CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 avril 2025, n° 22/12334
PARIS
Arrêt
Confirmation
ARRÊT DU 8 AVRIL 2024
(n° / 2025, 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12334 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCIQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 avril 2022 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2019055566
APPELANTS
Monsieur [Y] [Z]
Né le [Date naissance 13] 1967 à [Localité 62] (94)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 28]
[Localité 45]
venant aux droits par suite d'un acte de cession d'actions reçu le 22 juin 2023 par l'office nortarial situé [Adresse 3] à [Localité 40] de :
Monsieur [O] [Z]
Né le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 62] (94)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 43]
[Localité 34]
Monsieur [K] [Z]
Né le [Date naissance 27] 1939 à [Localité 46] (94)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 31]
[Localité 32]
Monsieur [M] [SK], en qualité d'héritier de Mme [JH] [SK],
Né le [Date naissance 21] 1959 à [Localité 56]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 30]
[Localité 41]
Madame [T] [SK], en qualité d'héritière de Mme [JH] [SK],
Née le [Date naissance 23] 1962 à [Localité 56]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 9]
[Adresse 52]
[Localité 1]
Madame [H] [Z]
Née le [Date naissance 15] 1971 à [Localité 47] (60)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 33]
Monsieur [TE] [SK]
Né le [Date naissance 13] 1988 à [Localité 60] (78)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 49]
[Localité 14]
Madame [FO] [SK]
Née le [Date naissance 7] 1991 à [Localité 60] (78)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 19]
[Localité 12]
Monsieur [L] [Z]
Né le [Date naissance 42] 1991 à [Localité 47] (60)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 43]
[Localité 34]
Madame [C] [Z]
Née le [Date naissance 17] 1992 à [Localité 47] (60)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 43]
[Localité 34]
Madame [N] [Z]
Née le [Date naissance 18] 1997 à [Localité 47] (60)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 43]
[Localité 34]
Madame [PF] [IN]
Née le [Date naissance 25] 1937 à [Localité 57]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 24]
[Localité 40]
Monsieur [U] [Z], représenté par ses représentants légaux Monsieur [Y] [Z], né le [Date naissance 13] 1967 à [Localité 62] (94)
De nationalité française et Madame [BM] [G] épouse [Z], de nationalité française, née le [Date naissance 44] 1975 à [Localité 47] (60), demeurant tous deux [Adresse 28],
Né le [Date naissance 8] 2008 à [Localité 58]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 28]
[Localité 45]
Monsieur [A] [Z]
Né le [Date naissance 11] 2002 à [Localité 58]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 28]
[Localité 45]
Madame [JH] [SK]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 40]
Représentés par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,
Assistés de Me Eric GAFTARNIK de la SELARL GAFTARNIK - LE DOUARIN & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L0118,
INTIMÉS
Monsieur [WD] [R]
Né le [Date naissance 20] 1966 à [Localité 54]
Demeurant [Adresse 36]
[Localité 39]
Monsieur [V] [B]
Né le [Date naissance 10] 1972 à [Localité 48] (Maroc)
Demeurant [Adresse 29]
[Adresse 50]
[Adresse 50]
ROYAUME-UNI
Monsieur [F] [X]
Né le [Date naissance 18] 1970 à [Localité 55]
Demeurant [Adresse 37]
[Localité 53]
[Localité 53]
ROYAUME-UNI
Monsieur [I] [CP]
Né le [Date naissance 6] 1983 à [Localité 61] (Brésil)
Demeurant [Adresse 26]
[Adresse 26]
[Localité 53]
ROYAUME-UNI
S.A. SPOROPTIC [GI], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 309 552 008,
Dont le siège social est situé [Adresse 22]
[Localité 38]
S.A.R.L. LBM INVESTMENT, société de droit luxembourgeois, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Dont le siège social est situé [Adresse 35]
[Localité 51]
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assistés de Me Stanislas SAIED, avocat au barreau de PARIS, toque : R170,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et de Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société anonyme Sporoptic [GI] fondée en 1957 par M. [BW] [GI] et
M. [J] [Z] exerce une activité de création, fabrication et distribution de lunettes solaires et optiques. Elle a développé depuis 1960 une gamme de produits sous les marques « [WX] » dont elle était propriétaire des droits.
Au décès de M. [GI] en 1989, M. [Z] a bénéficié du legs des titres de ce dernier et il est devenu président du directoire, avant de devenir président du conseil de surveillance en 2003 et d'être remplacé au poste de président du directoire.
Le 24 avril 2007, la société Sporoptic [GI] a cédé pour la somme de 2 millions d'euros à la société Delafonte Entreprises Corp. (Delafonte), société de droit panaméen détenue jusqu'en 2009 par la famille de M. [D] [WX], la nue-propriété des marques « [WX] » de classe 9 tout en conservant l'usufruit jusqu'au 31 décembre 2016. L'acte de cession précisait que l'usufruit des marques serait transféré de manière anticipée au cessionnaire de la nue-propriété en cas de changement de contrôle de la société Sporoptic [GI]. L'acquisition par Delafonte était financée par une société Freemont détenue par M. [J] [Z] et bénéficiaire d'un nantissement sur les titres de la société Delafonte.
Le 10 décembre 2009, M. [Z] a cédé 6 000 titres représentant 75 % du capital social de la société Sporoptic [GI] pour le prix d'un euro à la société [D] Mikli International (AMI). En contrepartie, AMI s'était engagé à injecter des fonds dans la société à hauteur de 1,5 millions d'euros.
Comme conséquence de ce changement de contrôle, la société Delafonte a pu bénéficier du transfert anticipé de l'usufruit des marques [WX], puis en sa qualité de propriétaire, elle a concédé à la société Sporoptic [GI] un contrat de licence exclusive d'exploitation des marques pour une durée de 10 ans renouvelable.
Par suite d'un défaut de paiement de la société Delafonte, la société Freemont est devenue propriétaire des titres de la société Delafonte nantis en garantie et des marques cédées.
Saisi par la société Sporoptic [GI] arguant d'une fraude, le tribunal de commerce de Versailles a, par jugement du 23 novembre 2012, confirmé sur ce point par un arrêt du 8 juillet 2014 de la cour d'appel de Versailles, annulé le contrat de cession du 24 avril 2007 et jugé que la société Sporoptic [GI] est toujours détentrice de la nue-propriété des marques « [WX] » de classe 9.
Selon la société Sporoptic [GI], la fraude consistait pour M. [Z] à récupérer l'actif de la société Sporoptic à faible prix (2 millions d'euros) en faisant financer l'acquisition des licences par sa société off-shore Freemont en contrepartie d'un nantissement des titres au porteur de la société Delafonte dont il était devenu propriétaire avec la complicité de M. [WX]. Les intimés ajoutent que la somme de 2 millions d'euros perçue par Sporoptic aurait été affectée au remboursement du compte courant de M. [J] [Z].
Selon M. [J] [Z] et ses ayants-droit, le montage a permis au fonds d'investissement Neo Capital alors détenteur de la société AMI, de réintégrer la marque [WX] dans le patrimoine de la société Sporoptic [GI] acquise à vil prix.
M. [J] [Z] est décédé le [Date décès 16] 2012, avant de comparaître devant le tribunal correctionnel devant lequel le procureur de la République l'avait fait citer pour avoir entre le 24 avril 2007 et décembre 2009 commis un abus de bien social en tant que dirigeant de droit de la société Sporoptic [GI].
Le 23 janvier 2013, la société AMI a cédé sa participation dans la société Sporoptic [GI] pour la somme d'un euro à la société Financière Skilynx (détenue majoritairement par la société Neo Investment Partners LLP laquelle a cédé ses participations le 5 septembre 2023 à la société Thelios appartenant au groupe LVMH).
Par acte du 23 juillet 2015, « l'indivision successorale » de M. [J] [Z] a fait assigner les sociétés Financière Skilynx et AMI devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir l'annulation de la cession d'actions de la société Sporoptic intervenue le 10 décembre 2009, et consécutivement celle de la cession du 23 janvier 2013, motif pris de l'existence d'une erreur, qui aurait vicié le consentement de M. [J] [Z]. Après un désistement d'instance constaté par jugement du 5 mai 2017, les consorts [Z] ont à nouveau saisi la juridiction aux mêmes fins. Par jugement du 23 novembre 2018, le tribunal de commerce de Paris les a déboutés de leurs demandes. Par arrêt du 23 juillet 2021, la cour a confirmé le jugement quant au rejet de la demande de nullité de la cession du 10 décembre 2009 et l'infirmant s'agissant de la demande de nullité de la cession du 23 janvier 2013, a déclaré ladite demande irrecevable.
Pour pallier les besoins de financement de la société Sporoptic, en difficultés de longue date, plusieurs augmentations de capital sont intervenues (financées selon les intimés par la société Financière Skilynx au moyen d'apports totalisant 21 millions d'euros) et ont eu un effet dilutif sur les ayants droit de M. [J] [Z] qui détiennent désormais 0,31 % du capital de la société Sporoptic, la société Financière Skilynx en détenant pour sa part 99,69%.
La société Financière Skilynx possède en outre la totalité du capital de la société Lbm Investment, société s'ur de la société Sporoptic [GI].
En 2016, plusieurs contrats ont été conclus en vue du financement de la société Sporoptic [GI] qui n'avait plus accès au marché bancaire.
Le 2 septembre 2016, la société Lbm Investment, filiale de la société Financière Skilynx et s'ur de la société Sporoptic [GI], a souscrit un contrat de prêt de droit anglais auprès M. [E] [P], investisseur privé tiers, d'un montant de 7 millions d'euros au taux de 9% l'an outre une convention d'engagement annuel de 0,5% et d'une durée de 7 ans, les sommes prêtées ayant vocation à être mises à disposition de la société Sporoptic [GI] par la société Lbm Investment, sous forme de facilité de crédit intra-groupe de même montant aux mêmes conditions.
Le 22 septembre 2016, la société Lbm Investment a ainsi consenti à la société Sporoptic [GI] un prêt intra-groupe d'un montant de 7 millions d'euros au taux de 9,5% l'an.
Le même jour, une convention de subordination a été conclue entre les sociétés Sporoptic [GI], Lbm Investment et M. [P], aux termes de laquelle le remboursement du prêt intra-groupe entre les sociétés Sporoptic [GI] et Lbm Investment (« Dette subordonnée ») était conditionné au paiement de l'intégralité de la dette résultant du contrat de prêt consenti par M. [P] (« Dette Senior »).
En garantie, la société Skylinx a consenti à M. [P] un nantissement de son compte de titres de la société Sporoptic [GI] et cette dernière a placé en fiducie-sûreté les marques [WX] dont elle était propriétaire au profit de M. [P].
A cette époque, M. [WD] [R] était gérant de la société Lbm Investment, président de la société Financière Skilynx puis à compter du 15 décembre 2020, il est devenu président du directoire de la société Sporoptic [GI].
MM. [F] [X], [V] [B] et [I] [CP] étaient tous les trois membres du conseil de surveillance et actionnaires à titre personnel (à raison d'une action chacun) de la société Sporoptic [GI]. MM. [B], [X] et [CP] ont en outre des intérêts dans la société Neo Investment Partners LLP.
Le 20 septembre 2016, le conseil de surveillance, en la seule présence de MM. [B], [X] et [CP] et en l'absence de MM. [K] et [Y] [Z], a autorisé la réalisation de l'opération comprenant le prêt intra-groupe, la convention de subordination, la fiducie-sûreté et le nantissement de compte de titres.
Le 28 juin 2017, l' assemblée générale mixte des actionnaires de la société Sporoptic [GI] a approuvé l'ensemble de ces conventions.
Considérant que cette opération de financement avait pour effet l'appropriation illicite des actifs de la société Sporoptic et qu'elle était contraire à l'intérêt social, les ayants-droit de M. [J] [Z] ont, par acte du 23 septembre 2019, assigné les sociétés Sporoptic [GI] et Lbm Investment ainsi que MM. [X], [B], [CP] et [R] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir pour l'essentiel l'annulation de la délibération du conseil de surveillance du 20 septembre 2016, du prêt intra-groupe et de la convention de subordination, la condamnation de M. [WD] [R], président du directoire de la société Sporoptic [GI] et gérant de la société Lbm Investment, à indemniser la société Sporoptic [GI] des conséquences dommageables de ses fautes de gestion et la condamnation de MM. [V] [B], [F] [X] et [I] [CP], membres du conseil de surveillance, à supporter les conséquences dommageables des conventions litigieuses.
Par jugement contradictoire du 7 avril 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
dit recevable l'action à l'encontre de M. [WD] [R] ;
débouté M. [O] [Z], M. [K] [Z], M. [M] [SK], M. [Y] [Z] Mme [T] [SK], Mme [H] [SK], M. [TE] [SK], Mme [FO] [SK], M. [L] [Z], Mme [C] [Z], Mme [N] [Z], Mme [JH] [SK], Mme [PF] [IN], M. [U] [W] [Z], M. [A] [D] [K] [Z] de leurs demandes ;
débouté la société Sporoptic [GI], la société de droit luxembourgeois Lbm Investissement, MM. [V] [B], [F] [S], [I] [CP], [WD] [R], de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
condamné in solidum M. [O] [Z], M. [K] [Z], M. [M] [SK], M. [Y] [Z] Mme [T] [SK], Mme [H] [SK], M. [TE] [SK], Mme [FO] [SK], M. [L] [Z], Mme [C] [Z], Mme [N] [Z], Mme [JH] [SK], Mme [PF] [IN], M. [U] [W] [Z], M. [A] [D] [K] [Z] à payer solidairement à la société Sporoptic [GI], à la société de droit luxembourgeois Lbm Investissement, à MM. [V] [B], [F] [S], [I] [CP], [WD] [R], au visa de l'article 1311 du code civil, la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a déclaré l'action ut singuli formée à l'encontre de M. [R] recevable, sans condition de seuil de détention de capital, sur le fondement de l'article L. 225-252 du code de commerce.
Il a considéré que les conventions litigieuses étaient des opérations courantes compte tenu des conditions de taux (inférieures à 10%), de garanties et de sûreté (représentant à peine 50% du montant du crédit de trésorerie intra-groupe) et de la « situation extrême » de la société Sporoptic. Il a estimé que ces conventions n'avaient pas de conséquences dommageables pour la société Sporoptic et que le préjudice allégué du fait de l'affectation en garantie de la marque [WX] était fondé sur un évènement hypothétique et n'était pas né et actuel.
Par déclaration du 1er juillet 2022, MM. [O] [Z], [K] [Z], [M] [SK], [Y] [Z], [ZC] [SK], [L] [Z], [U] [Z], [A] [Z], Mmes [T] [SK], [H] [Z], [FO] [SK], [C] [Z], [N] [Z], [PF] [IN], [JH] [SK] ont relevé appel de ce jugement.
Par acte authentique du 22 juin 2023, les consorts [Z] membres de l'indivision successorale ont conclu un contrat de cession de leurs actions au profit de M. [Y] [Z].
Le 5 septembre 2023, la société Thelios a acquis la participation du fonds Neo dans la société Financière Skilynx. A cette occasion, M. [P] a été remboursé de son prêt et a donné mainlevée de la fiducie-sûreté qui a permis à la société Sporoptic [GI] de récupérer la propriété de ses marques « [WX] » qui avaient été transférées au fiduciaire. La société Lbm Investment indique dans ses écritures notifiées le 1er avril 2024 ne pas solliciter le remboursement de sa créance au titre du prêt intragroupe.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 25 mars 2024, M. [Y] [Z] concluant en son nom personnel et venant aux droits de M. [O] [Z], M. [K] [Z], M. [M] [SK], Mme [T] [SK], Mme [H] [Z], M. [ZC] [SK], Mme [FO] [SK], M. [L] [Z], Mme [C] [Z], Mme [N] [Z], M. [M] [SK] et Mme [T] [SK] agissant en qualité d'héritier de Mme [JH] [SK], Mme [PF] [IN], M. [A] [Z], [U] [Z] représenté par ses représentants légaux M. [Y] [Z] et Mme [BM] [G], demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- avant dire droit,
d'enjoindre aux sociétés Sporoptic [GI] et Lbm Investment, ainsi qu'à MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X], [I] [CP] de communiquer sans délai une information à jour sur la structuration de la convention de prêt intragroupe et de la convention de subordination et leurs conséquences financières ;
d'ordonner une expertise judiciaire avec mission de :
vérifier la qualité de propriétaire des marques [WX] ;
examiner la pertinence pour la société Sporotic [GI] de la convention de prêt intragroupe du 23 septembre 2016, de la convention de subordination et du contrat de fiducie-sûreté ;
vérifier la réalité du transfert des fonds objets des prêts à la société Sporoptic [GI] et déterminer les investissements réalisés avec ces fonds pour développer la marque [WX] ;
déterminer l'étendue des conséquences dommageables du montant financier litigieux pour la société Sporoptic [GI] et chiffrer le préjudice en résultant ;
- à titre principal,
de prononcer l'annulation de la délibération du conseil de surveillance du 20 septembre 2016 ;
de prononcer l'annulation de la convention de prêt intragroupe du 23 septembre 2016 ;
de prononcer l'annulation de la convention de subordination du 23 septembre 2016 ;
d'ordonner la remise en état des parties dans la situation antérieure à la signature de la convention de prêt intragroupe et à la signature de la convention de subordination ;
de juger recevable la demande tendant à condamner M. [WD] [R] à la réparation du préjudice subi par la société Sporoptic [GI] du fait de sa faute de gestion ;
de condamner M. [WD] [R] à réparer les conséquences dommageables subies par la société Sporoptic [GI] évaluées à ce stade, en principal, à une somme de 7 millions d'euros, à parfaire ;
de condamner in solidum MM. [WD] [R], [V] [B] et [F] [X] à supporter les conséquences dommageables préjudiciables à la société Sporoptic [GI] au titre de la régularisation de la convention de prêt intragroupe et de la convention de subordination évaluées à ce stade à la somme de 7 millions d'euros, à parfaire ;
de condamner in solidum MM. [WD] [R], [V] [B], [I] [CP] et [F] [X] à verser à M. [Y] [Z] une somme de 150 000 euros en indemnisation de son préjudice personnel moral ;
- à titre subsidiaire,
de condamner in solidum MM. [WD] [R], [V] [B], [I] [CP] et [F] [X] à supporter les conséquences dommageables préjudiciables à la société Sporoptic [GI] au titre de la régularisation de la convention de prêt intragroupe et de la convention de subordination évaluées à ce stade à la somme de 7 millions d'euros, à parfaire ;
- en tout état de cause,
de débouter les sociétés Sporoptic [GI], Lbm Investment et MM. [WD] [R], [V] [B], [I] [CP] et [F] [X] de leurs demandes, moyens et prétentions ;
de condamner in solidum les sociétés Sporoptic [GI], Lbm Investment et MM. [WD] [R], [V] [B], [I] [CP] et [F] [X] à verser à M. [Y] [Z] une somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
de condamner in solidum les sociétés Sporoptic [GI], Lbm Investment et MM. [WD] [R], [V] [B], [I] [CP] et [F] [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er avril 2024, la société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] demandent à la cour :
de les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident ;
d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :
a dit recevable l'action à l'encontre de M. [WD] [R] ;
les a débouté de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
de confirmer pour le surplus le jugement en toutes ses dispositions ;
- statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés du jugement dont appel :
de déclarer irrecevable l'action des appelants visant à engager la responsabilité de M. [WD] [R] vis-à-vis de la société Sporoptic [GI] au titre de ses prétendues fautes de gestion ;
de condamner in solidum les appelants à payer la société Sporoptic [GI] et à la société Lbm Investment, à MM. [V] [B], [F] [X], [I] [CP] et [WD] [R] la somme de 100 000 euros pour procédure abusive ;
- en tout état de cause,
de débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
de condamner in solidum les appelants à payer à la société Sporoptic [GI], à la société Lbm Investment et à MM. [V] [B], [F] [X], [I] [CP] et [WD] [R] la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance d'appel.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 23 avril 2024.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'action ut singuli contre l'ancien dirigeant M. [R]
La société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] font valoir que les dispositions de l'article R. 225-169 du code de commerce subordonnent l'exercice d'une action ut singuli par un groupe d'associés à un seuil minimal de détention du capital social. Ils précisent que le capital social de la société Sporoptic Poilloux s'élevait à 4 378 430 euros à la date de l'assignation des actionnaires minoritaires et que ces derniers ne possédaient à cette date que 0,31 % des actions de la société. Ils en déduisent que l'action initiée à l'encontre de M. [R] n'est pas recevable.
M. [Y] [Z] considère que l'action est recevable en vertu des dispositions de l'article L. 225-252 du code de commerce selon lesquelles un actionnaire peut exercer une action ut singuli de deux manières : soit individuellement soit en se regroupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, qu'en l'espèce l'action est engagée individuellement par les requérants de sorte que la condition de seuil de participation posée par les articles R. 225-167 et suivants n'est pas requise pour que l'action prospère.
Sur ce, la cour,
L'article L. 225-252 du code de commerce dans sa version en vigueur au jour de l'introduction de l'instance, dispose qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.
Il est constant que l'action visant M. [R] est une action sociale ut singuli, c'est-à-dire exercée par les actionnaires en réparation du préjudice subi par la société et non en réparation du préjudice qu'ils ont personnellement subis. Dès lors, l'article R. 225-167 du code de commerce qui concerne uniquement cette dernière hypothèse n'a pas vocation à s'appliquer.
L'action a été initiée par plusieurs actionnaires ayants droit de M. [J] [Z] qui n'ont pas entendu se réunir en association ou se regrouper dans les conditions de l'article R. 225-169 du code de commerce qui pour mémoire prévoit que s'ils représentent au moins le vingtième du capital social, des actionnaires peuvent, dans un intérêt commun, charger à leurs frais, un ou plusieurs d'entre eux de les représenter, pour soutenir, tant en demande qu'en défense, l'action sociale soit contre les administrateurs, soit contre le directeur général, soit contre les membres du directoire.
Dès lors, les actionnaires ayant fait délivrer l'assignation le 23 septembre 2019 ont agi individuellement et ne sont donc pas tenus par les conditions de seuil de détention de capital prévues à l'article R. 225-169 du code de commerce ainsi que l'a valablement jugé le tribunal.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit recevable l'action à l'encontre de M. [WD] [R].
Sur les demandes avant-dire droit
M. [Z] demande la désignation d'un expert judiciaire afin d'éclairer la cour sur le montage financier opéré en 2016 et ses incohérences, ainsi que sur le montage sous-jacent qui empêche la société Sportopic de justifier de l'emploi des fonds prétendument prêtés par la société Lbm Investment pour le développement de la marque [WX]. Il affirme que l'inscription du prêt au bilan de Sporoptic ne prouve pas le transfert effectif des sommes prêtées ni leur emploi pour des actions de développement, que l'expertise permettra aussi de déterminer la propriété des marques [WX] détenues par la société Spotoptic et l'étendue des conséquences dommageables du montage pour la société Sporoptic.
La société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] indiquent liminairement qu'au 12 juillet 2023, la société Sporoptic [GI] était propriétaire des licences de marque [WX] dites « de classe 9 » et la société Lbm Investment possédait une partie des marques [WX] « hors classe 9 ». Ils objectent que la réalisation d'une expertise est inutile puisque le financement étant débouclé, que la propriété des marques « [WX] » mises en fiducie-sûreté est revenue à la société Sporoptic, que la mesure sollicitée vise à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve, que la demande part d'un postulat erroné formé sur la base d'un contrat de nantissement de marques luxembourgeois étranger au montage en question conclu non pas par Sporoptic mais par Lbm Investments.
Sur ce,
Il sera rappelé que, outre les prétentions et moyens ci-dessus rappelés, M. [Z] demande à la cour d'enjoindre aux sociétés Sporoptic [GI] et Lbm Investment, ainsi qu'à MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X], [I] [CP] de communiquer sans délai une information à jour sur la structuration de la convention de prêt intragroupe et de la convention de subordination et leurs conséquences financières.
Lesdits contrats sont versés aux débats, ainsi que l'acte de « débouclage » de l'opération dénommé Deed of release and termination signé le 5 septembre 2023 et l'acte de mainlevée de la fiducie-sûreté [WX] conclue le 22 septembre 201.
La cour ne peut donc que rejeter cette demande de communication.
Sur la demande d'expertise judiciaire, la réalisation d'une telle mesure est inutile comme le prétendent les intimés, au vu des pièces versées aux débats, s'agissant de vérifier la qualité de propriétaire des marques [WX], la pertinence de l'opération de financement du 22 septembre 2016 désormais clôturée et la réalité du transfert des fonds objets des prêts à la société Sporoptic [GI].
Par ailleurs, une mesure d'expertise n'a pas vocation à pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve.
Concernant les investissements réalisés avec ces fonds pour développer la marque [WX], l'information des actionnaires figure en principe dans le rapport de gestion à destination des actionnaires qui disposent de la faculté de poser des questions aux dirigeants d'une société anonyme par le biais de procédures dédiées. M. [Z] ne démontrant pas qu'il aurait mis en 'uvre les moyens mis à sa disposition par le code de commerce ni que ses démarches seraient restées infructueuses, il y a lieu d'en déduire que sa demande sur ce point a vocation à pallier sa carence dans la recherche et l'administration de la preuve.
De la même manière la détermination de l'étendue des conséquences dommageables du montage financier litigieux pour la société Sporoptic [GI] relève dans un premier temps de l'office des parties puis du juge qui dispose toujours de la faculté de commettre un expert pour le cas où il l'estimerait nécessaire.
En conséquence, la demande de désignation d'un expert avant-dire droit sera rejetée.
Sur la demande d'annulation des délibérations du conseil de surveillance du 20 septembre 2016
La société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] soutiennent que M. [Z] ne développe aucun moyen au soutien de sa demande et en déduisent qu'elle ne pourra qu'être à nouveau rejetée. Ils affirment à titre très surabondant que la demande d'annulation du conseil de surveillance du 20 septembre 2016 est prescrite car initiée plus de trois ans après la date de la délibération contestée et qu'aucun motif ne justifie son annulation.
M. [Z] qui formule sa demande d'annulation dans le dispositif de ses dernières conclusions, évoque dans le corps de celles-ci le caractère non motivé de l'autorisation donnée par le conseil de surveillance à l'appui de sa demande d'annulation des conventions de prêt intra-groupe et de subordination sans en tirer de conséquences quant à l'annulation dudit conseil de surveillance les ayant autorisées, sans répondre à la fin de non-recevoir soulevée par les intimés et sans faire valoir aucun moyen à l'appui de sa demande d'annulation du conseil de surveillance.
Sur ce,
M. [Z] ne soutient pas directement sa demande d'annulation du conseil de surveillance dans le corps de ses écritures. En outre, le seul moyen tenant au défaut de motivation des délibérations du conseil de surveillance n'est pas de nature à entrainer la nullité de la délibération.
La cour ne peut donc que confirmer la décision du tribunal qui a rejeté cette demande.
Sur la demande d'annulation des conventions de prêt intra-groupe et de subordination
M. [Z] reproche aux premiers juges d'avoir qualifié les conventions litigieuses d'opérations courantes qui échappent à l'autorisation préalable du conseil de surveillance de sorte que la nullité prévue à l'article L. 225-90 du code de commerce ne peut être prononcée. Il soutient que les conventions litigieuses, sont des conventions réglementées, que la procédure spécifique applicable prévue aux articles L. 225-86 et L.225-88 du code de commerce n'a pas été respectée, que MM. [X], [B] et [CP] qui avaient un intérêt indirect dans ce montage ne pouvaient pas prendre part au vote du conseil de surveillance, que le procès-verbal de délibérations est irrégulier en ce qu'il ne respecte pas l'exigence de motivation prescrite à l'article L 225-86 du code de commerce, que ces manquements ont emporté des conséquences dommageables pour la société Sporoptic [GI], que grâce à ce montage et sans l'action engagée par les consorts [Z], la société Sporoptic [GI] alors dans l'impossibilité de rembourser les 7 millions d'euros était en état de cessation des paiements et se voyait privée de son seul actif de valeur, à savoir les marques [WX] gagées dans le cadre d'une fiducie-sûreté, que de plus le groupe Neo organisait le transfert de l'actif du patrimoine de Sporoptic [GI], se remboursait les 2 millions d'euros investis pour la récupération des marques [WX] après avoir obtenu la nullité de l'acte de cession du 24 avril 2007 et évinçait les actionnaires minoritaires héritiers du fondateur M. [J] [Z].
La société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] ne contestent pas que les conventions litigieuses entrent dans le champ d'application de l'article L. 225-86 du code de commerce. Ils font valoir en premier lieu, que les conséquences dommageables alléguées reposent sur de pures hypothèses non actuelles et dont la réalisation est exclue, qu'à l'occasion du rachat de Skilynx par Thelios, le prêteur M. [P] a été intégralement remboursé et les sûretés qui lui avaient été consenties ont été levées, ce qui exclut une appropriation des marques [WX] via la mise en 'uvre de la fiducie-sûreté, que cette demande est donc devenue sans objet, que le financement litigieux de 7 millions d'euros a été conclu dans l'intérêt de la société Sporoptic à des conditions de marché eu égard au risque crédit que faisait subir l'entreprise au créancier et de la taille de cette dernière, que ce financement était nécessaire à un retournement de l'activité et a bien servi à financer l'activité de la société et non à rembourser le compte courant de Skilynx qui au contraire a mis à disposition des fonds supplémentaires ce dont a certifié le commissaire aux comptes, puis en second lieu, que la procédure d'autorisation des conventions réglementées a bien été respectée, qu'il n'est pas établi que MM. [X], [B] et [CP] auraient tiré un profit personnel de l'opération, que le montage financier était neutre pour la société Lbm Investment, que seul un défaut d'autorisation est susceptible d'emporter l'annulation d'une convention réglementée et qu'en tout état de cause la nullité est facultative.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 225-86 du code de commerce, toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et l'un des membres du directoire ou du conseil de surveillance, un actionnaire disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3, doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil de surveillance.
Il en est de même des conventions auxquelles une des personnes visées à l'alinéa précédent est indirectement intéressée.
Sont également soumises à autorisation préalable les conventions intervenant entre la société et une entreprise, si l'un des membres du directoire ou du conseil de surveillance de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise.
L'autorisation préalable du conseil de surveillance est motivée en justifiant de l'intérêt de la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui y sont attachées.
Il n'est pas discuté que la convention litigieuse était une convention réglementée au sens du troisième alinéa de ce texte et qu'en cela, elle a été soumise à l'autorisation préalable du conseil de surveillance en application de l'article L. 225-86 du code de commerce, M. [R] alors membre du directoire de Sporoptic et gérant de la société Lbm Investment n'ayant pas participé au vote.
Il est par ailleurs constant que cette convention a été autorisée par les seuls membres du conseil de surveillance présents ce jour-là, à savoir MM. [X], [B] et [CP].
M. [Z] soutient que ce vote était irrégulier en ce que ces derniers étaient indirectement intéressés aux conventions litigieuses qu'ils ont autorisées alors qu'ils n'auraient pas dû prendre part au vote.
MM. [F] [X], [V] [B] et [I] [CP] sont tous les trois membres du conseil de surveillance et actionnaires à titre personnel de la société Sporoptic [Localité 59] (à raison d'une action chacun).
Il est justifié de ce que M. [F] [X] exerce à l'heure actuelle un contrôle significatif au sein la société Neo Investment Partners LLP dont MM. [B] et [CP] sont associés et il n'est pas contesté que la société Neo Investment Partners exerce indirectement un contrôle sur les sociétés Financière Skilynx qu'elle détient majoritairement et ses deux filles Sporoptic et Lbm Investment. Un extrait (ancien) du registre de commerce et des sociétés luxembourgeois montre également que M. [B] était le dirigeant d'une société Elf Investment appartenant à une société immatriculée au Royaume-Uni dénommée Neo Capital Private Equity Found I.
Les conventions litigieuses sont donc susceptibles de relever également de l'alinéa 2 de l'article L. 225-86 précité et se pose dès lors la question de la preuve de l'intérêt indirect au sens de ce texte que pourraient avoir eu MM. [F] [X], [V] [B] et [I] [CP] à autoriser la signature du prêt intra-groupe entre les sociétés s'urs Sporoptic et Lbm Investment et de la convention de subordination déterminant les conditions de remboursement de ce prêt.
Est considérée comme étant indirectement intéressée à une convention à laquelle elle n'est pas partie, la personne qui, en raison des liens qu'elle entretient avec les parties et des pouvoirs qu'elle possède pour infléchir leur conduite, en tire ou est susceptible d'en tirer un avantage.
En l'espèce, en tant qu'actionnaires et/ou dirigeants de la société Neo Investment Partners de la société contrôlant la société mère des deux sociétés contractantes Sporoptic et Lbm Investment, et contrairement à ce que prétend M. [Z], MM. [X], [B] et [CP] ne pouvaient tirer aucun avantage à ce que la société Sporoptic vienne à faire défaut, se retrouve en état de cessation de paiement, que la société Lbm Investment ne puisse à son tour rembourser M. [P] qui viendrait alors activer les garanties mises en place dans le cadre de la convention de prêt, acquérir le contrôle de la société Sporoptic en conséquence du nantissement de ses titres consenti par la société Financière Skilynx et par suite de la fiducie-sûreté octroyée par la société Lbm Investment acquérir les marques [WX] détenues par celle-ci. MM. [X], [B] et [CP] ne pouvaient donc retirer de l'échec de l'opération aucun avantage et ne peuvent en conséquence être considérés comme étant directement intéressés au sens de l'alinéa 2 de l'article L. 225-86 précité. Le conflit d'intérêts n'est donc pas avéré de sorte que l'irrégularité soulevée s'agissant des autorisations données par MM. [X], [B] et [CP] n'est pas établie.
Il est au demeurant confirmé que les conséquences dommageables prédites par les consorts [Z] ne se sont pas produites, puisqu'il est constant qu'à l'occasion du rachat de Skilynx par Thelios, le prêteur M. [P] a été intégralement remboursé et les sûretés qui lui avaient été consenties ont été levées.
Il est en outre établi que le financement de 7 millions d'euros a bien bénéficié à la société Sporoptic puisqu'il figure dans ses comptes annuels certifiés par le commissaire aux comptes dont il n'est pas démontré qu'ils étaient erronés. Il n'est pas non plus justifié de ce que ce financement aurait été contraire à l'intérêt social de Sporoptic ou qu'il aurait bénéficié à Skilynx en étant affecté sur son compte courant.
Enfin, l'obligation de motivation de l'autorisation donnée par le conseil de surveillance n'est pas prévue à peine de nullité de l'autorisation.
Les conditions d'annulation d'une convention réglementée prévues par l'article L. 225-90 du code de commerce que sont le défaut d'autorisation préalable du conseil de surveillance et les conséquences dommageables pour la société ne sont donc pas remplies.
Il convient donc de rejeter la demande d'annulation formée par M. [Z] et, à ces motifs substitués, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des conventions de prêt et de subordination.
Sur la responsabilité des dirigeants
M. [Y] [Z] reproche aux dirigeants de la société Sporoptic d'avoir imposé le montage financier litigieux en violation de la procédure propre aux conventions réglementées, que s'ils n'avaient pas été contraints de déboucler l'opération, celle-ci devait conduire à la perte des marques [WX] données en garantie de l'engagement souscrit par Lbm Investment auprès de M. [P], que l'opération était contraire à l'intérêt social de la société Sporoptic compte tenu du risque de perte des marques, d'autant que la preuve de l'utilisation des fonds prêtés dans l'intérêt de la société n'est pas rapportée. Il se prévaut tout à tour de l'application des dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-40 du code de commerce et 1240 du code civil, du manquement du dirigeant à son obligation de loyauté, du manquement des membres du conseil de surveillance à leur mission de contrôle. Il précise que M. [R] était président du directoire à la date de conclusion des actes litigieux, M. [X] est depuis le 15 décembre 2020 président du directoire chargé d'exécuter les conventions adoptées illicitement et qu'il recherche la responsabilité de MM. [X], [B] et [CP] en leurs qualités de membres du conseil de surveillance et actionnaires à titre personnel de la société Sporoptic [GI].
Se prévalant des dispositions de l'article 1850 du code civil, M. [Y] [Z] qui vient aux droits des appelants sollicitent de la cour qu'elle prononce une condamnation in solidum au versement de la somme de 7 000 000 d'euros au titre des conséquences dommageables résultant du fait de ne pas avoir pu bénéficier des fonds prêtés et de la dégradation de son bilan consécutivement au paiement des intérêts de la dette au taux de 9,5% (948 427 euros en 2021).
M. [Y] [Z] sollicite également la somme de 150 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi constitué par le fait d'assister à la destruction du travail auquel M. [J] [Z] se serait consacré toute sa vie.
La société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP] concluent au rejet des demandes en affirmant que les conventions litigieuses ne sont entachées d'aucun motif de nullité et ont été conclues dans l'intérêt de la société Sporoptic, qu'aucune faute ne peut être démontrée, qu'aucune conséquence dommageable n'est démontrée et que les demandes indemnitaires ne sont maintenues qu'à titre artificiel.
Sur ce,
Il a été jugé que la procédure d'autorisation de l'opération de financement conclue en septembre 2016 n'était pas irrégulière au regard de la législation sur les conventions réglementées. De surcroît, les conséquences dommageables alléguées tenant à la perte des marques [WX] n'ont jamais constitué un préjudice né et actuel et ne sont pas avérées au jour où la cour statue.
Ne se pose donc plus que la question, au regard des moyens soulevés par l'appelant, de la contrariété à l'intérêt social de la société Sporoptic de l'opération qui consistait à faire bénéficier cette dernière, alors en difficultés financières, d'un prêt de 7 millions d'euros au taux de 9,5% dans le cadre d'un prêt intragroupe.
Ce montant est à mettre en perspective des 1,5 millions d'euros apportés par AMI puis des 21 millions d'euros que les sociétés du groupe Neo prétendent avoir apporté sans être contredite par M. [Z].
Il ressort par ailleurs des comptes annuels des exercices 2016, 2017 et 2021 (seuls éléments comptables versés aux débats) que la société Sporoptic a totalisé en 2015, 2016 et 2017 un solde négatif du compte report à nouveau supérieur à 22 millions d'euros, ce qui suffit à démontrer un besoin de financement, étant relevé que ce solde était passé en 2020 à 802 649 euros et en 2021 à 3,45 millions. Il est par ailleurs manifeste qu'elle accusait des pertes d'exploitation depuis de nombreuses années, faisant d'elle une entreprise à risque pour les organismes financeurs. Dès lors, elle n'avait d'autre choix que d'accepter des conditions de financement onéreuses sans pour autant qu'il soit démontré qu'elles étaient disproportionnées par rapport à ses facultés ou décorrélées des conditions de marché, ni qu'elles constituent un moyen de financement qualifiable de ruineux.
En outre, le montant des intérêts allégués par M. [Z], qui entend justifier des préjudices subis par la société Sporoptic par la production de deux tableaux qu'il s'est manifestement constitué à lui-même, est contredit par le rapport des commissaires aux comptes sur les conventions réglementées du 29 mai 2018 portant sur l'exercice 2017 qui évoque le chiffre de 530 537 euros. La dette d'intérêts auprès de la société Lbm Investment de 948 427 euros en 2021 est à mettre en lien avec un endettement auprès de Lbm Investment de plus de 10 millions d'euros, si bien que cette somme dépasse le périmètre du prêt litigieux de 7 millions.
M. [Z] qui critique ce choix de financement auprès d'un investisseur privé ne fait pas part d'une éventuelle alternative moins onéreuse.
Au vu de ces éléments, il manque à établir une faute des dirigeants à ce titre.
Bien que demeurant élevé, l'état d'endettement total de la société Sporoptic [GI] a baissé passant de 18,226 millions en 2017 à 10,692 millions en 2021. Dans ces conditions, M. [Z] manque également à établir un préjudice subi par la société Sporoptic [GI].
En conséquence, les demandes d'indemnisation de prétendues conséquences dommageables doivent être rejetées qu'elles aient été formées à l'encontre de M. [R] ou à l'encontre des trois membres du conseil de surveillance.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral subi par M. [Z], elle ne saurait davantage prospérer en l'absence de faute, la cour observant incidemment qu'à l'occasion de l'assemblée des actionnaires et du conseil de surveillance du 5 septembre 2023, M. [Y] [Z] a voté contre l'approbation du Deed of release and termination du 5 septembre 2023 conditionnant la levée des garanties portant sur les titres de la société Sporoptic et sur les marques [WX] et qu'à l'occasion du conseil de surveillance il a de surcroît voté contre l'acte de mainlevée de la fiducie-sûreté.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Se prévalant des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, les intimés soutiennent que l'action des actionnaires minoritaires est empreinte de mauvaise foi en ce qu'ils ont persisté alors que leur action était vouée à l'échec et ont formulé des accusations mensongères feignant de ne pas être informés du sort de la fiducie-sûreté, que leur action a pour seul objectif de nuire à la société Sporoptic et de la priver de financement alors qu'elle était en grande difficulté, qu'ils ont voté contre la signature des actes visant à mettre un terme au financement litigieux et aux garanties données à M. [P], que les appelants ont abusé de leur droit d'agir en justice en maintenant une action vouée à l'échec, des demandes indemnitaires artificielles, une demande de nullité non motivée et prescrite, et en produisant un contrat qu'ils présentent à tort comme relatif à la fiducie-sûreté, qu'il en est résulté un préjudice moral et un préjudice d'image qui devrait être réparé à hauteur de 50 000 euros ainsi qu'un préjudice lié à la mobilisation des équipes des sociétés Sporoptic et Skylinx ainsi que de leurs dirigeants pour répondre aux demandes abusives des appelants, qui devrait être réparé à hauteur de 50 000 euros, les condamnations devant être prononcées in solidum entre toutes les parties.
M. [Z] réplique qu'il ne saurait être reproché aux consorts [Z] d'exercer une faculté dont ils bénéficient objectivement et qui consiste à dénoncer des agissements et des décisions qui, non seulement n'auraient pas été adoptées valablement, mais seraient en contrariété à l'intérêt social de la société qui se trouverait privée de son actif essentiel.
Sur ce,
Le tribunal a valablement jugé au jour où il l'a fait, qu'il n'était pas rapporté la preuve d'une légèreté blâmable, malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol qui aurait fait dégénérer l'action des demandeurs en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts.
Depuis le 7 avril 2022, jour du jugement, les données du litige ont considérablement évolué avec le changement de contrôle de la société Financière Skilynx le 5 septembre 2023 et surtout le remboursement de M. [P] de son prêt et la mainlevée de la fiducie-sûreté des marques « [WX] ».
Maintenir une action alors que les conséquences potentiellement dommageables des fautes reprochées avaient manifestement disparu en formant une demande d'expertise à hauteur d'appel et en maintenant des demandes indemnitaires artificielles sur le fondement de moyens dont l'articulation et la pertinence pose question constitue à tout le moins une légèreté blâmable.
Cette faute justifie réparation du préjudice tenant à la nécessité de mobiliser des équipes qui ne se confond pas avec les frais irrépétibles liés à la mobilisation d'un conseil dans le cadre de la procédure d'appel. Ce préjudice justifie l'octroi d'une somme de 10 000 euros.
Les préjudices de réputation et moraux ne sont pas prouvés par des justificatifs circonstanciés et dès lors ne sont pas certains.
Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en première instance et y ajoutant la cour condamnera M. [Z], et lui seul, à verser la somme de 10 000 euros pour procédure abusive en cause d'appel.
Sur les demandes accessoires
M. [Z] qui succombe en son appel, devra en supporter les dépens, le jugement étant confirmé à ce titre. Il ne peut de ce fait prétendre à l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés se verront allouer la somme de 20 000 euros de ce chef, le jugement étant également confirmé s'agissant des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Rejette la demande avant-dire droit de communication d'une information sur la structuration de la convention de prêt intragroupe et de la convention de subordination et leurs conséquences financières ;
Rejette la demande avant-dire droit de désignation d'un expert ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. [Y] [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Condamne M. [Y] [Z] à verser à la société anonyme Sporoptic [GI] la somme de 10 000 euros pour procédure abusive en cause d'appel ;
Condamne M. [Y] [Z] aux dépens d'appel ;
Condamne M. [Y] [Z] à verser à la société anonyme Sporoptic [GI], la SARL de droit luxembourgeois Lbm Investment, MM. [WD] [R], [V] [B], [F] [X] et [I] [CP], prises ensemble, la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [Y] [Z] de sa demande à ce titre.