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CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 3 avril 2025, n° 24/05894

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/05894

3 avril 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 3 AVRIL 2025

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/05894 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJFBX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2024 - Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2023032069

APPELANT

M. [R] [I]

De nationalité française

Né le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 17] (94)

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assisté de Me Stéphanie BELLIER-GIOVANNETTI, avocate au barreau de PARIS, toque : B0693

INTIMÉS

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 3]

[Localité 7]

S.E.L.A.R.L. [11] en la personne de Me [C] [G] en qualité de mandataire liquidateur de la SAS [16]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Immatriculée au RCS de [Localité 15] sous le n° [N° SIREN/SIRET 8]

Assignation à personne conformément aux dispositions de l'article 654 du code de procédure civile. Non constituée (signification de la déclaration d'appel en date du 8 janvier 2025)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère

Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

La société par actions simplifiée à associé unique [16], créée le 1er février 2017, présidée par M. [S] [P], depuis sa création et dirigée par M. [R] [I], ès-qualités de directeur général, depuis le 7 mai 2019, exerçait une activité de commerce de gros de textiles.

Par ailleurs, M. [R] [I] est ou a été titulaire de mandats dans les sociétés suivantes : société par actions simplifiée [10], société par actions simplifiée [13], société civile immobilière [I], société à responsabilité limitée [14]. Il est aujourd'hui salarié dans le secteur des énergies renouvelables.

Par jugement du 30 juin 2020, la société [16] a été condamnée à verser à la société [12] la somme de 113 971 euros.

Saisi par assignation du 22 février 2021 de la société [12], par jugement 20 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la société [16], désigné la société [11], en qualité de liquidateur judiciaire, et fixé la date de cessation des paiements au 20 avril 2020 en considération d'une ordonnance du juge de l'exécution du 31 juillet 2019 autorisant la société [12] à procéder à une saisie conservatoire sur les comptes de la société [16]. La société [16] était absente à l'audience d'ouverture de liquidation judiciaire, bien qu'ayant comparu antérieurement.

Le dernier état du passif, d'un montant total de 993 865 euros est ainsi constitué :

Créances privilégiées social et fiscal : 334 244 euros ;

Créances chirographaires : 659 621 euros.

Le montant des actifs réalisés est de 608 euros. Il en ressort une insuffisance d'actif nette de 993 257 euros. L'augmentation du passif pendant la période suspecte s'élève à 568 978 euros.

Par requête du 2 juin 2023, le ministère public a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de faire prononcer la faillite personnelle de M. [R] [I].

Il lui reprochait :

- une augmentation frauduleuse du passif,

- un défaut de coopération avec les organes de la procédure,

- une omission d'effectuer une déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal.

Par jugement du 23 novembre 2023, la clôture de la liquidation judiciaire a été prononcée.

Par jugement du 12 mars 2024 du tribunal de commerce de Paris, M. [R] [I] a :

Prononcé la faillite personnelle de M. [R] [I] ;

Fixé la durée de cette mesure à sept ans ;

Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

Débouté M. [R] [I] de l'ensemble de ses demandes.

Le tribunal a retenu les griefs d'augmentation frauduleuse du passif, de défaut de coopération avec les organes de la procédure et celui d'omission d'effectuer une déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, tout en précisant que ce dernier grief ne pouvait fonder une sanction de faillite personnelle.

Par déclaration du 29 mars 2024, M. [R] [I] a interjeté appel de cette décision, intimant ainsi la SELARL [11] et le ministère public.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 janvier 2025, M. [R] [I] demande à la cour de :

Déclarer M. [R] [I] recevable et bien fondé en son appel ;

Infirmer le jugement rendu le 12 mars 2024 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a prononcé la faillite personnelle de M. [R] [I] pour une durée de sept ans et l'inscription de cette sanction au fichier national des interdits de gérer.

Et statuant à nouveau,

A titre principal :

Débouter le ministère public et la SELARL [11] de l'ensemble de leurs demandes.

A titre subsidiaire :

Prononcer une sanction à l'encontre de M. [R] [I] assortie du sursis ou pour une durée a maxima de deux ans.

Et y ajoutant :

Juger que cette sanction ne s'appliquera pas aux sociétés civiles immobilières dont M. [R] [I] est le gérant.

La SELARL [11] n'a pas constitué avoué.

Par avis notifié sur RPVA le 23 septembre 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la mention de l'article L. 653-8 alinéa 1° dans le dispositif du jugement

Selon l'article L. 653-8 alinéa 1° du code de commerce, « Dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. »

M. [R] [I] souligne que le tribunal a statué, dans son dispositif au visa du seul article L. 653-8 du code de commerce, relatif à l'interdiction de gérer et non à la faillite personnelle. Il en conclut que le tribunal a privé sa décision de base légale, mais ne formule aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions.

La cour relève en conséquence qu'elle n'est saisie d'aucune demande de ce chef.

Sur l'autorité de la chose jugée acquise par le jugement de clôture de liquidation avant le prononcé de la faillite personnelle

M. [R] [I] soutient que le prononcé de la faillite personnelle est subordonné à la nécessité que la procédure soit toujours en cours au moment où le tribunal statue ou, du moins, que le jugement de clôture de liquidation n'ait pas acquis autorité de la chose jugée. Selon lui, à défaut, aucune condamnation ne pourrait être prononcée et ce, quand bien même la requête en sanction personnelle aurait été délivrée à une date à laquelle les opérations de liquidation n'avaient pas été clôturées. Or, au jour où le tribunal a statué, le jugement de clôture de la procédure de liquidation judiciaire visant la société [16] était déjà intervenu et avait acquis autorité de la chose jugée. L'appelant soutient alors que le jugement doit être infirmé car dépourvu de base légale.

Sur ce,

Le jugement de clôture n'ayant pas pour effet de mettre fin aux actions en sanction, aucune critique ne peut être faite au jugement de ce chef.

Sur l'augmentation frauduleuse du passif de la société [16]

Selon l'article L. 653-4 du code de commerce, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après : [']

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

Le ministère public rappelle que la société [16] a fait l'objet d'un contrôle fiscal qui a abouti à une proposition de rectification fiscale le 19 avril 2021 et qu'ainsi l'administration fiscale a déclaré une créance d'un montant total de 292 362 euros comprenant des pénalités à hauteur de 63 960 euros. Il en déduit que l'augmentation frauduleuse du passif est caractérisée.

M. [R] [I] réplique que, s'il lui est reproché d'avoir frauduleusement augmenté le passif de la société [16] en qualité de dirigeant de droit, il n'est devenu directeur général de ladite société qu'en mai 2019 alors que les faits reprochés sont nés entre mars et avril 2019, à un moment où il n'était pas dirigeant de droit de la société.

Sur ce,

La cour relève que le contrôle fiscal visait les années 2017 et 2018, c'est-à-dire une période où M. [R] [I] n'était pas encore directeur général, de sorte que les pénalités fiscales ne lui sont pas imputables, et ainsi aucune augmentation frauduleuse du passif ne peut lui être reprochée à ce titre.

Le grief ne sera donc pas retenu et le jugement infirmé sur ce point.

Sur l'absence de coopération avec les organes de la procédure

Le ministère public reproche à M. [R] [I] de s'être abstenu d'avoir indiqué au liquidateur judiciaire qu'il bénéficiait d'un avantage professionnel c'est-à-dire de la jouissance d'un appartement de fonction loué par la société débitrice pour un loyer mensuel de 2 605,23 euros avec versement du dépôt de garantie de 5 210 euros. Le ministère public rappelle que ce bail a été conclu le 16 septembre 2020, soit pendant la période suspecte, et que le liquidateur n'a été informé de son existence qu'en février 2023, par le bailleur. Il en déduit que M. [R] [I] s'est volontairement abstenu de coopérer avec les organes de la procédure et a fait obstacle au bon déroulement de cette dernière.

Ce grief a été retenu par le tribunal.

M. [R] [I] réplique que si le bail avait été conclu par la société débitrice pour sa jouissance personnelle, il en assurait seul le règlement.

M. [R] [I] soutient qu'aucun élément ne permet de retenir une absence de collaboration avec les organes de la procédure, dès lors que l'un des dirigeants poursuivis s'est bien présenté au liquidateur et lui a transmis des éléments intéressant la procédure.

Sur ce,

Selon l'article L. 653-5 du code de commerce, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après : [']

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ».

En l'espèce les dirigeants se sont rendus aux convocations du liquidateur judiciaire et lui ont remis les documents nécessaires au bon déroulement de la procédure.

Le seul fait d'avoir omis de mentionner l'existence d'un bail conclu dans l'intérêt exclusif de M. [R] [I], alors qu'il était le seul à assurer le paiement des loyers, est insuffisant à caractériser le grief de défaut de coopération avec les organes de la procédure.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu ce grief.

Sur l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal

Dans sa requête le ministère public reprochait à M. [R] [I] de ne pas avoir effectué de déclaration d'état de cessation des paiements dans le délai légal et le tribunal a retenu ce grief, tout en indiquant qu'il ne pouvait fonder une condamnation à une sanction de faillite personnelle en se fondant sur celui-ci.

Ni le ministère public, ni M. [R] [I] ne concluent sur ce point.

Sur ce,

Il résulte de l'article L. 653-8 du code de commerce que le tribunal peut prononcer, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci à l'encontre du dirigeant qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En l'espèce, le tribunal saisi par assignation d'un créancier, par jugement du 20 octobre 2021 a fixé au 20 février 2020, soit 18 mois en arrière, la date de cessation des paiements, et cette date s'impose au juge de la sanction.

M. [R] [I] avait nécessairement conscience de l'état de cessation des paiements car, au vu du montant et de l'ancienneté des créances, il ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements. En effet, la société débitrice avait été condamnée, par jugement du 30 juin 2020, assorti de l'exécution provisoire, à payer à la société [12], une somme de 113 971 euros, qu'elle n'a jamais réglé. Par ailleurs, il résulte de la déclaration de créances de la SCI du [Adresse 1] d'un montant de 41.881 euros, que la société débitrice n'a réglé aucun loyer pendant l'année 2021.

C'est donc sciemment qu'il n'a pas effectué une déclaration de cessation des paiements, attendant d'être assigné par un créancier.

Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu ce grief.

Sur la sanction

M. [R] [I] soutient, s'agissant du quantum de la sanction, que compte tenu de sa situation familiale, de la sanction également infligée à M. [S] [P], président, sans faire de distinction dans leur gestion, la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée et à titre subsidiaire il demande de la réduire à deux ans.

Il demande également de dire que cette sanction ne s'appliquera pas aux sociétés civiles immobilières dont il est le gérant.

Sur ce,

Seul le grief d'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal ayant été retenu, il n'y a pas lieu de prononcer une faillite personnelle, mais uniquement une interdiction de gérer, seule sanction prévue à l'article L. 653-8 du code de commerce.

Si la faute commise par M. [I] est d'autant plus grave que pendant la période suspecte le passif a augmenté de 568 978 euros, néanmoins il convient de tenir compte de ce que un seul grief est retenu à son encontre. En conséquence, la mesure d'interdiction de gérer sera limitée à une durée de 3 ans.

M. [R] [I] qui demande d'exclure du champ d'application de la sanction la gestion des sociétés civiles immobilières dont il est le gérant, ne fournit aucun élément à l'appui de cette demande. Il en sera donc débouté.

Sur les dépens

M. [R] [I] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Prononce à l'égard de M. [R] [I] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, d'une durée de 3 ans,

Déboute M. [R] [I] de sa demande d'exclusion du champ d'application de la sanction la gestion des sociétés civiles immobilières dont il est le gérant,

Ordonne l'inscription de cette sanction au fichier national des interdits de gérer,

Condamne M. [R] [I] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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