CA Dijon, 2 e ch. civ., 3 avril 2025, n° 22/00470
DIJON
Arrêt
Autre
[I] [E] [L] [J]
C/
[O] [T]
[X], [G], [D] [U]
S.A.S.U. CORNER FOOD
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 03 AVRIL 2025
N° RG 22/00470 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F5WS
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 17 mars 2022,
rendue par le tribunal de commerce de Dijon - RG : 2021001202
APPELANT :
Monsieur [I] [E] [L] [J]
né le [Date naissance 1] 1998 à [Localité 10] (ALGERIE)
domicilié :
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Sylvain CHAMPLOIX, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 92
INTIMÉS :
Monsieur [O] [T]
né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 11] (Algérie)
domiciliée :
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Anne-Laure BERNARDOT membre de la SELAS BERNARDOT AVOCAT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 151
Madame [X], [G], [D] [U]
née le [Date naissance 6] 1998 à [Localité 9]
domiciliée :
[Adresse 8]
[Localité 3]
non représentée
S.A.S.U. CORNER FOOD prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés de droit audit siège :
[Adresse 4]
[Localité 3]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 juin 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de Chambre,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG,
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 03 octobre 2024, pour être prorogée au 05 décembre 2024, au 23 janvier 2025, au 20 mars 2025 puis au 03 avril 2025,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS Corner Food a été constituée le 3 mars 2020 entre M. [O] [T] détenteur de 50 actions, Mme [X] [U] et M. [I] [E] [L] [J] à concurrence de 25 actions chacun.
Mme [U] a été désignée en qualité de présidente de la société et MM. [T] et [J] ont été nommés en qualité de directeurs généraux.
La société Corner Food a été immatriculée le 9 juin 2020 au RCS au titre d'une activité de restauration rapide à emporter et sur place.
Suivant un procès-verbal du 20 juin 2020, les associés ont décidé de la cession par M. [T] de ses actions à Mme [U] et M. [J], à raison de 25 chacun, de la cessation de ses fonctions de directeur général de la société et de la modification des statuts en conséquence.
Sur l'assignation délivrée par M. [T] et par jugement du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Dijon a :
- écarté les conclusions, déposées et non-soutenues à l'audience par M. [I] [E] [L] [J] des débats ;
- annulé les décisions prises lors de l'assemblée générale du 20 juin 2020 ;
- annulé la cession des actions de M. [T] au profit de Mme [U] et M. [J] ;
- annulé la révocation des fonctions de directeur général de la SASU Corner Food de M. [O] [T] ;
- débouté M. [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté la SASU Corner Food de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné solidairement la SASU Corner Food, Mme [X] [G] [D] [U] et M. [I] [E] [L] [J] à verser à M. [O] [T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné solidairement la SASU Corner Food, Mme [X] [G] [D] [U] et M. [I] [E] [L] [J] en tous les dépens de l'instance.
Suivant déclaration au greffe du 12 avril 2022, M. [J] a relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a débouté M. [T] de sa demande de dommages-intérêts.
Prétentions de M. [J] :
Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 mai 2024, M. [J] demande à la cour, au visa des articles 1372 et 1240 du code civil, R.225-106, L.225-249, L.225-254, L.227-1 et L.227-20 du code de commerce, de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
- constater la validité du procès verbal d'assemblée générale du 20 juin 2020,
- constater l'effectivité du changement de dirigeants de la société Corner Food,
- constater qu'aucune faute et man'uvre frauduleuse n'a été effectuée,
- constater le défaut de qualité et d'intérêt de M. [T],
- constater que M. [O] [T] ne prouve aucun préjudice,
en conséquence,
- rejeter l'ensemble des demandes de M. [O] [T],
reconventionnellement,
- condamner M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour procédure abusive,
- condamner M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [O] [T] aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont ces derniers seront recouvrés par Me Sylvain Champloix, aux offres de droit, conformément à l'article 699 code de procédure civile.
Prétentions de M. [T] :
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2024, M. [T] entend voir, au visa des articles L.227-1 à L.227-20, R.225-61 et suivants, L.225-249 à L.225-254 du code de commerce :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts,
- infirmer le jugement de ce chef,
statuant à nouveau :
- condamner solidairement Mme [X] [U] et M. [I] [J] à payer à M. [O] [T] la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice subi.
- débouter M. [I] [J] de l'intégralité de ses demandes.
La déclaration d'appel a été signifiée le 30 juin 2022 à Mme [U] qui n'a pas constitué avocat devant la cour.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société Corner Food le 28 juillet 2022 par procès-verbal de recherches infructueuses. Elle n'a pas constitué avocat.
M. [J] a fait signifier ses conclusions le 13 janvier 2023 à Mme [U] et 19 janvier 2023 à la SAS Corner Food.
M.[T] a fait signifier ses premières conclusions aux intimées non constituées le 12 octobre 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur la nullité des délibérations de l'assemblée générale du 20 juin 2020 :
Au soutien de sa demande de nullité, M. [T] se prévaut :
- des irrégularités entachant le procès-verbal d'assemblée générale de nature à entraîner sa nullité sur le fondement des articles R.225-106 et L.225-114 code de commerce ;
- de la violation des statuts en l'absence de précisions relatives à l'adoption des résolutions et aux conditions de majorité des votes, ainsi que de respect du droit de préemption et de l'agrément en cas de cession, prévus par les articles 11 et 12 ;
- du caractère frauduleux de l'assemblée générale, les actions cédées n'étant pas identifiées, aucun ordre de mouvement n'ayant été émis, le prix de la cession n'ayant pas été payé et les deux autres associés lui ayant fait croire qu'ils lui restitueraient ses actions ;
- la cession de ses actions et la perte de sa qualité d'associé n'emportait pas perte automatique de ses fonctions de directeur général, prévue par les statuts et dont il n'a pas démissionné.
- de l'absence de convocation de l'assemblée générale ce qui l'a empêché de se faire assister pour s'opposer aux résolutions qui étaient soumises au vote.
M. [J] réplique que :
- le procès-verbal précise la nature des résolutions et les conditions de leur adoption, lesquelles sont conformes aux statuts ;
- ces irrégularités au regard des prescriptions de R.225-106 du code de commerce ne sont pas sanctionnées par la nullité et ne sont pas de nature à entraîner la nullité de l'assemblée générale ;
- la nullité sanctionnant le défaut de respect d'une clause d'agrément prévue par les statuts est une nullité relative que M.[T], cédant n'a ni qualité, ni intérêt à poursuivre ;
- en l'absence d'obligation de numéroter les actions d'une SAS, il suffisait de préciser que les actions cédées étaient celles de M.[T] ;
- le défaut de paiement du prix n'est pas une cause de nullité ;
- M. [T] qui n'a invoqué aucun vice du consentement en première instance, a volontairement cédé ses actions et consenti à la cessation de ses fonctions de DG, l'acte sous seing privé du 20 juin 2020 et le vote à l'unanimité en attestant et ne peut prétendre avoir méconnu la portée de l'acte alors qu'il a signé les statuts constitutifs et dirige depuis plusieurs années d'autres sociétés ;
- la cession est licite et effective, l'enregistrement du procès-verbal d'assemblée générale au greffe du tribunal de commerce et des statuts modifiés le confirment.
Au soutien de sa demande de nullité, M. [T] se prévaut de nullités affectant la régularité de l'assemblée générale des associés, de son procès-verbal et les délibérations prises à cette occasion.
- sur la nullité du procès-verbal :
Nonobstant son intitulé de «rapport de gestion en vue des décisions des associés en date du 20/06/2020 », un procès-verbal des décisions des associés de la société Corner Food a bien été établi et déposé au greffe du tribunal de commerce de Dijon le 17 juillet 2020.
Ce procès-verbal indique que les associés détenant la totalité des actions composant le capital social étaient présents, que l'assemblée des associés a pris : «les décisions unanimes portant sur l'ordre du jour suivant :
- cession d'action de la société de M.[T] [O] et sortie en tant que directeir générale
- modification corrélative des statuts de la société
- pouvoir pour l'accomplissement des formalités».
S'il invoque l'absence dans ce procès-verbal de certaines des mentions prévues par l'article R.225-106 du code de commerce, ces dispositions ne sont pas, contrairement à ce qu'il affirme sanctionnées par la nullité.
L'article R.225-106 ne prévoit lui-même aucune sanction et l'article L.225-114 code de commerce, auquel se réfère M. [T], ne sanctionne que l'absence de tout procès-verbal, son application étant au demeurant écartée en matière de sociétés par actions simplifiées par l'article L227-1 du même code que les deux parties visent à l'appui de leurs prétentions.
M. [T] ne peut pas non plus soutenir avec succès que le procès-verbal ne comporte pas d'indication sur les conditions d'adoption des résolutions alors qu'il fait expressément référence à des décisions unanimes et que ces dernières, s'agissant notamment de la cession des actions, ont été prises en conformité avec les règles énoncées par l'article 23 des statuts.
- sur la nullité de l'assemblée générale :
Le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire de son contenu, a été signé par les trois associés, attestant ainsi de leur convocation et de leur présence, de sorte que M. [T] ne peut valablement soutenir qu'il n'a pas été convoqué et qu'il n'a pu se faire assister pour s'opposer à des délibérations qui ont été adoptées à l'unanimité.
- sur la nullité de la délibération relative à la cession des actions :
Les articles 11 et 12 des statuts soumettent la cession d'action, même entre associés, au respect d'une part d'un droit de préemption accordé aux associés qui impose au cédant de notifier au président et aux associés son projet de cession ; d'autre part, à un agrément préalable donné par décision collective adoptée à la majorité des deux tiers des voix des associés disposant du droit de vote.
L'article 13 des mêmes statuts sanctionne la violation de ces clauses par la nullité de la cession d'actions.
L'article L.227-9 du code de commerce dispose que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient et sanctionne de la nullité sur la demande de tout intéressé les décisions prises en violation de ces dispositions.
Cet article ne fait référence qu'à la répartition des pouvoirs au sein des SAS et aux modalités de prise des décisions collectives et ne trouve pas à s'appliquer à la sanction des violations des clauses statutaires, particulièrement en matière de cession d'actions, laquelle relève de l'article L.227-15 qui prévoit que toute cession effectuée en violation de ces clauses est nulle.
L'action en nullité ne peut être exercée que par les bénéficiaires de ces clauses qu'elles ont vocation à protéger et qui ont donc seuls intérêt à s'en prévaloir.
Les articles 11 et 12 des statuts de la société Corner Food visent à restreindre la liberté de cession des actions et ce, au bénéfice de la société elle-même et des autres associés.
Le cédant, soumis au respect de ces clauses, ne peut en conséquence se prévaloir de leur violation.
M. [T] se prévaut du caractère frauduleux de la délibération relative à la cession de ses actions au motif que ses associés lui ont fait croire qu'ils les lui restitueraient ultérieurement.
A ce titre, il fait valoir sans être contredit, que le prix de la cession ne lui a pas été payé et que l'opération n'a été matérialisée par aucun ordre de mouvement.
Il résulte en outre d'un acte sous seing privé daté du 20 juin 2020, jour de l'assemblée générale et signé par M. [J] et Mme [U], que ces derniers ont certifié : «redonner 25 actions de la société Corner Food située ['] à Monsieur [T] [O] », M. [J] ajoutant : «dans une durée de 3 mois sous condition que les litiges personnels soient régularisés pendant ce délai».
Or, il est établi par les pièces versées que les statuts modifiés après la cession des actions de M. [T] ont été déposés au greffe du tribunal de commerce le 17 juillet 2020 et que M. [J] et Mme [U] ont cédé l'intégralité des actions à un tiers le 10 novembre 2020.
M. [J] ne s'explique pas sur cette cession qui rend toute restitution impossible.
Pour autant, la cour relève que si les associés étaient manifestement convenus d'une sortie temporaire de M. [T] du capital de la société Corner Food, la restitution envisagée de ses actions était soumise à la réalisation d'une condition et à un délai, que la cession intervenue au profit du tiers est postérieure à l'expiration de celui-ci et que M. [T], qui a participé à la simulation qu'il dénonce, ne démontre pas que ses associés avaient, dès le 20 juin 2020, l'intention de céder ses actions et non de les lui restituer, le trompant ainsi sur la nature de l'opération et obtenant son consentement par fraude.
Il y a lieu de relever que M. [T], âgé de 51 ans en 2020 quand M. [J] et Mme [U] n'en avaient tous deux que 22, a créé et dirigé plusieurs autres sociétés, que rodé à la pratique des affaires et alors qu'il revendique dans ses écritures être seul à l'origine de la création de la société Corner Food, il ne peut soutenir avoir méconnu le sens et la portée des résolutions adoptées par l'assemblée générale le 20 juin 2020, comme ceux de l'acte sous seing privé du même jour.
- sur la nullité de la délibération relative à la qualité de directeur général :
Ainsi que l'indique le procès-verbal d'assemblée générale, la résolution par laquelle les associés ont décidé que M.[T] ne serait plus directeur général de la société Corner Food a été adoptée à l'unanimité ce qui suppose que l'intéressé a voté en ce sens et le fait que la perte de sa qualité d'actionnaire de la société ne lui interdise pas d'en demeurer le directeur général est inopérant face au constat d'un accord des volontés des associés.
- - - - - -
En conséquence, aucun des motifs invoqués par M.[T] ne peut justifier la nullité des délibérations de l'assemblée générale des associés de la SAS Corner Food du 20 juin 2020 et par infirmation de la décision de première instance, la cour déboutera M.[T] de ses demandes.
2°) sur la demande indemnitaire :
Le rejet de la demande principale ne peut qu'entraîner celui des prétentions indemnitaires fondées sur la responsabilité des dirigeants des conséquences dommageables de la nullité.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M.[T] de sa demande de dommages- intérêts
3°) sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de M.[J] :
M. [J], non comparant en première instance, soutient que l'action de M. [T] revêt un caractère abusif.
Il est de principe que l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit fondamental qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts que par l'effet d'une faute qu'il appartient au demandeur de caractériser.
Pour audacieuse et de mauvaise foi que soit l'action de M. [T] à l'encontre de délibérations qu'il a approuvées, ainsi qu'en atteste le procès-verbal qu'il a signé, M. [J] fonde son préjudice sur le risque d'annulation de la cession postérieure des actions de la société Corner Food à un tiers, cession dont il a pris le risque malgré l'accord de rétrocession des actions au bénéfice de M.[T].
Ayant ainsi contribué à la réalisation du dommage qu'il invoque, M.[J] sera débouté de sa demande.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Dijon en date du 17 mars 2022 en ce qu'il a :
- écarté les conclusions, déposées et non-soutenues à l'audience par M. [I] [E] [L] [J] des débats ;
- débouté M. [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté la SASU Corner Food de sa demande de dommages et intérêts ;
- dit y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
L'infirme pour le surplus de ses dispositions ;
statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M.[O] [T] de ses demandes en nullité ;
Rejette la demande indemnitaire de M. [I] [E] [L] [J] ;
Condamne M. [O] [T] aux dépens de première instance et d'appel et autorise Me Sylvain Champloix, avocat, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ;
Condamne M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
C/
[O] [T]
[X], [G], [D] [U]
S.A.S.U. CORNER FOOD
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2 e chambre civile
ARRÊT DU 03 AVRIL 2025
N° RG 22/00470 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F5WS
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 17 mars 2022,
rendue par le tribunal de commerce de Dijon - RG : 2021001202
APPELANT :
Monsieur [I] [E] [L] [J]
né le [Date naissance 1] 1998 à [Localité 10] (ALGERIE)
domicilié :
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Sylvain CHAMPLOIX, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 92
INTIMÉS :
Monsieur [O] [T]
né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 11] (Algérie)
domiciliée :
[Adresse 7]
[Localité 3]
représenté par Me Anne-Laure BERNARDOT membre de la SELAS BERNARDOT AVOCAT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 151
Madame [X], [G], [D] [U]
née le [Date naissance 6] 1998 à [Localité 9]
domiciliée :
[Adresse 8]
[Localité 3]
non représentée
S.A.S.U. CORNER FOOD prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés de droit audit siège :
[Adresse 4]
[Localité 3]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 juin 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de Chambre,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
Après rapport fait à l'audience par l'un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG,
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 03 octobre 2024, pour être prorogée au 05 décembre 2024, au 23 janvier 2025, au 20 mars 2025 puis au 03 avril 2025,
ARRÊT : rendu par défaut,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Marie-Pascale BLANCHARD, Présidente de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS Corner Food a été constituée le 3 mars 2020 entre M. [O] [T] détenteur de 50 actions, Mme [X] [U] et M. [I] [E] [L] [J] à concurrence de 25 actions chacun.
Mme [U] a été désignée en qualité de présidente de la société et MM. [T] et [J] ont été nommés en qualité de directeurs généraux.
La société Corner Food a été immatriculée le 9 juin 2020 au RCS au titre d'une activité de restauration rapide à emporter et sur place.
Suivant un procès-verbal du 20 juin 2020, les associés ont décidé de la cession par M. [T] de ses actions à Mme [U] et M. [J], à raison de 25 chacun, de la cessation de ses fonctions de directeur général de la société et de la modification des statuts en conséquence.
Sur l'assignation délivrée par M. [T] et par jugement du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Dijon a :
- écarté les conclusions, déposées et non-soutenues à l'audience par M. [I] [E] [L] [J] des débats ;
- annulé les décisions prises lors de l'assemblée générale du 20 juin 2020 ;
- annulé la cession des actions de M. [T] au profit de Mme [U] et M. [J] ;
- annulé la révocation des fonctions de directeur général de la SASU Corner Food de M. [O] [T] ;
- débouté M. [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté la SASU Corner Food de sa demande de dommages et intérêts ;
- condamné solidairement la SASU Corner Food, Mme [X] [G] [D] [U] et M. [I] [E] [L] [J] à verser à M. [O] [T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné solidairement la SASU Corner Food, Mme [X] [G] [D] [U] et M. [I] [E] [L] [J] en tous les dépens de l'instance.
Suivant déclaration au greffe du 12 avril 2022, M. [J] a relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a débouté M. [T] de sa demande de dommages-intérêts.
Prétentions de M. [J] :
Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 mai 2024, M. [J] demande à la cour, au visa des articles 1372 et 1240 du code civil, R.225-106, L.225-249, L.225-254, L.227-1 et L.227-20 du code de commerce, de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
- constater la validité du procès verbal d'assemblée générale du 20 juin 2020,
- constater l'effectivité du changement de dirigeants de la société Corner Food,
- constater qu'aucune faute et man'uvre frauduleuse n'a été effectuée,
- constater le défaut de qualité et d'intérêt de M. [T],
- constater que M. [O] [T] ne prouve aucun préjudice,
en conséquence,
- rejeter l'ensemble des demandes de M. [O] [T],
reconventionnellement,
- condamner M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour procédure abusive,
- condamner M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [O] [T] aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont ces derniers seront recouvrés par Me Sylvain Champloix, aux offres de droit, conformément à l'article 699 code de procédure civile.
Prétentions de M. [T] :
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2024, M. [T] entend voir, au visa des articles L.227-1 à L.227-20, R.225-61 et suivants, L.225-249 à L.225-254 du code de commerce :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts,
- infirmer le jugement de ce chef,
statuant à nouveau :
- condamner solidairement Mme [X] [U] et M. [I] [J] à payer à M. [O] [T] la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice subi.
- débouter M. [I] [J] de l'intégralité de ses demandes.
La déclaration d'appel a été signifiée le 30 juin 2022 à Mme [U] qui n'a pas constitué avocat devant la cour.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société Corner Food le 28 juillet 2022 par procès-verbal de recherches infructueuses. Elle n'a pas constitué avocat.
M. [J] a fait signifier ses conclusions le 13 janvier 2023 à Mme [U] et 19 janvier 2023 à la SAS Corner Food.
M.[T] a fait signifier ses premières conclusions aux intimées non constituées le 12 octobre 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur la nullité des délibérations de l'assemblée générale du 20 juin 2020 :
Au soutien de sa demande de nullité, M. [T] se prévaut :
- des irrégularités entachant le procès-verbal d'assemblée générale de nature à entraîner sa nullité sur le fondement des articles R.225-106 et L.225-114 code de commerce ;
- de la violation des statuts en l'absence de précisions relatives à l'adoption des résolutions et aux conditions de majorité des votes, ainsi que de respect du droit de préemption et de l'agrément en cas de cession, prévus par les articles 11 et 12 ;
- du caractère frauduleux de l'assemblée générale, les actions cédées n'étant pas identifiées, aucun ordre de mouvement n'ayant été émis, le prix de la cession n'ayant pas été payé et les deux autres associés lui ayant fait croire qu'ils lui restitueraient ses actions ;
- la cession de ses actions et la perte de sa qualité d'associé n'emportait pas perte automatique de ses fonctions de directeur général, prévue par les statuts et dont il n'a pas démissionné.
- de l'absence de convocation de l'assemblée générale ce qui l'a empêché de se faire assister pour s'opposer aux résolutions qui étaient soumises au vote.
M. [J] réplique que :
- le procès-verbal précise la nature des résolutions et les conditions de leur adoption, lesquelles sont conformes aux statuts ;
- ces irrégularités au regard des prescriptions de R.225-106 du code de commerce ne sont pas sanctionnées par la nullité et ne sont pas de nature à entraîner la nullité de l'assemblée générale ;
- la nullité sanctionnant le défaut de respect d'une clause d'agrément prévue par les statuts est une nullité relative que M.[T], cédant n'a ni qualité, ni intérêt à poursuivre ;
- en l'absence d'obligation de numéroter les actions d'une SAS, il suffisait de préciser que les actions cédées étaient celles de M.[T] ;
- le défaut de paiement du prix n'est pas une cause de nullité ;
- M. [T] qui n'a invoqué aucun vice du consentement en première instance, a volontairement cédé ses actions et consenti à la cessation de ses fonctions de DG, l'acte sous seing privé du 20 juin 2020 et le vote à l'unanimité en attestant et ne peut prétendre avoir méconnu la portée de l'acte alors qu'il a signé les statuts constitutifs et dirige depuis plusieurs années d'autres sociétés ;
- la cession est licite et effective, l'enregistrement du procès-verbal d'assemblée générale au greffe du tribunal de commerce et des statuts modifiés le confirment.
Au soutien de sa demande de nullité, M. [T] se prévaut de nullités affectant la régularité de l'assemblée générale des associés, de son procès-verbal et les délibérations prises à cette occasion.
- sur la nullité du procès-verbal :
Nonobstant son intitulé de «rapport de gestion en vue des décisions des associés en date du 20/06/2020 », un procès-verbal des décisions des associés de la société Corner Food a bien été établi et déposé au greffe du tribunal de commerce de Dijon le 17 juillet 2020.
Ce procès-verbal indique que les associés détenant la totalité des actions composant le capital social étaient présents, que l'assemblée des associés a pris : «les décisions unanimes portant sur l'ordre du jour suivant :
- cession d'action de la société de M.[T] [O] et sortie en tant que directeir générale
- modification corrélative des statuts de la société
- pouvoir pour l'accomplissement des formalités».
S'il invoque l'absence dans ce procès-verbal de certaines des mentions prévues par l'article R.225-106 du code de commerce, ces dispositions ne sont pas, contrairement à ce qu'il affirme sanctionnées par la nullité.
L'article R.225-106 ne prévoit lui-même aucune sanction et l'article L.225-114 code de commerce, auquel se réfère M. [T], ne sanctionne que l'absence de tout procès-verbal, son application étant au demeurant écartée en matière de sociétés par actions simplifiées par l'article L227-1 du même code que les deux parties visent à l'appui de leurs prétentions.
M. [T] ne peut pas non plus soutenir avec succès que le procès-verbal ne comporte pas d'indication sur les conditions d'adoption des résolutions alors qu'il fait expressément référence à des décisions unanimes et que ces dernières, s'agissant notamment de la cession des actions, ont été prises en conformité avec les règles énoncées par l'article 23 des statuts.
- sur la nullité de l'assemblée générale :
Le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire de son contenu, a été signé par les trois associés, attestant ainsi de leur convocation et de leur présence, de sorte que M. [T] ne peut valablement soutenir qu'il n'a pas été convoqué et qu'il n'a pu se faire assister pour s'opposer à des délibérations qui ont été adoptées à l'unanimité.
- sur la nullité de la délibération relative à la cession des actions :
Les articles 11 et 12 des statuts soumettent la cession d'action, même entre associés, au respect d'une part d'un droit de préemption accordé aux associés qui impose au cédant de notifier au président et aux associés son projet de cession ; d'autre part, à un agrément préalable donné par décision collective adoptée à la majorité des deux tiers des voix des associés disposant du droit de vote.
L'article 13 des mêmes statuts sanctionne la violation de ces clauses par la nullité de la cession d'actions.
L'article L.227-9 du code de commerce dispose que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient et sanctionne de la nullité sur la demande de tout intéressé les décisions prises en violation de ces dispositions.
Cet article ne fait référence qu'à la répartition des pouvoirs au sein des SAS et aux modalités de prise des décisions collectives et ne trouve pas à s'appliquer à la sanction des violations des clauses statutaires, particulièrement en matière de cession d'actions, laquelle relève de l'article L.227-15 qui prévoit que toute cession effectuée en violation de ces clauses est nulle.
L'action en nullité ne peut être exercée que par les bénéficiaires de ces clauses qu'elles ont vocation à protéger et qui ont donc seuls intérêt à s'en prévaloir.
Les articles 11 et 12 des statuts de la société Corner Food visent à restreindre la liberté de cession des actions et ce, au bénéfice de la société elle-même et des autres associés.
Le cédant, soumis au respect de ces clauses, ne peut en conséquence se prévaloir de leur violation.
M. [T] se prévaut du caractère frauduleux de la délibération relative à la cession de ses actions au motif que ses associés lui ont fait croire qu'ils les lui restitueraient ultérieurement.
A ce titre, il fait valoir sans être contredit, que le prix de la cession ne lui a pas été payé et que l'opération n'a été matérialisée par aucun ordre de mouvement.
Il résulte en outre d'un acte sous seing privé daté du 20 juin 2020, jour de l'assemblée générale et signé par M. [J] et Mme [U], que ces derniers ont certifié : «redonner 25 actions de la société Corner Food située ['] à Monsieur [T] [O] », M. [J] ajoutant : «dans une durée de 3 mois sous condition que les litiges personnels soient régularisés pendant ce délai».
Or, il est établi par les pièces versées que les statuts modifiés après la cession des actions de M. [T] ont été déposés au greffe du tribunal de commerce le 17 juillet 2020 et que M. [J] et Mme [U] ont cédé l'intégralité des actions à un tiers le 10 novembre 2020.
M. [J] ne s'explique pas sur cette cession qui rend toute restitution impossible.
Pour autant, la cour relève que si les associés étaient manifestement convenus d'une sortie temporaire de M. [T] du capital de la société Corner Food, la restitution envisagée de ses actions était soumise à la réalisation d'une condition et à un délai, que la cession intervenue au profit du tiers est postérieure à l'expiration de celui-ci et que M. [T], qui a participé à la simulation qu'il dénonce, ne démontre pas que ses associés avaient, dès le 20 juin 2020, l'intention de céder ses actions et non de les lui restituer, le trompant ainsi sur la nature de l'opération et obtenant son consentement par fraude.
Il y a lieu de relever que M. [T], âgé de 51 ans en 2020 quand M. [J] et Mme [U] n'en avaient tous deux que 22, a créé et dirigé plusieurs autres sociétés, que rodé à la pratique des affaires et alors qu'il revendique dans ses écritures être seul à l'origine de la création de la société Corner Food, il ne peut soutenir avoir méconnu le sens et la portée des résolutions adoptées par l'assemblée générale le 20 juin 2020, comme ceux de l'acte sous seing privé du même jour.
- sur la nullité de la délibération relative à la qualité de directeur général :
Ainsi que l'indique le procès-verbal d'assemblée générale, la résolution par laquelle les associés ont décidé que M.[T] ne serait plus directeur général de la société Corner Food a été adoptée à l'unanimité ce qui suppose que l'intéressé a voté en ce sens et le fait que la perte de sa qualité d'actionnaire de la société ne lui interdise pas d'en demeurer le directeur général est inopérant face au constat d'un accord des volontés des associés.
- - - - - -
En conséquence, aucun des motifs invoqués par M.[T] ne peut justifier la nullité des délibérations de l'assemblée générale des associés de la SAS Corner Food du 20 juin 2020 et par infirmation de la décision de première instance, la cour déboutera M.[T] de ses demandes.
2°) sur la demande indemnitaire :
Le rejet de la demande principale ne peut qu'entraîner celui des prétentions indemnitaires fondées sur la responsabilité des dirigeants des conséquences dommageables de la nullité.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M.[T] de sa demande de dommages- intérêts
3°) sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de M.[J] :
M. [J], non comparant en première instance, soutient que l'action de M. [T] revêt un caractère abusif.
Il est de principe que l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit fondamental qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts que par l'effet d'une faute qu'il appartient au demandeur de caractériser.
Pour audacieuse et de mauvaise foi que soit l'action de M. [T] à l'encontre de délibérations qu'il a approuvées, ainsi qu'en atteste le procès-verbal qu'il a signé, M. [J] fonde son préjudice sur le risque d'annulation de la cession postérieure des actions de la société Corner Food à un tiers, cession dont il a pris le risque malgré l'accord de rétrocession des actions au bénéfice de M.[T].
Ayant ainsi contribué à la réalisation du dommage qu'il invoque, M.[J] sera débouté de sa demande.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Dijon en date du 17 mars 2022 en ce qu'il a :
- écarté les conclusions, déposées et non-soutenues à l'audience par M. [I] [E] [L] [J] des débats ;
- débouté M. [O] [T] de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté la SASU Corner Food de sa demande de dommages et intérêts ;
- dit y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
L'infirme pour le surplus de ses dispositions ;
statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M.[O] [T] de ses demandes en nullité ;
Rejette la demande indemnitaire de M. [I] [E] [L] [J] ;
Condamne M. [O] [T] aux dépens de première instance et d'appel et autorise Me Sylvain Champloix, avocat, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision ;
Condamne M. [O] [T] à payer à M. [I] [E] [L] [J] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,