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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-7, 4 avril 2025, n° 22/08239

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 22/08239

4 avril 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-7

ARRÊT AU FOND

DU 04 AVRIL 2025

N° 2025/ 137

Rôle N° RG 22/08239 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJQ6W

[P] [I]

C/

S.A.S.U. SOCIETE ARTESIENNE DE FUMISTERIE (SAF)

Copie exécutoire délivrée

le : 04 avril 2025

à :

SCP E. SANGUINETTI , J. FERRARO, A. CLERC ET J. AUGIER

SELARL LX AIX EN PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 12 Mai 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 20/00183.

APPELANT

Monsieur [P] [I] [I] - SAF DA, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Jérôme FERRARO de la SCP E. SANGUINETTI , J. FERRARO, A. CLERC ET J. AUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.S.U. SOCIETE ARTESIENNE DE FUMISTERIE (SAF) aux droits de laquelle vient désormais la société LIZ FRANCE THERMAL SOLUTIONS, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Jonathan AZERAD, avocat au barreau de LYON substitué par Me Maxime SENETERRE, avocat au barreau de LYON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Février 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Françoise BEL, Président de chambre

Madame Caroline CHICLET, Président de chambre

Madame Raphaelle BOVE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2025

Signé par Madame Caroline CHICLET, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE :

M. [P] [I] a été engagé le 1er novembre 2011 par la société Artésienne de fumisterie aux droits de laquelle vient désormais la société Liz France thermal solutions ensuite d'une transmission universelle de patrimoine dans les conditions de l'article 1844-5 du code civil avec effet rétroactif au 1er janvier 2023, employant habituellement au moins onze salariés, en qualité de soudeur céramique, catégorie ouvrier, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps complet régi par la convention collective des ouvriers du bâtiment.

M. [I], affecté sur le site d'Arcelor Mittal à [Localité 2] et toujours employé actuellement par cette société, perçoit une rémunération mensuelle brute de base de 2.229,55 euros.

Invoquant une discrimination et un harcèlement moral en lien avec ses activités représentatives et syndicales, M. [I], par requête reçue au greffe le 25 mai 2020, a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 12 mai 2022, ce conseil a :

- dit que la demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire du 16 juin 2014 et du rappel à l'ordre du 16 juin 2014 est prescrite, dit que cette fin de non-recevoir est fondée ;

- dit que les sanctions prononcées à l'égard de M. [I] sont justifiées ;

- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné chaque partie à supporter la charge de ses propres dépens.

Le 8 juin 2022, M. [I] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement ayant rejeté en tout ou partie ses prétentions.

Vu les conclusions récapitulatives de M. [I] remises au greffe et notifiées le 22 janvier 2025 ;

Vu les conclusions récapitulatives de la société Liz France thermal solutions remises au greffe et notifiées le 27 janvier 2025 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 31 janvier 2025 ;

MOTIFS :

Sur la demande d'annulation des sanctions disciplinaires :

M. [I] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit prescrite sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires de juin 2014 et rejeté ses demandes d'annulation des autres sanctions disciplinaires et demande à la cour de rejeter la fin de non-recevoir opposée par l'intimée et d'annuler l'ensemble des sanctions disciplinaires prononcées à son encontre entre le 16 juin 2014 et le 7 juillet 2020.

La société oppose la prescription pour les sanctions du 16 juin 2014 et conclut au mal fondé des demandes pour les autres sanctions qu'elle estime bien fondées en demandant à la cour de confirmer le jugement sur ces points.

A) Sur la prescription de la demande d'annulation des sanctions notifiées le 16 juin 2014 :

Contrairement à ce que fait valoir à tort M. [I], le délai de prescription applicable à sa demande d'annulation des sanctions disciplinaires du 16 juin 2014 n'est pas le délai quinquennal applicable aux demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral ou discrimination mais le délai de deux ans de l'article L.1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi 2013-504 du 14 juin 2013.

La mise à pied disciplinaire et le rappel à l'ordre du 16 juin 2014 lui ayant été notifiés le jour-même, M. [I] disposait d'un délai de deux ans expirant le 16 juin 2016 à minuit pour les contester judiciairement.

Ayant introduit l'instance en annulation de ces deux sanctions le 25 mai 2020, son action est prescrite ainsi que l'a jugé le conseil dont le jugement est confirmé sur ce point.

B) Sur la régularité et le bien fondé des autres sanctions disciplinaires :

S'agissant de la régularité et du bien fondé des autres sanctions disciplinaires, l'article L.1333-1 du code du travail dispose que 'En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.'

L'article L. 1333-2 du même code précise que 'le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise'.

Il résulte de ce qui précède que l'employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction et que c'est au vu de ces derniers et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations que le juge forme sa conviction, le doute devant profiter au salarié.

Par ailleurs, il est constant que, contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée, l'acceptation par le salarié d'une sanction n'emporte pas renonciation du droit à contester la régularité et le bien-fondé de cette dernière.

1) Sur le rappel à l'ordre du 29 avril 2019 :

L'intimée, qui ne conteste pas le caractère disciplinaire de cette sanction (prononcée pour un relevé d'étanchéité de 15% supérieur aux limites dénoncé par le client, une consommation excessive d'un produit d'étanchéité, des rapports incomplets et une faible utilisation des nacelles) qu'elle assimile à un avertissement, ne produit aux débats aucun des éléments retenus pour la prendre (pas de production du courrier de doléances du client invoqué dans l'avertissement ni des rapports prétendument non renseignés etc) et se borne à procéder par affirmations alors que M. [I] conteste la matérialité des faits reprochés.

Cette sanction, qui ne repose sur aucun élément matériel vérifiable, doit donc être annulée et le jugement est infirmé sur ce point.

2) Sur le rappel à l'ordre du 28 novembre 2019 :

Selon l'article L.1332-2 du code du travail : 'Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.

Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.'

La notification tardive entraîne la nullité de la sanction.

Lorsque l'employeur a choisi de convoquer le salarié à un entretien préalable, il doit alors respecter tous les termes de la procédure disciplinaire, quelle que soit la sanction finalement infligée, même s'il s'agit d'un avertissement.

Si le report de l'entretien à la demande du salarié fait courir un nouveau délai d'un mois lorsque la nouvelle convocation a été adressée dans le mois de l'entretien initial, en revanche, ni l'arrêt maladie du salarié ni le report de l'entretien à la seule initiative de l'employeur ne suspendent le délai de notification de la sanction qui doit intervenir au plus tard un mois après le jour fixé pour l'entretien.

En outre, le fait que le salarié ne se présente pas à l'entretien n'a pas pour effet de décaler le délai de notification ; si l'employeur décide de convoquer le salarié à un nouvel entretien, la sanction devra néanmoins être notifiée dans le délai d'un mois qui suit la date fixée pour le premier entretien.

En l'espèce, l'employeur a convoqué M. [I] à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire (pour des faits commis du 3 au 5 juin 2019 consistant en la modification sans autorisation de ses dates de participation à une formation des membres du CSE initialement prévue du 11 au 13 juin) initialement fixé le 24 juin 2019 (pièce 3-1 de l'appelant) puis reporté à l'initiative de l'employeur au 1er juillet 2019 au moyen d'un courrier du 18 juin 2019 remis en main propre (pièce 50 de l'appelant).

Par courrier du 17 juillet 2019, l'employeur a reporté de nouveau cet entretien au 1er août 2019 en invoquant l'absence du salarié à l'entretien pour cause de maladie.

L'arrêt maladie de M. [I] ayant été prolongé, l'entretien a de nouveau été reporté pour ce même motif au 5 août 2019 puis au 5 septembre 2019 et enfin au 23 octobre 2019 avant d'être reporté une nouvelle fois au 18 novembre 2019 motif pris de l'indisponibilité du salarié convoqué à une réunion du CSE au siège social de [Localité 4] (pièces 51, 52, 53 et 14 de l'appelant).

Le premier report ayant été décidé à l'initiative de l'employeur et les trois suivants ayant été décidés par l'employeur motif pris de l'absence du salarié en arrêt maladie à l'entretien, la sanction aurait dû être notifiée dans le délai d'un mois à compter de la première date fixée pour l'entretien, soit avant le 24 juillet 2019 à minuit, puisqu'aucun des motifs invoqués au soutien de ces quatre reports n'a eu pour effet de suspendre le délai de l'article L.1332-2 précité.

La sanction, dont l'employeur ne discute pas le caractère disciplinaire, ayant été notifiée à M. [I] par lettre recommandée envoyée le 28 novembre 2019, elle doit être annulée en raison de cette notification tardive, ainsi que le soutient justement l'appelant, et le jugement est infirmé sur ce point.

3) Sur la mise à pied disciplinaire de deux jours notifiée le 12 novembre 2019 :

Par courrier du 27 juin 2019, l'employeur a convoqué M. [I] à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire (pour s'être filmé avec son portable le 18 juin 2019 en situation dangereuse sur le site d'Arcelor Mittal en vue de dénoncer ce risque ultérieurement) fixé initialement au 9 juillet 2019 (pièce 3-2 de l'appelant).

L'employeur a reporté cet entretien au 29 juillet 2019 en invoquant l'absence du salarié à l'entretien pour cause de maladie (pièce 3-3).

Il l'a de nouveau reporté au 3 septembre 2019 puis au 21 octobre 2019 pour le même motif (pièces 3-5 et 3-6).

L'absence du salarié à l'entretien pour cause d'arrêt maladie du salarié n'étant pas une cause de suspension du délai de notification de la sanction, celle-ci aurait dû être notifiée à M. [I] dans le mois suivant la date fixée pour le premier entretien soit avant le 9 août 2019 à minuit.

La mise à pied disciplinaire de deux jours lui ayant été notifiée le 12 novembre 2019, elle doit être annulée et la société condamnée à restituer au salarié la somme de 183,40 euros brut à titre de rappel de salaire outre celle de 18,34 euros brut pour les congés payés y afférents, le jugement étant infirmé sur ce point.

4) Sur le rappel à l'ordre du 10 octobre 2019 :

Par courrier du 10 octobre 2019, M. [I], avec d'autres membres de son équipe, s'est vu notifier un rappel à l'ordre pour avoir, le 8 octobre 2019, pris son poste de travail avec un retard de 6 minutes et avec des équipements individuels de sécurité incomplets ou inadaptés ce qui a été révélé par un audit sécurité aléatoire réalisé par son supérieur hiérarchique.

L'employeur, qui ne discute pas le caractère disciplinaire de cette sanction, produit l'audit réalisé le 8 octobre 2019 par M. [G] auprès de l'ensemble de l'équipe dont dépendait M. [I] et duquel il ressort que ce dernier s'est présenté au bureau à 13h06 au lieu de 13h00 avec un système de protection respiratoire non adapté à l'activité et un détecteur de CO² hors service.

M. [I], qui ne discute pas le retard ni les constatations de son supérieur, justifie cette situation en faisant valoir qu'à l'heure du contrôle, il était toujours dans l'ignorance de l'activité sur laquelle il allait être affecté et des équipements qui seraient nécessaires pour se protéger.

Cependant, outre que l'appelant ne produit aucun élément probant au soutien de son allégation, force est de constater que celle-ci est contredite par le tableau d'audit qui montre que cinq des sept membres de son équipe disposaient des équipements qui lui faisaient défaut ce qui tend à démontrer que les membres de cette équipe avaient connaissance de l'activité sur laquelle ils allaient être affectés à partir de 13h et savaient quels étaient les équipements de sécurité requis pour y procéder.

La sanction étant régulière, bien fondée et proportionnée aux manquements, la demande d'annulation est rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

5) Sur la mise à pied disciplinaire d'une journée notifiée le 7 juillet 2020 :

Par courrier du 9 juin 2020, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire fixé au 24 juin 2020.

Il a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire d'une journée notifiée par courrier recommandé envoyé le 7 juillet 2020 au motif que 'Lors d'un contrôle réalisé par notre client Arcelor Mittal à [Localité 2] concernant les travaux d'étanchéité et de réglages des portes, celui-ci a constaté que le personnel contractuellement prévu n'était pas à son poste de travail. Nous ne pouvons tolérer un tel comportement indigne de professionnel : votre attitude nuit à l'image de marque de notre société, surtout en ces temps de crise et à une période de renégociations des contrats avec ce client'.

Pour justifier cette sanction, l'employeur produit le courriel du client du 29 mai 2020 à 16h46 dans lequel ce dernier lui reproche de n'avoir croisé, ce jour, aucun régleur de porte en activité lors de sa visite d'inspection EPA à l'heure habituelle de 8h30 et lui fait remarquer que 'étant donné l'allure, je trouve le résultat du jour très médiocre au vu de l'activité d'étanchéisation théorique' en lui demandant de lui transmettre l'organisation en place, la raison de cette faible activité et les actions qui seront mises en place pour y remédier.

M. [I] a contesté cette sanction par courrier recommandé du 17 juillet 2020 en expliquant à son employeur qu'il faisait partie habituellement de l'équipe des maçons et que le 29 mai 2020, son chef d'équipe lui avait demandé de rejoindre les régleurs de portes ce qu'il avait accepté bien que non formé pour cette mission, qu'il s'était rendu au réfectoire pour attendre le chef des régleurs de porte afin de connaître l'activité du jour mais qu'il ne l'avait pas vu et qu'il était monté sur le chantier à plusieurs reprises pour prendre ses instructions mais en vain.

M. [F] [W], chef d'équipe, atteste le 22 juillet 2020 que le vendredi 29 mai 2020 'M. [I] (soudeur céramique) travaillait en P1 de 5h à 13h. En temps normal, [P] travaille avec les maçons mais ce jour-là la hiérarchie lui demande de faire son poste en tant que régleur/étancheur (poste inhabituel)/ Malheureusement, ce jour-là, je suis arrivé en retard, sachant que j'étais responsable ce jour-là, je n'ai pas pu lui expliquer, de plus que les chefs de chantier travaillent à la journée, sachant qu'il n'a pas eu de directive, il est monté vers 6h/6h30 le temps de se procurer le matériel nécessaire, je tiens à préciser que la veille ce n'était pas prévu comme ça.'

M. [K] [J], soudeur céramique et délégué du personnel ayant assisté M. [I] lors de l'entretien préalable, atteste le 7 août 2020 que 'M. [I] a bien expliqué à M. [G] qu'à 5h du matin, il était prévu avec les maçons et que son chef lui a signé qu'il devait aller chez les régleurs de portes et qu'il avait accepté cette mission. M. [I] a également signalé être monté sur le chantier à plusieurs reprises de 5h à 7h et qu'il ne comprenait pas cette convocation.'

Il résulte de ces témoignages précis et circonstanciés que l'employeur a décidé subitement, le 29 mai 2020, d'affecter M. [I] à un poste inhabituel pour lui, à savoir le réglage et l'étanchéité des portes, sans l'avoir mis en relation avec le chef d'équipe chargé d'encadrer les salariés affectés à ce poste, lequel est arrivé en retard ce jour-là ainsi que ce dernier en atteste, ni lui avoir transmis les consignes d'activité de sorte que le salarié s'est retrouvé livré à lui-même pendant plusieurs heures avant d'avoir pu effectuer sa mission.

L'employeur ne peut donc pas reprocher à M. [I] de ne pas avoir été vu par le client au poste auquel il avait été affecté le matin même sans recommandation ni consigne particulières et sans avoir été mis en relation avec le chef d'équipe chargé de l'encadrement des régleurs lequel est arrivé en retard ce jour-là.

La sanction, infondée, doit donc être annulée et la société est condamnée à restituer à M. [I] la somme de 91,61 euros brut à titre de rappel de salaire outre celle de 9,26 euros brut au titre des congés payés y afférents et le jugement est infirmé sur ce point.

Sur la demande indemnitaire pour exécution fautive et déloyale, discrimination syndicale et harcèlement moral :

M. [I] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire pour exécution fautive et déloyale du contrat, discrimination syndicale et harcèlement moral et demande à la cour de condamner la société à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef.

Selon l'article L.1132-1 du code du travail dans sa version applicable, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En application des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail,

lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral , il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement

Au soutien de sa demande, M. [I], qui a été élu à la délégation unique du personnel sur la liste du syndicat CGT le 28 mai 2014 et réélu sur la même liste le 29 novembre 2018 et dont l'action syndicale a conduit à la revendication d'un 13ème mois pour tous les salariés de [Localité 2] en juin 2018 (pièce 11), invoque:

- les nombreuses sanctions disciplinaires injustifiées dont il a fait l'objet à compter, selon lui, de sa participation au scrutin de la délégation unique du personnel de mai 2014 sur la liste syndicale CGT et de sa réélection du 28 novembre 2018 sur la même liste syndicale (fonctions auxquelles il a été réélu le 29 novembre 2022 sur la liste CFDT) (1),

- la passivité de l'employeur après une agression par un responsable en janvier 2020 et l'effraction de son casier personnel en janvier 2021 (2),

- l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de changer de syndicat pour faire cesser les agissements de l'employeur (3),

- une énième convocation à un entretien préalable le 2 novembre 2021 (4),

- le fait d'avoir été raillé par sa hiérarchie après le jugement de débouté rendu par le conseil de prud'hommes (5),

- le retentissement sur son état de santé (6).

(1) L'existence de cinq sanctions disciplinaires, dont quatre sont irrégulières ou infondées, prononcées à l'encontre de M. [I] postérieurement à sa réélection en novembre 2018 à la délégation unique du personnel sur la liste syndicale CGT et à l'action menée par son syndicat en juin 2018 pour voir attribuer un 13ème mois aux salariés de [Localité 2] est matériellement établie.

(2) Il ne résulte pas des pièces produites que l'agression verbale dont M. [I] a été victime de la part d'un chef de chantier le 31 janvier 2020 (dont la matérialité est attestée par les témoignages précis et concordants des trois salariés présents lors de cette altercation) ait été portée à la connaissance de l'employeur alors que ce dernier le conteste. Le grief tiré d'une prétendue passivité de l'employeur face à cette agression n'est donc pas matériellement établi.

En revanche, l'employeur ne démontre pas avoir engagé une enquête interne ni aucune mesure d'investigation après l'effraction du casier personnel de M. [I] le 25 janvier 2021 alors qu'il résulte de la main courante déposée par M [I] que la direction a été informée et a constaté elle-même la dégradation, ce qui n'est pas discuté. L'absence de réaction de l'employeur après cet incident est donc matériellement établie.

(3) Les éléments produits ne démontrent pas que le choix de M. [I] de rejoindre la CFDT en lieu et place de la CGT à compter de 2022 résulte de pressions ou d'un chantage exercé par l'employeur et ce fait n'est pas matériellement établi.

(4) M. [I] a de nouveau fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire le 2 novembre 2021 ainsi que cela résulte du courrier de convocation produit (pièce 61 de l'appelant) et ce fait est matériellement établi.

(5) C'est sans aucune offre de preuve que M. [I] affirme avoir été raillé par sa hiérarchie après le prononcé du jugement du conseil de prud'hommes l'ayant débouté de toutes ses prétentions et la matérialité de ce fait n'est pas établie.

(6) Selon le certificat médical du 9 décembre 2019 établi par le docteur [H], médecin psychiatre à [Localité 3], M. [I] a été suivi en consultation du 1er juillet 2019 au 23 septembre 2019 pour une symptomatologie anxiodépressive. Il a été placé en arrêt de travail du 18 juillet 2019 au 1er octobre 2019 puis du 27 mars 2020 au 24 avril 2020 ainsi que 6 jours en 2021.

Au total, les cinq sanctions disciplinaires prononcées contre M. [I] entre avril 2019 et juillet 2020, postérieurement à sa réélection à la délégation unique du personnel sur la liste syndicale CGT de novembre 2018 et à l'action menée par son syndicat en juin 2018 pour voir attribuer un 13ème mois aux salariés de [Localité 2], dont quatre sont irrégulières ou infondées, la passivité de l'employeur lors de la constatation de l'effraction de son casier en janvier 2021, la nouvelle convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire reçue le 2 novembre 2021 et la dégradation de l'état de santé du salarié constatée médicalement à compter de juillet 2019 sont des éléments qui, pris ensemble, font présumer l'existence d'une discrimination à raison de son appartenance syndicale et d'un harcèlement moral.

Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ses agissements et décisions sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et à tout harcèlement.

Pour rapporter cette preuve, l'employeur invoque le fait que trois sanctions disciplinaires ont été prononcées contre M. [I] dès avant son élection comme délégué syndical (une mise à pied disciplinaire d'une journée notifiée le 18 décembre 2012 et deux avertissements notifiés les 29 mai et 29 novembre 2013 pour divers manquements aux consignes de sécurité), que les sanctions prononcées entre le 16 juin 2014 et le 7 juillet 2020 sont bien fondées, que certaines d'entre elles ont été prononcées à l'encontre de plusieurs membres de son équipe et que son évolution de carrière et de rémunération a été satisfaisante au sein de l'entreprise.

Si l'existence de trois sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre de M. [I] antérieurement à sa première participation au scrutin de la délégation unique du personnel de mai 2014, le caractère collectif de deux des sept sanctions prononcées contre lui postérieurement à mai 2014 et l'évolution normale de sa classification conventionnelle et de son salaire (passé d'un statut ouvrier, niveau 2 avec une rémunération mensuelle brute de base de 1.698,70 euros en décembre 2014 à un niveau 3, P2, avec une rémunération mensuelle brute de base de 1.986,88 euros en décembre 2019) sont des éléments objectifs qui permettent d'exclure toute discrimination à raison de son appartenance syndicale, ces éléments ne sont pas de nature à justifier, en revanche, les agissements répétés de harcèlement moral subis par le salarié depuis 2019 tels qu'ils ont été retenus précédemment.

Le harcèlement moral est donc caractérisé et justifie l'allocation, compte tenu de sa durée et des répercussions sur la santé de M. [I], d'une somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.

Sur la demande de résiliation judiciaire :

Si la procédure de licenciement du salarié protégé est d'ordre public, ce dernier ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations.

Les agissements répétés de harcèlement moral subis par M. [I] depuis 2019 et qui perduraient encore en novembre 2021, malgré la saisine du conseil de prud'hommes le 25 mai 2020, constituent des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation de travail.

La résiliation du contrat de travail est donc prononcée à compter du présent arrêt aux torts exclusifs de l'employeur et produit les effets d'un licenciement nul.

M. [I], qui justifie d'une ancienneté de plus de 13 ans dans l'entreprise et qui aurait perçu une rémunération de 3.166,53 euros brut s'il avait continué à travailler, a droit à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois d'un montant de 6.333,07 euros brut outre celle de 633,30 euros brut au titre des congés payés y afférents.

Il a également droit à une indemnité légale de licenciement d'un montant de 11.392,99 euros calculée sur la base d'un salaire de référence de 3.166,53 euros brut et d'une ancienneté de 13 ans, 3 mois et 16 jours en incluant la durée du préavis et déduction faite des diverses périodes de suspension du contrat de travail de 3 mois et 18 jours [(3.166,53/4 x 10) + (3.166,53/3 x 3 mois et 16 jours)].

Le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie n'a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, qu'au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de sa demande en résiliation dans la limite de 30 mois.

Toutefois, si la période de protection en cours au moment de la demande a expiré lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail, le salarié ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité pour violation du statut protecteur.

En l'espèce, M. [I] justifie avoir été élu comme membre du CSE à compter du 29 novembre 2022 pour une durée de 4 ans expirant le 29 novembre 2026.

Sa période de protection s'achèvera par conséquent le 29 mai 2027.

Il a donc droit, au titre de la violation de son statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 29 mai 2027 (correspondant à 2 ans, 1 mois et 25 jours depuis le prononcé de la résiliation judiciaire) soit la somme de 81.765,87 euros.

S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de M. [I] (43 ans), de son ancienneté dans l'entreprise à la date du prononcé de la résiliation (13 ans, 5 mois et 4 jours), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (marié avec une épouse sans emploi et deux enfants à charge ainsi que cela résulte de son avis d'imposition de 2019 et du livret de famille produit aux débats), la société Liz France thermal solutions sera condamnée à lui verser la somme de 22.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail dans sa version issue de la loi 2018-217 du 29 mars 2018 applicable au litige.

Le jugement est infirmé.

Sur les autres demandes :

Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les seules sommes réclamées dans l'acte introductif d'instance et à compter de chaque échéance devenue exigible pour celles réclamées postérieurement à la demande initiale.

Les sommes à caractère indemnitaire produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l'article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil), pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dûs au moins pour une année entière.

Il sera fait droit à la demande de remise des documents sociaux, sans que l'astreinte soit nécessaire.

La société Liz France thermal solutions qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit prescrite la demande d'annulation des sanctions notifiées le 16 juin 2014 et dit bien fondé le rappel à l'ordre du 10 octobre 2019 ;

Statuant à nouveau ;

Annule les rappels à l'ordre valant avertissements notifiés le 29 avril 2019 et le 29 novembre 2019 ainsi que les mises à pied disciplinaires du 12 novembre 2019 et du 7 juillet 2020 ;

Dit que la société Liz France thermal solutions venant aux droits de la société Artésienne de fumisterie a engagé sa responsabilité envers M. [I] pour harcèlement moral ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [I], salarié protégé jusqu'au 27 mai 2027, aux torts exclusifs de l'employeur ;

Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société Liz France thermal solutions venant aux droits de la société Artésienne de fumisterie à payer à M. [I] les sommes suivantes :

> 183,40 euros brut à titre de rappel de salaire pour l'annulation de la mise à pied du 12 novembre 2019 outre celle de 18,34 euros brut pour les congés payés y afférents,

> 91,61 euros brut à titre de rappel de salaire pour l'annulation de la mise à pied du 7 juillet 2020 outre celle de 9,26 euros brut au titre des congés payés y afférents,

> 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

> 6.333,07 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 633,30 euros brut au titre des congés payés y afférents,

> 11.392,99 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

> 81.765,87 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

> 22.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

Dit que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les seules sommes réclamées dans l'acte introductif d'instance et à compter de chaque échéance devenue exigible pour celles réclamées postérieurement à la demande initiale et que les sommes à caractère indemnitaire produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 nouveau du code civil ;

Déboute M. [I] de sa demande d'astreinte et du surplus de ses prétentions ;

Dit que la société Liz France thermal solutions venant aux droits de la société Artésienne de fumisterie devra transmettre à M. [I] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un solde de tout compte, un certificat de travail, une attestation France Travail conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif;

Condamne la société Liz France thermal solutions venant aux droits de la société Artésienne de fumisterie aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à M. [I] la somme de 2.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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