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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 8 avril 2025, n° 23/00984

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

MMA IARD Assurances Mutuelles (SA), MMA IARD (SA)

Défendeur :

MMA IARD Assurances Mutuelles (SA), MMA IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, M. Maury

Avocats :

Me Frangeul, Me Cerceau, Me Lecler-Chaperon, Me Lucas-Vigner, Me Laverne

TJ Poitiers, hors JAF, JEX, JLD, J. Expr…

3 avril 2023

EXPOSÉ :

Les époux [R] et [P] [E] ont fait assigner par acte du 16 juin 2015 la SARL [S] [I] Patrimoine devant le tribunal de grande instance de Poitiers sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour l'entendre condamner à leur payer, au principal, la somme de 184.640' en réparation du préjudice qu'ils soutenaient avoir subi par sa faute au titre de la perte de l'investissement qu'ils avaient fait en souscrivant, selon eux par son intermédiaire, en novembre 2012 moyennant versement de 115.400' un produit financier auprès d'une société Exelyum Ltd établie aux Seychelles dont les dirigeants font depuis 2013 l'objet d'une mise en examen pour escroquerie en bande organisée.

Ils ont assigné en intervention forcée par acte du 23 octobre 2015 l'assureur de la société [S] [I], la compagnie Covea Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles.

À la demande de la SARL [S] [I], la cour d'appel de Poitiers a, par arrêt infirmatif du 6 décembre 2016, sursis à statuer jusqu'au prononcé d'une décision pénale définitive suite à l'information judiciaire ouverte, dans le cadre de laquelle M [S] [I] était mis en examen.

L'affaire a été remise au rôle à la demande des époux [E] en mars 2020 à la suite du non lieu prononcé par le juge d'instruction à l'égard de M. [S] [I] selon ordonnance du 18 décembre 2019 devenue définitive.

Devant le tribunal, les époux [E] sollicitaient dans le dernier état de leurs prétentions :

- de voir déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles comme relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état ou, dans l'hypothèse où le tribunal s'estimerait compétent pour en connaître, de la rejeter

- de condamner solidairement la SARL [S] [I] Patrimoine, la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles à leur payer en deniers ou quittances la somme de 184.140 ' en réparation du préjudice subi, outre les intérêts au taux de 2% à compter du 7 mai 2015 jusqu'à remboursement,

- de condamner solidairement la SARL [S] [I] Patrimoine, la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles aux dépens et à leur payer 5.000' en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

La SARL [S] [I] Patrimoine a conclu au rejet de cette action et réclamé une indemnité de procédure, en soutenant être étrangère à la convention d'apporteur d'affaires conclue par les époux [E] avec [S] [I], et en affirmant que celui-ci n'avait jamais indiqué être intervenu en qualité de représentant de la société ni jamais reconnu avoir reçu les fonds pour le compte de la société.

Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ont conclu au rejet des demandes formées à leur encontre, et subsidiairement demandé au tribunal de surseoir à statuer jusqu'au prononcé d'une décision pénale définitive, sollicitant une indemnité pour frais irrépétibles.

Par jugement du 3 avril 2023, le tribunal judiciaire de Poitiers a :

* dit que la société [S] [I] Patrimoine avait manqué à son devoir de conseil envers M. et Mme [E] et l'a déclarée responsable du préjudice subi par eux de ce chef

* dit que les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles devaient leur garantie à la SARL [S] [I] Patrimoine

* ordonné le sursis à statuer sur le montant du préjudice corrélatif subi par les demandeurs jusqu'au prononcé d'une décision pénale définitive dans l'instance ouverte ayant donné lieu au jugement rendu le 12 mars 2021 par le tribunal correctionnel de Lyon, et dit que la procédure serait suspendue jusqu'à cette date

* réservé les dépens et les autres demandes.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,

- que [S] [I] avait exercé en nom personnel une activité civile de conseiller en gestion de patrimoine

- qu'il était le gérant et l'associé unique de la SARL [S] [I] Patrimoine

- que la SARL [S] [I] Patrimoine lui avait acheté sa clientèle civile par acte du 30 avril 2011

- que [S] [I] avait indiqué lors de son audition par les enquêteurs avoir commercialisé 17 contrats auprès de 15 clients différents dont un contrat pour 115.400' pour le compte de Mme [E], non remboursé, reconnaissant ainsi son intervention dans le placement litigieux

- qu'il avait aussi déclaré aux enquêteurs avoir fait un virement sur le compte de sa société avec les fonds qu'il avait retirés au moyen de la carte Mastercard fournie dans le cadre des opérations litigieuses, et indiqué que ces fonds avaient été intégrés dans sa comptabilité

- qu'il en résultait qu'il avait oeuvré dans ces opérations pour le compte de la SARL [S] [I] Patrimoine

- que les époux [E] avaient ainsi légitimement pu estimer que le contrat était commercialisé par l'entremise de la SARL [S] [I] Patrimoine

- qu'ils étaient ainsi habiles à rechercher sa responsabilité

- que la faute de la société était établie, au vu des énonciations de la décision rendue sur intérêts civils le 12 mars 2021 par le tribunal correctionnel de Lyon, démontrant que Monsieur [S] [I] avait sans précautions et sans aucune vérification, recommandé aux époux [E] comme sûr, et profitable puisque procurant la restitution du capital et 2% par mois d'intérêts, un placement auprès d'une société Exelyum qui n'avait pas la qualité alléguée car n'ayant pas l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel l'autorisant à agir sur le marché français et étant dépourvue de fonds propres

- qu'il avait manqué à son devoir de vigilance et à son devoir de conseil

- que sa faute était à l'origine du préjudice subi par les époux [E], lesquels avaient perdu les fonds qu'ils lui avaient remis

- que la faute commise n'ayant aucun caractère intentionnel, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, assureurs de responsabilité de la SARL [S] [I] Patrimoine, devaient leur garantie

- que le préjudice s'analysait en la perte d'une chance de n'avoir pas procédé au placement

- que sa réparation s'appréciait au regard de la chance perdue, et que son appréciation ne pouvait se détacher du montant des dommages et intérêts qui seraient alloués aux époux [E] dans le cadre de l'instance pénale toujours en cours

- qu'il y avait donc lieu de surseoir à statuer sur le montant du préjudice jusqu'à l'issue de l'instance pénale en cours.

La SARL [S] [I] Patrimoine a relevé appel de ce jugement le 26 avril 2023.

Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles en ont relevé appel le 4 juillet 2023.

Le conseiller de la mise en état a joint ces deux instance par ordonnance du 15 janvier 2024.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 10 février 2024 par la SARL [S] [I] Patrimoine

* le 22 janvier 2024 par les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles

* le 19 octobre 2023 par les époux [E].

La SARL [S] [I] Patrimoine demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit les époux [E] bien fondés à rechercher sa responsabilité, dit qu'elle avait manqué à son devoir de conseil envers eux, l'a déclarée responsable de leur préjudice, a ordonné le sursis à statuer et réservé les dépens

Statuant de nouveau :

de juger qu'elle n'est pas intervenue dans le cadre de l'investissement Exelyum que les époux [E] ont souscrit

En conséquence :

- de la mettre hors de cause

- de débouter les époux [E] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions

- de les condamner solidairement à lui payer 5.000' au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- de les condamner solidairement aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le tribunal a recouru à la théorie de l'apparence pour la déclarer responsable du préjudice des époux [E], alors que celle-ci n'est que subsidiaire et qu'il existait des éléments suffisants pour la mettre hors de cause.

Elle affirme n'être pas intervenue dans l'investissement des époux [E], indiquant qu'il convient pour apprécier la question de son implication de se placer au moment de l'investissement litigieux et qu'à cet égard, les éléments mis en exergue par le tribunal pour retenir sa responsabilité ne pouvaient pas avoir eu d'incidence sur l'appréciation que M. et Mme [E] avaient au moment de souscrire au produit Exelyum, l'extrait K bis qu'ils produisent ayant été édité le 26 mars 2015, peu avant l'assignation et donc des années après la souscription litigieuse ; la documentation ORIAS précisant que [S] [I] était le gérant de la SARL [S] [I] Patrimoine qui lui a racheté sa clientèle le 30 avril 2011 ayant elle aussi été éditée postérieurement à l'investissement litigieux puisque le dernier événement qui y apparaît date du 7 mars 2014 ; et les déclarations faites par M. [I] aux enquêteurs datant du 20 mars 2014, bien après l'investissement litigieux.

Elle ajoute que la particularité des conditions dans lesquelles ces déclarations furent faites, durant sa garde à vue, leur confère une valeur probante très relative, voire inexistante.

Elle objecte qu'il n'est produit aucun élément contemporain à la souscription.

Elle fait valoir qu'elle n'a pas signé le contrat ; qu'elle n'avait pas davantage conseillé aux époux [E] d'investir dans les produits proposés par Exelyum ; qu'elle n'a jamais signé de contrat d'apporteur d'affaires avec la société Exelyum Ltd ; qu'elle n'a jamais reçu ni manié le moindre fonds dans cet investissement Exelyum contrairement à ce que les intimés écrivent, et que ceux-ci n'ont jamais communiqué de pièces relatives au transfert des fonds qu'ils ont investis.

Elle affirme que les époux [E] n'avaient aucune raison de croire qu'elle était intervenue, et qu'ils ne justifient d'aucun élément en ce sens.

Elle indique que si Monsieur [S] [I] avait certes signé quant à lui un contrat d'apporteur d'affaires avec Exelyum en son nom personnel le 28 septembre 2012, ce contrat ne pouvait induire quiconque en erreur, car il y est désigné comme une personne physique, avec une adresse personnelle, qu'il n'y est fait aucune mention de la SARL [S] [I] Patrimoine ; qu'il n'y est fait nullement état de sa qualité de dirigeant ou de représentant d'une quelconque société ; que les termes de la convention ne font pas état de sa qualité de conseiller en investissement financier et qu'au contraire, la convention énonce que 'l'apporteur n'est pas un commercial professionnel. Il ne possède pas de mandat'.

Elle observe que le contrat de placement du 7 novembre 2012 conclu entre Mme [E] et Exelyum ne fait aucune mention de M. [S] [I] ; qu'il n'est pas versé la moindre pièce témoignant du moindre échange entre M. [I] et les époux [E] concernant l'investissement Exelyum ; et qu'aucune pièce ne démontre que les époux [E] auraient remis à M. [I] les 115.400' investis dans Exelyum.

Elle rappelle qu'elle n'a jamais été mise en examen, ni seulement même mise en cause, dans le dossier pénal. Elle fait valoir que son nom n'a jamais été cité par [S] [I] lors de son audition, et qu'il ne l'a jamais mise en cause ni n'a dit avoir agi comme son représentant.

Elle en infère que lors de la signature du contrat de placement du 7 novembre 2012 avec Exelyum, les époux [E] ne pouvaient disposer d'aucun élément leur permettant de croire que la SARL [S] [I] Patrimoine était intervenue d'une manière ou d'une autre.

Si sa responsabilité était néanmoins retenue par la cour, elle approuve le sursis à statuer sur le préjudice prononcé par le tribunal en faisant valoir que le tribunal correctionnel a alloué 115.400' aux époux [E] outre 2.000' au titre de leur préjudice moral, et qu'un des prévenus condamnés à ces réparations s'étant désisté de son appel cette condamnation est déjà définitive à son égard, que des fonds saisis et confisqués devraient permettre de payer les condamnations et qu'il faudra tenir compte de cette indemnisation.

Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société [S] [I] Patrimoine avait manqué à son devoir de conseil envers les époux [E], a déclaré celle-ci responsable de leur préjudice et a dit qu'elles-mêmes devaient leur garantie du chef de ce sinistre

- de juger que les époux [E] ne justifient pas de l'intervention de la société [S] [I] Patrimoine dans le cadre de l'investissement litigieux Exelyum qu'ils ont souscrit

- de juger que les époux [E] ne justifient d'aucune faute en lien causal à l'encontre de la société [S] [I] Patrimoine

En conséquence :

- de les mettre hors de cause

- de débouter les époux [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à leur encontre

À titre subsidiaire, si la cour retenait une faute à l'encontre de la SARL [S] [I] Patrimoine :

- de déclarer les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles bien fondées en leurs demandes de sursis à statuer

- de dire que les époux [E] ne justifient d'aucun préjudice né, actuel et certain

En conséquence

- de débouter les époux [E] de leur appel incident

- de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le sursis à statuer sur le montant du préjudice corrélatif subi par les demandeurs jusqu'au prononcé d'une décision pénale définitive dans l'instance ouverte ayant donné lieu au jugement rendu le 12 mars 2021 par le tribunal correctionnel de Lyon, et dit que la procédure serait suspendue jusqu'à cette date

- de suspendre en conséquence la présente instance dans l'attente d'une décision pénale définitive

En tout état de cause :

- de condamner les époux [E] au paiement de la somme de 5.000' au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- de les condamner aux entiers dépens.

Les sociétés MMA observent que les époux [E] recherchent la responsabilité de la société [S] [I] Patrimoine sur un fondement délictuel tout en lui imputant un manquement au devoir de conseil qui relève par définition du champ contractuel et n'est jamais dû à un tiers.

Elles font leur l'argumentation de leur assurée selon laquelle aucun élément ni indice n'établit son intervention à quelque titre que ce soit dans l'investissement litigieux, pas plus que celle de M. [S] [I] pour le compte de la société.

Elles soutiennent que la convention d'apporteur d'affaires que [S] [I] avait conclue avec la société Exelyum était étrangère à la société, comme à la signature de la convention litigieuse d'investissement, et qu'elle n'est pas de nature à engager la responsabilité de leur assurée.

Elles rappellent que [S] [I] a bénéficié d'un non-lieu.

En l'absence de faute et de responsabilité de la SARL [S] [I] Patrimoine, elles dénient leur garantie aux époux [E].

Subsidiairement, si cette responsabilité était retenue, elles demandent à la cour de confirmer alors le sursis à statuer prononcé par le tribunal, en indiquant que l'appréciation du préjudice dont les époux [E] pourrait prétendre leur demander réparation dépend évidemment de l'indemnisation qu'ils auront reçue dans le cadre de l'instance pénale, où en première instance le tribunal correctionnel de Lyon leur a alloué 115.400' de dommages et intérêts et 2.000' au titre de leur préjudice moral, sommes dont le paiement effectif est contrairement à ce que soutiennent les intimés réaliste selon elles au vu des fonds séquestrés dans l'instance pénale.

Les époux [E]/[T] demandent à la cour :

- de déclarer mal fondée en son appel la société [S] [I] Patrimoine

- de les déclarer bien fondés en leur propre appel incident

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la société [S] [I] Patrimoine avait manqué à son devoir de conseil envers eux, en ce qu'elle l'a déclarée responsable de leur préjudice et en ce qu'elle a dit que les MMA devaient leur garantie du chef de ce sinistre

- de la réformer pour le surplus

Et statuant à nouveau :

- de condamner solidairement la société [S] [I] Patrimoine et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à leur payer en deniers ou quittances la somme de 184.640' en réparation du préjudice subi outre aux intérêts au taux de 2% à compter du 7 mai 2015 et jusqu'à remboursement

- de condamner solidairement la société [S] [I] Patrimoine et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à leur payer 6.000' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- de débouter la société [S] [I] Patrimoine et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles de toutes leurs demandes contraires

- de condamner solidairement la société [S] [I] Patrimoine et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils soutiennent avoir été des clients fidèles de la SARL [S] [I] Patrimoine, conseil en gestion de patrimoine créée en 2006 avec pour gérant et associé unique [S] [I], auquel elle avait acheté en 2011 sa clientèle et qui était leur unique interlocuteur.

Ils affirment que c'est la société qui leur conseilla de souscrire un placement auprès de la société Exelyum basée aux Seychelles, ce qu'ils firent en vertu du contrat souscrit le 7 novembre 2012, et ils assurent que madame [E] remit à la SARL [S] [I] Patrimoine le capital investi de 115.400'.

Ils soutiennent que M. [I] agissait envers eux comme représentant légal de la société, et qu'il engageait celle-ci sur le fondement de l'article L.223-18 du code de commerce.

Ils indiquent que la signature de la convention d'apporteur d'affaires sous son seul nom avec la société Exelyum Ltd leur est inopposable.

Ils font valoir qu'en toute hypothèse, s'il devait être considéré que M. [I] aurait exercé sans être immatriculé une activité de conseil en investissement financier dans le cadre de laquelle il leur aurait fait souscrire le placement, leur croyance légitime qu'il agissait comme dirigeant de la SARL justifie d'accueillir leur action envers elle.

Ils considèrent que l'appelante renverse la charge de la preuve en soutenant que c'est à eux qu'il appartiendrait de prouver par des pièces contemporaines du placement Exelyum les informations connues et mises en avant sur le statut de la société et de son gérant, alors qu'en tant que gérant de la société, [S] [I] est présumé avoir agi au nom de la société, et que c'est à celle-ci de démontrer au soutien de sa contestation qu'il leur faisait souscrire ce contrat au titre d'une activité qu'il aurait exercée individuellement à titre personnel, preuve qui n'est pas rapportée.

Ils font valoir que lors de son audition par les services de police, M. [I] n'a pas fait de distinguo entre lui et la société, déclarant 'j'exerce la profession de conseiller en gestion de patrimoine', et indiquant avoir commercialisé entre mai 2012 et mars 2013 dix-sept contrats dont celui de Mme [E], qu'il cite..

Ils indiquent que leur pièce n°15, constituée d'une lettre de la Cardiff à M. [E] du 24 décembre 2014 relatif à une assurance-vie souscrite auprès de la SARL [S] [I] Patrimoine désignée comme 'votre conseil en gestion de patrimoine'.

Ils rappellent que la SARL [S] [I] Patrimoine a reconnu dans ses conclusions de première instance leur avoir fait souscrire trois contrats d'assurance-vie. Ils disent y voir un aveu judiciaire qui corrobore en tant que de besoin leurs éléments de preuve.

Ils soutiennent que la société a commis engagé envers eux sa responsabilité à deux titres, * d'abord en manquant aux devoirs du conseiller en investissement financier tels que définis au code monétaire et financier et au règlement général de l'AMF, en ce qu'elle ne s'est pas conformée à l'obligation de remettre au client un document précontractuel, qu'elle ne leur a pas soumis une lettre de mission contractualisant leurs relations et en ce qu'elle ne leur a pas délivré une information exacte, claire et non trompeuse sur le placement puisqu'elle leur a présenté la société Exelyum Ltd comme un partenaire sérieux et solide présentant toutes les garanties de sécurité qu'attend un investisseur ce qui était faux, et puisqu'elle a 'assuré à Mme [E] que ce placement était totalement sécure et source d'une rentabilité assurée de 2% l'an' sans que les risques du placement ne lui aient jamais été présentés

* ensuite en manquant à ses devoirs d'information et de conseil, en n'ayant pas vérifié la solvabilité de la société Exelyum et en n'ayant émis aucune réserve sur ce placement à haut rendement auprès d'une société domiciliée aux Seychelles.

Ils estiment que les MMA doivent garantir la responsabilité de leur assuré, et prennent acte de ce qu'elles ne reprennent pas en cause d'appel leurs moyens de première instance tirés des clauses d'exclusion.

Ils forment appel incident du jugement en ce que celui-ci a sursis à statuer sur leur préjudice, en soutenant que ce sursis ne se justifie plus depuis le prononcé du non-lieu et qu'il est illusoire au vu du nombre de victimes d'Exelyum de tabler sur un dédommagement dans le cadre de l'instance pénale, et ils demandent à la cour de leur allouer réparation à concurrence du capital investi et perdu ainsi que des intérêts annoncés mais non payés, en prononçant cette condamnation en deniers ou quittances compte-tenu de l'articulation avec l'instance pénale sur intérêts civils.

L'ordonnance de clôture est en date du 12 décembre 2024.

À l'audience, la cour a invité les plaideurs à faire sous quinze jours par voie de note contradictoire en délibéré toutes observations sur la question, relevé d'office, de l'effet dévolutif de l'appel au regard du sursis à statuer sur le préjudice ordonné par le jugement déféré.

Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ont transmis le 27 février 2025 par la voie électronique une note en délibéré par laquelle elles soutiennent :

- qu'il n'existe pas d'effet dévolutif au titre du préjudice invoqué par les époux [E] puisque le jugement frappé d'appel n'a pas statué sur cette question

- que la faculté d'évocation n'est pas ouverte à la cour, laquelle n'est saisie ni de l'appel d'un jugement ordonnant une mesure d'instruction ni d'un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, aurait mis fin à l'instance, et alors que l'appel du jugement en ce qu'il a sursis à statuer n'a pas été autorisé par le premier président.

Les autres parties n'ont pas transmis d'observations.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les époux [E] recherchent la responsabilité de la SARL [S] [I] Patrimoine en soutenant qu'elle a présenté à ses clients Exelyum Ltd comme un partenaire sérieux et sécure présentant toutes les garanties qu'attend un investisseur, et qu'elle a soumis à la signature de madame [E] le contrat en lui ayant assuré que ce placement était totalement sécure et source d'une rentabilité assurée de 2% l'an.

Il est préalablement observé que le placement souscrit par Mme [E] ne stipulait pas un rendement de 2% l'an mais des intérêts de 2% par mois, payables le 5 de chaque mois.

La SARL [S] [I] Patrimoine conteste être intervenue à quelque titre que ce soit dans la souscription de ce contrat.

Monsieur et madame [E] ne produisent aucun document, contractuel, précontractuel, ou autre, démontrant une intervention quelconque de la SARL [S] [I] Patrimoine dans la souscription de l'investissement litigieux.

Le contrat de placement qu'ils produisent (leur pièce n°2), daté du 7 novembre 2012 pour un investissement de 115.400' bloqué pour une durée de 12 mois, est conclu entre la société Exelyum Ltd et madame [R] [E], qui l'ont l'un et l'autre signé.

Il indique près de sa date et des signatures être fait à [Localité 11], aux Seychelles, où la société Exelyum Ltd avait son siège social.

Il ne contient aucune mention ni référence relative à la SARL [S] [I] Patrimoine.

Il énonce que 'Mme [E] [R], investisseur, confie à la société Exelyum Ltd un capital de 115.400' pour être investie sur les marchés des futures, en particulier sur le marché du Forex. Ce capital sera garanti à 100% et sera payable par Exelyum Ltd à échéance du plan d'investissement'.

Les époux [E], qui n'ont jamais déféré à la sommation de la société [S] [I] Patrimoine de justifier des modalités selon lesquelles les fonds ont été transférés à la société Exelyum, ne démontrent pas les avoir remis à l'appelante, ni d'ailleurs à qui d'autre.

Dans le cadre de l'information judiciaire ouverte pour fourniture illégale de services d'investissement à des tiers à titre de profession habituelle, escroquerie réalisée en bande organisée, complicité et recel, la société [S] [I] Patrimoine n'apparaît pas dans les pièces produites -courrier circulaire aux victimes, audition, réquisitoire, ordonnance de non-lieu, de requalification et de renvoi, avis à partie civile, jugement du tribunal correctionnel.

Les époux [E] ne peuvent éluder la charge qui leur incombe de prouver les faits qu'ils allèguent, et l'intervention dont ils arguent de la société [S] [I] Patrimoine dans le placement litigieux, en soutenant qu'elle aurait précisément manqué à ses obligations en ne leur faisant pas signer de document d'information précontractuelle, de lettre de mission, de contrat ni plus généralement un quelconque document.

Ils sont en droit d'établir cette intervention par tout moyen, mais la preuve dont ils sont débiteurs ne résulte pas, en soi, de cette absence même d'un écrit.

Il n'est pas davantage produit de courrier, courriel, correspondance, note, attestant d'une intervention quelconque de la SARL [S] [I] Patrimoine dans l'investissement souscrit par Madame [R] [E].

Il n'en est pas non plus produit attestant de celle de Monsieur [S] [I].

Les appelants produisent une convention d'apporteur d'affaires en date du 28 septembre 2012 conclue entre 'Monsieur [I] [S]' et la société Exelyum Ltd, et le procès-verbal de la deuxième audition de [S] [I] par un enquêteur (leurs pièces n°11 et 14). .

La convention d'apporteur d'affaires ne fait nulle mention de la SARL [S] [I] Patrimoine.

Elle ne contient aucune référence à la qualité de dirigeant d'une société de Monsieur [I], et donc pas à sa qualité, avérée par ailleurs, de gérant de la SARL [S] [I] Patrimoine.

Elle ne fait pas état de la qualité de conseiller en investissement financier.

Elle énonce que cette convention 'va permettre à l'apporteur d'affaires par le biais de ses relations personnelles d'apporter à la société Exelyum une clientèle qui souhaite confier à Exelyum des fonds propres pour être tradés sur des marchés financiers.' en précisant : 'L'apporteur n'est pas un commercial professionnel. Il ne possède pas de mandat'.

Elle définit les commissions que la société Exelyum versera à l'apporteur d'affaires en fonction des investissements effectués en fonds propres par les clients, et stipule qu'il n'a aucun droit sur la clientèle, qui appartient exclusivement à Exelyum Ltd.

Le procès-verbal d'audition de M. [S] [I] qui est produit est intitulé '2ème audition' ; il s'ouvre sans historique, rappel ni préambule par la question de l'enquêteur 'avant de commercialiser le placement Exelyum quelles vérifications avez-vous faites' qui persuade qu'elle a été précédée d'autres déclarations sur ce placement, dans la première audition qu'il aurait été bienvenu de verser également aux débats pour permettre d'apprécier la portée exacte des propos recueillis, qui ne sont pas contextualisés.

En tout état de cause, il ressort de la lecture de ce procès-verbal que le nom de la SARL [S] [I] Patrimoine n'y apparaît pas.

M. [I] n'indique à aucun moment avoir agi comme dirigeant -ou comme l'associé unique- de cette société, ni en son nom, ni dans son intérêt.

Il indique dans l'en-tête de l'audition dédiée aux renseignements d'état civil et de personnalité 'exerce(r) la profession de conseiller en gestion de patrimoine' ; il répond à la question de savoir quel était son statut dans la chaîne commerciale d'Exelyum avoir été 'un simple apporteur d'affaires' et détaille à ce titre les deux contrats d'apporteurs d'affaires qu'il a successivement conclus avec la société Exelyum, en citant les conditions de sa rémunération, soit, dans le second, 1% de commission d'entrée, 0,65% de commission d'encours et des primes de seuil ; réfutant avoir été membre de l'organigramme de la société Exelyum, il indique 'je ne me suis occupé que de ma propre clientèle, qui était, d'ailleurs, numériquement très faible', avant de recenser les treize clients, dont '[R] [E] 1 contrat pour 115.400' non remboursé', qu'il a apportés à la société Exelyum Ltd.

Pour l'un, madame [J] [C], âgée de 81 ans, qui n'avait pas internet et ne pouvait pas suivre sa capitalisation, il précise 'c'est pourquoi le contrat a été placé sur mon compte FW300.'.

S'il évoque à un moment, sans plus de précision, 'sa société', c'est à propos de l'investissement Exelyum qu'il avait lui-même souscrit à titre personnel -et qui lui ouvre la qualité de partie civile dans l'information judiciaire puis devant le tribunal- et pour en dire :'..à titre personnel, j'ai fait un virement sur le compte de ma société avec les fonds que j'avais retirés. Ils sont donc clairement intégrés dans ma comptabilité', ce dont ne résulte, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, ni la preuve ni l'indice qu'il aurait oeuvré dans ces opérations d'investissement Exelyum, et a fortiori à l'égard de Mme [E], pour le compte de la société [S] [I] Patrimoine et non pour son compte personnel.

Il indique avoir perçu au total 63.864,03' de commissionnements d'Exelyum, le tout sur son compte FW300.

Il n'est pas établi -par les productions, ni l'enquête- que ce compte aurait eu pour titulaire ou co-titulaire la SARL [S] [I] Patrimoine, ni que celle-ci ait directement ou indirectement perçu la moindre commission, la moindre prime, le moindre intéressement au titre de souscription de placements Exelyum.

Il n'est pas davantage établi -ni soutenu- qu'elle aurait reçu de M. [S] [I], directement ou indirectement, le moindre reversement, ou avantage, au titre des clients qu'il avait apportés à la société Exelyum.

Elle n'avait elle-même conclu aucun contrat d'apporteur d'affaires avec Exelyum.

Ces éléments concordent tous à établir que le contrat d'investissement conclu par Mme [R] [E] avec la société Exelyum Ltd avait été apporté à celle-ci par [S] [I] dans le cadre de la convention d'apporteur d'affaires qu'il avait conclue à titre personnel avec ladite société, sans intervention ni implication de la SARL [S] [I] Patrimoine.

La circonstance que les époux [E] ne sont pas partie à ce contrat ne retire rien à ce constat, son existence étant un fait qui peut être pris en considération dans l'appréciation du litige.

Il n'existe, contrairement à ce que soutiennent les intimés, aucun aveu judiciaire contraire de la part de la SARL [S] [I] Patrimoine, étant observé qu'un aveu judiciaire ne peut porter sur une question de droit.

De ce que la SARL [S] [I] Patrimoine a, notamment, pour activité le conseil en investissements financiers et le conseil en gestion de patrimoine, et de ce qu'elle avait pour gérant [S] [I], il ne résulte pas, contrairement à ce que soutiennent les époux [E] au visa de l'article L.223-18, alinéa 5, du code de commerce, que les actes qu'accomplissait M. [I] l'étaient au nom de la société dont il était, par ailleurs, le dirigeant, ni que celle-ci était engagée par ces actes envers les tiers.

Il n'est justifié, ni fait état, d'aucun élément, l'accréditant, et à l'inverse, [S] [I], qui avait conclu à titre personnel un contrat d'apporteur d'affaires avec la société Exelyum, pouvait à la fois exercer cette activité propre et être par ailleurs l'associé et le représentant légal de la société [S] [I] Patrimoine, sans que son activité personnelle n'interfère avec celle de la société.

Et contrairement à ce que soutiennent les intimés, il n'incombe pas à l'appelante de prouver qu'ils savaient que M. [I] leur conseillait ce placement dans le cadre de l'exercice de son activité personnelle mais à eux d'établir que la responsabilité de la société est engagée.

Les intimés soutiennent qu'en s'entendant conseiller l'investissement Exelyum par Monsieur [S] [I], Madame [R] [E] aurait eu la croyance légitime de recevoir ce conseil de la SARL [S] [I] Patrimoine dont il était le gérant.

Il leur incombe de prouver les circonstances dont madame [E] aurait pu déduire pareille croyance légitime.

Cette démonstration n'est pas faite, aucune preuve ni indice n'étant rapportés en ce sens.

Le fait que M. [I] fût aussi le gérant de la SARL [S] [I] Patrimoine ne constitue pas, par lui-même, une circonstance pouvant être regardée comme ayant pu fonder une telle croyance.

Le fait que les époux [E] avaient précédemment -dans les années 2000 selon une affirmation non discutée de l'appelante- souscrit des contrats d'assurance-vie, en l'occurrence auprès de la Cardiff, par l'intermédiaire de la SARL [S] [I] Patrimoine, ne suffit pas à établir que Madame [E], qui avait donc contracté à cette occasion avec ladite société, voire versé des fonds par son intermédiaire, pouvait croire en 2012 avoir aussi affaire à cette société en s'entendant conseiller par [S] [I] l'investissement Exelyum, pour la souscription duquel elle n'a conclu aucun contrat avec lui ni ne lui a remis aucun fonds.

L'appelante fait pertinemment valoir que la croyance légitime dont arguent les demandeurs s'apprécie à l'époque de la souscription du placement litigieux, et qu'à cet égard, l'extrait du registre du commerce et des sociétés et l'extrait du registre ORIAS qu'ils versent aux débats pour faire valoir que M. [I] avait cédé sa clientèle civile à la société [S] [I] Patrimoine le 30 avril 2011 ont l'un comme l'autre été édités des années après la souscription du placement litigieux -en 2015 pour le premier, et au plus tôt en 2014 pour le second- et qu'il n'est aucunement prouvé que Mme [E] ait connu à l'époque de sa souscription cet élément qu'elle présente comme une cause de son erreur sur la qualité de l'auteur du conseil.

En tout état de cause, le fait pour M. [S] [I] d'avoir cédé sa clientèle civile en 2011 à la société [S] [I] Patrimoine ne créait nul obstacle à ce qu'il exerçât ensuite une activité personnelle d'apporteur d'affaires auprès de la société Exelyum, indépendamment de celle de gérant de la société [S] [I] Patrimoine, et les époux [E], qui produisent un contrat d'investissement conclu avec la société Exelyum LTD et ne justifient d'aucun élément attestant le rôle que M. [I] a reconnu avoir tenu à titre personnel, ne rapportent la preuve d'aucune apparence trompeuse, d'aucune circonstance dont Mme [E] aurait pu déduire la croyance légitime qu'un tel conseil émanait de l'appelante.

Les demandeurs échouent ainsi à rapporter la preuve qui leur incombe.

Ils ne prouvent pas que la responsabilité de la SARL [S] [I] Patrimoine serait engagée à leur égard, que ce soit au titre de manquements à des obligations dont ils n'établissent pas qu'elle aurait été tenue envers eux, ou au titre des actions faites par M. [S] [I] personnellement.

Ils seront en conséquence, par infirmation du jugement entrepris, déboutés de tous leurs chefs de prétentions à l'encontre de cette société et donc, conséquemment, à l'encontre des assureurs de celle-ci.

Au vu du sens de la présente décision, le jugement sera aussi infirmé en ce qu'il a sursis à statuer sur l'indemnisation d'un préjudice qu'il n'incombe pas aux parties défenderesses à l'action de réparer.

Les époux [E] supporteront les dépens de première instance et d'appel.

L'équité justifie de ne mettre aucune indemnité de procédure à leur charge tant au titre des frais irrépétibles de première instance que de ceux d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

statuant à nouveau :

DÉBOUTE les époux [R] [T] et [P] [E] de tous leurs chefs de prétentions tant contre la SARL [S] [I] Patrimoine que contre les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE in solidum les époux [E] aux dépens de première instance et d'appel

DIT n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à maître LUCAS-VIGNER, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

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