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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 3 avril 2025, n° 24/10312

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

SCI Diamant (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Dupont, Mme Girousse

Avocats :

Me Cheviller, SCP Guillemain Panepinto, Me Etevenard, Cabinet Bersay

TJ Paris, 18e ch. sect. 2, du 22 avr. 20…

22 avril 2024

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 3 novembre 2009, la Société Civile Immobilière Diamant (SCI Diamant) a donné à bail en renouvellement à Madame [D] [Z] des locaux commerciaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 3], pour une durée de 9 années à compter du 1er janvier 2010 pour se terminer le 31 décembre 2018, moyennant le versement d'un loyer annuel en principal de 60.000 euros hors taxes et hors charges.

A son terme, le bail s'est poursuivi par tacite prorogation.

Puis, par acte extrajudiciaire en date du 18 juin 2021, Mme [Z] a fait signifier à la bailleresse une demande de renouvellement du bail pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2021.

Par acte extrajudiciaire en date du 16 septembre 2021, la SCI Diamant a fait signifier à la locataire son refus de renouvellement du bail et refus de paiement d'une indemnité d'éviction, arguant du défaut d'immatriculation de Mme [Z] au registre du commerce et des sociétés et d'un motif grave et légitime tenant à une location-gérance qui serait irrégulière. Par ce même acte, la SCI Diamant mettait en demeure Mme [Z] de mettre fin à la location-gérance irrégulière dans le délai d'un mois.

Par acte délivré le 28 juin 2023, Mme [Z] a fait assigner la SCI Diamant devant le tribunal judiciaire de Paris afin de voir juger, au visa des articles L. 145-1, L. 145-14 et L. 145-17 du code de commerce, qu'elle a droit à une indemnité d'éviction et solliciter sa fixation à la somme de 5.706.060 euros à parfaire à titre principal, demandant à titre subsidiaire une expertise judiciaire.

Pour sa part, la SCI Diamant a émis toute protestations et réserves et s'est jointe à la demande de la preneuse de voir désigner un expert judiciaire, avec la précision qu'il aura pour mission de « déterminer le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement dû (') à la demanderesse » mais également« « le montant de l'indemnité d'occupation (') dû par la demanderesse ».

Suivant conclusions notifiées le 4 décembre 2023, Mme [Z] a saisi le juge de la mise en état d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de fixation de l'indemnité d'occupation formée par la SCI Diamant.

Par ordonnance du 22 avril 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a, en substance, rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la Madame [Z] et l'a condamnée à payer à la SCI Diamant la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'incident.

Par déclaration du 13 juin 2024, Mme [Z] a interjeté appel total de ladite ordonnance.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par conclusions déposées le 22 juillet 2024, Madame [Z], appelante, demande à la cour de :

infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en date du 21(sic) avril 2024,

juger recevable la demande de fin de non-recevoir de Madame [Z],

juger prescrite la demande de la SCI Diamant en fixation de l'indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2021 et par voie de conséquence déclarer irrecevable la demande de la SCI Diamant aux fins de désignation d'un expert avec mission de donner son avis sur l'indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2021,

condamner la SCI Diamant à verser à Madame [D] [Z] au titre des frais irrépétibles de première instance, la somme de 4.000 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la SCI Diamant à verser à Madame [D] [Z] au titre des frais irrépétibles devant la Cour, la somme de 5.000 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamner également aux entiers dépens de première instance d'une part, et d'appel d'autre part, lesquels dépens d'appel seront recouvrés par Maître Valérie Panepinto conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle expose que, sur le fondement de l'article L. 145-60 du code de commerce, et en l'état d'un refus à effet du 30 juin 2021, il appartenait à la SCI Diamant de saisir le tribunal aux fins de fixation de l'indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2021 et avant le 30 juin 2023 ; que ce n'est que par conclusions du 27 octobre 2023 que la SCI Diamant a saisi le tribunal à cette fin ; que le SCI Diamant est donc prescrite en son action de fixation de l'indemnité d'occupation et est irrecevable à fonder toute autre demande en lien avec cette indemnité, notamment la désignation d'un expert pour l'évaluer ; que si la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit que le délai de prescription de cette action ne court qu'à compter du jour où elle est consacrée en son principe, cela suppose que le bailleur conteste le droit à l'indemnité d'éviction du preneur ; que, durant le délai de prescription de deux ans, la bailleresse n'a pas demandé au tribunal de valider le refus de renouvellement sans indemnité d'éviction ou élevé le moindre moyen contestant le droit à indemnité d'éviction ; que les seules protestations émises par la bailleresse portaient sur le quantum de l'indemnité d'éviction et non sur son principe ; que le fait de délivrer un congé comportant refus de paiement d'une indemnité d'éviction ne suffit pas à établir une contestation du principe de cette dernière, en l'absence de développements à ce sujets dans les écritures adverses ; que l'emploi du masculin pour le mot « dû » dans la phrase « déterminer le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement dû », démontre que c'est le montant de l'indemnité d'éviction qu'elle demande à l'expert de déterminer, et non le principe de celle-ci.

Par conclusions déposées le 7 août 2024, la SCI Diamant, intimée, demande à la cour de :

constater et retenir le caractère mal fondé de la fin de non-recevoir soulevée par Madame [Z],

déclarer que la demande de la SCI Diamant en fixation de l'indemnité d'occupation est recevable,

constater, dire et retenir que la demande de Madame [Z] constitue une man'uvre dilatoire et que la poursuite de la procédure caractérise une procédure abusive,

par conséquent :

confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 22 avril 2024 en toutes ses dispositions,

débouter Madame [Z] de l'ensemble de ses demandes,

condamner Madame [Z] au paiement de la somme de 5.000 ' à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

condamner Madame [Z] à verser à la SCI Diamant la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose que la jurisprudence a considéré à de nombreuses reprises que le délai de l'action en paiement de l'indemnité d'occupation fondée sur l'article L. 145-28 du code de commerce ne peut commencer à courir avant le jour où le droit du preneur au bénéfice de l'indemnité d'éviction est consacré ; que le droit à une indemnité d'éviction est définitivement consacré soit par une décision définitive, soit par l'exercice par le bailleur de son droit de repentir ; qu'elle a délivré à Mme [Z] un congé avec refus de renouvellement du bail commercial sans indemnité d'éviction le 16 septembre 2021, contestant d'ores et déjà le droit de celle-ci à percevoir une indemnité d'éviction ; que c'est aux fins de se voir reconnaître son droit à indemnité d'éviction que la preneuse l'a assignée devant le tribunal judiciaire de Paris ; que dans ses écritures du 2 octobre 2023, elle n'admet pas non plus le droit à indemnité d'éviction ; que la preneuse fonde toute son argumentation sur l'utilisation du masculin pour la formule « éventuellement dû » et déduit de cela qu'elle n'aurait pas contesté le droit à l'indemnité d'éviction ; que cet argument n'est pas sérieux et ne permet nullement de déduire son intention ; qu'en tout état de cause et comme développé précédemment, elle a toujours contesté le droit à indemnité d'éviction, que ce soit à l'occasion de la délivrance du congé ou dans ses conclusions au fond ; qu'aucun de ces événements ne saurait constituer le point de départ de la prescription de la demande en fixation de l'indemnité d'occupation ; qu'aucune décision judiciaire n'a consacré le droit à indemnité d'éviction ; que l'absence de contestation du bailleur, bien que ce ne soit pas le cas en l'espèce, ne saurait à elle seule constituer une reconnaissance du droit à l'indemnité d'éviction ; que le droit à indemnité d'éviction de la preneuse n'ayant pas été consacré, le délai de prescription de deux ans n'a pas commencé à courir ; que, même en suivant le raisonnement de la preneuse, le droit à indemnité d'éviction ne serait consacré qu'à la date de régularisation de ses conclusions, soit le 27 septembre 2023 et que la demande en fixation de l'indemnité d'occupation ne serait pas prescrite non plus ; que l'argumentation de la preneuse est abusive et dilatoire, visant uniquement à poursuivre l'exploitation de son commerce le plus longtemps possible ; que la preneuse a aussi formé une demande de sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à venir ; que cette demande n'est pas sérieuse puisque le juge du fond sera toujours à même d'écarter l'estimation de l'indemnité d'occupation si la cour estimait que celle-ci ne lui était pas due ; qu'il s'agit, encore une fois, d'une man'uvre dilatoire et abusive ; qu'en conséquence elle sollicite la confirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état, le débouté de la preneuse de l'intégralité de ses demandes et sa condamnation à la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Selon l'article L. 145-28 alinéa 1 du code de commerce, « aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat du bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation ».

L'action en fixation de l'indemnité d'occupation est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce. A défaut d'avoir agi dans le délai, le bailleur n'aura plus la possibilité d'obtenir l'indemnité d'occupation en justice, la prescription de l'action entraînant l'extinction totale du droit à la réclamer.

Selon une jurisprudence constante, ce délai ne peut commencer à courir tant que le droit du locataire à bénéficier d'une indemnité d'éviction n'est pas définitivement consacré dans son principe. Mais ce point de départ n'est différé à cette date qu'à la condition que le droit du locataire au paiement de l'indemnité d'éviction ait été contesté.

En outre, le seul fait d'opposer un refus à la demande de renouvellement notifiée par le preneur ne vaut pas reconnaissance du droit à cette indemnité de la part du bailleur surtout s'il s'accompagne d'un refus de paiement d'une indemnité d'éviction.

En l'espèce, en réponse à la demande de renouvellement du bail adressée par la locataire à la bailleresse, cette dernière lui a adressé un congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction le 16 septembre 2021, à effet du 30 juin 2021.

Mme [Z] a assigné la SCI Diamant devant le tribunal judiciaire de Paris, le 28 juin 2023, afin de voir juger à titre principal qu'elle a droit à une indemnité d'éviction et solliciter sa fixation à la somme de 5.706.060 euros à parfaire, demandant à titre subsidiaire une expertise judiciaire.

Pour sa part, la SCI Diamant a émis toutes protestations et réserves et s'est jointe à la demande de la preneuse de voir désigner un expert judiciaire ayant pour mission de « déterminer le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement dû (') à la demanderesse, ainsi que le montant de l'indemnité d'occupation (') dû par la demanderesse ».

L'ordonnance déférée a considéré que le droit à bénéficier d'une indemnité d'éviction était bien, en l'espèce, contesté par la bailleresse, puisqu'elle avait refusé le renouvellement du bail et le principe du paiement de ladite indemnité par acte du 16 septembre 2021, et que c'était précisément l'objet de l'instance en cours, même si la bailleresse n'avait pas fait de développement sur le congé dans ses écritures et se bornait à demander une expertise.

Au regard des éléments soumis à son appréciation, la cour retient que le juge de la mise en état a, par des motifs précis et pertinents ci-dessus rappelés qu'elle approuve, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, étant ajouté qu'il est inopérant de la part de la preneuse de soulever un argument relatif à l'orthographe de l'expression « le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement du » pour prétendre sérieusement en déduire l'intention non équivoque de la bailleresse de ne pas contester le principe du paiement d'une indemnité d'éviction à la preneuse.

Au vu de ce qui précède, en raison de la contestation continue du bailleur du droit à indemnité d'éviction de preneur et, en absence de décision définitive consacrant ce droit, le délai de prescription de la demande en fixation de l'indemnité d'occupation n'a pu commencer à courir de sorte que c'est à juste titre que l'ordonnance déférée a considéré que la bailleresse contestait bien le droit de la preneuse à une indemnité d'éviction et qu'en conséquence, sa demande tendant à ce que l'expert ait pour mission d'évaluer l'indemnité d'occupation due par la preneuse n'était pas prescrite et était donc recevable.

L'ordonnance sera donc confirmée de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire

La bailleresse sollicite la condamnation de Madame [Z] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

L'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.

L'intimée sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la preneuse, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits, et faute d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés.

Sur les demandes accessoires

L'ordonnance déférée sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Succombant en ses prétentions, Madame [Z] sera condamnée à payer à la SCI Diamant la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance rendue le 22 avril 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris (RG N° 23/08503) en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la SCI Diamant de sa demande en paiement de 5.000 euros de dommages et intérêts en application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [D] [Z] à la somme de 5.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Déboute Madame [D] [Z] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel ;

Condamne Madame [D] [Z] aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de Maître Frédérique Etevenard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

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