], à verser aux consorts venant aux droits de Mme [N] [VF], la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné Mme [Y] [Z], venant aux droits de Mme [L] [S] [Z], aux dépens de la procédure de déféré, et invité les parties à se présenter avec leurs conseils à l'audience de rendez-vous judiciaire auprès de la présidente de chambre, en vue d'une éventuelle mesure de médiation.

C'est dans ce contexte que les appelants ont signifié leurs conclusions par RVPA le 20 septembre 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS

Par conclusions déposées le 20 septembre 2024, les consorts [VZ], appelants, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du 14 juin 2017 en ce qu'il a dit que l'éviction entraîne le transfert du fonds de commerce exploité sis [Adresse 4] par Mme [Z] ;

- confirmer que Madame [I] [O] [Z], venants aux droits de Madame [L] [S] [Z], doit une indemnité d'occupation à compter du 1er février 2009 ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 136 988 ' ;

En conséquence et statuant à nouveau :

- fixer le montant de l'indemnité d'éviction due par Messieurs [HA] [VZ], [R] [VZ], [P] [VZ], [K] [VZ] et Madame [C] [VZ], ayants droits de Madame [N] [VF], à Madame [I] [O] [Z] venants aux droits de Madame [L] [S] [Z] toutes causes confondues à la somme de 28 600 ' ;

- fixer l'indemnité d'occupation due par Madame [I] [O] [Z] venants aux droits de Madame [L] [S] [Z], à Messieurs [HA] [VZ], [R] [VZ], [P] [VZ], [K] [VZ] et Madame [C] [VZ], ayants droits de Madame [N] [VF] à la somme de 22 400 ' depuis le 1er février 2009 ;

- condamner Madame [I] [O] [Z] venants aux droits de Madame [L] [S] [Z], à Messieurs [HA] [VZ], [R] [VZ], [P] [VZ], [K] [VZ] et Madame [C] [VZ], ayants droits de Madame [N] [VF], à payer une indemnité d'occupation fixé à la somme de 22 400 ' depuis le 1er février 2009, déduction faite de l'indemnité déjà effectivement payée durant la procédure, jusqu'à parfaite libération des locaux sis [Adresse 4] ;

- juger que la compensation entre l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;

- condamner Madame [I] [O] [Z], venants aux droits de Madame [L] [S] [Z], à payer Monsieur [HA] [VZ], [R] [VZ], [P] [VZ], [K] [VZ] et Madame [C] [VZ], ayants droits de Madame [N] [VF] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Madame [I] [O] [Z] venants aux droits de Madame [L] [S] [Z] aux entiers dépens dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile, qui notamment comprendront les frais de constat, de commandement, et les frais de l'expertise ordonnée en première instance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des appelants.

MOTIFS DE L'ARRET

A titre préliminaire, il sera rappelé que, par application des dispositions du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, en présence de conclusions déclarées irrecevables, l'intimée est réputée s'être approprié les motifs du jugement ayant accueilli ses prétentions. Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, la cour ne fait droit à la demande de l'appelante que si elle l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Le jugement déféré n'est pas contesté en ce qu'il a déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction, délivré le 8 juillet 2008 par Madame [VF] à Madame [Z] pour le 31 janvier 2009, ni en ce qu'il a dit qu'en suite du congé précité, le bail les liant et portant sur les locaux objet de l'éviction, avait pris fin à cette même date et ouvert droit à une indemnité d'éviction et au maintien dans les lieux moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation.

En revanche, les appelants contestent le montant de ces indemnités dont le principe n'est pas discuté.

1) Sur l'indemnité d'éviction

Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le refus de renouvellement signifié par le bailleur met fin au bail mais ouvre droit, sauf exception, au profit du locataire, à une indemnité d'éviction qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

A cet égard, le jugement déféré a fixé l'indemnité d'éviction due à la preneuse évincée à la somme totale de 136.988 euros.

Les appelants demandent l'infirmation de ce jugement et entendent voir fixer ladite indemnité d'éviction à la somme totale de 28.600 euros.

1.1 Sur l'indemnité principale :

Les conséquences de l'éviction s'apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire évincé de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l'indemnisation prend la forme d'une indemnité de remplacement.

L'indemnité de transfert correspond au minimum à la valeur du droit au bail.

La valeur du droit au bail s'obtient en appliquant à la différence entre le loyer fixé au prix de marché pour les locaux en cause et le loyer qui aurait été effectivement payé si le bail avait été renouvelé, un coefficient dit « de situation » déterminé en fonction de l'emplacement des lieux loués.

En l'espèce, le principe selon lequel l'indemnité d'éviction à laquelle peut prétendre la preneuse est une indemnité de transfert devant être calculée selon la méthode dite « du différentiel » n'est pas discuté par les appelants.

Par des motifs pertinents non contestés que la cour adopte, le tribunal a rappelé les constats opérés par l'experte concernant les caractéristiques du bail et des locaux, soulignant notamment que ces derniers se situent dans une section de la [Adresse 4] que l'experte qualifie de secondaire compte tenu de l'activité exercée, dans un secteur à vocation essentiellement résidentielle, avec en pied d'immeuble des commerces de proximité sans notoriété particulière, mais à proximité de l'Institut [25], centre de vaccination internationale, et non loin de la gare [20], voisinage qui génère un flux important de piétons.

Le tribunal a approuvé les conclusions de l'experte proposant, au regard des éléments précités et des référence présentées, une valeur locative de marché de 520 euros/m2, soit la somme annuelle de 29.000 euros pour une surface pondérée et acceptée par les parties de 56 m2, et une valeur locative de renouvellement plafonnée annuelle de 17.785 euros.

Conformément aux conclusions de l'experte, le jugement déféré a en outre appliqué un coefficient de 6 au différentiel obtenu, aboutissant ainsi à un droit au bail d'un montant arrondi de 70.000 euros (29.000 - 17.785 x 6).

Les appelants demandent à ce que cette valeur soit fixée à la somme de 20.800 euros.

Au soutien de leur prétention, ils exposent tout d'abord que la valeur locative de marché doit être fixée à 400 euros/m2 et non 520 euros/m2, soit une somme annuelle de 22.400 euros (400 x 56) eu lieu de 29.000 euros aux motifs que, parmi les références locatives citées par l'experte, seules deux d'entre elles, situées à hauteurs respectives de 350 euros/m2 et 433 euros/m2, sont pertinentes et doivent être retenues, en ce qu'elles sont situées dans le même secteur et présentent une commercialité équivalente aux locaux objets de l'éviction, contrairement aux autres références citées.

Ils reprochent en outre au jugement déféré d'avoir appliqué au différentiel de loyer le coefficient de 6 également retenu par l'experte, qu'ils considèrent comme excessif, pour proposer que le coefficient de 4,5 soit retenu, en ce que le stationnement à proximité des locaux est impossible et que les arrêts de bus les plus proches se situent à 150 mètres et donnent sur des artères plus commerçantes.

Cependant, compte tenu des éléments énumérés dans le jugement déféré et rappelés ci-dessus relatifs à l'emplacement des locaux en cause, des caractéristiques du bail, de la destination des locaux et au regard des éléments de comparaison présentés par l'experte, lesquels concernant comme il est d'usage des emplacements voisins, des nouvelles locations, des loyers fixés judiciairement ou amiablement dans le cadre de renouvellements, le prix proposé par l'experte et retenu par le jugement déféré de 29.000 euros annuel est justifié.

La cour ajoute que les deux références citées par les appelants ne sauraient à elles seules être retenues pour déterminer la valeur locative de marché des locaux en cause - laquelle suppose de prendre en considération tous les éléments énumérés ci-dessus -, au seul motif qu'elles seraient selon les appelants les seules dans le même secteur à présenter une commercialité équivalente à celle des locaux objets de l'éviction.

En outre et, eu égard au secteur dans lequel se trouvent les locaux, de la proximité d'un centre de vaccination international et de la gare [20], qui génèrent un flux important de piétons, et de l'absence de concurrence pour l'activité exercée, le coefficient de situation de 6, qui correspond usuellement à une « bonne situation », n'apparaît pas exagéré en l'espèce nonobstant les arguments développés par les appelants.

Dans la mesure où il n'est pas contesté qu'en l'absence de motif de déplafonnement, le loyer aurait été fixé à 17.785 euros si le bail s'était renouvelé, c'est à juste titre que le tribunal a retenu un droit au bail d'une valeur arrondie de 70.000 euros (29.000 - 17.785 x 6).

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 70.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction principale et de rejeter les demandes des consorts [VZ] sur ce point.

1.2 Sur les indemnités accessoires :

1.2.1. Sur les frais de remploi ou de transaction :

Les frais de remploi ou de transaction sont ceux que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller, notamment les droits de mutation et honoraires afférents au rachat d'un nouveau fonds de commerce ou à la conclusion d'un nouveau bail.

S'appuyant sur les tarifs des agents immobiliers, l'experte a évalué ces frais à 30 % de la valeur locative de marché sur trois années, soit 8.700 euros (29.000 x 30 %).

Le jugement déféré a retenu d'une part ce dernier montant au titre de « frais de transaction », et d'autre part la somme de 4.088 euros au titre de « frais de remploi », sollicitée également par la preneuse en première instance.

Le préjudice dont se prévaut la preneuse de ce chef n'est pas contesté par les appelants, mais c'est à juste titre qu'ils soutiennent que les deux sommes font double emploi, les frais d'honoraires afférents à la conclusion d'un nouveau bail ne pouvant être indemnisés deux fois.

En conséquence et ainsi que le suggèrent à juste titre les appelants, il convient de fixer les frais de remploi, comme cela est d'usage, à 10 % du montant de l'indemnité principale d'éviction, soit 7.000 euros, et d'infirmer le jugement déféré sur ce point.

1.2.2 Sur les frais de déménagement et de réinstallation :

Il résulte de l'article L. 145-14 précité que le locataire doit être indemnisé de ses « frais normaux de déménagement et de réinstallation ».

Dans la mesure où l'éviction donne en l'espèce lieu à la fixation d'une indemnité de transfert, il convient d'indemniser globalement, au titre du même poste, les frais normaux de déménagement du mobilier présent dans les locaux objet de l'éviction, ainsi que ceux afférents à la réinstallation de celui-ci dans les nouveaux locaux.

Le tribunal a fixé forfaitairement les frais de déménagement à la somme de 2.000 euros sur demande de la preneuse et les frais de réinstallation à hauteur de 41.000 euros, suivant l'estimation de l'experte, laquelle préconise de retenir un forfait de 600 euros/m2 pour la partie des locaux situés au rez-de-chaussée, soit 36.150 euros (600 x 60,25 m2), et de 300 euros/m2 pour la partie des locaux situés au sous-sol, soit 4.650 euros (300 x 15,5 m2).

Les appelants critiquent le jugement déféré pour avoir fixé l'indemnité de réinstallation à la somme forfaitaire précitée, alors que l'intimée ne vient étayer celle-ci par aucun justificatif. Ils demandent en conséquence à la cour d'infirmer le jugement sur ce point et de juger que les frais de réinstallation ne sont pas dus. Ils ne contestent en outre pas le montant accordé au titre des frais de déménagement.

Or, il appartient au bailleur qui entend contester le paiement desdits frais, de rapporter la preuve du défaut de réinstallation effective du preneur dans de nouveaux locaux, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce, la bailleresse ne faisant que constater l'absence de justificatifs.

Au regarde de la faible superficie, du peu de mobilier présent dans les lieux loués et de la faiblesse du stock, il convient de ramener le montant alloué au titre des frais de déménagement et de réinstallation à la somme de 400 euros/m2 pour le rez-de-chaussée et 250 euros/m2 pour le sous-sol, soit la somme globale et forfaitaire de 27.975 euros (400 x 60,25 + 250 x 15,50), arrondie à 28.000 euros, et d'infirmer le jugement déféré sur ce point.

1.2.3 Sur les frais de double loyer :

Dans le cadre d'un transfert, il est d'usage d'indemniser un préjudice complémentaire lié au règlement du loyer des nouveaux locaux durant les opérations de déménagement.

Les appelants acceptent le montant de 1.200 euros retenu par le jugement déféré, lequel sera donc confirmé sur ce point.

1.2.4 Sur les frais de mailing et de changement d'imprimés :

Le jugement déféré a accordé la somme de 2.000 euros à la preneuse au titre des frais relatifs au mailing et au changement d'imprimés, suivant ainsi l'estimation de l'experte.

Les appelants contestent le montant, faisant valoir qu'il leur paraît excessif et qu'en outre, il n'est étayé d'aucun élément de nature à en apprécier le montant, tout en indiquant être disposés à verser à ce titre à la preneuse la somme forfaitaire de 500 euros.

Dans la mesure où les appelants reconnaissent que la preneuse a subi un préjudice de ce chef et ne caractérisent pas le caractère excessif de l'évaluation faîte par l'expert, il convient de retenir le montant de 2.000 euros justement apprécié par le tribunal, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

1.2.5 Sur les frais administratifs liés au changement de siège social :

Cette indemnité a pour objet de compenser les frais de formalités de transfert de siège social.

Le jugement déféré, suivant les propositions de l'experte, a fixé cette indemnité à la somme forfaitaire de 3.000 euros.

Les appelants contestent le montant en ce qu'il serait exagéré, et se disent disposés à verser à la preneuse la somme de 1.100 euros au regard du coût habituel des formalités auprès du greffe du tribunal de commerce de Paris pour un changement de siège social qu'ils estiment forfaitairement à 200 euros, du coût d'insertion d'une annonce dans un journal d'annonce légal qui se porteraient à 150 euros, et du coût d'intervention d'un professionnel pour s'occuper desdites formalités, qu'ils considèrent s'élever à 750 euros environ.

Dans la mesure où les appelants reconnaissent que la preneuse a subi un préjudice de ce chef et, comme pour le poste ci-dessus, ne caractérisent pas le caractère excessif de l'évaluation faite par l'expert, il convient de retenir le montant de 3.000 euros forfaitairement fixé par le tribunal, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

1.2.6 Sur le trouble commercial :

L'indemnisation du trouble commercial correspond au préjudice subi par le preneur du fait de la gestion de l'éviction ; elle est destinée à compenser la perte de temps engendrée par l'éviction, et le moindre investissement dans l'activité commerciale. Il est d'usage, quand le fonds est transférable, qu'elle soit calculée en fonction de l'Excédent Brut d'Exploitation (EBE) ou de la « masse salariale ».

En l'espèce, le tribunal a fixé cette indemnité à la somme forfaitaire de 5.000 euros proposée par l'experte.

Les appelants estiment que cette indemnité doit être fixée en fonction de l'EBE et que faute pour la preneuse de fournir des justificatifs sur le montant du bénéfice de l'exploitation, il convient de réformer le jugement sur ce point et de juger que ladite indemnité n'est pas due.

Néanmoins, dans la mesure où il n'est pas sérieusement contestable que la preneuse a subi un trouble commercial du fait de l'éviction, mais qu'elle ne fournit aucun élément de preuve de nature à pouvoir estimer le montant de ce préjudice, il convient de retenir le montant de 5.000 euros forfaitairement fixé par l'experte et confirmé par le tribunal, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Il ressort des éléments qui précèdent que l'indemnité d'éviction totale s'élève à la somme de 116.200 euros, soit :

indemnité principale 70.000 euros

indemnités accessoires 46.200 euros

- frais de remploi/transaction : 7.000 euros

- frais de déménagement et de réinstallation : 28.000 euros

- frais de double loyer : 1.200 euros

- frais de mailing/changement d'imprimés : 2.000 euros

- frais changement siège social : 3.000 euros

- trouble commercial : 5.000 euros

Total : 116.200 euros

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à 136.988 euros. Elle sera fixée à la somme de 116.200 euros.

2) Sur l'indemnité d'occupation :

En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, l'indemnité d'occupation due par le locataire pouvant prétendre au maintien dans les lieux, est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII du chapitre de ce code relative au bail commercial compte tenu de tous éléments d'appréciation. Cette indemnité doit être fixée à la valeur locative de renouvellement déplafonnée, déterminée conformément à l'article L. 145-33 du même code.

L'expert a établi son estimation de l'indemnité d'occupation en fonction d'une valeur locative de 22.400 euros (400 euros/m2 x 56), affectée d'un abattement pour précarité de 10 %, soit une indemnité d'occupation annuelle de 20.160 euros.

La bailleresse n'ayant pas formulé de demande en première instance, le jugement déféré a pris acte de ce que la preneuse proposait le paiement d'une indemnité d'occupation annuelle d'un montant de 12.805,27 euros.

En cause d'appel, les appelants sollicitent que soit retenu le montant de la valeur locative estimée par l'experte, sans application de l'abattement de 10 %, la preneuse ne justifiant pas selon eux de la réalité d'une quelconque précarité, ce qui porterait le montant de l'indemnité d'occupation annuelle à la somme de 22.400 euros.

Cependant c'est à juste titre que l'experte a appliqué à cette dernière somme l'abattement usuel de 10 %, afin de prendre en considération la situation de précarité inhérente à toute éviction, la délivrance d'un congé ayant nécessairement fragilisé le titre d'occupation de la locataire, l'empêchant notamment d'y réaliser des projets ou investissements à long terme, les appelants ne démontrant pas que tel ne serait pas le cas en l'espèce ni que le taux usuel de 10 % appliqué au titre de la précarité serait excessif.

Compte tenu des éléments qui précèdent, il y a lieu de retenir un abattement de 10 % au titre de la précarité et de fixer à la somme de 20.160 euros (22.400 ' 10 %) le montant de l'indemnité d'occupation annuelle due par la preneuse à compter du terme du bail, soit le 1er février 2009, jusqu'à la complète libération des lieux, réalisée conformément aux dispositions légales et stipulations contractuelles.

3) Sur la compensation

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rappelé que la compensation s'opèrera de plein droit entre les créances réciproques des parties et ce conformément aux dispositions de l'article 1347 du code civil.

En conséquence, les sommes dues par les parties au titre de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation seront payées par compensation.

4 Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

En outre, au regard des faits de l'espèce, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, les frais par elle engagés dans le cadre de la présente instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la charge de ses propres dépens d'incident.

Les demandes des appelants seront donc rejetées sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 14 juin 2017 (RG 11/08995) en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé les frais de transaction à la somme de 8.700 euros, les frais de réinstallation à la somme de 41.000 euros et les frais de remploi à la somme de 4.088 euros ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Fixe l'indemnité de remploi et de transaction à la somme de 7.000 euros et l'indemnité de déménagement et de réinstallation à la somme de 28.000 euros ;

Rappelle en conséquence que l'indemnité d'éviction principale due par les consorts [VZ] venant aux droits de Mme [N] [VF] à Mme [O] [Z] venant aux droits de Mme [L] [S] [Z] s'élève à la somme de 70.000 euros, et les indemnités accessoires à la somme totale de 46.200 euros, soit une indemnité d'éviction globale de 116.200 euros ;

Fixe l'indemnité d'occupation annuelle à la somme de 20.160 euros due à compter du 1er février 2009 et jusqu'à complète libération des lieux réalisée conformément aux dispositions légales et stipulations contractuelles ;

Condamne Mme [O] [Z], venant aux droits de Mme [L] [S] [Z] à payer la somme 20.160 euros due à compter du 1er février 2009 et jusqu'à complète libération des lieux ;

Rappelle que la compensation est de droit ;

Déboute les appelants de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.

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