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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-5, 3 avril 2025, n° 23/01688

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/01688

3 avril 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 AVRIL 2025

N° RG 23/01688

N° Portalis : DBV3-V-B7H-V5Q6

AFFAIRE :

[V] [F]

C/

S.A.S. ARIANEGROUP

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Mai 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 22/00165

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Blandine DAVID

Me Thomas SALOMÉ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [F]

née le 30 Janvier 1978 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110

Me Félix GUINEBRETIÈRE Félix, Plaidant, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A.S. ARIANEGROUP

N° SIRET : 519 03 2 1 71

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Thomas SALOMÉ de la SELARL CAPSTAN LMS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

Me Margaux LOUSTE, Plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Février 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Agnès PACCIONI, Vice-présidente placée chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Agnès PACCIONI, Vice-présidente placée,

Greffier lors des débats : Madame Anne REBOULEAU,

Greffier lors du prononcé : Madame Caroline CASTRO FEITOSA,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [V] [F] a été engagée par la société Airbus Safran Launchers à compter du 19 décembre 2014, par contrat de travail à durée indéterminée, avec reprise d'ancienneté au 7 juillet 2008 au sein du groupe Safran, en qualité de responsable du développement des ressources humaines.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

A compter de 2018, le contrat de travail de Mme [F] a été transféré à la société Arianegroup.

Par courrier recommandé du 7 septembre 2021, Mme [F] a démissionné de ses fonctions et a sollicité la dispense de l'exécution de son préavis.

Par requête reçue au greffe le 13 juillet 2022, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy afin de voir requalifier sa démission en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et obtenir la condamnation de la société Arianegroup au paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, rappel d'heures supplémentaires, travail dissimulé et de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 16 mai 2023, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,

- fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail à la somme de 10 503,11 euros,

- condamné Mme [F] à verser à la société Arianegroup la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [F] aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels.

Par déclaration au greffe du 22 juin 2023, Mme [F] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 15 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [F] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel de la décision,

Infirmer la décision déférée en ce qu'elle :

- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- a fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail à la somme de 10 503,11 euros,

- l'a condamnée à verser à la société Arianegroup la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamnée aux dépens, y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels,

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

- constater qu'elle a été victime de harcèlement moral dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail,

- constater que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat,

- requalifier sa démission en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul en raison des agissements de harcèlement moral de la société Arianegroup,

- dire et juger que ses fonctions ne répondent pas aux conditions relatives à la qualification de cadre dirigeant,

- fixer sa rémunération moyenne mensuelle à 13 683,53 euros,

En conséquence, condamner la société Arianegroup à lui verser les sommes suivantes :

* 41 050,59 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 4 105,05 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 71 865,90 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 273 670,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 82 101,18 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi en raison du harcèlement moral,

* 82 101,18 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat,

* 38 864 euros bruts et 25 963 euros bruts au titre de la perte de chance de bénéficier du versement des Long Term Incentives Plans en 2022 et 2023,

* 289 398,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et 28 939,81 euros au titre des congés payés afférents,

* 127 520,50 euros à titre de rappel de contreparties obligatoires en repos,

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à la durée maximale quotidienne et hebdomadaire du travail,

* 82 101,18 euros au titre de l'indemnité forfaitaire spéciale pour travail dissimulé,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Arianegroup de sa demande reconventionnelle de remboursement de la somme de 90 757,56 euros et de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Arianegroup aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- débouter la société Arianegroup de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 22 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Arianegroup demande à la cour de :

- déclarer Mme [F] mal fondée en son appel et l'en débouter,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusions,

A titre subsidiaire sur le statut de cadre dirigeant, si par extraordinaire, la cour infirmait le jugement et jugeait que Mme [F] n'avait pas le statut de cadre dirigeant,

- ordonner le remboursement par Mme [F] de la majoration de salaire indument perçue au titre du statut de cadre dirigeant, soit la somme de 90 757,56 euros, outre 9 075,76 euros au titre des congés payés afférents et débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes au titre de la durée du travail, infondées et exorbitantes.

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour considère que Mme [F] rapporte la preuve des heures alléguées, réduire les montants de rappel de salaire compte-tenu du fait que son salaire forfaitaire comprend déjà une majoration de 30%,

En tout état de cause,

- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [F] à verser à la société Arianegroup la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [F] aux éventuels dépens de l'instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le statut de cadre dirigeant

Mme [F], qui poursuit l'infirmation du jugement de ce chef, fait valoir que contrairement à ce qui est prévu dans son contrat de travail, elle ne peut être considérée comme un cadre dirigeant, n'ayant pas toute latitude décisionnelle au sein de son propre domaine d'activité, ne participant pas aux comités de direction de la société et ne prenant donc pas part aux décisions stratégiques, rapportant au directeur des ressources humaines et non directement à son président ou directeur général. Elle relève aussi qu'elle gérait une équipe qui se limitait à 13 personnes alors même que sa supérieure hiérarchique supervisait 130 personnes, que ses missions déléguées étaient limitées à des sujets de recrutement et non de direction de la société comme cela est exigé. Elle précise également qu'elle ne faisait pas partie des dix plus hautes rémunérations de la société. Elle en conclut que faute de statut de cadre dirigeant, la durée applicable du temps de travail était donc la durée légale de 35 heures hebdomadaires, que sa durée de travail excédait largement les 35 heures hebdomadaires, travaillant en réalité entre 50 et 55 heures par semaines depuis le 1er février 2022, en sorte qu'elle est fondée en sa demande de rappel de paiement d'heures supplémentaires et autres demandes subséquentes, soulignant en outre qu'elle verse le témoignage d'une de ses collègues qui met en évidence sa situation de « surcharge de travail ».

La société Arianegroup, en réponse, fait valoir que Mme [F], outre que son contrat de travail mentionnait expressément qu'elle ne serait pas soumise à la règlementation sur la durée du travail, revendiquait elle-même son statut de cadre dirigeant notamment lorsqu'elle candidatait pour une formation externe à l'entreprise, disposait d'une délégation de pouvoirs afin de prendre toute décision relevant de ses fonctions, dirigeait une équipe de 13 personnes. Elle ajoute que si sa supérieure hiérarchique avait un périmètre plus étendu, c'est parce que ses fonctions s'entendaient au niveau du groupe, que Mme [F] disposait de toute autonomie pour fixer les horaires de travail de ses collaborateurs, autoriser la prise de congés, prendre des mesures pour sanctionner un collaborateur notamment, outre que ses différentes missions impliquaient nécessairement une grande autonomie dans sa prise de décision. La société Arianegroup souligne également que Mme [F] bénéficiait d'une rémunération se situant parmi les plus élevées, soulignant que la convention collective mentionne comme critère pour les cadres dirigeants le dernier quartile des rémunérations et non les 10 plus hautes rémunérations. Elle conclut au rejet des demandes de rappel de salaires de la salariée et demandes subséquentes.

***

Il résulte de l'article L. 3111-1 du code du travail que les cadres dirigeants ne sont pas soumis à la durée du travail.

l'article L. 3111-2 du code du travail définit le cadre dirigeant comme le salarié auquel est confié les responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, qui est habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoit une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l'entreprise ou établissement et exclut pour celui-ci l'application des dispositions des titres II et II de la troisième partie du code précité, soit celles relatives à la durée de travail, à sa répartition et à l'aménagement des horaires, aux repos et jours fériés.

Ces trois critères, rémunération, organisation du temps de travail et pouvoir de décision, qui impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise, sont cumulatifs et le juge doit vérifier les conditions réelles d'emploi, la charge de la preuve incombant à l'employeur.

Au cas présent, s'agissant de la rémunération, l'employeur établit par les bulletins de salaire de Mme [F], qui mentionnent un emploi de « directeur » et une position « HC » (hors cadre), l'attestation du responsable paie et l'extrait du rapport comparé des rémunérations 2019/2020/2021 que Mme [F] a perçu une rémunération moyenne mensuelle brute de 12 593,30 euros entre 2019 et 2021 et que cette rémunération faisait partie des rémunérations les plus élevées de la société. Ainsi en 2019, Mme [F] faisait partie des 44 salariés les mieux rémunérés sur les 6 905 salariés que comportait la société Arianegroup, la moyenne de rémunération des cadres étant alors de 5 220 euros. Il s'infère de ces éléments que Mme [F] percevait une rémunération qui se situait dans les niveaux les plus élevés de l'entreprise, étant observé que les dispositions légales ou conventionnelles n'imposent pas que les cadres dirigeants fassent exclusivement partie des 10 rémunérations les plus hautes.

S'agissant de l'organisation du temps de travail, outre que l'employeur démontre que Mme [F] disposait de la plus grande latitude dans l'organisation de son temps de travail, au regard d'ailleurs de ses prérogatives qui impliquaient une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, Mme [F] ne conteste pas cette latitude dont elle disposait dans l'organisation de son temps de travail.

S'agissant du pouvoir de décision, l'employeur démontre, au travers de ses pièces, ainsi qu'aux termes de la délégation de pouvoirs et de responsabilités qu'il produit et que Mme [F] ne critique pas, qu'il était confié à cette dernière « l'autorité, les pouvoirs, la responsabilité et les moyens nécessaires à effet de prendre toutes mesures relevant de ses fonctions et pour le compte de la société » et que dans ce cadre, Mme [F] était habilitée, notamment, à représenter la société vis-à-vis des tiers, édicter une politique de gestion des emplois, définir la politique « campus » de la société, piloter l'administration du plan de recrutement interne et externe de la société, piloter le plan interne de formation ou encore assurer la mise en 'uvre des actions de formation. Mme [F] était en conséquence habilitée à prendre des décisions de façon autonome.

Par ailleurs, l'employeur démontre aux termes de l'organigramme qu'il produit que Mme [F] encadrait une équipe de treize salariés. Si Mme [F] fait valoir que sa supérieure hiérarchique encadrait plus de 130 personnes, cet élément n'est toutefois pas de nature à exclure le statut de cadre dirigeant pour Mme [F], et ce d'autant que sa supérieure hiérarchique avait des responsabilités au niveau du groupe et non seulement au sein de la société Arianegroup, ce que ne conteste pas Mme [F].

Enfin, le fait qu'elle soit placée hiérarchiquement sous l'autorité du directeur des ressources humaines n'est pas de nature à l'exclure non plus du statut de cadre dirigeant, ni le fait qu'elle ne soit pas membre du comité de direction dès lors qu'elle participait aux réunions stratégiques portant sur les sujets relevant de son périmètre comme c'était le cas de Mme [F], ainsi que cela ressort des pièces produites.

Au surplus, Mme [F], qui a accepté son statut de cadre dirigeant à la signature de son contrat de travail, se considérait elle-même comme un des cadres dirigeants de la société Arianegroup, ainsi qu'il ressort de sa lettre de motivation du 25 mars 2019 visant à intégrer une formation externe, que son employeur produit à la procédure, se présentant comme « dirigeante d'une entreprise au service de la dissuasion nationale ».

Il en résulte que Mme [F] participait réellement à la direction de l'entreprise dans le cadre de son champ de compétence, à savoir en ce qui concerne notamment la politique de l'emploi de la société ou ses actions de formation.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la salariée bénéficiait du statut de cadre dirigeant. Elle doit, par conséquent, être déboutée de ses demandes en paiement de rappels d'heures supplémentaires et congés payés afférents ainsi que ses demandes subséquentes (rappels de contrepartie obligatoire en repos, dommages-intérêts pour non-respect des règles relatives aux durées maximales de travail et au repos et indemnité forfaitaire spéciale pour travail dissimulé).

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral

Mme [F], qui poursuit l'infirmation du jugement sur ce point, soutient qu'elle apporte la preuve du harcèlement moral qu'elle a subi au regard des nombreux éléments qu'elle apporte et qui n'ont pas été pris en compte par le conseil des prud'hommes et au regard des deux témoignages produits en cause d'appel qui confirment l'existence du harcèlement moral, constitué par une surcharge de travail qui s'est poursuivie malgré son changement de poste, une mise à l'écart et une remise en cause permanente de son travail, ainsi qu'une remise en cause de son éthique personnelle et professionnelle, autant d'éléments qui ont eu des conséquences sur sa santé.

La société Arianegroup réplique que les éléments apportés par Mme [F] ne laissent pas supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral, n'ayant jamais alerté le médecin du travail et n'ayant alerté son employeur qu'après avoir été assistée d'un avocat, et après avoir changé de médecin qui lui a rédigé une déclaration de maladie professionnelle, pour ensuite démissionner et se faire embaucher dans la foulée par la société Naval Group.

***

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L.1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [F] évoque une surcharge de travail qui s'est poursuivie malgré son changement de poste, une mise à l'écart et une remise en cause permanente de son travail, ainsi qu'une remise en cause de son éthique personnelle et professionnelle. Il convient d'examiner les faits invoqués par le salarié.

S'agissant de la surcharge de travail, Mme [F], outre qu'elle invoque sa demande au titre des heures supplémentaires, laquelle a été rejetée par la cour, et qu'il a été établi qu'elle disposait d'une grande latitude dans l'organisation de son emploi du temps, en sorte que la communication d'emails envoyés tôt le matin ou tard le soir ou bien les extraits de son agenda Outlook est indifférente, évoque les entretiens annuels communiqués par l'employeur qui n'établissent pas la surcharge de travail qu'elle allègue, puisqu'au contraire à l'item « Organisation du travail et équilibre vie professionnelle ' vie privée/ charge de travail » il est précisé par la salariée « satisfaisant ». Ce premier fait n'est donc matériellement pas établi.

S'agissant de la remise en cause permanente de son travail, sa mise à l'écart des dossiers et le traitement humiliant dont elle a fait l'objet, Mme [F] produit quelques échanges d'emails ou sms avec sa supérieure hiérarchique qui, en termes courtois, s'enquière des disponibilités de Mme [F] pour un changement d'horaires, ou lui indique simplement qu'elle ne savait pas qu'elle était « off » quand Mme [F] lui indique qu'elle revient de deux enterrements, ou encore lui répond quand Mme [F] lui demande si elle peut assister à une réunion, sans qu'il en ressorte qu'elle en aurait été préalablement écartée. Elle produit également la lettre qu'elle adresse à la CPAM le 8 juillet 2021, qui s'agissant uniquement de ses propres déclarations, ne permet pas d'établir la matérialité des faits qu'elle dénonce. Ce deuxième fait n'est donc pas établi.

S'agissant des faits de harcèlement moral qui se seraient poursuivis malgré son changement de poste, Mme [F] produit un email du 26 mars 2021 que sa supérieure hiérarchique lui adresse et qui indique simplement qu'elle regrette que cette dernière n'ait pas voulu échanger sur la réalisation de son année 2020, ce qui n'établit en rien les faits qu'elle dénonce, pas plus que la lettre adressée à la CPAM qui n'est constituée que de ses propres déclarations. Ce troisième fait n'est matériellement pas établi.

S'agissant de la remise en cause de son éthique personnelle et professionnelle, Mme [F] soutient qu'elle aurait été personnellement visée par les contrôles de ses notes de frais, toutefois, elle ne verse à l'appui de son allégation qu'une demande de précision sur une note de frais relative à un cadeau et une autre demande d'éclaircissement relative à l'utilisation de deux cartes d'essence alors qu'elle n'avait qu'un véhicule de fonction, Mme [F] indiquant d'ailleurs qu'il s'était avéré que son ancien conjoint s'en était servi. Il ne ressort pas de ces deux éléments, au surplus isolés, la remise en cause professionnelle et personnelle qu'elle allègue, s'agissant seulement d'éclaircissements sollicités par le département Ethique et compliance sur des dépenses hors cadre de la société, sans qu'il ressorte de ces échanges la moindre remise en cause de Mme [F]. Ce quatrième fait n'est matériellement pas plus établi.

S'agissant des conséquences sur sa santé, Mme [F] produit un arrêt de travail à compter du 7 juin 2021, par lequel le médecin, le docteur [P], déclare une maladie professionnelle, sans que le motif médical y figure. Toutefois, Mme [F] produit également un certificat médical de ce même médecin du 13 septembre 2021 qui atteste suivre Mme [F] pour un « syndrome anxiodépressif » qui serait en lien « selon les dires de la patiente » avec une situation de souffrance au travail. Ces éléments ne permettent pas de faire un lien avec la situation professionnelle de Mme [F]. Mme [F] produit également un email qu'elle a adressé à son supérieur hiérarchique, le 7 juin 2021, alors qu'elle était déjà en arrêt de travail depuis le 19 mai 2021, qu'elle intitule « mail d'alerte » « sur l'acharnement subi depuis plusieurs mois », où elle fait part de son incompréhension et de sa souffrance sur les faits et gestes d'Arianegroup qui selon elle s'acharnerait contre elle, qui ne permet pas plus d'établir un lien de causalité entre la dégradation de sa santé et une situation de harcèlement, s'agissant de ses propres déclarations.

Mme [F] indique produire en cause d'appel deux témoignages de salariés de la société Arianegroup qui confirment selon elle, le harcèlement moral qu'elle a subi. Celui de Mme [C], responsable des ressources humaines et N-1 de Mme [F] n'apporte toutefois aucun témoignage circonstancié et précis, en sorte qu'il ne vient pas étayer les éléments dénoncés par Mme [F], pas plus que le témoignage de Mme [S], peu précis et non circonstancié, et qui ne reprend en réalité que les dires de Mme [F].

Il résulte de ce qui précède que Mme [F] ne présente pas des éléments de fait, en ce compris les éléments médicaux qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence du harcèlement moral qu'elle invoque.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement de ce chef.

Sur les dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

Mme [F] fait valoir que l'employeur est tenu d'une obligation de prévention mais également à une obligation de prendre les mesures nécessaires visant à faire stopper les agissements de harcèlement, que la société Arianegroup avait parfaitement connaissance depuis l'email d'alerte du 7 juin 2021 des faits de harcèlement moral qu'elle subissait et que la société Arianegroup n'a pris aucune mesure afin de remédier à cette situation ni diligenté la moindre enquête.

La société Arianedroup rétorque que Mme [F] n'a dénoncé aucune situation de harcèlement moral, se contentant d'invoquer les dernières semaines difficiles et que la société s'acharnerait sur ses faits et gestes, en sorte qu'elle ne peut lui reprocher de ne pas avoir déclenché une enquête, soulignant que son supérieur hiérarchique avait répondu à son mail et rappelant que la société dispose de tout un arsenal afin de prévenir les risques psycho-sociaux.

***

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Au cas présent, Mme [F], le 7 juin 2021, en même temps qu'elle a adressé à son employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle, sans que la cause de la maladie en soit indiquée, l'a alerté par email en invoquant ses « dernières semaines difficiles » et son « incompréhension face à la façon dont Arianegroup s'acharne sur (ses) faits et gestes depuis ces derniers mois ».

Force est de constater que la salariée, dans ce qu'elle considère être une alerte, n'identifie aucune cause de harcèlement qui aurait permis à l'employeur de diligenter une enquête, employant des termes sibyllins et peu précis.

Il ne peut donc être reproché aucun manquement à l'employeur au titre de son obligation de sécurité. Au surplus, Mme [F] ne justifie pas de son préjudice à ce titre.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire.

Sur la demande de requalification de la démission

Mme [F], qui poursuit l'infirmation du jugement à ce titre, fait valoir que rapportant la preuve de l'existence d'un harcèlement, sa démission est équivoque et doit être requalifiée en licenciement nul.

La société Arianegroup rétorque que la salariée ne rapporte pas la preuve des faits qu'elle invoque à l'appui de sa demande de requalification.

***

La démission ne se présume pas et elle ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou le cas échéant nul, si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, la lettre qualifiée de démission de Mme [F] du 7 septembre 2021 est libellée comme suit : « (') « comme vous le savez mes conditions de travail au sein d'Arianegroup se sont fortement dégradées depuis plus d'un an. (') Dès décembre 2020 j'ai été harcelée. J'ai travaillé dans des conditions épuisantes voire humiliantes. Dès l'arrivée de la DRH j'ai été mise à l'écart et remise en cause quotidiennement d'un point de vue professionnel. Publiquement et malgré un travail acharné il a été dit de moi que j'avais arrêté de travailler depuis l'arrivée du nouveau DRH, ce qui est parfaitement faux. Durant huit mois j'ai subi des humiliations, des dénigrements. A bout de forces j'ai dû être arrêtée à partir du 19 mai 2021 pour soigner mes crises de tétanie à répétition, mes insomnies, mes angoisses. Aujourd'hui je suis encore en arrêt et mon état de santé ne me permet pas de revenir travailler au sein d'Arianegroup (') ».

Il résulte ainsi des motifs contenus dans la lettre de démission que celle-ci était équivoque, Mme [F] invoquant une situation de harcèlement moral, et qu'elle s'analyse donc en une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Toutefois, au soutien de sa demande de requalification de cette prise d'acte en un licenciement nul, Mme [F] invoque des faits d'harcèlement moral, lesquels ne sont pas établis ainsi qu'il a été dit plus haut.

Il y a donc lieu de rejeter la demande de Mme [F] de requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui a débouté Mme [F] de sa demande de requalification et ses demandes indemnitaires associées (indemnité compensatrice de congés payés et congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement nul et au titre de la perte de chance de bénéficier du versement des Long Term incentives Plans de 2022 et 2023).

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il statue sur ces deux points.

En outre, Mme [F], qui succombe en son appel, sera condamnée à payer à la société Arianegroup une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il dit que la démission de Mme [V] [F] est non équivoque,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Dit que la démission de Mme [V] [F] s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur et déboute Mme [V] [F] de sa demande de requalification de cette prise d'acte en un licenciement nul,

Condamne Mme [V] [F] aux dépens d'appel.

Condamne Mme [V] [F] à payer à la société Arianegroup une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Caroline CASTRO FEITOSA, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

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