CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 3 avril 2025, n° 22/12335
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Autorité des marchés financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maîtrepierre
Vice-président :
Mme Fenayrou
Conseiller :
Mme Jollec
Avocats :
Me Bouchetemble, Cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP
FAITS ET PROCÉDURE
§ 2
I. LA PROCÉDURE DEVANT L'AMF
§ 5
II. LES RECOURS
§ 17
MOTIVATION
§ 22
I. SUR LE PREMIER GRIEF : LA MANIPULATION DE [Localité 8] PAR INDICATIONS FAUSSES OU TROMPEUSES SUR L'OFFRE, LA DEMANDE OU [Localité 9] DES INSTRUMENTS FINANCIERS
§ 24
II. SUR LE SECOND GRIEF : LA MANIPULATION DE [Localité 8] PAR POSITION DOMINANTE
§ 52
III. SUR LA SANCTION
§ 65
A. La prise en compte de l'absence de délai raisonnable
§ 65
B. Sur la disproportion de la sanction
§ 85
IV. SUR LA DEMANDE AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS
§ 104
PAR CES MOTIFS
§ 104
1.La Cour est saisie d'un recours formé par M. [C] à l'encontre d'une décision du 6 mai 2022 de la Commission des sanctions de l'AMF ayant prononcé, au titre de deux manquements de manipulation de cours, une sanction pécuniaire de 400 000 euros en raison d'opérations effectuées entre le 15 juillet 2013 et le 18 avril 2016.
FAITS ET PROCÉDURE
2.M. [C], résidant aux Pays-Bas et de nationalité néerlandaise, détient la totalité du capital de la société Lankier B.V laquelle détenait elle-même, entre 2013 et 2020, la totalité du capital de la société [C] Trading B.V. Ces deux sociétés sont établies aux Pays-Bas.
3.La société [C] Trading B.V. a exercé une activité de négociation sur instruments financiers de type « trading », assurée par M. [C] par l'intermédiaire de sociétés tierces de « trading », avec lesquelles la société [C] Trading B.V. avait conclu des partenariats. Elle est intervenue notamment sur le marché d'Euronext [Localité 10], marché réglementé français de produits dérivés.
4.Le 18 septembre 2020, la société [C] Trading B.V. a fait l'objet d'une liquidation amiable.
I. LA PROCÉDURE DEVANT L'AMF
5.Le 29 février 2016, le secrétaire général de l'AMF a ouvert une enquête portant sur le marché d'un certain nombre de titres cotés sur Euronext [Localité 10] à compter du 1er mars 2013.
6.Le 30 mai 2018, M. [C] a été entendu dans les locaux de l'Autorité financière des marchés (ci-après « l'AFM ») à [Localité 7] par les enquêteurs de l'AMF en présence d'un interprète, après avoir été convoqué par lettre du 3 avril 2018.
7.Le 11 mai 2020, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à M. [C] une lettre l'informant des faits éventuellement susceptibles de lui être reprochés au regard des constats des enquêteurs, accompagnée des pièces du dossier.
8.Le 7 juin 2020, M. [C] a présenté à l'AMF des observations en réponse à cette lettre circonstanciée.
9.Le 30 septembre 2020, le rapport d'enquête a été déposé.
10.Le 4 février 2021, la commission spécialisée n° 1 du collège de l'[5] a notifié à M. [C] les griefs consistant à avoir, entre le 1er mars 2013 et le 31 décembre 2016, commis un manquement de manipulation de cours à raison d'ordres passés sur Euronext et plus précisément :
' d'avoir réalisé des interventions sur les titres financiers objets de l'enquête côtés sur Euronext [Localité 10] pouvant avoir donné ou été susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours de ces titres, en méconnaissance des dispositions des articles 631-1, 1° a) du règlement général de l'AMF (ci-après « RGAMF »), dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, et 12.1 (a) (i) du règlement européen n° 596/2014 sur les abus de marché (ci-après « règlement MAR ») ;
' de s'être assuré une position dominante sur le marché de ces titres de nature à créer des conditions de transaction inéquitables, en méconnaissance des dispositions des articles 631-1, a) du RGAMF dans sa version applicable et 12.2 (a) du règlement MAR.
11.Le 25 juin 2021, les conseils de M. [C] ont présenté des observations en réponse à la notification de griefs.
12.Le collège de l'[6] des sanctions, dont la présidente a désigné le 1er mars 2021 un rapporteur, puis un second le 4 juin 2021.
13.Le rapport a été déposé le 10 janvier 2022.
14.Le conseil de M. [C] a formulé des observations à ce rapport le 17 février 2022.
15.Par lettre du 11 janvier 2022, à laquelle était joint ce rapport, M. [C] a été convoqué à la séance de la Commission des sanctions du 6 avril 2022 et informé qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse, conformément aux dispositions du III de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier (ci-après « le CMF ») et de la possibilité de se faire assister d'un interprète.
16.Par la décision n° 5 du 6 mai 2022 (ci-après « la décision attaquée »), la Commission des sanctions, s'agissant de la société [C] Trading B.V. et de M. [C], a :
' constaté la disparition de la société [C] Trading B.V., définitivement liquidée le 18 septembre 2020 et partant, l'impossibilité de prononcer une sanction à son égard ;
' prononcé à l'encontre de M. [C] une sanction pécuniaire de 400 000 euros ;
' ordonné la publication de la présente décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à cinq ans à compter de la date de la présente décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.
II. LES RECOURS
17.Le 18 juillet 2022, M. [C] a formé un recours à l'encontre de cette décision.
18.Il a, le même jour, déposé une requête en sursis à exécution de cette décision, laquelle a été rejetée le 19 octobre 2022 par le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris.
19.Aux termes de l'exposé des moyens inclus dans la déclaration de recours et des conclusions récapitulatives, M. [C] demande à la Cour de :
' Réformer la décision attaquée en ce qu'elle a considéré que le manquement de manipulation de cours était caractérisé, d'une part, par indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours des instruments financiers, en méconnaissance de l'article 631-1, 1° a) du RGAMF, d'autre part, par construction d'une position dominante de nature à créer des conditions de transaction inéquitables en méconnaissance de l'article 631-1 a) du RGAMF.
' Subsidiairement, réformer le quantum de la décision et le ramener à de plus justes proportions ;
' En tout état de cause, condamner l'AMF à une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
20.Par un mémoire du 14 février 2023, l'AMF conclut au rejet du recours.
21.Le ministère public invite la Cour à rejeter le recours du requérant.
MOTIVATION
22.La décision de sanction a retenu à l'encontre de M. [C] que le manquement de manipulation de cours par indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours des instruments financiers, d'une part, et le manquement de manipulation de cours par construction d'une position dominante de nature à créer des conditions de transactions inéquitables, d'autre part, étaient caractérisés pour la période du 15 juillet 2013 au 18 avril 2016 sur le marché Euronext à [Localité 10] et que M. [C] avait donc contrevenu à l'article 631-1, 1°, a) et a) du RGAMF.
23.M. [C] conteste, à titre principal, les deux manquements et demande, à titre subsidiaire, la réduction du montant de la sanction.
I. SUR LE PREMIER GRIEF : LA MANIPULATION DE [Localité 8] PAR INDICATIONS FAUSSES OU TROMPEUSES SUR L'OFFRE, LA DEMANDE OU [Localité 9] DES INSTRUMENTS FINANCIERS
24.Les faits se situent entre le 15 juillet 2013 et le 18 avril 2016.
25.La décision attaquée a examiné les éléments constitutifs du grief de manipulation de cours, en faisant application du 1° a) de l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur jusqu'au 23 septembre 2016.
26.Après avoir analysé les 286 séquences reprochées à M. [C], elle a retenu que :
' Les ordres ont représenté plus de la moitié du volume présent aux trois meilleures limites du côté du déséquilibre du carnet d'ordres et, sur les trois meilleures limites, un volume supérieur au volume total du marché du côté opposé, soit plus de cinq fois plus en moyenne ;
' Le taux d'annulation du volume des ordres présents du côté des phases de déséquilibre a été de 96 % en moyenne pour des déséquilibres d'une durée moyenne de 31,48 secondes. Le fait que les interventions reprochées s'inscrivent dans le cadre de la mise en 'uvre d'une technique de négociation supposément légale n'est pas de nature à exclure toute manipulation de cours ;
' La combinaison de ces éléments démontre l'absence de réel intérêt acheteur ou vendeur pour les titres sur lesquels portaient les ordres présents du côté des phases de déséquilibre et l'existence d'ordres passés en sens contraire des ordres leurres qui contrairement à ces derniers avaient vocation à être exécutés ;
' Ces ordres ont donc donné, ou ont été susceptibles de donner, des indications fausses ou trompeuses sur l'offre et la demande ainsi que, en raison de déséquilibres du carnet d'ordres de nature à provoquer des repositionnements de la part des autres intervenants, sur le cours des titres.
27.M. [C] soutient que la manipulation de cours par indications fausses ou trompeuses sur l'offre n'est pas établie.
28.En premier lieu, il critique les indicateurs de manipulation. Il affirme que les trois indicateurs de manipulation de cours retenus lors de la notification des griefs sont erronés et que celui relatif à l'effet des ordres annulés ne peut pas être caractérisé en l'absence de données mesurant l'effet sur les cours, qui a donc été présumé pour les 286 séquences.
29.En deuxième lieu, il conteste les deux critères de détection retenus, le déséquilibre unilatéral et le déséquilibre bilatéral.
30.S'agissant du premier critère, il soutient qu'il est arbitraire de retenir seulement les ordres émis aux trois premières limites d'achat et de vente et soutient que la Commission des sanctions s'est déjà fondée sur les 10 ou 15 premières. Il conteste que les trois premières limites reposent sur le caractère liquide des titres en l'absence d'étude sur ce point. Il indique encore que le critère n'est pas pertinent pour décrire son activité, dans la mesure où le volume d'ordres de chaque côté du carnet dépend d'autres intervenants du marché et n'est pas lié à sa propre activité. Il soutient, enfin, que ce critère est examiné de manière systématique sans que le lien de causalité entre le déséquilibre bilatéral et son comportement ne soit établi.
31.S'agissant du critère du déséquilibre unilatéral, il considère que le seuil de 50 % fixé par la poursuite peut être atteint par l'action d'autres intervenants de marché (exécution d'ordres, annulations etc.). Il soutient par ailleurs que le passage d'ordre de « volume conséquent » selon le critère retenu par l'AMF ne prend pas en compte la taille des ordres passés avant ou après les séquences considérées comme manipulatoires. Il renvoie à son annexe A pour établir que des ordres volumineux ont été passés antérieurement aux ordres qu'il a passés. Il souligne la difficulté d'avoir accès à des données 9 ans après. Il précise que d'autres intervenants ont passé des ordres tout aussi volumineux avant ses propres opérations et que la décision de sanction se fonde sur l'importance des ordres passés sans prendre en compte les autres ordres avant ou après.
32.En troisième lieu, il estime que le critère du taux d'annulation des ordres est apprécié de manière inexacte. Il soutient que pour les séquences prétendument manipulatoires, le taux d'annulation d'ordres est cohérent au regard de ses positions maximales au cours d'une journée de cotation, des positions prises par les autres intervenants au cours de la même journée et au turnover sur la journée. Il affirme avoir effectué une activité légale de « scalping », consistant à identifier des tendances de marché à court terme, en prenant des positions, parfois simultanément à l'achat et à la vente, et en les débouclant dans la journée, cette pratique impliquant un grand nombre d'annulations d'ordres et une courte gestion du temps.
33.L'AMF précise que la décision de sanction ne s'est fondée que sur un seul indicateur, l'effet sur le cours, et que le texte n'exige pas la preuve d'un tel impact sur les cours. Elle précise que la multiplication des ordres massifs de M. [C] aux meilleures limites du carnet d'ordres, annulés avant leur exécution, a créé une confusion quant à la réalité de l'offre et de la demande sur ces titres, ce qui suffit à caractériser l'indicateur de l'effet sur le cours.
34.Concernant les critères de détection, elle soutient que divers travaux académiques justifient la pertinence des critères de déséquilibre au regard des trois meilleures limites du carnet d'ordres, que l'analyse de ce carnet inclut nécessairement les interventions de tous les participants et qu'au cours des séquences en cause, les autres intervenants ont émis des ordres moins volumineux et plus éloignés des meilleures limites du carnet d'ordres que M. [C]. Elle précise que, dans tous les cas, le fait que des ordres volumineux aient pu être réalisés par d'autres intervenants est indifférent à l'appréciation des interventions de M. [C], notamment car ce dernier s'appuie sur les dix premières limites du carnet d'ordres.
35.Elle fait valoir que c'est la combinaison des trois critères qui permet de caractériser la manipulation de cours, à savoir la création d'un déséquilibre d'un côté du carnet d'ordres par l'émission d'ordres passés sans intention de les exécuter, la réalisation de transactions en sens inverse de ce déséquilibre et l'annulation partielle ou totale des ordres passés du côté du déséquilibre.
36.Enfin, elle précise que la manipulation s'apparente plus à du « layering », que la Commission des sanctions a déjà sanctionné. Dans tous les cas, elle fait valoir qu'une technique de trading ne fait pas obstacle à la caractérisation d'une manipulation.
37.Le ministère public rappelle que le manquement est objectif, la preuve d'une intention n'étant pas nécessaire mais que le but recherché peut néanmoins permettre de distinguer une opération licite d'une opération illicite. En l'espèce, il souligne que la décision de sanction a constaté que M. [C] était dépourvu de toute intention d'acheter ou de vendre. Le fait que d'autres opérateurs aient passé des ordres aussi volumineux avant ceux de M. [C] est donc inopérant. En outre, il souligne que les constatations du requérant ne se fondent pas sur les mêmes indicateurs que ceux visés dans la décision de sanction.
Sur ce, la Cour :
38.L'article 631-1, 1°, a), du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, applicable au litige, dispose :
« Toute personne doit s'abstenir de procéder ou de tenter de procéder à des manipulations de cours.
Constitue une manipulation de cours :
1° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres :
a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers
['] ; [']
à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné [']. ».
39.Aux termes de l'article 631-2 du même RGAMF, dans sa rédaction applicable au litige :
« Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l'article 631-1 :
[...]
6° L'effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l'offre et à la demande de l'instrument financier, ou plus généralement de la représentation du carnet d'ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution (...) ».
40.En premier lieu, il sera précisé que seuls les moyens de M. [C] relatifs au critère de l'effet des ordres seront examinés. En effet, ceux relatifs aux deux autres indicateurs retenus dans la notification de griefs, à savoir la concentration des ordres et le renversement des positions, sont inopérants, la décision attaquée les ayant expressément écartés pour se fonder exclusivement sur l'indicateur de l'effet des ordres visé au 6° de l'article 631-2 du RGAMF.
41.Concernant ce dernier indicateur, en deuxième lieu, ni l'article 631-1, ni l'article 631-2 du RGAMF n'exigent la preuve d'un effet des ordres annulés sur le cours. Il suffit que l'opération soit susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses. Le moyen, selon lequel la manipulation de cours ne serait pas caractérisée en raison de l'absence de donnée mesurant l'effet sur les cours, n'est donc pas fondé, ce qui rend donc inopérant l'examen des quatre séquences invoquées par M. [C].
42.En troisième lieu, pour quantifier l'effet des ordres émis sur les meilleurs prix affichés à l'offre et à la demande, la décision attaquée s'est fondée sur la combinaison de trois critères de détection, le déséquilibre bilatéral supérieur à 33 %, aux trois premières limites du carnet d'ordres, traduisant une pression acheteuse significative dans le carnet d'ordres, le déséquilibre unilatéral c'est-à-dire une proportion supérieure à 50 % du volume total des ordres d'achat ou de vente aux trois meilleures limites par rapport au volume cumulé des ordres d'achat ou de vente aux trois meilleures limites et le taux d'annulation des ordres supérieur à 80 %.
43.Ces critères de détection, pris isolément, sont critiqués par M. [C].
44.Concernant, d'abord, le nombre de limites prises en compte pour le calcul du déséquilibre bilatéral, le choix des enquêteurs de se limiter aux trois premières limites du carnet d'ordres, repose sur la liquidité des instruments financiers en cause. Il résulte du rapport d'enquête, en effet, que « l'importance du volume présent à chaque limite, en termes d'importance dans le processus de la formation du prix et dans l'évaluation d'un potentiel déséquilibre, décroit avec l'éloignement par rapport à la première limite. Le choix de prendre en compte les trois premières limites est un choix d'efficacité et de simplicité dans l'évaluation du déséquilibre et du potentiel impact : ni trop volatil et partiel (en prenant en compte la première limite), ni trop dilué et peu représentatif d'un impact réel (en prenant en compte trop de limites). ». (pièce C31, rapport d'enquête page 40). Loin de constituer une décision arbitraire, ce choix de se limiter aux trois premières limites du carnet d'ordres, motivé, a pour seul objet de constater de manière précise un déséquilibre et d'évaluer son impact. Opter pour les dix à quinze limites, comme le suggère M. [C], ne répondrait pas à cet objectif.
45.Concernant, ensuite, la critique du déséquilibre unilatéral, l'examen des actions des autres intervenants sur le marché est indifférente, dès lors que, selon le rapport d'enquête, les séquences imputables à M. [C] ont représenté plus de la moitié du volume présent aux meilleures limites du côté du déséquilibre du carnet d'ordres et un volume supérieur au volume total du marché du côté opposé sur ces meilleures limites. Le lien de causalité entre les manipulations de M. [C] et le déséquilibre est donc suffisamment établi. Le renvoi par M. [C] à son annexe 1 pour justifier du caractère volumineux des ordres par d'autres intervenants n'apparaît en outre pas pertinent, M. [C] ne se fondant pas sur les mêmes critères (10 premières limites et non trois premières limites) et sur la journée entière, alors que la décision attaquée vise des manipulations de soixante minutes maximum.
46.Concernant, enfin, la critique du taux d'annulation, la Cour observe que M. [C] ne se fonde pas sur la même méthode de calcul en appréciant le taux d'annulation au regard du nombre d'ordres annulés, alors que la décision attaquée s'est fondée sur le volume de titres pour les ordres annulés. Comme le rapport d'enquête le souligne, ce choix de retenir le volume des titres et non le nombre d'ordres est cohérent avec les autres indicateurs (déséquilibre bilatéral et unilatéral), dont la formule de calcul repose également sur les volumes (page 10 du rapport d'enquête). Par ailleurs, le ratio en volume permet de mesurer de façon pertinente l'activité en cause, puisqu'un intervenant peut entrer un seul gros ordre leurre, l'annuler et ensuite entrer de nombreux petits ordres en sens inverse qui sont tous exécutés. Le taux d'annulation fondé sur le nombre serait alors faible et ne serait pas représentatif de l'opération.
47.Si l'annulation des ordres est en soi licite dans les différentes techniques de « trading » (« layering » pour l'AMF ou « scalping » pour M. [C]), qu'il n'appartient pas à la Cour de qualifier dans le cas d'espèce, le fait de procéder à des annulations d'ordres répétées, combiné à d'autres critères, peut constituer un critère de détection d'une manipulation de cours. En effet, si les critères de détection, pris isolément, n'ont pas vocation à caractériser un manquement, ce dernier résultera en revanche de leur combinaison, à savoir, en l'espèce, la création d'un déséquilibre bilatéral du côté acheteur du carnet, la réalisation de transactions en sens inverse du déséquilibre unilatéral côté acheteur par vente des contrats et l'annulation partielle ou totale des ordres leurres.
48.En quatrième lieu, comme le rappelle à juste titre la décision attaquée, les indicateurs ne constituant pas en eux-mêmes une manipulation de cours, il convient de déterminer si les interventions du mis en cause sont susceptibles de recevoir une telle qualification au sens des 1° a) de l'article 631-1 du RGAMF.
49.Se fondant sur l'annexe 4.2 du rapport d'enquête, la décision attaquée a constaté, sur les 285 séquences manipulatoires effectuées par M. [C], un déséquilibre unilatéral de 83 % en moyenne, un déséquilibre bilatéral de 73 % en moyenne et un taux d'exécution faible de 4 % soit 96 % d'annulation. Plus particulièrement sur le titre Adocia (la 286ème séquence), lors de la séance du 7 janvier 2015 entre 10h33mm34se et 10h35mm23s, le déséquilibre bilatéral a été de 95 %, le déséquilibre unilatéral de 93 % et le taux d'annulation du volume des ordres présents du côté de la phase de déséquilibre de 97 % (point 61 de la décision attaquée). Il en est résulté que les ordres de M. [C] ont représenté plus de la moitié du volume présent aux trois meilleures limites du côté du déséquilibre du carnet d'ordres et, sur les trois meilleures limites, un volume supérieur au volume total du marché du côté opposé, soit plus de cinq fois plus en moyenne. La décision attaquée en a exactement déduit une absence de réel intérêt acheteur ou vendeur pour les titres sur lesquels portaient les ordres présents du côté des phases de déséquilibre.
50.Il résulte des dispositions citées au paragraphe 41 du présent arrêt qu'il suffit, pour que le manquement de manipulation de cours soit caractérisé, d'un effet potentiel sur le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers, sans qu'il soit nécessaire qu'un tel effet soit démontré. Or, comme l'a relevé la Commission des sanctions, en multipliant des ordres émis aux meilleures limites du carnet d'ordres puis en les annulant massivement avant exécution, des déséquilibres artificiels d'un côté du carnet d'ordres ont pu être à l'origine d'une confusion sur la réalité de l'offre et de la demande sur les titres en cause pour les autres intervenants. C'est ainsi que les ordres ont été susceptibles de donner des indications trompeuses sur l'offre et la demande ainsi que des repositionnements de la part des autres intervenants sur le cours des titres. Les séquences manipulatoires ont, dès lors, été susceptibles d'avoir un effet sur la fixation du cours.
51.Il résulte de tout ce qui précède que la Commission des sanctions a exactement retenu que le manquement de manipulation de cours par indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours des instruments financiers était caractérisé en raison des opérations réalisées par M. [C] sur la période en cause.
II. SUR LE SECOND GRIEF : LA MANIPULATION DE [Localité 8] PAR POSITION DOMINANTE
52.Les faits en cause se situent entre le 15 juillet 2013 et le 18 avril 2016.
53.La décision attaquée a examiné les éléments constitutifs du grief de manipulation de cours par position dominante en faisant application du a) de l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur jusqu'au 23 septembre 2016.
54.Elle a retenu, d'abord, que M. [C] avait réalisé des interventions massives aux trois meilleures limites du carnet d'ordres des titres en cause, avec des volumes significativement supérieurs aux autres intervenants, ce qui caractérise une position dominante sur le marché des titres en cause. Elle a, ensuite, relevé que ses interventions ont altéré la représentation du carnet d'ordres pour les autres intervenants de marché et l'état de l'offre et de la demande des titres et qu'il est donc établi que la position dominante de M. [C] a eu pour effet de créer des conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants du marché.
55.M. [C] observe qu'il s'agit des mêmes faits que pour le premier grief. Il conteste la caractérisation de la manipulation de cours par position dominante en faisant valoir que les ordres n'étaient pas fictifs et reposaient sur une stratégie licite de « spread trading » avec une volonté réelle de les voir exécutés. Il ajoute que si la poursuite affirme que les autres intervenants ont été amenés à modifier leurs ordres afin de pouvoir être exécutés, elle ne le démontre pas. Il soutient par ailleurs que la poursuite ne prouve pas que son comportement aurait eu une influence certaine sur le cours des instruments financiers concernés. Il fait, enfin, valoir que l'abus de position dominante ne constitue qu'un exemple de comportement manipulatoire et non une définition de l'abus de marché et que, dès lors, un tel comportement doit s'inscrire dans les définitions d'abus de marché résultants de l'article 631-3 du RGAMF et du règlement MAR n° 596/2014 et l'exigence notamment d'une information fausse qui fait défaut en l'espèce.
56.L'AMF fait valoir que, dans un arrêt du 19 mai 2017, le Conseil d'État a consacré le caractère autonome du manquement de manipulation de cours par construction d'une position dominante en indiquant que ce dernier « est à lui seul constitutif d'une manipulation de cours », de sorte que l'ancien article 631-3 du RGAMF n'est pas applicable.
57.Le ministère public rappelle qu'un même manquement peut être qualifié deux fois et que le requérant n'en tire dans tous les cas aucune conséquence. Il soutient qu'une position dominante peut être acquise tant au niveau de l'exécution que des ordres. Une quantité massive d'ordres portant sur de larges volumes de titres caractérise ainsi une position dominante, ce qui est le cas en l'espèce. Quant à l'existence de conditions de transaction inéquitables, elle résulte de l'altération de la représentation du carnet d'ordres et de l'état de l'offre et de la demande des titres pour les autres intervenants du marché, ce que la décision de sanction a caractérisé.
Sur ce, la Cour :
58.L'article 631-1, a) du RGAMF, pris dans sa rédaction applicable au litige, dispose :
« En particulier, constituent des manipulations de cours :
a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier 'ou d'un produit de base au moyen d'un contrat commercial', avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou la création d'autres conditions de transaction inéquitables ; ».
59.Il résulte de cette disposition que le fait pour une personne de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier avec pour effet la création de conditions de transactions inéquitables est à lui seul constitutif d'une manipulation de cours (voir, en ce sens, CE, 19 mai 2017, n° 396698 et 396826). Cette définition exclut donc l'application de l'article 631-3 du RGAMF invoqué par M. [C], comme le fait valoir à juste titre l'AMF.
60.Ainsi, la manipulation de cours par position dominante requiert la caractérisation d'une position dominante ayant pour effet des conditions de transaction inéquitables.
61.En l'espèce, la Cour relève, d'abord, que si M. [C] souligne être poursuivi par deux manquements pour un même fait, il n'en tire aucune conséquence juridique. En outre, comme le ministère public le souligne, il a été jugé qu'une sanction administrative reposant sur plusieurs manquements doit être conforme au principe de proportionnalité. Le principe du non bis in idem découlant du principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'une même poursuite conduisant à une même décision de sanction, plusieurs manquements distincts puissent résulter de mêmes faits (voir, en ce sens, CE, 6 novembre 2019, n° 418463).
62.Ensuite, selon la décision attaquée, la position dominante que s'est assurée M. [C] résulte des manipulations constatées au paragraphe 49 du présent arrêt relatif au premier grief, à savoir les interventions massives de M. [C] sur 286 titres aux trois meilleures limites du carnet d'ordres et des volumes significativement supérieurs aux autres intervenants, alors même qu'une proportion très importante des ordres passés n'ont pas été effectivement exécutés. Le moyen tiré du fait que les ordres devaient être exécutés est donc mal fondé, de même que celui sur la preuve d'un effet sur le cours, ainsi qu'il a déjà été jugé dans la partie I relative au premier grief.
63.Enfin, ces interventions ont altéré la représentation du carnet d'ordres pour les autres intervenants de marché et l'état de l'offre et de la demande des titres, de sorte que la position dominante de M. [C] a eu pour effet de créer des conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants du marché.
64.Il résulte de tout ce qui précède que la Commission des sanctions a exactement retenu que le manquement de manipulation de cours par position dominante était caractérisé en raison des opérations réalisées par M. [C] sur la période en cause.
III. SUR LA SANCTION
A. La prise en compte de l'absence de délai raisonnable
65.M. [C] invoque, sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, « la CSDH ») l'impossibilité de se défendre compte tenu des délais de procédure. Il soutient d'abord que le point de départ du délai raisonnable ne court pas à compter de la notification des griefs mais à compter de l'enquête préalable, conformément à des décisions de la cour d'appel rendues en matière de concurrence dont la solution est transposable et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 2ème section, 22 juin 2000 - n° 32492/96 ; 32547/96 ; 32548/96 ; 33209/96 ; 33210/96, Coeme et autres c/ Belgique), qui juge que le point de départ du délai raisonnable s'apprécie à compter de la date d'accusation. Il conteste sur ce point la portée d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2022 (pourvoi n° 21-85.655 publié), invoqué par l'AMF, qui ne permet pas selon lui de considérer que l'appréciation du délai doive être effectuée à compter de la notification de griefs. Au cas d'espèce, il en conclut que la date du point de départ doit être la date à laquelle il a été informé des accusations portées à son encontre, soit le 3 avril 2018, date de sa convocation à une audition.
66.Il rappelle que le délai raisonnable s'apprécie en fonction de la complexité de l'affaire et du comportement des parties. Il conteste que l'affaire soit complexe et internationale, puisque seules des valeurs cotées à [Localité 10] sont concernées, que le mode opératoire et les séquences sont identifiés et qu'une dizaine de lettres seulement a été adressée pour des demandes ponctuelles de communication de données aux autorités étrangères, qui ont répondu dans de brefs délais.
67.Il soutient que ce délai ne lui permet pas de faire valoir utilement ses droits puisqu'il ne détient plus aucune information sur les opérations. Il relève par ailleurs que le délai réglementaire de conservation des données est de 5 ans et que le 7 juillet 2020 il devait donc s'expliquer sur des opérations datées du 10 juillet 2013, soit 7 ans auparavant. Il précise travailler seul et ne pas disposer de possibilités d'archivage. Dans tous les cas, la conservation de milliers de données de marché sur une période de plusieurs années est impossible pour un investisseur particulier.
68.À ce titre, il ne sollicite pas la nullité de la procédure mais demande à la Cour de tenir compte du « préjudice résultant éventuellement du délai subi » dans le quantum de la sanction, comme le rapporteur l'avait suggéré.
69.L'AMF fait valoir que dans un arrêt du 9 novembre 2022, la formation plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le point de départ du délai raisonnable de procédure était au début du « processus judiciaire », ce qui en l'espèce correspond à l'envoi de la notification des griefs. Or, elle indique que le délai, à compter du 4 février 2021, date de la notification des griefs, a été au total de 15 mois, ce qui n'apparaît pas comme étant déraisonnable au regard des caractéristiques de l'affaire, du nombre de personnes impliquées et de la dimension internationale de l'affaire.
70.À titre subsidiaire, si le point de départ du délai doit être fixé non pas à la date d'envoi de la notification de griefs, mais à la date de la première audition du requérant par les enquêteurs, qui a eu lieu le 30 mai 2018, l'AMF soutient que le délai de procédure jusqu'à la décision attaquée de 4 ans est raisonnable compte tenu de la complexité du dossier, des données à analyser et des difficultés de coopération avec les homologues étrangers de l'AMF.
71.Elle fait valoir par ailleurs que la durée excessive d'une procédure n'en justifie l'annulation que lorsqu'il est établi concrètement qu'elle a fait obstacle à l'exercice normal des droits de la défense, ce qui n'est pas démontré en l'espèce et que la demande du requérant de tenir compte du « préjudice résultant éventuellement du délai subi » n'est pas fondée, puisque le respect du délai de procédure exclut tout préjudice et que la demande n'est pas étayée par ailleurs.
72.Le ministère public considère que la notification des griefs doit constituer le point de départ du délai raisonnable, dès lors qu'il s'agit du premier acte accusatoire permettant de connaître la date de la première séquence manipulatoire. Il retient qu'en l'espèce, le délai a été raisonnable compte tenu des éléments propres à l'affaire rappelés par l'AMF.
Sur ce, la Cour :
73.L'article 6, paragraphe 1, de la CSDH énonce que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.
74.Les exigences du procès équitable, découlant de cet article, imposent à la Commission des sanctions, en tant que juridiction au sens dudit article, l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable sur le bien-fondé des griefs qui lui sont soumis, de même que la notification de ces griefs aux personnes en cause doit intervenir dans un délai raisonnable.
75.Par ailleurs, la durée de la procédure à prendre en compte pour examiner si la Commission des sanctions a satisfait à cette obligation comprend, non seulement, la phase d'instruction contradictoire, courant à compter de la notification des griefs, mais aussi, la phase préalable qui est la phase d'enquête, la durée de cette phase préalable étant susceptible de porter atteinte aux droits de la défense en rendant plus difficile le recueil d'éléments de preuve à décharge. À cet égard, le fait qu'un arrêt de la Cour de cassation (Crim. 9 novembre 2022, pourvoi n° 21-85.655 publié) ait mentionné « le droit de tout accusé de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable, une fois le processus judiciaire entamé » n'apparaît pas en opposition avec le fait de prendre en compte la phase d'enquête non contradictoire antérieure à la notification des griefs, la notion de « processus judiciaire » devant être conçue largement.
76.Conformément à l'article L. 621-9-1, alinéa 1er, du CMF, cette enquête, dans cette phase non contradictoire, est ordonnée sur décision du secrétaire général de l'AMF, qui habilite des enquêteurs. Les ordres de mission sont, ensuite, établis par le secrétaire général qui précise leur objet et les personnes qui en sont chargées (article R. 621-32, IV, du CMF).
77.Le point de départ du délai raisonnable court, dès lors, dès la décision d'ouvrir une enquête.
78.Quant à l'appréciation du caractère raisonnable du délai, il s'apprécie au regard, notamment, de l'ampleur et de la complexité de l'affaire, ainsi que du comportement des parties au cours de la procédure. La sanction qui s'attache à la violation de son obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que ce délai n'ait pas causé à chacune des parties formulant un grief à cet égard une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre.
79.En l'espèce, la phase initiale de la procédure a été assez longue (29 février 2016 ouverture d'une enquête par le secrétaire général de l'AMF - 4 février 2021 notification des griefs). Il en est de même avec le point de départ suggéré par M. [C], à savoir la convocation à son audition le 3 avril 2018 (3 avril 2018 - 4 février 2021 notification des griefs).
80.Il ressort de l'examen des pièces de la procédure, et notamment du rapport d'enquête du 30 novembre 2020 (pièce n° C31) que des actes d'investigation ont été menés dès 2016 en coopération avec l'AFM à [Localité 7]. Au cours de cette année, plusieurs réquisitions ont été formées dans le but d'identifier les donneurs d'ordre ; des réunions ont également eu lieu avec l'AFM (26 avril, 10 juin et 22 septembre). En 2017, l'AFM ayant refusé de prêter assistance à l'AMF pour une visite domiciliaire, l'AMF a alors sollicité des documents exhaustifs les 3 mars et 10 octobre, une partie des documents transmis en mars étant illisibles. En 2018, plusieurs auditions, dont celle de M. [C] le 30 mai, ont eu lieu à [Localité 7] dans les locaux de l'AFM ; des demandes de documents ont été également à nouveau sollicitées et ont été transmises le 5 avril 2019. Les lettres circonstanciées exposant les principaux éléments de fait et de droit recueillis au cours de l'enquête ont été envoyées le 11 mai 2020 aux personnes susceptibles d'être mises en cause. Le rapport d'enquête a été finalisé le 30 septembre 2020.
81.Il résulte de ces éléments que les opérations ont été rendues complexes compte tenu du caractère international de l'affaire, l'AMF ne dirigeant pas seule les opérations mais devant solliciter et convaincre l'AFM de ses demandes, peu important le nombre de courriers échangés entre l'AMF et l'AFM. En outre, le temps de communication des documents par l'AFM à l'AMF s'est échelonné sur trois ans. Enfin, l'affaire a concerné plusieurs intervenants et a entraîné l'examen de milliers de titres.
82.Dès lors, le délai dans lequel l'enquête a été menée n'a pas lieu d'être regardé comme déraisonnable.
83.Quant au délai raisonnable au cours de la phase contradictoire, 15 mois se sont écoulés entre la notification des griefs (le 4 février 2021) et la décision de la commission des sanctions (2022), délai qui ne peut pas être considéré comme déraisonnable.
84.Le moyen sera donc rejeté dans son ensemble.
B. Sur la disproportion de la sanction
85.M. [C] soutient que la sanction est disproportionnée au regard de ses revenus, d'une part, et soutient, d'autre part, que la liquidation de la société [C] Trading B.V. a eu un effet dans le prononcé de la sanction de sorte que l'AMF n'a pas respecté le principe d'individualité des poursuites.
86.Concernant la liquidation, il précise que les opérations de liquidation ont débuté début 2016, avant les poursuites, ce qui exclut que cette liquidation soit de convenance. Il indique que la société [C] Trading B.V. avait été constituée pour abriter sa participation personnelle dans une société commune « BMD » détenue avec trois autres traders afin de répartir les coûts de fonctionnement.
87.Concernant la disproportion, il soutient être sans emploi, avoir trois enfants et vivre avec sa compagne elle-même au chômage et rembourser le crédit hypothécaire de la maison.
88.L'AMF fait valoir que l'allégation selon laquelle la liquidation de la société [C] Trading BV aurait eu un effet sur le montant de la sanction de M. [C], n'est étayée par aucune offre de preuve. Quant à la situation financière, elle observe que comme devant le délégué du premier président, M. [C] ne justifie pas de sa situation de manière cohérente, ce qui permet de penser qu'il a d'autres comptes ou sources de revenus. Elle conclut au rejet du moyen relatif à la réformation du quantum de la sanction.
89.Le ministère public relève qu'aucune nouvelle pièce concernant sa situation personnelle n'a été produite par M. [C] depuis l'instance en sursis à exécution devant le premier président de la cour d'appel. Il constate que les faits sont graves par nature puisqu'ils nuisent à l'intégrité des marchés financiers et à la confiance du public dans les valeurs mobilières cotées. Concernant la prise en compte de la liquidation de la société [C] BV dans la sanction, il constate que contrairement à ce qui est prétendu, la décision de sanction exclut toute sanction motif pris de la liquidation judiciaire de la société. Il conclut au rejet de la diminution du quantum de la sanction.
Sur ce, la Cour :
90.Aux termes de l'article L. 621-15, II, du CMF dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 3 juillet 2016, applicable au litige :
« II. La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
(')
c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :
' un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1 admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
' un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à l'alinéa précédent ;
' un contrat commercial relatif à des marchandises et lié à un ou plusieurs instruments mentionnés aux alinéas précédents, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
' un instrument financier négocié sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lequel une demande d'admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ;
' un indice tel que défini à l'article L. 465-2-1 ».
91.Selon l'article L. 621-15, III, c, du CMF, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, applicable au litige :
« III. Les sanctions applicables sont : [...]
c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à g du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public.
Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements. ».
92.L'ordonnance n° 2015-1576 du 3 décembre 2015 portant transposition de la directive 2013/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant la directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé (directive dite « transparence »), a introduit un nouveau point III ter ainsi rédigé :
« Dans la mise en 'uvre des sanctions mentionnées au III et III bis, il est tenu compte notamment :
' de la gravité et de la durée du manquement ;
' de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
' de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
' de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
' des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
' du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
' des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
' de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement. ».
93.Ces critères issus de la loi nouvelle reprennent ceux de la loi ancienne, à savoir la gravité des faits et les profits tirés, et intègrent notamment la situation financière de l'auteur. Ce dernier critère, bien que non expressément prévu par la loi ancienne, était déjà applicable s'agissant d'un critère d'individualisation de toute sanction pécuniaire ayant le caractère d'une punition (Cass. Com., 9 juin 2021, pourvoi n° 20-13.326).
94.Ainsi, l'ensemble de ces dispositions encadrent la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
95.Il convient donc d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [C] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères précités.
96.En premier lieu, concernant l'imputabilité des manquements, comme l'article L. 621-15 du CMF, l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur à l'époque des faits, s'applique à « toute personne » et lui impose l'obligation de s'abstenir de procéder ou de tenter de procéder à des manipulations de cours, ce qui permet de désigner tant les personnes physiques que les personnes morales. Les personnes morales étant les principaux acteurs des marchés financiers, ce texte s'applique nécessairement aux actes réalisés au nom et pour leur compte, lesquels sont dès lors imputables tant aux personnes morales qu'à la personne physique qui les réalise matériellement en leur nom.
97.En l'espèce, la Cour constate que les manquements sont imputés à M. [C], dirigeant de la société [C] Trading BV, exerçant une activité de négociation sur instruments financiers de type « trading ». Comme l'a relevé la décision de sanction (§ 115), sans que ce point ne soit contesté, M. [C] a réalisé les interventions reprochées en qualité de trader de la société [C] Trading. Tous les éléments de la procédure confirment par ailleurs que M. [C] a matériellement mis en 'uvre les interventions litigieuses réalisées au nom de la société [C] Trading BV, ce qu'il n'a jamais contesté, ni dans sa réponse à la lettre circonstanciée ni dans ses observations en réponse au rapport.
98.Quant à la liquidation de la société [C] Trading B.V. le 18 septembre 2020, elle a constitué un obstacle au prononcé d'une sanction, laquelle ne peut, en effet, être prononcée à l'encontre d'une société qui n'a plus d'existence juridique, ce que la décision attaquée a constaté à juste titre. Ni ce constat, ni aucun autre motif de la décision attaquée ne permettent d'affirmer que cette impossibilité juridique à prononcer une sanction à l'encontre de la société liquidée a eu par ricochet un effet à la hausse sur le montant de la sanction de M. [C], comme ce dernier le prétend.
99.En deuxième lieu, M. [C] ne produit aucune pièce actualisant sa situation depuis la requête en sursis à exécution en octobre 2022. En 2021, il a déclaré des revenus annuels brut de 82 192 euros pour l'ensemble du foyer (revenus de sa compagne compris). Il a soutenu devant le rapporteur, le 15 octobre 2021, être sans emploi mais vivre des fonds d'une société Lankier BV avant de la liquider ; en 2022, il a indiqué devant la Commission des sanctions, être toujours sans emploi et vouloir changer de secteur d'activité, sans qu'aucune pièce ne vienne établir ses allégations. Quant à sa situation patrimoniale, la Cour relève que M. [C] ne produit aucune autre pièce que celles communiquées devant la Commission des sanctions, à savoir une estimation du bien immobilier dont il est propriétaire (484 276 euros au 21 octobre 2021) et un document établi par un cabinet d'expertise comptable qui relève que l'emprunt hypothécaire y afférent a été souscrit en 2018 avec une annuité mensuelle de 1 908 euros à payer et un solde restant dû entre 412 668 et 404 076 euros (annexe 4 « Résumé hypothécaire au 2 janvier 2021 »). Il a produit, en outre, des relevés bancaires mentionnant un solde créditeur de 2 676 euros au 5 avril 2022.
100.La Cour relève, en conséquence, que ces pièces établissent que M. [C] vivait en 2021 avec 82 192 euros de revenus annuels pour un couple et deux enfants, que sans emploi, il aurait perçu des fonds de la société Lankier BV, sans autre précision, et qu'il était propriétaire d'une maison d'une valeur de 484 276 euros en 2021 affectée d'un prêt hypothécaire.
101.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le requérant ne justifie pas de la disproportion de la sanction prononcée à la date à laquelle la Cour statue.
102.La Cour estime qu'au regard de la gravité du manquement au regard du nombre de séquences et des titres (286 séquences portant sur 31 titres) de la durée des manquements (2 ans et demi), du montant des gains réalisés (188 000 euros) et enfin de la situation financière et patrimoniale de M. [C], que la Commission des sanctions a précisément et exactement présentée (paragraphes 132 et 142), le montant de la sanction prononcée à son encontre, de 400 000 euros, est proportionné à la dernière situation connue de M. [C].
IV. SUR LA DEMANDE AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS
104.Le requérant succombant en son recours, il y a lieu de rejeter sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE le recours de M. [C] contre la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 5 du 6 mai 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [C] aux dépens.