CA Douai, 2e ch. sect. 2, 3 avril 2025, n° 24/03439
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Vilnat
Avocats :
Me Vairon, Me Devaux, Me Bernabé
FAITS ET PROCEDURE
Le 1er février 2018, les consorts [L] ont consenti à M. [M] un 'bail commercial précaire' d'une durée de 24 mois, devant prendre fin le 5 mars 2022,ayant pour objet un local commercial situé [Adresse 2] à [Localité 3].
Le 6 mars 2020, un nouveau bail commercial précaire de 24 mois, portant sur le même bien, a été conclu entre les mêmes parties, moyennant un loyer mensuel de 500 euros.
Ce bail s'est poursuivi au-delà de son terme.
Par un acte authentique du 18 octobre 2022, la commune d'[Localité 3] (la commune) a fait l'acquisition, auprès des consorts [L], de l'immeuble dans lequel se trouve le local loué à M. [M].
Le 13 octobre 2023, la commune a vainement délivré à M. [M] un commandement de payer visant la clause résolutoire en raison d'impayés locatifs représentant la somme 4 982 euros en principal.
Le 20 février 2024, la commune a assigné M. [M] en référé, en constat de la résiliation du bail, en paiement d'une provision au titre de la dette locative et d'une indemnité d'occupation, et en expulsion.
M. [M] s'est opposé à ces demandes, aux motifs qu'il existait une contestation sérieuse et a demandé, subsidiairement, la suspension des effets de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement.
Par une ordonnance du 26 juin 2024, le président du tribunal judiciaire de Béthune, statuant en référé, a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail liant la commune et M. [M] sur le local commercial situé dans l'immeuble ci-dessus désigné ;
- dit que M. [M] était occupant sans droit ni titre à compter du 14 novembre 2023 ;
- condamner M. [M] à restituer les lieux dans le mois de la signification de sa décision, sous peine d'expulsion passé ce délai ;
- condamné M. [M], à titre provisionnel, au paiement des sommes suivantes :
' 5 211,67 euros au titre des loyers et provisions sur charges arrêtés dus et arrêtés au 13 novembre 2023 ;
' 830,33 euros au titre des indemnités d'occupation dues, arrêtées au terme de janvier 2024 inclus ;
- rejeté l'ensemble des demandes de M. [M] ;
- rejeté le surplus des demandes de la commune ;
- condamné M. [M] aux dépens ;
- condamné M. [M] au paiement d'une indemnité procédurale de 1 000 euros.
Le 12 juillet 2024, M. [M] a relevé appel de cette ordonnance.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 septembre 2024, M. [M] demande à la cour d'appel de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté 'ses demandes visant à faire état de difficultés sérieuses, de l'absence de trouble manifestement illicite, et visant à demander la suspension des effets de la clause résolutoire' ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
- suspendre les effets de la clause résolutoire compte tenu des délais accordés par le Trésor public ;
- suspendre l'effet de cette clause pendant 10 mois, période pendant laquelle il s'engage à payer le solde tout en réglant le loyer
courant ;
- si la cour accédait à la demande de la commune : rejeter la 'demande d'indemnité d'occupation mensuelle qui ne saurait être inférieure au loyer actuel' formée par la commune ;
- condamner la commune à lui payer une indemnité procédurale de 3 000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [M] fait valoir que :
- in limine litis (pp. 4-5), il existe une contestation sérieuse. Il n'existe ni dommage imminent, ni trouble manifestement illicite, ni évidence de la situation. En effet, la commune ignorait 'qu'il y avait le titulaire d'un bail commercial dans l'un des locaux commerciaux.' En outre, il a obtenu de la Direction générale des finances publics de la commune un échéancier de paiement entre les 13 mars 2024 et 13 décembre 2024. 'La difficulté est sérieuse puisqu'il apparaît que la comptabilité publique ne permet pas au maire d'être à la fois l'ordonnanceur et le payeur. C'est le Trésor public qui est seul susceptible d'encaisser les loyers et c'est donc le Trésor public qui peut décider d'accorder ou pas un échéancier' (p. 4). Or, l'échéancier est respecté ;
- l'échéancier, qui date du 20 février 2024, est postérieur au commandement de payer, 'par contre, la demande de suspension des effets de la clause résolutoire résiste parfaitement à l'analyse.' Lui, appelant, est prêt à ramener sa demande de délai à 10 mois pour s'adapter à cet échéancier ;
- les règles de la comptabilité publique exigent la séparation entre les ordonnateurs et les payeurs. Ainsi, l'administration fiscale est seule compétente pour octroyer des délais. Il présente des garanties, puisqu'il a respecté les délais qui lui ont été accordés. Il est recevable et bien fondé à demander la suspension des effets de la clause résolutoire.
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 octobre 2024, la commune demande à la cour d'appel de :
Vu les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce ;
Vu les articles 834 et 835 du code de procédure civile ;
Vu les articles 2217, 2224 et suivants du code civil ;
- confirmer l'ordonnance entreprise ;
- rejeter l'ensemble des demandes de M. [M] ;
- condamner M. [M] au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros, ainsi qu'aux entiers dépens.
La commune fait notamment valoir que :
- en fait, elle a découvert a posteriori le premier bail dont M. [M] a bénéficié de la part de ses vendeurs. Les conditions légales d'un bail dérogatoire, n'ayant pas été remplies (le locataire s'étant maintenu dans les lieux à l'issue du premier bail dérogatoire), M. [M] bénéficie d'un bail commercial soumis au statut depuis le 1er février 2020, d'une durée de 9 ans à compter de cette date, moyennant un loyer de 500 euros par mois et hors charges (pp. 6-7) ;
- les baux successifs contiennent une clause résolutoire et, en tout état de cause, les dispositions combinées des articles L. 145-41 du code de commerce et 1217, 1224,1227 et 1228 du code civil ouvrent au bailleur le droit, à l'issue d'un délai d'un mois suivant la signification d'un commandement de payer, de demander la 'résolution' du bail (p. 8 et p. 17) ;
- les causes du commandement de payer n'ont pas été éteintes dans le mois de la délivrance de cet acte et la dette s'est accrue, pour atteindre 6 193,20 euros au 1er octobre 2024. Elle peut donc demander le constater de la prise d'effet de la clause résolutoire et demander l'expulsion de M. [M] (pp. 10-11 et pp. 17 à 19 ;
- il n'existe aucune contestation sérieuse : en vertu des 'règles de séparation de comptabilité et ordonnateur publics' (p. 19, § 4), si le Trésor public émet les titres et les recouvre, le créancier reste bien l'ordonnateur public, à savoir la commune. Aucun transfert de créance n'est intervenu ;
- la créance de 6 139,20 euros, au 1er octobre 2024, n'est pas sérieusement contestable au vu du décompte (v. p. 21) ;
- l'indemnité d'occupation doit être de 530 euros, correspondant au montant du loyer mensuel au jour de l'ordonnance, charges comprises ;
- par ailleurs, elle est fondée à conserver le montant de la somme de 500 euros déposée en garantie 'jusqu'au complet paiement des sommes dues' (p. 24) ;
- la demande de délais formée par l'appelant doit être rejetée, celui-ci n'étant pas de bonne foi et ayant déjà profité d'importants délais en pratique, les premiers impayés datant d'octobre 2022 (p. 25).
MOTIVATION
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile :
Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que :
Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
La résiliation de plein droit du bail, par l'effet d'une clause résolutoire, doit être constatée par le juge dès lors qu'est établi un manquement du locataire à l'une des obligations visées par la clause résolutoire, sans que le juge dispose d'un quelconque pouvoir d'appréciation quant à la gravité du manquement reproché.
Cependant, la mise en oeuvre de la clause résolutoire, prévue par l'alinéa 1 de ce texte, est subordonnée à certaines conditions. En particulier, il doit être établi un manquement du locataire à une clause expresse du bail, ce manquement doit être visé par la clause résolutoire, la résiliation de plein droit du bail prévue par l'article L. 145-41 précité ne pouvant sanctionner qu'un manquement pour lequel la mise en oeuvre de la clause résolutoire est prévue (Civ. 3e, 8 juin 2023, n° 21-19.099), et le manquement doit persister au-delà du délai d'un mois après la délivrance d'un commandement ou d'une mise en demeure.
L'alinéa 2 de l'article L. 145-41 précité autorise néanmoins le juge à accorder au locataire débiteur des délais en suspendant les effets de la clause résolutoire. Si le juge, qui doit être explicitement saisi d'une demande en ce sens, accueille celle-ci, il doit constater que la clause est acquise et le fait que ses effets doivent être suspendus pendant le délai accordé pour apurer la dette, la clause étant réputée ne pas avoir joué en cas de paiement dans le délai (Civ. 3e, 4 mars 2009, n° 08-14.557). L'octroi de délais par le juge implique la suspension des effets de la clause résolutoire.
L'article 1343-5 du code civil, auquel renvoie l'alinéa 2 de l'article L. 145-41, réglemente ainsi l'octroi des délais de paiement par le juge :
Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment.
Le juge ne peut rejeter la demande en paiement du bailleur en retenant que le locataire a apuré la dette locative postérieurement au délai d'un mois suivant la délivrance du commandement de payer et en déduisant qu'il n'y a pas lieu au jeu de la clause résolutoire ; il doit, pour rejeter une telle demande, octroyer des délais de paiement ou constater qu'il en avait été accordé (Civ. 3e, 4 mai 2011, n° 10-16.939). Dès lors que les paiements intervenus ont permis d'apurer la totalité de la dette locative, le juge peut accorder rétroactivement un délai de paiement et constater que la clause résolutoire n'a pas joué (Civ. 3e, 12 mai 2016, n° 15-14.117).
En l'espèce, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, contrairement à ce que semble sous-entendre M. [M] (p. 4 de ses conclusions), les pouvoirs conférés au juge des référés par l'article 834 du code de procédure civile ne sont pas subordonnés à l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite, mais uniquement à l'absence de toute contestation sérieuse.
Pour le reste, les parties s'accordent sur le fait que, à la suite de son maintien dans les lieux après les baux consentis en 2018 et 2020, M. [M] bénéficie d'un bail commercial soumis au statut.
Le locataire ne conteste pas le montant du loyer dû en exécution de ce bail, tel qu'invoqué par la bailleresse et mentionné dans le bail du 6 mars 2020 : 500 euros par mois hors taxes et hors charges.
M. [M] ne conteste pas davantage la validité de la clause résolutoire insérée dans ce bail, qui prévoit qu'elle peut être mise en oeuvre notamment en cas de défaut de paiement d'un seul terme de loyer à son échange, ni la validité du commandement de payer visant cette clause, délivré le 13 octobre 2023.
A la date du commandement de payer, l'impayé locatif représentait la somme de 4 982 euros en principal, arrêtée au 2 octobre 2023, ce que M. [M] ne conteste pas, et celui-ci ne justifie pas avoir apuré cette dette dans le mois suivant la délivrance de ce commandement.
Contrairement à ce que soutient l'appelant, la circonstance que, le 20 février 2024, soit après l'expiration de ce délai d'un mois, la Direction générale des finances publiques et lui-même ait conclu un échéancier afin d'apurer la dette locative, ne s'analyse pas en une contestation sérieuse, dans la mesure où cela ne fait nullement obstacle au pouvoir juridictionnel du juge des référés de constater l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire.
Par ailleurs, le principe, applicable en matière de comptabilité publique, de séparation entre l'ordonnateur et le comptable public n'est pas non plus de nature à faire obstacle au constat de la clause résolutoire, la commune bailleresse, propriétaire du local donné en location à l'appelant, ayant seule qualité pour se prévaloir de la fin du bail consenti sur ce local, via le jeu de la clause résolutoire régulièrement mise en oeuvre. Ce moyen, soulevé par l'appelant, ne saurait donc davantage caractériser l'existence d'une contestation sérieuse.
Il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge a constaté l'acquisition de la clause résolutoire avait joué à la date du 14 novembre 2023, soit après l'expiration du délai d'un mois suivant la délivrance du commandement de payer.
Cela étant, il résulte de la jurisprudence ci-dessus rappelée que, même si les causes du commandement n'ont pas été payées intégralement à l'expiration du délai d'un mois suivant la délivrance de cet acte, rien n'interdit au juge d'accorder des délais de paiement au locataire.
En l'occurrence, M. [M], a, de facto, bénéficié de délais de paiement pendant la première instance, initiée en février 2024. En outre, il ne justifie pas avoir respecté l'intégralité de l'échéancier du 20 février 2024 dont il se prévaut. Au surplus, alors que cet échéancier portait sur une dette de 6 572 euros, arrêtée en janvier 2024, la commune indique que la dette s'élève à la somme de 6 193 euros au 1er octobre 2024, en ce inclus les loyers et charges des mois d'août et septembre 2024, sans que M. [M] démontre avoir payé tout ou partie de cette somme. Enfin et surtout, faute pour lui de produire le moindre justificatif quant à ses revenus et charges actuels, M. [M] ne justifie pas de sa situation.
Les demandes de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire formées par l'appelant seront donc rejetées. Il sera, sur ce point, ajouté à la décision entreprise, dès lors qu'il ne ressort pas des motifs de celle-ci que le premier juge aurait examiné ces demandes, dont il avait pourtant été saisi.
Il découle de tout ce qui précède que l'ordonnance entreprise doit être confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion de M. [M], occupant sans droit ni titre depuis le 14 novembre 2023.
Si, dans le dispositif de ses conclusions, M. [M] demande le rejet de la demande d'indemnité d'occupation formée par la commune, force est de constater qu'il ne développe, dans les motifs desdites conclusions, aucune argumentation au soutien de cette prétention. De fait, le maintien dans les lieux de M. [M] après la résiliation du bail rend bien fondée cette demande, étant observé que le montant de l'indemnité d'occupation ne fait pas non plus l'objet de critique de la part de l'appelant. Le chef de dispositif de l'ordonnance relatif à l'indemnité d'occupation mérite donc confirmation.
Par ailleurs, aucune des parties ne critique les chefs de l'ordonnance condamnant M. [M] au paiement de provisions au titre, d'une part, des loyers échus et impayés au jour de la résiliation, d'autre part, des indemnités d'occupation arrêtées en janvier 2024. Ces chefs de dispositif ne peuvent, dès lors, qu'être confirmés.
Enfin, la succombance de M. [M] justifie sa condamnation aux dépens d'appel et au paiement d'une indemnité procédurale complémentaire au titre de la procédure d'appel, les chefs de l'ordonnance relatifs aux dépens et à l'article 700 étant confirmés.
PAR CES MOTIFS
- Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Rectifiant l'omission de statuer affectant cette ordonnance,
- Rejette les demandes de M. [M] tendant à l'octroi de délais de paiement et à la suspension des effets de la clause résolutoire insérée au bail afférent au local commercial situé ;
Y ajoutant,
- Condamne M. [M] aux dépens d'appel ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [M] et le condamne à payer à la Commune d'[Localité 3] la somme de 3 000 euros au titre de la procédure d'appel.